Peinture
Texte
: Frank Vigneron
Ruines
Le premier de nos grands romantiques Chateaubriand, note dans les Mémoires d’Outre-Tombe : « Tous les hommes ont un secret attrait pour les ruines. Ce sentiment tient à la fragilité de notre nature, à une conformité secrète entre ces monuments détruits et la rapidité de notre existence. » De même qu’il est impossible de trouver des animaux morts ou des cadavres dans la peinture chinoise, il semble bien que les ruines y soient totalement absentes. On évoquera des thèmes qui ont déjà été traités dans cette série d’articles : l’exigence du mouvement de la vie et la représentation de l’histoire dans la Chine traditionnelle.
Je rappellerai donc que le mouvement de la vie est une des bases essentielles de l’expression picturale, dans la mesure où celle-ci y est plus que simplement « représentée », telle qu’elle le serait dans l’optique d’imitation de la nature inhérente à la mimesis aristotélicienne qui hanta tant de siècles de l’histoire de la peinture occidentale. La vie doit pousser dans le cœur du peintre avant qu’elle puisse se manifester sur la toile (l’exemple du bambou est celui qui vient tout d’abord à l’esprit, mais cela est tout aussi vrai pour la peinture des montagnes qui est pensée par Wang Yuanqi王原祁, 1642-1715, par exemple, comme étant faites de « veines de dragon », longmai 龍脈). La ruine, telle qu’elle se manifeste dans les peintures romantiques de Caspar David Friedrich (1774-1840), comme cette Abbaye dans une forêt de chênes, est bien un symbole de mort puisque, comme nous le rappelle Chateaubriand, elle doit nous remémorer notre fragilité, c’est-à-dire notre mortalité. Malgré tous mes efforts, je n’ai pas pu trouver de ruines dans les très nombreux volumes sur la peinture chinoise publiés en Europe, aux Etats-Unis, en Chine et au Japon et le thème le plus proche de cette abbaye allemande est simplement ce grand classique de la peinture de paysage de la dynastie des Song, Temple solitaire parmi les pics (睛巒蕭寺) attribué à Li Cheng 李成 (919-967), où n’apparaissent aucunes ruines.
Dans une autre série de tableaux intitulé The Course of the Empire, fort célèbres en leur temps, l’artiste américain Thomas Cole (1801-1848) montre l’essor et la fin de ce qui semble être la civilisation romaine. Le dernier tableau de cette série, en particulier, montre les vestiges d’une civilisation qui avait été dépeinte comme riche et brillante, l’atmosphère de nostalgie étant bien sûr amplifiée par l’évolution montrée dans les trois tableaux, allant de la nature sauvage et vierge au retour de cette nature réclamant son droit sur les efforts inutiles de l’homme. Cette vision téléologique de l’histoire, très fortement ressentie pendant la période romantique, comme je l’ai déjà évoqué dans Histoire et histoire, est absente des grandes théories philosophiques écrites par les lettrés chinois, tout au moins jusqu’au dix-neuvième siècle, période pendant laquelle les théories occidentales, ce que Michel Foucault appellerait l’épistémé (c’est-à-dire comme une « façon de savoir » et le savoir qu’il produit), commencèrent à se faire jour en Chine.
Il est un troisième domaine dans lequel les conceptions en Occident et en Chine diffèrent singulièrement : l’amour des vieilles pierres qui est si important pour les Occidentaux qu’ils préféreront dépenser des sommes énormes pour conserver un immeuble ancien plutôt que de le raser ou de le reconstruire. Le point de départ de « l’amour des vieilles pierres » me semble relever d’une importance accordée à la vue, au spectacle du paysage et de la ville dont on peut jouir dans les voyages. Pour donner un exemple extrême d’une conception radicalement différente, on pourra évoquer le Voyage en Orient de Gérard de Nerval, ce merveilleux journal de voyage publié en 1851, qui relate les aventures et les expériences de son auteur au Moyen-Orient. Dans une scène célèbre, qui se passe dans la ville arabe du Caire, Nerval est accompagné d’un photographe français avec qui il voulait prendre des clichés des plus belles vues de la ville. Après avoir marché pendant des heures dans des ruelles étroites fermées de murs impénétrables, s’attendant à chaque instant à aboutir sur une place, une colonnade ou une rue qui soit au moins plus large et comporte plus de décorations que les espèces de meurtrières des fenêtres de ces maisons, Nerval et le photographe finirent par abandonner, très déçus et incapables d’accepter que les Arabes puissent ne pas rechercher les mêmes désirs d’urbanisme et de vue que les Français.
