« Toi, tu continues à gravir les montagnes. Et Chaque fois que tu tapproches du sommet, exténué, tu penses que cest la dernière fois. Arrivé au but, quand ton excitation sest un peu calmée, tu restes insatisfait.
Celles que tu as déjà gravies ne présentent plus aucun intérêt, mais tu restes persuadé que derrière elles se cachent dautres curiosités dont tu ignores encore lexistence. Mais quand tu parviens au sommet, tu ne découvres aucune de ces merveilles, tu ne rencontres que le vent solitaire. »
(La Montagne de l'âme)
«
Elle dit que les mots ne sont que des apparences, elle ne va pas le laisser. Jamais elle na pensé labandonner
»
«
Sil se retournait et sil la regardait ainsi, elle se jetterait à nouveau dans ses bras, recevrait ses caresses, et tous les malentendus se dissiperaient. »
(Au bord de la vie)
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Littérature
Gao Xingjian, prix Nobel de littérature
Texte : Gérard Henry
Lattribution du prix Nobel de littérature à Gao Xingjian a été une heureuse surprise, autant pour lui que pour ses lecteurs, notamment tous ceux qui ont été séduits
par La Montagne de lâme, son chef duvre. La surprise na certainement pas été aussi agréable pour les autorités chinoises qui sont restées sans voix avant daccuser lAcadémie Nobel de visées politiques, mais cette réaction na surpris personne, elle est dans la logique de la politique du parti qui a, depuis 1989, interdit Gao Xingjian de publication sur le continent. Quant à la réaction de certains écrivains chinois comme Chen Fang qui a déclaré à Pékin que luvre de Gao Xingjian avait très peu dimpact sur la culture chinoise, elle ne saurait être de plus mauvaise foi, les uvres de Gao étant interdites et donc sans lecteurs possibles sur le continent. Ces gens ne peuvent nier, à moins davoir la mémoire courte, que ses premières pièces, Arrêt
de bus et Signal dalarme, ont au début des années 80 déclenché une véritable polémique dans les milieux culturels chinois pour avoir bouleversé toutes les conventions théâtrales en cours, ignorant le réalisme prôné par les autorités, apportant dans son théâtre expérimental un courant de modernisme régénérateur.
Si Gao Xingjian est
peu connu en Chine faute dêtre publié, il est plus connu à Taïwan et à Hong Kong où il sest rendu plusieurs fois. Il y a mis en scène en 1995 une de ses pièces, Lautre
rive, à LAcademy for Performing Arts. Nous lavions déjà dailleurs interviewé dans Paroles en 1996 lors dune exposition de peinture quil fit à Hong Kong et en été 1998, alors quil était artiste en résidence à lUniversité des Sciences et Technologies. Nous rappelons dans cet article certains extraits de ces rencontres. Gao Xingjian posait alors le problème de lécrivain
en exil :
« Un individu en exil peut-il encore écrire ? Peut-il encore sidentifier à un pouvoir, une société ? En dehors de son environnement culturel, conserve-t-il ses propres valeurs ? A-t-il encore une utilité ? Sil se contente de se cantonner dans son rôle de dissident, est-il encore un créateur ?
Je voulais prouver que cétait possible. En fait, avant moi, il y avait déjà tant décrivains européens qui lavaient montré. Mais pour les écrivains chinois, cest un grand problème
! »
On laccusait en quelque sorte de ne plus être vraiment chinois car il avait quitté la Chine, et de ne plus avoir le droit de représenter la littérature chinoise. A cela, il répliquait que dans son uvre cest lindividu et lhomme qui compte, que chaque peuple a ainsi ses propres problèmes, et que la culture chinoise se ferme trop sur elle-même, quelle regarde plus vers le passé que vers lavenir : « Il faut savoir sen détacher et sintéresser aussi à autre chose, cette culture chinoise est de toute façon à lintérieur de moi, dit-il, alors à quoi cela sert-il de se fermer ? Le passé chinois est si ancien que lon peut sy plonger toute une vie, sans jamais en finir... et la vie va de lavant. »
Il ajoute quon se soucie peu de savoir si Beckett, qui écrivait en français et vivait à Paris, appartenait plus à la France quà lIrlande. Il est vrai que de nombreux écrivains comme Kundera ou Julio Cortazar par exemple, ont ainsi écrit leur uvre ou une partie dans un pays dadoption sans quon leur conteste leur authenticité.
