Rencontre

Entretien avec Claude Sautet

Propos recueillis par Freddie Wong


Avec la mort de Claude Sautet, le 22 juillet 2000 à l’âge de 76 ans, le monde du cinéma a perdu l’un de ses grands metteurs en scène. Sautet était un musicien, un scénariste, auteur hors pair, souvent dénommé le « grand portraitiste » du cinéma français. Le French Cinepanorama lui rend un hommage spécial en décembre en projetant trois films charnières de sa carrière, et Paroles publie une interview exclusive de Claude Sautet, par le critique de cinéma Freddie Wong, réalisée en 1993 à Hong Kong, lors de la sortie de son film Un cœur en hiver.

Q : Je pense que vous avez commencé votre métier de metteur en scène en 1955 ?

R : Non, en 1959, Classe tous risques est mon premier film…

Q : Mais avant, vous n’aviez pas fait un film, Bonjour sourire ?

R : Non, non, j’étais assistant à cette époque et le metteur en scène est parti, il a fallu que je finisse le film…

Q : Donc, ce n’est pas votre film…

R : Non…

Q : Comment et pourquoi avez-vous choisi ce métier de metteur en scène de cinéma ?

R : Par ma mère, quand j’étais enfant, j’étais très distrait et ma mère a cru que c’était une vocation artistique, alors elle m’a fait apprendre la sculpture, et je suis entré dans une école de sculpture... et puis il y a eu la guerre, l’occupation, et après je me suis engagé comme bureaucrate. Mais ma mère ne voulait pas que je sois bureaucrate et elle m’a obligé à passer un concours d’école de cinéma, et j’ai été reçu…

Q : Quelle école ?

R : IDHEC (L’Institut des hautes études de Cinéma) en1945, 1946 et 1947, puis je ne pouvais pas trouver de travail, alors j’ai fait plein de travaux différents, dont un, plus important, la critique musicale, la critique de jazz, puis un jour j’ai rencontré un metteur en scène qui faisait des courts métrages, qui m’a demandé de l’aider, j’ai travaillé, travaillé, travaillé et suis devenu assistant de long métrage, et j’ai commencé à corriger des scénarios, je suis devenu spécialiste…

Q : C’était pour l’adaptation ?

R : Oui, c’est ça, correction de scénario…

Q : C’était surtout sur les dialogues ?

R : Les deux, la structure d’abord, j’ai travaillé sur soixante films au moins, toujours anonyme, jusqu’au jour ou j’ai travaillé sur un film policier avec Lino Ventura. Le metteur en scène est parti avant la fin du contrat, le film n’était pas fini et j’ai dû le finir, et après, Lino Ventura m’a demandé de faire un autre film avec lui, et c’est Classe tous risques.

Q : A cette époque, est-ce que la formation de l’IDHEC vous a aidé ?

R : Pas beaucoup, je pense que les écoles ne m’aident pas beaucoup, c’est mieux sur le plateau.

Q : Aujourd’hui, L’IDHEC c’est à peu près la même chose ?

R : FEMIS, aujourd’hui c’est un autre nom, c’est la FEMIS (Fondation Européenne des métiers de l’image et du son ) depuis six ou sept ans….C’est devenu autant cinéma que télévision, avant c’était une école de cinéma, maintenant, c’est audio-visuel…

Q : Et pour corriger les scénarios, ça vous a beaucoup aidé ?

R : Oui, c’était de lire un scénario et de trouver dedans quelque chose de négatif, la fin qui ne va pas avec l’ensemble, il y a toujours des corrections de structure...

Q : Classe tous risques, c’est un film policier ?

R : Oui, c’est mon premier film et c’est un peu comme un exercice...

Q : Mais c’était déjà un succès ?

R : Oui, ce n’était pas un succès quand il est sorti, c’est devenu un succès après — un classique — et puis j’ai réalisé mon deuxième film Max et les ferrailleurs. Il y a un rapport entre le personnage de Max et le personnage de la femme dans Un cœur en hiver, les deux sont introvertis, il y a toujours un rapport entre la femme extrovertie et l’homme introverti….C’est très important parce que c’était le deuxième ou le troisième film, mais tous les films que j’ai faits avec un personnage introverti commencent avec Max et les ferrailleurs...

Q : Les choses de la vie c’est avant Max et les ferrailleurs.

R : Mais entre Classe tous risques et Les choses de la vie, il y a dix ans. Pendant dix ans, je travaillais sur les scénarios des autres... J’ai tourné Classe tous risques en 1959, Les choses de la vie en 1969, Max en 1970, et César et Rosalie en 1972.

Q : C’est après Les choses de la vie que vous avez tourné Max et les ferrailleurs et c’est un film policier comme Classe tous risques ? Et Max, ce n’est pas un succès ?

R : Si, si, mais ce n’est pas la même atmosphère que Classe tous riques, c’est un film de gangster, alors que Max et les ferrailleurs est un film plutôt psychologique...

Q : Je pense qu’en presque quarante ans de métier, vous n’avez réalisé que douze films, ce n’est pas beaucoup ?

R : C’est suffisant pour moi (sourire), parce que mon métier, premièrement c’était de réparer des scénarios, j’ai travaillé pour les autres ce qui me donnait une indépendance économique et je pouvais faire un film quand j’avais envie d’en faire un... C’est très important... Après Max et les ferrailleurs, au lieu de faire des films policiers ou criminels, je décris plus le monde qui est autour de moi, les personnages de Les choses de la vie, Vincent, François, Paul et les autres, Une histoire simple, ce sont des personnages psychologiquement plus près de la société dans laquelle je vis....