Je présente cet exemple comme célèbre puisqu’il a souvent été donné dans les recherches sur le post-colonialisme pour illustrer un européo-centrisme culturel qui rejette, sans essayer de le comprendre, tout point de vue différent et provenant de cultures qu’on qualifiait, il n’y a pas si longtemps, de barbares et de primitives. Qu’on ne se méprenne pas cependant, les Chinois sont aussi fascinés par la vue que nous et les innombrables pagodes dressées sur les montagnes de Chine, et dont le seul but est d’abriter le voyageur ou le poète en méditation sur ces paysages, en sont une parfaite illustration. On notera bien sûr que ceci se traduit à Hong Kong par des loyers bien plus élevés pour les appartements dont les fenêtres donnent sur la mer ou sur la montagne.
Il me semble pourtant que les Chinois, tout au moins ceux qui ne sont pas trop influencés par un point de vue occidental, sont bien moins obsédés par les vieilles pierres que les Français ou les Européens en général (qui apprécieront tout autant une cathédrale dans le cadre de leurs fenêtres qu’une montagne ou un fleuve). La plus dramatique illustration de cette attitude différente se rencontre bien sûr à Pékin, dont le visage se voit brutalement transformé de nos jours. Etant Français moi-même, je vois bien sûr d’un fort mauvais œil le nivellement de l’ancienne capitale et la destruction systématique des hutong 胡同, ces quartiers de maisons traditionnelles en briques rouges, dont les méandres font d’ailleurs vaguement penser aux villes arabes à cause de leurs murs aveugles, et je préférerais moi aussi que Pékin demeure l’extraordinaire musée qu’il a été, même après la destruction des murailles de la ville. Les articles relatant, avec moult détails horrifiques, la démolition de ces quartiers ont été très abondants dans la presse européenne et les photos accompagnant ces textes ont souvent insisté sur l’atmosphère d’apocalypse qui règne dans les chantiers de la ville.
Tout ceci semble pourtant tout à fait normal même aux anciens habitants chinois de ces quartiers qui, s’ils regrettent quelque chose, regrettent en général d’être maintenant obligés de vivre loin du centre de la ville. Si l’on connaît les conditions de vie qui existaient dans les hutong, il est peut-être plus facile de comprendre ce manque d’attachement pour ces vieilles pierres. Il suffira de comparer cette situation à celle des Russes après la révolution de 1918, qui, s’ils vivaient bien dans des palais, y habitaient à quatre familles dans une seule pièce. Pour illustrer plus avant ce qui nous paraît être une scandaleuse attitude iconoclaste, nous pouvons nous tourner vers le Japon qui nous offre un exemple extrême d’une attitude qui, avec pourtant des résultats diamétralement opposés, me paraît similaire. Il est bien connu que les Japonais préfèrent reconstruire régulièrement leurs monuments que les laisser vieillir et s’endommager. De nos jours, les Européens préféreront toujours « laisser en l’état », même si cela veut dire conserver, quelque fois à prix d’or, une ruine (ceci explique d’ailleurs les critiques adressées de nos jours à Viollet-le-Duc, qui a trop modifié la forme des cathédrales gothiques dans ses restaurations au dix-neuvième siècle). La Chine Populaire a apparemment choisi une option complètement opposée de celle des Européens : le choix de la tabula rasa.
Même s’il faut regretter la disparition d’un mode de vie traditionnel, celui des hutong, je pense qu’il ne faut pas juger trop vite ni d’une façon trop critique l’attitude des pouvoirs publics chinois. Cette attitude n’est pas en contradiction avec la tradition chinoise, elle est seulement en contradiction avec la tradition occidentale de préservation, et je crois que c’est le rejet de l’architecture moderniste (qui a souvent défiguré bien des villes occidentales avec ses lignes en Occident, qui explique à quel point les Occidentaux sont en colère devant ce qu’ils voient comme l’inexcusable destruction d’un patrimoine culturel accompagnée d’une politique de reconstruction ne respectant pas la « tradition chinoise ».
Il est très intéressant de constater que plusieurs jeunes artistes du continent se sont intéressés dans leurs photographies et leurs installations à cet état de fait. Un des plus brillants de ces artistes, Song Dong 宋冬, a utilisé les plaques émaillées des numéros des anciennes maisons détruites pour créer cette installation qui met en scène, sur les murs, des plans des quartiers disparus réalisés dans un style semi-graffiti. Pour mieux comprendre ce travail, je crois qu’il faut le mettre en parallèle avec celui de la femme de Song Dong, Yin Xiuzhen 尹秀珍. Celle-ci a, en effet, fait une autre installation dans la rue utilisant, de la même façon que Song Dong, des tuiles provenant des hutong. Mais, d’une façon bien plus révélatrice du message contenu dans cette œuvre, une troisième installation sur le même thème, intitulée Valise, montrait une malle dont les vêtements étaient enchâssés dans du ciment, élément essentiel de ce renouvellement urbain (on raconte même que la poussière rouge qui vient du nord et qui est une des plaies de la vie dans la capitale est en train de laisser la place à la poussière de ciment qui semble être partout), représentait l’environnement de travaux perpétuels qui existe dans la capitale.
