Peinture

Texte : Frank Vigneron

Des Passions et des Figures

Les passions ont intéressé les philosophes occidentaux depuis les Grecs jusqu’au vingtième siècle. L’ère moderne des passions s’est ouverte avec l’ouvrage célèbre de Descartes et les théoriciens de l’art ont depuis considéré leur existence dans l’expression artistique des peintres et des sculpteurs. Partie intégrante de la nature humaine en Occident, celles-ci devaient donc être traduites avec précision dans l’art d’imitation de la nature qui a dominé l’Europe depuis la fin de l’âge gothique jusqu’aux premières expériences de l’art abstrait (et même après cela mais dans des circonstances si différentes qu’elles demandent une analyse pour laquelle la place nous manque). En ce qui nous concerne, ce seront l’expression des passions qui nous intéressera et non pas ce qui motive leur existence.

Les arts de l’âge classique en France, c’est-à-dire du dix-septième siècle principalement, se sont occupés avec une intensité difficile à imaginer de nos jours de ces problèmes de représentation. Une des questions les plus complexes offerte à ces artistes fut de concilier la représentation des passions violentes avec la beauté. Il fut longtemps entendu que la beauté ne pouvait présenter de traits trop brutaux ou trop vifs. Les innombrables Vierges de la peinture classique nous offrent ainsi ce que l’on considérait alors comme la beauté idéale. Après que Winckelman ait imposé sa vision d’un art parfait dans la sculpture grecque, la statue hellénistique du Laocoon, avec sa bouche distordue et ses muscles saillants, présenta alors un problème : la statue était grecque, donc parfaite, et pourtant elle montrait une violence dans l’expression de la douleur qui ne correspondait à aucun canon de la « beauté ». Il fallait désormais trouver d’autres solutions à la conciliation de l’expression des passions avec le beau classique.

Dans la perspective d’une peinture vue comme un théâtre dans lequel se déroulent les scènes de la vie passée, on comprend mieux qu’il est important de montrer avec clarté ces passions pour faire participer le spectateur aux émotions vécues par les personnages. Il est aussi très clair que cette question est comparable à celle que tout acteur et tout metteur en scène d’un théâtre narratif se doit de considérer. Le peintre qui a poussé le plus loin cet intérêt pour la représentation des passions fut Charles Le Brun (1619-1690) à qui on doit un des ouvrages les plus étranges de l’académisme occidental. Dans ce livre de 1672 intitulé Méthode pour apprendre à dessiner les passions, Le Brun dessine les expressions faciales associées à tous les sentiments et toutes les émotions que l’âme humaine pouvait ressentir. C’est en tous les cas ce que Le Brun et tous les artistes et poètes occidentaux pensaient puisque ceux-ci allaient utiliser cet ouvrage pendant plus de deux siècles.

Pour reprendre l’analogie avec le théâtre, je suis persuadé que ces expressions faciales associées à certaines émotions, telles qu’elles furent montrées dans la peinture académique occidentale, moulèrent aussi en grande partie le travail des acteurs d’une certaine sorte de théâtre, désormais considéré comme passé de mode (celui de Sarah Bernhardt), et du cinéma muet (comme dans le film Show People, réalisé en 1928 par King Vidor, où l’on peut voir Marion Davies exprimer des émotions telles que « la méditation », « la passion amoureuse », « la haine », etc. ; que cette scène soit comique montre bien que cette façon de jouer était déjà considérée comme désuète et ridicule).

En ce qui concerne les portraits, le problème de la représentation des passions sera ainsi considéré comme une sorte d’interprétation théâtrale, empruntant au vocabulaire de la peinture d’histoire pour « mettre en scène » le modèle dans un environnement qui se devait souvent d’être flatteur. Ainsi ce portrait du savant Lavoisier représenté comme l’homme idéal de cette société des Lumières : bon mari et bien marié, élégant et sans ostentation et, surtout, entouré des instruments de ses recherches et appliqué à la rédaction d’un ouvrage dont on attend bien sûr qu’il changera l’avenir de la science. Il est difficile de croire qu’un chercheur, même en ce début du dix-neuvième siècle, ait pu obtenir de quelconques résultats en se livrant à ses travaux avec une telle désinvolture. La conclusion est claire, c’est bien à une « mise en scène » que l’on est ici confronté. On verra de même que cette notion de mise en scène fonctionne selon des principes fort similaires en Chine (les différences existent cependant mais nous n’avons pas la place de les traiter ici).

