Poésie

Par Bernard Pokojski • Traduction: Wong Yan Tak

André Du Bouchet, vacant désormais

« si ces poèmes ressemblent à quelque chose que tu ne saisis pas et apparaissent sans que tu puisses te l’expliquer ressemblants — alors ils ont atteint au plus près et touchent à la destination » – André Du Bouchet, Carnet

Une fois de plus, la Mort a convoqué l’un de nos poètes les plus exigeants, Du Bouchet, le 19 avril dernier alors qu’il venait de finir quelques jours plus tôt un poème dédié à Des Forêts qui, lui, l’avait précédé de peu dans son ultime voyage. André Du Bouchet était né le 7 mars 1924 à Paris et disparaissait des suites d’une longue maladie, laissant derrière quelque 25 volumes et un petit nombre de lecteurs... Sa biographie offre peu de détails sinon qu’il eut un grand-père américain, des gouvernantes allemandes et une grand-mère qui parlait russe et yiddish... mais n’est-ce pas déjà suffisant pour être au cœur d’une étrangeté linguistique? Du Bouchet traduira plus tard Hölderlin, Mandelstam, le Joyce de Finnegans Wake et sera le traducteur préféré de Paul Celan. A 16 ans, avec sa famille, il se retrouvera aux Etats-Unis, sera diplômé d’Harvard et enseignera en anglais dans diverses universités américaines la littérature comparée.

En 1953, il publiera son premier recueil Air, mot qui apparaîtra d’ailleurs dans son œuvre avec une fréquence quasi obsessionnelle, mais n’est-il pas notre milieu exclusif ?

« Je ne sais si je suis ici ou là — dans l’air ou dans l’ornière. Ce sont des morceaux d’air que je foule comme des mottes. »

Le mot est là, dans sa matérialité hors de toute énigme et s’explique de lui-même. « Je sens la peau de l’air, et pourtant nous sommes séparés », pour quelquefois surgir quand il n’y a plus rien à décrire « Quand je ne vois rien, je vois l’air ». Du Bouchet nommera ensuite le monde avec un vocabulaire restreint dont les mots récurrents inviteront sans cesse à l’étendue : vent, ciel, pierres, murs, routes, montagne, à peine « plus denses qu’un plissement de l’air souverain », pour reprendre Jacques Réda. L’air donne vie au feu et présence à la lumière autant que le regard nous relie à l’espace en perpétuel changement ainsi qu’à la lecture. Y a-t-il espoir qu’à la fin apparaisse un sens ? Pas sûr, mais notre tâche est alors la veille entre les signes les plus usés, les plus concrets et même les plus frappés de mutisme. Du Bouchet définissait lui-même sa démarche comme violence faite à cette langue qu’il poussait dans ses derniers retranchements, ajoutant qu’il voulait « peser de tout son poids sur le mot le plus faible jusqu’à ce qu’il éclate et livre tout son ciel ».

André du Bouchet, manuscrit de Dans la chaleur vacante. Deux états du poème Extinction.

Certains verront alors en Du Bouchet le continuateur de Mallarmé dans l’usage qu’il fait de la poésie comme tension vers une parole. Et cette poésie sera d’un abord aride, violemment visuelle, jouant des blancs de la page et refusant la subjectivité : « J’écris aussi loin que possible de moi », formule qui pourrait à elle seule résumer Du Bouchet. Textes apparaissant comme lacunaires, inondés de blanc, nous venant d’on ne sait quel conflit (« calmes blocs... ») mais construisant l’espace de la page et lui donnant son caractère de monument. Remarquons que la syntaxe n’est cependant qu’à peine transgressée mais durement mise à mal par la fragmentation et l’éclatement qui donnent au poème sa fulgurance d’éclair. Cette écriture ne s’abandonne pourtant jamais à la spontanéité ni à l’automatisme bien qu’elle revendique l’absence de contrôle. Ceci fait tout le prix de sa poésie, moment d’affût, de vacance et de marche. Du Bouchet se sentait des affinités avec son ami Giacometti et sa figure de « l’homme qui marche », et avait exprimé cette promixité dans son essai de 1972 Qui n’est pas tourné vers nous. En effet, sa poésie avait quelque chose encore des sculptures de Giacometti : il fait maigrir la parole, évidant le langage comme le sculpteur émaciait les formes, finissant par représenter l’idée d’un homme plutôt que l’homme lui-même.

Du Bouchet mettra lui aussi en scène dans sa poésie un je abstrait dans un paysage abstrait qui dénude, pour ainsi dire, le monde jusqu’à l’os, donnant au poème l’aridité dont il a déjà été question et sa difficulté... Du Bouchet avouera avoir « couru de mot en mot » afin de s’approcher du sens, comme il avait couru le monde. Le mouvement n’avait d’autre but que lui-même mais la poésie y trouvait ainsi son sens. Monde et poésie unis dans le même mouvement. Poésie abstraite faite de mots concrets, contradiction au cœur du mouvement et de la poésie... « qui s’arrête, le vent le déchire ».