Ce n’est donc pas tant la disparition des vieilles maisons que les Pékinois pleurent que le déplacement forcé de milliers de personnes qui avaient toujours demeuré dans ces augustes quartiers. On peut voir ce même intérêt pour ces tranches de vies privées déplacées dans les photographies de Rong Rong artiste moins intéressé par les chantiers de démolition que par les images encore attachées aux portions de murs couchés. Ces images sont toujours montrées par paires : la première photo montre d’abord ce qui ressemble fort à une image de dévastation, et la seconde montre un détail de la première photographie qui est toujours la reproduction, généralement provenant d’un magasize, d’une pin-up ou d’une star de la chanson. Cet ensemble représente les restes d’une vie privée projetée hors de son environnement coutumier. Ces ruines ne sont donc pas là pour nous rappeler notre mortalité, mais bien pour témoigner que ces murs renfermèrent un jour des vies à la fois familières et étrangères. |
繪畫
廢墟
浪漫主義偉大先驅夏多布里盎在其《墓外回憶錄》裡這樣寫道:〝所有人對古代建築的廢虛都有一種隱而不露的愛好。這感情基於生命的脆弱 ,基於斷垣殘壁與短促人生的一種默契。〞在中國繪畫裡見不到動物和人的屍體,同樣亦不見破敗坍塌的絲毫痕跡。大家應記得在我有關中西繪畫的系列文章裡,曾提及中國傳統繪畫對生動的苛求及歷史畫的問題。
我再次提醒大家,絕非簡單地〝表現自然〞的這種生動是中國繪畫表現手法的重要基礎之一。而西方幾個世紀以來深受亞里斯多德模仿自然理論的影響,繪畫則著重對自然的忠實描摹。中國畫家認為生動必先發自內心,方能現於筆端,例如畫竹即是明顯一例。畫山亦不例外。王原祁(1642-1715)心中就這麼想,山巒是由龍脈形成的。廢墟,如卡斯珀.戴維.費里德利克(Caspar David Friedrich, 1774-1840) 在他的浪漫派繪畫裡所表現的那樣,只是死亡的象徵。這裡介紹的他的一幅畫《橡樹林中的修道院》即是一例。原因正如夏多布里盎所言,它使我們聯想起生命的短促和命定的死亡。我雖費盡九牛二虎之力,遍查歐、美、中、日出版的有關中國繪畫的卷帙浩繁的書籍畫冊,都不見廢墟蹤影。最接近這個德國修道院的中國古代繪畫,當推《睛巒蕭寺》這幅宋代山水畫,據說出自李成(919-967)手筆。但在畫中亦不見絲毫破敗痕跡。
在名噪一時的系列畫《帝國興衰》 (The Course of the Empire)裡,美國畫家托馬斯.科爾(Thomas Cole, 1801-1848) 描繪了羅馬帝國由盛至衰的過程。尤其是組畫裡的最後一幅,展示了曾被描述為盛極一時、光輝燦爛的羅馬文化的遺跡,思古之幽情更被其中三幅描繪興衰過程的畫所加強了。畫中展現了由原始莽荒的景觀多到回天乏術的破敗消亡的慘象。這種歷史目的論的觀點在西方浪漫主義繪畫裡尤其顯著。然而誠如我在《宏偉壯麗的歷史畫》這篇文章裡所提及的,在中國古代的哲學論著裡卻告闕如。至少得等到十九世紀,西學,即如米歇爾.福柯(Michel Foucault)所謂的〝認知論〞才在中國見天日。
