Portrait

« Au revoir Ah Choi ! »

Texte : Yank Wong

 

Choi Ho Chuen (1939 - 2000), peintre, dessinateur, conteur, a quitté ce monde précipitamment. On l’appelait « Le Lion ». De sa belle tête auréolée d’une crinière grise, il animait avec prestance la vie nocturne hongkongaise. C’était une sorte de chevalier, grand buveur et grand discoureur, qui cachait avec modestie un talent certain. Le peintre Yank Wong, l’un de ses amis proches, dresse un portrait de celui qui fut pour beaucoup un compagnon hors pair.

A chaque fois que des amis se présentaient, une bouteille de vin à la main, en bas de l’immeuble d’Ah Choi, le gardien comprenait aussitôt : « Vous allez chez “Dai Jui Hop” (quelque chose comme “Le Chevalier de la Table ronde”) ? », et d’ouvrir alors la porte sans jamais aucun autre commentaire. Dans l’esprit de ceux qui le connaissaient ou ne le connaissaient pas, Ah Choi était un amateur de vin, « un amateur de vin qui fait de l’art » ou « un artiste qui aime le vin ». Toutefois, lui qui aimait tant le vin, et gardait toujours à la maison quelques bonnes bouteilles, ne les ouvrait pas à moins que quelques compagnons de beuverie ne se montrent. J’ai peu à peu compris que ce n’était pas tant le vin qu’aimait Ah Choi, mais l’atmosphère de ce moment où l’on se retrouve tous ensemble à boire — plus on est content, plus on boit, plus on boit, plus on est content, jusqu’à sombrer dans le sommeil, ne se découvrant ivrogne qu’au réveil.

Quant aux peintures d’Ah Choi, cela fait maintenant 18 ans que nous avons eu l’occasion de les voir. Cette année-là, il avait organisé une exposition intitulée « 40 ans et je ne peins pas », des paysages entre eau et vin où il n’y avait pas même l’ombre d’un être humain au point qu’aussitôt peints, il s’en échappait précipitamment pour revenir dans le brouhaha chaleureux de l’activité humaine. Ceux qui regardaient ses peintures le félicitaient, ne sachant pas que dans un tel monde silencieux seul un type d’une grande force peut se maintenir. Par la suite, il peignait pendant un temps, laissait tout tomber un autre temps, jusqu’à ce que ses paysages s’estompent de plus en plus.

Pendant longtemps, il publia chaque jour des illustrations dans les journaux. Sous sa main de nombreux romans et écrits respiraient et devenaient fluides, la « mine épanouie » ; il n’y eut que lui qui ne prit jamais ces illustrations au sérieux, « ce n’est rien, pas une “chose” ! » disait-il. Au long des années et des mois, cette grande aisance à dessiner était en fait son thé amer. Encore plus amère était cette « chose », plus ça allait, plus il n’osait y toucher. Boire dans ces moments était un bien-être. Quand Ah Choi buvait, il avait la capacité dans le même soir, de s’enivrer et de se réveiller plusieurs fois, ne s’endormant vraiment que lorsque la dernière goutte placée devant lui était bue.

Quant à peindre, il hiberna profondément jusqu’en 1997, année où il revint à la vie. Un jour, le moment favorable arriva soudainement, il alla au magasin de bois, en rapporta un gros tas de bois d’œuvre sur l’épaule et commença à se construire sur le balcon une grande armoire à peintures. Et de l’entendre dire, « S’il y a une armoire à peintures, alors le paysage arrivera. ». Cette fois-ci il laissa tomber le « Pinceau et l’encre » utilisés dans l’expo « 40 ans et je ne peins pas » et il partit de la simple construction du caractère chinois « hui » (rentrer) pour composer ses tableaux. dans le paysage desquels un personnage marche sans lenteur ni précipitation. S’il doit s’arrêter, il s’arrête, s’il doit écrire une inscription, il l’écrit, s’il doit mettre de la couleur, il n’hésite pas à la mettre. Il y a dans ces tableaux deux personnages qui vivifient alors la peinture, l’un au dedans, l’un au dehors.

Dans ses divers écrits, Ah Choi mentionne que le caractère « hui » qui sert d’ossature à sa peinture, a pour origine la monnaie en papier doré offerte aux défunts. Dans l’exposition « 40 ans et je ne peins pas », il avait accroché le portrait d’un homme, la tête baissée et jouant du « erhu »; un carré de couleur jaune-terre était placé derrière lui, qui, selon lui, était la transformation de ce papier monnaie funéraire doré. Toutefois cette teinte jaune-terre ne véhiculait certainement pas l’atmosphère religieuse spéciale incarnée par la couleur or, et l’homme jouant du « erhu » était trop « bleu Picasso » pour donner à toute cette affaire de peindre un caractère tragique. Plus tard, ce tableau s’est perdu, je pense que ce ne fut pas une mauvaise chose pour Ah Choi.

En ce moment, Ah Choi est allongé dans un tiroir de fer. Dans douze heures, je partirai pour me rendre à ses funérailles. A l’heure de sortir, je n’ai point encore décidé quelle bouteille de vin lui acheter en cadeau. De toute façon, Ah Choi ne faisait jamais la fine bouche sur le vin, il a toujours été l’un des meilleurs compagnons à boire. Demain quand tout le monde sera là, nous boirons un bon coup, et au réveil, revivifiés, nous irons tous « attiser le dragon dans sa mare et le tigre dans sa tanière ».

Ce texte a été publié la première fois dans le Mingbao, le 25 septembre 2000