Du Bouchet avait à vrai dire trouvé sa voix / sa voie dès son premier recueil Air. Suivra en 1961 Dans la chaleur vacante, dont voici le premier poème

« L’aridité qui découvre le jour.
De long en large, pendant que l’orage va de long en large.
Sur une voie qui demeure sèche malgré la pluie.
La terre immense se déverse, et rien n’est perdu.
A la déchirure dans le ciel, l’épaisseur du sol.
J’anime le lien des routes. »

Ce lieu a malgré tout quelque chose d’hostile et le poète manifeste sa volonté de survie, à la recherche de l’air nécessaire à sa course. Nuit de l’origine, blanc de la neige comme celui de la page, il faudra y trouver son pas, son mot qui déjà vient de troubler le vide. Cette poésie figure certainement parmi les plus authentiques de notre temps et s’inscrit à l’issue d’un siècle barbare auquel elle aura offert sa résitance et son refus de toute compromission. Du Bouchet se dresse contre la dilution et la vacuité du monde, participant littéralement à cette matière qui devient palpable dans son organisation sur la page. « Un poème à son tour n’est que cela : momentanément le vide qui (...) marque son attenance à l’indicible vie particulière. » Mais cette œuvre austère et des plus fécondes de notre modernité garde au fond cet éternel silence et semble échapper au Temps car sans appartenance ni de genre ni de nom venant d’un immense lieu vide — espace ouvert où s’engouffre la réalité du monde et naissent les mots... Ceux-ci nous livrent alors leur « ciel » et leur force irréductible, nous confrontant à leur épaisseur qui emporte le lecteur dans leur mouvement — lecteur qui d’autre part descend vers sa propre obscurité...

Le dernier recueil publié par Du Bouchet portait l’énigmatique titre L’emportement du muet. Voici ce qu’en dit Jean-Michel Maulpoix dans le n° 797 de la Quinzaine littéraire : « Au sommet du poème est ce point aveugle où la langue se rapproche au plus près de ce qui lui échappe, perce son vêtement familier, et se lave en sa propre défaite. Ainsi le poème offre-t-il à qui l’écrit (ou le lit) la chance de se reconnaître non pas comme son chef d’orchestre, mais son passager ébahi, venu buter sur le silence d’où tous les mots procèdent. »

Voilà, nous en avons déjà trop dit... allez naviguer entre les mots comme autant d’écueils, dans le blanc...

« Un chemin, comme un torrent sans souffle. Je prête mon souffle aux pierres. J’avance, avec de l’ombre sur les épaules » Du Bouchet.



詩詞

波高斯基 撰文 * 王人德 譯

安德烈.杜布歇 ——故人跨鶴西尤,從此音信杳然

〝如果這些詩彷若
你不理解的東西,
又或者它們顯得彼此相似,
令你無法解釋。
那麼它們已切近真實並臻佳境。〞

安德烈.杜布歇《記事簿》

死神再次造訪,於今年四月十九日,招去了我們最嚴謹不苟的詩人杜布歇。臨終前幾天,他剛寫好一首詩,獻給比他早一步離去的詩人德福雷。安德烈.杜布歇於一九二四年三月七日誕生於巴黎,長期的病痛奪走了他的生命,身後留下了大約二十五部著作和為數不多的一些讀者。關於他的生平,資料欠詳,只知其父為美國人,家裡僱用了德籍家庭女教師,一個操俄語及意第緒語的老祖母。這幾種語言的特殊會合,便足於讓人感到驚奇了。後來,杜布歇翻譯了荷爾德林(Holderlin)、孟德爾斯坦(Mandelstam)及喬伊斯的《芬尼根們的守靈》(Finnegans Wake)。其翻譯深得保羅.斯朗(Paul Celan)的賞識。十六歲時,他隨家人移居美國,於哈佛大學畢業後,在美國一些大學用英語講授比較文學。

一九五三年,他發表了第一本詩集, 題名《空氣》 (Air)。這個詞不厭其煩地反覆出現在他的著作中。〝空氣〞難道不是我們賴以生存的唯一空間?

〝我不知道身居何處,這裡或那裡——在空氣中抑或在車轍裡。我腳踩空氣,卻彷彿走在泥地上。〞

字詞就在那兒,毫不迷惑,實實在在,道出自身的涵義。〝我感觸到空氣的肌膚,然而我們卻互相隔離。〞有時,在無甚可寫之時,突然會迸出這樣的句子,〝當我甚麼都看不見時, 我看見了空氣。〞杜布歇以有限的詞彙描寫世界,反覆出現的字詞都令人想起空間,諸如風、天空、沙石、牆、路、高山等,借用雅各.雷達(Jacques Reda)的話說,〝這一切僅僅比至高無上的空氣 稍稍稠密些。〞空氣令火生生不熄,令光明無處不在,誠如視覺將我們與永恆變幻的宇宙及閱讀緊密聯繫一起。可否希望這一切最終會有意義?不能肯定。不過必須通宵達旦、徹夜不眠,在最陳舊、最具體,甚至緘默得令人驚奇的字詞中去經營。杜布歇將自己的創作手法比喻為對語言施加暴力,把它逼至無路可走,他說他欲將全身重量壓在最微不足道的字詞上, 直到它們爆裂開來,展現出一個新天地。

