French Cinepanorama

Le couple, l'étrange et la dureté des temps

Texte : Claire Berger-Vachon

La vingt-troisième édition du French Cinepanorama s'ouvre sur Le goût des autres d'Agnès Jaoui, film français s'il en est par la place accordée aux dialogues, à la narration non linéaire, à la saveur des bons mots et à l'ambiance des restaurants, des cafés et des rues. Belle variation sur la diversité des cultures, sur l'altérité en général, Le goût des autres nous rappelle Claude Sautet, disparu cette année.

Nous rendons hommage à ce cinéaste en programmant trois de ses films, Max et les ferrailleurs, Les choses de la vie, Nelly et M. Arnaud.

Les choses de la vie, une de ses œuvres majeures, contient bien des ingrédients du cinéma d'aujourd'hui : le couple, la culpabilité et l'inconfort de l'infidélité, le cercle de famille. Ce n'est pas un hasard si plusieurs des films de cette édition du French Cinepanorama portent en eux cette filiation implicite.

Tout va bien, on s'en va de Claude Mouriéras raconte ainsi l'histoire d'un homme âgé (Michel Piccoli), véritable père prodigue qui revient perturber la vie de ses trois filles (Miou-Miou, Sandrine Kiberlain, Natacha Régnier) et en même temps les libérer, par sa mort, de l'abandon dans lequel il les avait laissées.

Une femme d'extérieur de Christophe Blanc, est pour sa part une belle variation sur le couple : comment une femme, épouse et mère de famille aimante, découvrant qu'elle est trompée, entreprend une sorte de voyage initiatique qui la conduira vers la vérité du soi. Magnifique interprétation d'Agnès Jaoui qui rend avec une parfaite justesse les aléas du désir et leur incidence sur le cercle de famille.

Film dur mais remarquable par la rigueur de son propos, Petite chérie, d'Anne Villacèque, décrit de son côté une famille conventionnelle et modeste dont l'affection bien pensante conduit à sa destruction même.

A l'inverse, Haut les cœurs ! de Sólveig Anspach apporte une belle note d'espoir. Enceinte de quelques semaines, Emma découvre qu'elle est atteinte d'un cancer du sein; elle décide, contre l'avis des médecins qui préconisent un avortement de mener de front et sa grossesse et son traitement. Le couple, paradoxalement, se renforce là où il aurait pu éclater. Film de femme sur une femme, Haut les cœurs! est une oeuvre de port ée universelle.

En écho, Kennedy et moi de Sam Karmann, film d'homme sur un homme, décrit une autre maladie, la dépression de l'âge mûr. Ecrivain s'estimant médiocre, époux et père de famille désabusé, Simon Polaris (Jean-Pierre Bacri) est et se sait mal barré. Par la médiation d'un symbole (la montre que Kennedy portait le jour de son assassinat) et le truchement d'une parabole (la montre, qui symbolise le temps, survit à son propriétaire) notre héros s'en sort : curieux développement sur la symbolique des objets et l'influence diffuse mais réelle qu'exerce sur nous l'image des grands hommes, mais aussi tableau sensible d'une crise identitaire.

Enfin Meilleur espoir féminin de Gérard Jugnot, est émouvant par l'analyse du rapport filial entre père et fille, instructif par la description de la manipulation d'une adolescente aux prises avec le milieu du cinéma. Rires, sourires et petite larme finale pour un film divertissant et salutaire.

Trois des films de cette édition pourraient être placés sous le signe de l'étrange. Harry, un ami qui vous veut du bien de Dominik Moll, met en scène un pervers sympathique et monstrueux, qui croit dur comme fer aux valeurs qui le structurent. Quelque chose de Hitchkok remonte à la surface et nous suivons Harry dans sa spirale de meurtres, commis pour le bien des autres.

Gouttes d'eau sur pierres br ûlantes, film de François Ozon tiré d'une pièce de Fassbinder, nous conduit dans un huis-clos de désir et de déviance. Léopold, séducteur polymorphe (Bernard Giraudeau, troublant) mène ses proies, dans un décor minimaliste, jusqu'à l'extrême fin de leurs possibilités.

La fille sur le pont de Patrice Leconte est insolite non seulement dans son traitement (le noir et blanc) mais aussi dans son propos, la rencontre et l'errance sur une route aux accents felliniens, d'un lanceur de couteaux et d'une fille suicidaire. Sur cette route tendue des pièges du désaveu et de l'abandon, Daniel Auteuil et Vanessa Paradis se perdent mais se retrouvent.

Les trois derniers films illustrent la dureté des temps et les grandes et petites ambitions.

Sauve-moi, film de Christian Vincent, est tourné dans le Nord de la France, fortement touché par le chomâge. Une petite communauté d'amis y vit d'expédients. Solidarité, entraide sont leurs maître-mots, qu'ils auront l'occasion d'exercer pour un ange venu de l'est, délicieuse Roumaine qui passant parmi eux, viendra les sauver. Le scénario, écrit par un colllectif de chômeurs de Roubaix, est aussi simple que noble, la photographie, magnifique, transcende sans supercherie les paysages sinistrés.

Grande fresque historique réalisée par une très jeune réalisatrice, Patricia Mazuy couronnée par le prix Jean Vigo, Saint-Cyr raconte l'ambition de Madame de Maintenon, dernière épouse du roi Louis XIV. Persuadée, dans une optique que l'on pourrait dire féministe de nos jours, que l'éducation non seulement religieuse, mais intellectuelle des femmes est un progrès nécessaire, elle crée, à Saint-Cyr, une école pour jeunes filles nobles et peu fortunées. De rébellions en excès de mysticisme, ce film à la somptueuse photographie appelle notre attention sur l'aspiration au divin et ses abîmes. Enfin Le château des singes de Jean-François Laguionie conte voltairien en forme de charmante animation, met en scène un jeune héros dont le courage et la malice permettront la réunification de deux peuples.

Sautet, Hitchkok, Fellini, Fassbinder, que de bonnes références pour un cinéma français qui sans renier ses classiques, sait aussi surprendre, émouvoir, pétiller…et détendre !