Q : Je n’ai pas vu Classe tous risques, mais je pense qu’après Les choses de la vie, vous traitez toujours le même sujet, c’est-à-dire, l’amour...

R : La crise entre l’homme et la femme...

Q : et puis en même temps l’amitié entre amies...

R : ...Ce n’est pas une amitié sans trahisons (sourire)...

Q : Ce n’est pas vraiment un ménage à trois, c’est plus compliqué que ça.

R : Oui, même quatre ou cinq, dans Vincent, François, Paul et les autres, c’est tout un groupe... disons c’est sur la crise psychologique et morale de la « middle class » en France et en Europe...

Q : Comment faites-vous pour préparer le scénario ? Ce genre de relations c’est un peu compliqué à écrire... ?

R : Oui, c’est très difficile, parce que les sujets sont très minces, de petits sujets, c’est toujours des personnages comme on en voit dans la vie...

Q : C’est peut-être une question personnelle, est-ce que votre mariage ou votre vie...

R : Elle est très bonne, j’ai des enfants et des petits enfants, mais avant d’être marié, j’étais très timide... et je ressors toutes les maladies que j’ai eues - psychologiques. Voilà...

Q : Vous aviez déjà commencé votre métier de metteur en scène avant votre mariage ?

R : Non, je ne voulais même pas ce métier...

Q : Parce que si vous êtes timide, c’est difficile de devenir metteur en scène...

R : Voilà, c’est ça, j’avais peur de m’exprimer... et par le travail technique, j’ai fini par trouver des rapports avec les autres et puis de m’apercevoir que je pouvais montrer des choses que je ne montrais pas, voilà.

Q : Vous travaillez toujours avec la même équipe, presque...

R : Presque, je change...

Q : Par exemple, vous travaillez beaucoup avec le scénariste, Jean-Loup Dabadie...

R : Avec Dabadie, j’ai fait six scénarios, et puis là j’ai changé, je travaille avec Jacques Fieschi maintenant...

Q : Et comme chef opérateur, vous travaillez souvent avec Jean Boffety...

R : Oui, mais il est mort déjà, j’ai fait six films avec lui, mais il est mort il y a quatre ans, alors, les derniers je les ai faits avec un autre, mais c’est toujours la même monteuse, la même scripte... Je pense que je suis plus à l’aise...

Q : Quel était votre rapport avec Jean Boffety ?

R : Ah, il n’y a pas de dispute avec des opérateurs, mais avec les comédiens, si ! Parce qu’avec les comédiens, j’ai des rapports très passionnés (sourire)... et la relation humaine est très forte, avec Romy Schneider, j’ai fait cinq films...

Q : Et Yves Montand ?

R : Trois, et Michel Piccoli, quatre, mais c’est une autre époque parce qu’à ce moment, c’était une génération, et après je suis reparti avec des personnages plus jeunes, de l’âge de mon fils... avec Patrick Dewaere, avec Daniel Auteuil, et Sandrine Bonnaire, j’ai fait Quelques jours avec moi, et puis le dernier avec Daniel Auteuil et Emmanuelle Béart...

Q : Quel était le budget de vos films ?

R : C’est toujours moyen, toujours pas cher...

Q : Mais vous n’avez pas travaillé avec Gérard Depardieu ? C’est parce qu’il était pas disponible?

R : Gérard, il est le jeune dans Vincent, François, Paul et les autres...

Q : Mais après, il est trop cher ?

R : Non, il est très pris, il travaille beaucoup (rire)…

Q : C’est très curieux parce que vos films ne sont jamais sortis à Hong Kong, même les films avec de grandes vedettes comme Yves Montand, Romy Schneider qui sont très connues à Hong Kong...

R : C’est une question de marchand...

Q : Est-ce que pour ce film, Un cœur en hiver, les scènes de violon étaient difficiles à tourner ?

R : C’était très difficile, Emmanuelle Béart, a travaillé un an pour apprendre à jouer, c’est le rôle le plus important pour elle...

Q : Et pendant le tournage, c’est le son direct ou...

R : Pour le violon ? C’est le playback... on peut jouer, mais le son au violon c’est du playback…

Q : Ce film est sorti avant Tous les matins du monde, le film d'Alain Corneau, ça aussi c’est un film avec beaucoup de musique jouée sur la scène...

R : Mais c’est un film historique...

Q : Oui, mais c’est le même genre de problème...

R : Ah, le problème c’est pareil, c’est très difficile...

Q : Je pense que récemment, en France, il y a beaucoup de films qui traitent des sujets de musiciens, de peintres etc., il y a Van Gogh, il y a La belle noiseuse et même Tavernier a fait des films comme ça...

R : Oui, beaucoup, beaucoup de films qui traitent des activités artistiques, c’est ça...

Q : Le public français, il aime ce genre de film ?

R : Ah, oui, beaucoup, parce que dans ce genre de film, il y a un refuge, il y a des choses plus humaines, et aussi le rêve pour la créativité.

Q : Il y a beaucoup de metteurs en scène qui ne vont pas au cinéma (rire), mais vous allez au cinéma souvent ?

R : Oui (rire) …bien sûr, mais pas quand je commence à écrire ou quand je vais tourner, je ne vois pas de films, parce que si je vois un film qui traite un sujet qui s’en approche, et qui est très mauvais, je suis déprimé, si c’est un chef-d’œuvre, je suis déprimé aussi ! (rire).