杜布歇將詩歌創作變成對語言的錘煉,被人稱為馬拉美的繼承人。他的詩歌枯燥無味、形式突出、留有許多空白並嚴拒主觀性:〝我盡可能遠離自我進行寫作。〞這句話似乎概括了他的創作手法。他的詩文彷彿殘缺不全,佈滿空白,宛如從一場莫名的衝突中走了出來,呈現在我們面前,然而每頁詩章卻佈局有度,予詩一種動感。請注意他雖稍稍違犯句法,而詩句卻都是些片言斷句,給人一種電光閃爍的感覺。他的詩文雖力倡自由,不受控制,卻從不墮入自覺或自動寫作的窠臼。這些正是他詩歌的全部價值。他窺伺,他逍遙,他漫步。杜布歇自覺與其友賈柯梅蒂(Giacometti)及其雕塑《步行的人》(L'homme qui marche)意氣相投,並在他一九二七年所寫的論文《誰不轉向我們》(Qui n'est pas tourne vers nous)中表達了這種習性相近之處。的確,他的詩總有賈柯梅蒂的影子,他修剪枝葉,簡化詩句,正如賈柯梅蒂將他的雕塑人物絲狀化一樣。如此,他的詩最終表達的以其說是人本身,毋寧說是人的思想。

杜布歇在其詩歌裡還表達了抽象環境中的抽象自我,可以說,他將世界逐層剝落得直見其骨頭 ,予其詩早已見慣的枯燥無味以及艱澀難懂的一面。杜布歇承認他〝由一字跳到另一字〞,逐字推敲,志在接近字詞的真義,就像他曾經由一處到另一處,足跡踏遍世界一樣。運動除本身之外別無他義,而詩歌卻在運動中覓到它的真諦。 大千世界和詩融合在同一運動中。抽象的詩由具體的詞構成,是運動和詩的矛盾……〝誰停下來,風兒便將他撕碎。〞

從他第一部詩集《空氣》裡,杜布歇業已找到了他的聲音、他的道路。一九六一年第二部詩集 《在虛空的熱裡》(Dans la chaleur vacante)接著問世,以下是該詩集中的第一首詩:

〝乾旱發見了天日,
當暴風雨來來去去
在一條雖然大雨滂沱
卻仍然乾燥的大路上徘徊之際,
廣袤的大地上雨水傾瀉如注,
然一切均完好無恙。
在天際的一道裂縫裡,
是一片濃重的土地。
我將條條大路聯系起,
賦它們以蓬勃生氣。〞

不管怎樣,這地方總懷有某種敵意,但詩人卻表現了頑強的生存意志,尋找他前進途中所需的空氣。混沌初開的黑暗,寒冬雪花的純白,就像他詩集的書頁一樣。他在其中尋覓其足跡,尋覓那剛打擾了虛空的字詞。他的詩毫無疑問,將和我們這時代最真摯的詩歌並列一起,在這個野蠻世紀剛結束時榮載史冊。對於這個世紀,他用詩與之對抗,毫不妥協。杜布歇奮起抗拒這逐漸變得淺薄、空虛的世界,全心全意從事詩歌創作。在他結構嚴謹的詩頁上,詩歌彷彿變得具體而可觸摸。他說:〝詩歌只是暫時的虛空……它表明自己隸屬於一個不可言說的奇特生命。〞然而這個樸實無華,這個我們時代最豐富多采的詩歌,內裡深藏著永恆的緘默,並似乎脫離這個世界,皆因它並不屬於任何流派和種類,逕直來自廣袤無垠的虛空——這吞噬了現實世界並孕育出詞語的廣闊的天地……這詞語為我們展示了它的〝天空〞及不可抗拒的頑強力量,讓我們領略其深沉博大的涵義,將讀者引入它變幻莫測的運動中——讀者亦因此深深陷入自己的沉思冥想之中……

杜布歇的最後一本詩集有一個謎一樣的名字:《啞吧的憤怒》 (L'emportement du muet)。這裡引用讓-米歇.莫爾普瓦 (Jean-Michel Maulpoix)於《文學雙週刊》第七九七期上的一篇文章裡的話:〝在詩歌的登峰造極處是這樣一個境界,那兒語言最大程度地接近其被忽略了的意義,戳破其尋常的外衣,在自身的解體中得到洗煉。因此詩歌賦予創作它的詩人或讀者認清自身的機會,他們不再視自己為詩歌的主宰,而只是一個驚慌失措的旅人,撞在一切字詞所以由來的虛空靜默之中〞

我絮絮叨叨講得太多了,大家還是到他那彷似海中暗礁的詩行之間的空白中航行吧……

〝一條小路,宛如湍急得令人窒息的激流,我將氣息給予石子,肩上披著陰影,向前走去。〞——杜布歇