Il y a deux extrémités au spectre des possibilités dans le portrait en Chine. D’un côté le pur portrait d’identité, en général portraits officiels de la cour représentant les empereurs et les plus hauts fonctionnaires. De l’autre, et c’est cet aspect qui nous intéressera le plus ici, le portrait d’un personnage dans son environnement. Entre ces deux extrêmes se trouvent un immense nombre de portraits qui participent plus ou moins de l’un ou de l’autre de ces paradigmes. Comme de coutume, je chercherai dans le traité de Shen Zongqian 沈宗騫 (c. 1734-1817), et cette fois dans son œuvre peinte, une illustration de ce genre pictural. Mais d’abord, je voudrais montrer brièvement des exemples de ces impavides portraits de hauts fonctionnaires, comme ce portrait de Wong Qingbai 汪慶百 (dix-septième siècle) par un artiste anonyme (les peintres de portrait officiels étaient toujours considérés comme des artisans), qui n’est en fait représenté d’une façon si neutre que pour remémorer au spectateur les représentations traditionnelles des souverains mythiques du passé tels que ceux qui illustraient le Manuel de Peinture du Jardin du Grain de Moutarde (Jieziyuan huazhuan 介子園畫傳).

L’œuvre de Shen Zongqian est le portrait d’un fonctionnaire mandchou dont le nom était En Shou. Le personnage, rendu délicatement avec des couleurs légères, est suffisamment caractérisé pour que l’on soit à peu près sûr de la ressemblance du portrait. Cette peinture possède un épais rideau de saules qui couvre toute la moitié droite de la toile et qui s’ouvre progressivement vers la gauche. Dans ce portrait, le fonctionnaire mandchou semble regarder le monde qui s’ouvre sur le seuil de sa demeure depuis les plus profonds replis de son esprit : un lettré se tenant sur la frontière qui sépare le monde intérieur du monde extérieur, le microcosme du macrocosme. Shen Zongqian entoure le personnage de l’environnement qui lui semblait le plus en accord avec sa personnalité, la maison est correctement cachée et toute la scène suggère un calme serein : « Pacifié et paisible, il semble empli du souffle du Tao ; tranquille et serein, il ne s’accorde qu’aux impulsions célestes. C’est cela que j’appelle saisir l’attitude quand le modèle était seul ». (chap. La règle vivante.)Toute cette composition respecte donc à la lettre ce qu’il exprimera dans son traité achevé deux ou trois ans plus tard. Comme dans ses autres portraits, l’attitude frontale du modèle semble un peu étrange et peu naturelle, mais renforce en fait l’impression de « paysage intérieur ». Ainsi, même si les représentations diffèrent énormément, le portait de En Shou et celui de Lavoisier participent de motivations similaires : montrer le modèle sous un jour flatteur qui correspond à ses attentes psychologiques et sociales.

Ce que Shen Zongqian représente donc est sans doute aucun un « paysage intérieur », quelque peu écrasant dans l’abondance des détails. Le personnage se tient hors de contact avec tout ce qui peut exister en dehors du cadre de la toile. Le modèle, quoique dépeint dans une attitude douce, souriant discrètement, semble cependant conscient de la présence du peintre, ce qui peut suggérer que Shen Zongqian faisait « prendre la pause » à ses modèles. Dans son traité, il précise d’ailleurs qu’il faut faire un croquis rapide du modèle, pour que celui-ci ne se fatigue pas et garde une fraîcheur qui pourra seule révéler son esprit au peintre.

