La joyeuse cornemuse
Le chérubin rachitique
soufflait toujours dans un ballon.
Quand il se promenait dans la rue avec ses poumons dans sa main les chats aussitôt le suivaient les bouchers devant leurs viandes riaient dun rire apoplectique.
Quand il eut ainsi réuni
les chats dEurope et dAmérique ces animaux le déchirèrent mais il navait que du sang bleu.
Artères, arbres mal plantés aux avenues des sentiments qui ne savez que deux saisons. Quand me pendrai-je à l'une ?
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Poésie
Georges Limbour, jongleur inclassable
Texte : Bernard Pokojski
« Rêve : je reçois un coup de téléphone de Georges Limbour qui me dit qu’il est de passage et qu’il aimerait nous voir. Je me demande quand cela sera possible (étant effectivement très pris ces jours-ci) et surtout comment (car un peu de réflexion me rappelle qu’il est mort). Réponse toute simple à la seconde question : c’est son fantôme que nous verrons. Ce rêve apparemment saugrenu traduit fidèlement cette réalité de la vie courante, (...) notre interlocuteur n’est-il pas toujours quelque peu fantomatique. »
Michel Leiris Journal 27, 28 mai 1986
Georges Limbour est en effet devenu un personnage fantomatique du XXe siècle, et nulle célébration ne semble en vue pour son centenaire. De son vivant d’ailleurs, il avait déjà choisi l’éloignement et aucun souci de faire une œuvre ne l’avait habité : écrits épars, quelques livres publiés et cette scène que nous rapporte Leiris, l’éternel ami : « Dîner avec Limbour (pour fêter son prix de la Nuit de la poésie) (...) En toute simplicité il nous dit : “Je m’en fous” puis — avec la même objectivité — parle de son intention de “se faire sauter la gueule” plutôt que d’attendre de mourir de sa belle mort, cela “gaiement” précise-t-il. » (Journal, 1946)
Leiris dira encore admirer « sa liberté, son équilibre, son aisance dans la vie ».
Limbour naîtra donc en 1900 à Courbevoie et connaîtra de nombreux déplacements au gré des affectations de son officier de père, mais Le Havre deviendra son point d’attache, lui donnant sa fascination pour la mer... Une photo, âgé de quatorze ans, nous le montre dans un costume strictement boutonné, les mains derrière le dos, le front soucieux et sévère, cependant la cravate est déjetée et les culottes courtes révèlent de fines jambes d’échassier, marques d’un refus et d’une liberté qui sera vagabonde malgré la bonne tenue générale... Les personnages de Limbour n’auront pas de mère ou celle-ci s’effacera très vite, ni de père non plus... Règlement de comptes familial mis en scène dans ses écrits où quelque part l’île de Ré aura aussi le charme qu’on n’y entend « aucun de ces enfants pleurnichards qui vous écœurent et qu’on est obligé de tolérer. »
Adolescent rebelle se préservant un espace de solitude et de rêverie qui lui permettra de dévorer des livres et plus tard professeur nomade, et poète réfractaire aux commandements d’André Breton, tel pourrait être le portrait rapide de Georges Limbour. « Il louait à Paris, 35 rue Lhomond, 5e, un deux-pièces sans confort, sous les toits, qu’il avait repris après son ami Dubuffet vers 1939 et gardé jusqu’à sa mort, très peu de livres et de meubles » nous confiera son neveu. Dubuffet, son condisciple du lycée du Havre rencontré à 10 ans et auquel en 1953 il consacrera son étude : l’Art brut de Jean Dubuffet, fera de lui en 1920 un portrait à la chevelure drue, comme un casque tourmenté de Gorgone. Au lycée il croisera aussi Armand Salacrou, Jean Piel et Raymond Queneau qui plus tard le mettra en scène dans son roman les Derniers jours, relation de sa jeunesse havraise, où il apparaît sous les traits d’un étudiant en philosophie, poète débutant amateur de peinture cubiste que le père verrait bien en officier de réserve...
Le baccalauréat réussi, Limbour fait le voyage à Paris pour entreprendre des études de médecine, auxquelles rien ne le disposait à vrai dire, puisqu’il s’était consacré au latin et au grec, mais voyons-y un reste de piété filiale car à l’automne 1919 il s’inscrira en philosophie à la Sorbonne où il obtiendra sa licence en 1922. Il traduira pendant ces années le De natura rerum de Lucrèce qui marque dans la philosophie occidentale l’une des premières manifestations de la libre-pensée, de la révolte et de la passion de la liberté. Les dieux sont renvoyés à leur ciel et Lucrèce élabore alors une morale strictement humaine afin de contrer la terreur et la déréliction dans la contemplation de la matière, « nature des choses ». L’anarchisme de Limbour se manifestera en 1924, lorsque journaliste de l’armée à Mayence, il criera « A bas la France ! » pendant le défilé militaire du 14 juillet, et qu’en 1960, sa signature figurera parmi les 121 qui s’opposeront à la guerre en Algérie.
Comme Lucrèce, Limbour sera toujours à contre-courant et jamais soumis, cependant obsédé par la mort et ne voyant que leurre dans tout, ce qui le conduira d’une certaine façon à la négligence de ses écrits. Enseignant la philosophie, Limbour intriguera alors ses élèves en voulant les convaincre que « le bonheur n’existe pas », sans jamais pourtant esquisser quelque doctrine que ce soit. « Des coups de cœur, des coups de sang, des coups de gueule, des transports, des emballements, des indifférences, des mépris, des dérisions, des arrogances » pour reprendre les mots de Pol Charles tirés de son essai sur Limbour. Après Mayence donc, Limbour sera envoyé comme enseignant en Albanie, à Koritza (1924-1925) puis les trois années suivantes au Caire ; de 1929 à 1935, Varsovie où il se rendra de nouveau de 1936 à 1938 avant de rentrer définitivement en France : dates de près de quinze ans de vagabondages où ne l’avait nullement effleuré l’idée de faire une « carrière ».