Gao Xingjian est un
dramaturge avant dêtre un romancier mais, cest
en France, un roman, La Montagne de lâme,
qui le fera connaître dun large public lorsquil sera traduit. A sa sortie la critique est enthousiaste, et André Clavel dans lhebdomadaire français lExpress a
ces mots : « Une chronique ethnographique, voyage vers lau-delà, quête dune sagesse perdue, ce roman inclassable a lépaisseur de la Grande Muraille et la légèreté dune fumée dopium [...] Lintrépide Gao Xingtian vient décrire le plus déboussolant des romans : un guide du routard céleste dont les pages se dispersent sous les vents du large, comme des cerfs-volant. Cest
un enchantement. »
En 1986, après linterdiction
de Lautre Rive, Gao Xingjian échappe à une autocritique obligatoire en fuyant Pékin et en entreprenant ce long voyage à travers la Chine profonde, dans les régions montagneuses et boisées du Sichuan, suivant le Yangtsé de sa source à la mer, voyage qui servira de terreau à son uvre future « Je voulais faire une recherche aux sources de la culture chinoise, montrer quà côté de la culture officielle née autour du Fleuve jaune, il existait une autre source méridionale. A cette époque personne nadmettait cette seconde source, cétait un problème didéologie, il ne pouvait avoir quune seule culture. Jai décidé de faire une recherche sur le terrain. Les historiens chinois travaillent seulement sur manuscrits et les archéologues se spécialisent sur un site et ne font pas cette recherche historique. Jai interviewé ces archéologues, historiens, chercheurs et muséologues et cest de ce travail quest
né La Montagne de lâme. »
La Montagne de l'âme est un gros roman à plusieurs entrées, il y a d'un côté ce voyage épique au cœur de cette Chine archaïque et non confucianiste, et de l'autre une partie parfois autobiographique, un voyage intérieur où le narrateur cherche sans cesse à démasquer les artifices de son moi, en quête d'une vérité, de cette « montagne de l'âme » qui semble se dérober sans cesse. « Au début, je ne pensais pas le publier, dit-il, je voulais l'écrire pour moi. C'est un peu la fin d'une partie de ma vie et le départ vers une vie nouvelle. »
Cette vie nouvelle,
elle aura lieu en France qui lui accordera lasile politique, et où il pourra enfin trouver le calme nécessaire pour se consacrer entièrement à lécriture et à la peinture. Pourquoi la France ? Un coup de cur qui remonte à sa jeunesse quand, ne pouvant rentrer dans une école de théâtre et peu attiré par les sciences, il hésitait sur la voie à prendre : « Et là, le destin, le hasard. Jai lu un extrait des mémoires de Ilia Ehrenbourg sur son séjour à Paris au début du siècle. Il raconte une histoire qui eut lieu dans un café où se rencontraient peintres et poètes. Un jour une jeune femme est entrée avec son fils, elle a demandé à la patronne si elle pouvait le garder pendant quelle allait faire une course. Elle nest jamais revenue. La patronne a demandé si quelquun connaissait le père. Personne ne savait. La patronne a alors demandé à tous les habitués sils acceptaient dajouter un supplément à la note des consommations pour élever lenfant. Et tous les artistes ont respecté cette mesure. Cette histoire ma beaucoup touché... Jai décidé dapprendre le français et suis rentré à lInstitut des langues étrangères de Pékin.
« A cette époque, je ne pensais pas aller en France. Le but de mes études était de devenir écrivain, je voulais savoir ce quétait la littérature contemporaine française, ce quon écrivait et comment on lécrivait. Or les denieres uvres traduites en chinois étaient celles des écrivains communistes Eluard et Aragon. Je devais lire le reste en français.