中西文化觀念的差異還表現在這點:西方人對古代建築的偏愛令他們寧可耗巨資去保護一座古建築,而不將它摧毀重建。這種〝古建築之愛〞,拙見以為當源於西方人對名勝古跡、城市景觀的重視,俾使遊人面對旖旎風光,可騁目舒懷。現舉一觀念截然不同的極端例子。奈瓦爾1815年發表了《東方遊記》,在這本趣味盎然的遊記裡,他敘述了自己在中東遊歷的種種冒險及所見所聞。其中一段頗為著名,記述作者在一位同胞攝影師的陪同下,在開羅的阿拉伯舊區如何尋尋覓覓,欲拍下城市最賞心悅目的景觀。在兩邊圍著不可逾越的高牆的狹窄街道上行走多時,刻刻期盼遇上比眼下房屋那些仿似槍眼的窗戶更寬敞,更有裝飾的一處廣場,一排柱廊或一條街道,結果是大失所望,鎩羽而歸。奈瓦爾不能接受阿拉伯人竟沒有法國人那種對城市規劃、美好景觀孜孜以求的願望。
我之所以說這段描述頗為著名,那是因為在後殖民主義的研究裡,它常被引用來闡述歐洲文化中心論。這個理論將來自不久前我們還稱之為野蠻原始文化的不同觀點,不作研究探討,拒諸門外。但這一點卻不會搞錯,即中國人和我們一樣亦非常注重優美景色。試看中國山巒點綴著為數眾多的亭台樓閣,其唯一目的是讓面對良辰美景而沉思遐想的文人騷客或遊人有一駐足之處,這便是最好的說明。
我覺得中國人,至少是那些受西方觀點影響不太深的中國人,對古代建築態度沒有像法國人或一般歐洲人那樣執著。西方人對他們窗口呈現出的教堂形影,如同山光水色般地欣賞。這個文化觀念上的差異在北京驚人地表現出來了。今天,北京的外貌已被粗暴地 改變,今非昔比。身為法國人,我對這古都平整土地,大興土木,有計劃地拆除胡同的舉措不敢苟同。這些用紅磚砌成的古老住宅區,蜿蜒曲折,更因其假牆,令人聯想起阿拉伯的一些城市。我更喜歡北京像往昔一樣,雖然城牆已拆,卻仍像個奇妙的大博物館。西方的報刊雜誌,連篇累牘,圖文並茂,夾以可怕的細節,描述傳統住宅區的拆毀,圖片更突顯了瀰漫在城市拆除工地上的可怖氣氛。
這一切看來都很正常,甚至對這些住宅區的老居民都是一樣。如果他們真的惋惜些甚麼,一般而言,都是抱怨現在住得離市區太遠。如果你瞭解昔日胡同裡的居住條件,你便會明白為甚麼他們對古舊建築那麼薄情了。只消拿這一情形和一九一八年俄國革命後的情況相比。俄人雖然能住更像樣的房子,但往往四家人擠迫在一間房裡。這種摧枯拉朽的態度叫人難於忍受,為進一步闡明它,我們不妨將視線轉向日本,它亦為我們提供了一個大致相同的態度,雖則其結果迥然不同。眾所週知,日本人傾向於將古蹟作定期的修葺重建,不願它們為歲月侵蝕摧殘。至於我們歐洲人總是喜歡〝原封不動〞,即使需耗費重金,亦在所不惜,只要能保住古建築。這也就解釋了何以維奧萊-勒迪克(Viollet-le-Duc)今天備受指責,原因是他於十九世紀修復哥特式教堂時對其外貌作了過份的修改。顯然中國政府作了與西方截然相反的選擇:徹底摧毀。
傳統生活方式,或說胡同生活方式的消失固然可惜,但我認為不應倉促做出判斷或指責中國有關當局的態度。他們的取向並不違反中國傳統,只是和西方人那種保護古建築的傳統相背罷了。西方人摒棄現代化建築,在歐洲許多城市裡,這些前衛建築往往破壞了古雅和諧的城市風貌。我想這可解釋為甚麼西方人對北京的城市重建甚感憤怒。他們認為這是在不尊重〝中國傳統〞的政策下對文化遺產的不可饒恕的破壞。
我們有趣的看到,中國大陸一些青年藝術家對此深感興趣,並將之再現於攝影與裝置藝術裡。這些畫家中的佼佼者之一宋冬,利用被摧毀的老房子的上釉門牌,在牆上,以半塗抹的手法再現了消失的舊住宅區的平面圖。為了更好地理解這裝置藝術,我想應將它和其太太尹秀珍的作品擺在一起欣賞。尹女士亦以同樣的手法,利用胡同的瓦片在街道上創作出她的裝置藝術作品。另一個名叫《手提箱》的裝置作品,其傳遞的信息更發人深省。裝在箱子裡的衣服竟鑲嵌入水泥裡。水泥可是城市重建的基本因素啊。人們甚至說,影響北京生活一大禍害來自北方的紅土塵現正讓位以幾乎無處不在的水泥塵了。作品表現了首都沒完沒了的工程處處的景象。
北京人既不為老房的消失而哭泣,亦不為成千上萬人被迫從莊嚴的老屋遷出而流淚。同樣可以看到舊住宅區私人生活的一些場景被藝術家榮榮移植到他的攝影作品中。榮榮對拆除建築物的工地興趣不大,他更注意那仍附在業已坍塌的牆上的圖像。這些圖像總是被成雙成對地展現出來。第一幅照片展示了摧毀的情景,第二幅則展示了前一幅中的細部,常常是一些雜誌的半裸美女像或歌星的相片。這些攝影表現了昔日生活的一些陳跡。這些廢墟,這些殘磚斷瓦並非警醒世人生命短促,死亡必然。只是告訴我們這些牆垣裡曩昔曾經有既熟悉又陌生的生命在此生息。
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