En Albanie, Limbour nous raconte « J’ai été à deux doigts d’être chassé d’ici comme mauvais professeur, scandales et Bolchevisme ! Ce dernier était une calomnie — tu en juges — afin de me faire déguerpir au plus vite (...) J’ai fait paraître dans une revue un article (en français) intitulé : Il faut honorer la jeunesse. Dans un pays traditionnaliste à outrance, cela a fait scandale et j’ai été mal vu par la corporation pédagogique (...) J’en ai fait d’autres. »
En 1946, il y a cette lettre adressée à Jean Paulhan : « J’aurais bien aimé aller vous voir mais je devais malheureusement passer à Action, car j’ai suscité un grand scandale dans le Parti en attaquant effrontément Portinari, qui est le grand peintre du siècle, député communiste, etc. et que l’ordre avait été donné d’encenser (...) Il paraît que Portinari a dit que si c’était au Brésil, je n’aurais pas écrit un deuxième article, car on m’aurait descendu ! Quel pays de sauvages, ce Brésil ! » Mais la sensibilité de Limbour sera toujours à gauche, soif de justice sociale, de liberté, pacifisme et hostilité au fascisme qui lui vaudra de tenir un rôle discret dans la Résistance.
Limbour commencera à écrire très jeune, et son premier poème, Motifs sera publié en 1921 dans le n° 1 de l’éphémère revue Aventure; il s’agissait d’une sorte d’hommage à l’errance dans le goût des Bohémiens en voyage de Baudelaire. En 1922, il fera connaissance, grâce à Dubuffet, d’André Masson puis de Max Jacob, et de Benjamin Péret bientôt suivis d’Artaud, Miro, Leiris, Salacrou, Gertrude Stein, Hemingway. Tout ce beau monde se rencontrait dans l’atelier délabré d’André Masson au 45 rue Blomet faisant bientôt face au groupe d’André Breton qui s’efforcera de les attirer à sa Révolution surréaliste. Cette même année, Breton s’installe au 42 de la rue Fontaine à Montmartre où se dérouleront des séances d’hypnose aux cours desquelles Limbour se distinguera. « Dimanche, Limbour s’est endormi. Pleurs, trépignements, désir de s’en aller, coups, il griffe, il mord (...) Puis Desnos (...) le questionne. Réticences, réponses vagues et très à côté. » (14 nov. 1922)
Un « exploit » à mettre au compte de Limbour, celui-ci « à quatre pattes se précipite sur la pâtée du chien et la dévore, au grand émerveillement des participants et de Breton en premier lieu » Limbour avait faim à cette époque (c’était du riz au lait) et totalement conscient lors de cette farce énorme qui grugea Breton. Limbour déclarera que « l’automatisme (était) méthodique, volontaire extrêmement discipliné et (...) les règles étaient formulées avec une grande précision (...) et (qu)’on n’a pas assez souvent remarqué la fâcheuse tendance du surréalisme qui est le contraire de la poésie, le scientisme ».
En 1924, Limbour sortira Soleils bas, recueil qui, pour reprendre les mots de Leiris « se refuse à éblouir et veut montrer des soleils, qui fanaux éclairant nos proches parages plutôt qu’appâts pour un Icare impatient d’échapper à la terre, sont à la portée de tous ». Nulle emphase dans son écriture où le poète n’est jamais prophète ou écorché mais manieur d’humour ou d’ironie qui renvoie le monde poétique et le monde réel dos à dos. Limbour était un « baladin, pour citer une fois de plus Leiris, dont l’imagination romanesque était hantée par des filles sans attaches, acteurs calamiteux, pianistes de bars nocturnes, mendiants et autres déclassés ou déracinés » qui ont créé « une poésie d’une vérité rarement atteinte, cela dans la mesure où elle ne se veut ni objet précieux, ni bouche d’or énonciatrice de la suprême vérité ». Seulement « musique dont chaque modulation répondrait à une fluctuation du vécu. »
Limbour écrira un étrange roman La chasse au mérou, dans la veine picaresque, mais faisant songer à certains moments à un voyage initiatique « Toutes ses aventures passées, c’était comme s’il les eût rêvées et celles qu’il avait rêvées, c’était comme s’il les eût vécues, c’est bien pareil au bout de la vie. » Un autre vagabond aura ces mots : « Mon art sera le plus prestigieux tour de charlatanerie. C’est là où nous en sommes, je te le dis : c’est l’avenir. Dieu fut le charlatan primordial: il sut faire croire qu’il existe. » Et encore « Il est mort ? Qui l’a dit ? D’autres charlatans, ouvrant leurs propes baraques. Concurrence. Il faut toujours surenchérir, car qu’est l’homme ? Une bête à croire. »
Ceci l’amènera peut-être à faire deux voyages à Cuba en 1967 et 1968, espérant même pouvoir y enseigner, mais l’Espagne bien que franquiste encore à cette époque était sa passion et c’est là que le 17 mai 1970 après un bain de soleil prolongé qu’il allait mourir d’hydrocution, sur une plage près de Cadix.
Œuvres de Georges Limbour, disponibles (à ma connaissance)
- Soleils bas, Poésie / Gallimard
- Les Vanilliers et La pie voleuse (L’imaginaire)
- Le carnaval et les civilisées et Dans le secret des ateliers, tous deux aux éditions L’Elocoquent,
et un rare ouvrage consacré à Georges Limbour, aux éditions talus d’approche, Mons (Belgique), Georges Limbour, jongleur surréaliste de Pol Charles.
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