Nous recevions cependant Les temps modernes de Sartre
et LEurope. »
Cest donc la France dont il a étudié la langue et la littérature quil choisira comme terre dexil lorsquil ne pourra plus travailler en Chine. Lenvironnement quil y trouve lui permet de se consacrer entièrement à son uvre. Il vit à Bagnolet, en bordure de Paris, dans un modeste appartement au milieu dun quartier simple et populaire. Gao Xingjian est un homme modeste et courtois, dune grande gentillesse et simplicité, ne montrant aucune prétention dans ses rapports avec les autres. Aussi quelle ne fut pas la surprise du concierge et des habitants de limmeuble quand quelques heures après lattribution du prix, ils virent des dizaines de journalistes arriver et apprirent que celui quils connaissaient comme « le Chinois du 18ème étage », était prix Nobel de littérature.
Gao sest adapté relativement bien à la vie française : « Paris est un endroit si international que je nai jamais eu le sentiment dêtre exclu, dit-il, un endroit qui recherche toujours la nouveauté et où, à partir du moment où vous avez du talent, on ne se soucie pas de savoir de quelle origine vous êtes. Le seul critère est lintérêt que lon porte à lindividu en tant que tel. En terme de création artistique, latmosphère parisienne est stimulante, elle vous donne de lélan. Les nouvelles choses ne naissent pas toujours à Paris mais elles y sont reconnues. En Chine on sautocensure, en France on peut toujours aller de lavant. Le problème est que soi-même
on ne puisse pas toujours aller si loin. »
Son arrivée en France où il a écrit ses deux énormes
romans, La Montagne de lâme et Le livre
dun homme seul na pas interrompu sa carrière théâtrale puisque ses pièces ont été jouées dans de nombreux pays européens et quil a continué décrire, et fait remarquable, directement en français, comme lavait fait en son temps Samuel Beckett. Ainsi en est-il de deux pièces Au bord de la vie montrée au Festival de théâtre dAvignon
en 1993 et Le somnambule, montré au même
festival en 1999.
Le théâtre récent de Gao Xingjian, notamment les pièces citées ci-dessus et écrites après Lautre
rive (1986), visent à luniversalité et ne contiennent aucune référence ni à la Chine, ni à la France ou à tout autre lieu. On ne peut en les lisant deviner la nationalité ou la culture de leur auteur. Cest un théâtre dessence existentielle qui na rien de politique, du moins au premier degré, sinon que sur un plan philosophique, il place lhomme et sa liberté au premier plan, et réfute la culture des masses et la prééminence
du collectif.
Au bord de la vie est
lhistoire dune femme épuisée physiquement et psychologiquement qui fait face à la fin de sa vie. Elle conte en un monologue, sa relation amour/haine avec lhomme, sa vie débauchée où elle a été exploitée et manipulée par hommes et femmes, limpossibilité de se régénérer ou seulement de contempler un salut futur, aucune autre perspective que cette lente entrée dans la mort. Mais là où Gao Xingjian innove le plus est dans le langage et la technique décriture. Dans cette pièce par exemple, lhéroïne, la femme en question, est aussi la narratrice. Cest un long monologue, mais non à la première personne, le « je »; elle parle delle au contraire à la troisième personne : « Elle ». Ce qui fait qu« Elle» est à la fois au cur de la pièce et à lextérieur, qu« Elle» est actrice et public. Une sorte de désincarnation du personnage qui donne au monologue une force implacable et souligne lhorreur qui peut sen dégager.
Cette façon de jouer avec les pronoms est une des originalités de luvre de Gao Xingjian que lacadémie Nobel a notée dans son commentaire. Il lutilise également dans ses romans où le « je » se transforme en « tu » et en « il » : « Le je de la vie quotidienne dès quil se plonge dans la réflexion, le monologue, devient tu presque automatiquement, explique Gao. Doù vient le il ? Quand on aborde la réflexion philosophique, on se détache du corps, le je devient un il neutre qui observe ce corps. Ce il, cest le détachement
du monde objectif. »
De tels propos, sils ne rentrent pas dans une dialectique marxiste, ne menacent pas non plus directement le régime communiste chinois et Gao Xingjian sil dénonce violemment la Révolution culturelle, nest pas engagé dans une polémique politique avec les autorités chinoises. Il a toujours au contraire cherché à éviter la politique quil « haït » et quil considère comme « une manipulation des hommes » comme il la rappelé en octobre à la Foire du livre de Francfort. On espère donc que son uvre pourra bientôt être lue sur le continent chinois même si lui-même ny
croit pas.
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