Même s’il serait aisé de conclure que le portrait chinois préfère les expressions passives et ne s’intéresse pas à la manifestation des passions, il ne faut cependant pas croire que cela signifie que ces artistes ne s’intéressaient pas au caractère de leurs modèles. Ainsi, le seul autre portraitiste du dix-huitième qui nous ait laissé un traité, Jiang Ji 蔣驥 , dans Les secrets essentiels du portrait (Chuanshen miyao 傳神秘要), donne quelques conseils quant à cet aspect de son travail : « Avant de se placer devant la toile vierge, le peintre doit fixer l’idée de son modèle. Qu’il le fasse donc marcher, rester debout, assis ou allongé ; qu’il le fasse chanter, crier, discuter ou encore rire ; qu’il fasse apparaître sa véritable nature et l’esprit se fera jour. C’est à ce moment que l’artiste doit observer attentivement son modèle, et se mettre au travail. Alors naîtra la saveur. » Il serait mal venu de parler d’un intérêt pour la psychologie du modèle (ne mélangeons pas tout), mais il semble bien que Jiang Ji pensait qu’il n’était pas possible de faire un portrait convaincant d’une personne qu’on ne connaisse pas au moins un peu.

De nos jours, le portrait est devenu un genre remplissant des fonctions bien différentes de celles que « l’art classique » attendait de lui et le problème de la représentation des passions a pratiquement disparu de l’art contemporain tout autant en Chine qu’en Occident. Que ce soit l’artiste autrichien Arnulf Rainer (1929-) qui imite ici les expressions faciales de patients catatoniques d’hôpitaux psychiatriques, ou Geng Jianyi 耿健翌 (1962-) qui représente en série le même visage grimaçant (hurlant ? riant ? toussant ?), on comprend bien qu’il n’est plus question d’âme et que les expressions du visage véhiculent désormais des problématiques qui auraient été complètement étrangères à Charles Le Brun ou à Shen Zongqian.

繪畫

 

激情與人像

上自古希臘下迄二十世紀,西方哲學家對激情始終充滿興趣。激情的新時代當以笛卡爾的名著為楬櫫。自此藝術理論家們便在繪畫與雕塑裡探視激情的藝術表現手法。激情在西方 被視為人性的一部份,因此必須在模仿自然的繪畫裡得到精確的表達。這種模仿自然的理論自哥特式繪畫晚期直至抽象藝術萌芽的初期,一直統治著歐洲畫壇(甚至延續至抽象藝術之後。情況頗為複雜,需作進一步論述,這裡篇幅所限,從略)。本文旨在探討激情的藝術表現手段,而不追究其產生的緣由。

法國古典主義藝術,亦即主要為十七世紀的藝術,以我們今天難於想象的熱情探索藝術的表現手法。這一時期的藝術家面對的其中一個棘手問題,是如何將強烈激情的表達與美相協調。長時以來,大家一直公認美不應以太粗獷、太強烈的筆觸來表達。為數眾多的古典聖母像為我們提供了所謂的理想美。自從溫克爾曼(Winckelman)視希臘雕塑為完美藝術以來,拉奧孔這尊古希臘雕塑,人物扭曲著嘴,肌肉棱棱突兀,就成問題了。不錯,這是一尊完美的希臘雕塑,只是它表現痛苦的強烈手法與〝美〞的原則格格不入。看來,應另覓途徑將激情的表達與古典美調和起來。
從另一角度觀畫,將它視作一齣戲。戲裡前塵往事相繼在舞台上展現。大家都明白,演員必須準確地表達出劇中人經受過的感情波折,俾使觀眾引起共鳴。顯而易見,這是任何一個演員和導演都應正視的問題。對激情在繪畫中的表現研究至深的當推沙爾.勒布倫(Charles Le Brun 1619-1690)。他饗我們一本奇妙的西方學院派著作,書名為《激情描繪方法》(Méthode pour apprendre à dessiner les passions)。書裡,勒布倫繪製了與人類心靈所能感受的喜怒哀樂各種感情相對應的面部表情圖譜。兩百多年來,西方的藝術家和詩人們均借助它從事創作。

再提一下繪畫與戲劇的相似處,我相信書中表現的某些激情的面部表情,如在一些西方學院派繪畫裡所見到的,在很大程度上為某種戲劇的演員們所借鑒,如薩拉.本恩哈特(Sarah Bernhardt),只是這已經過時。同樣,也對默片起過影響,如一九二八年由金.維多(King Vidor)執導的影片《Show People》。片中馬里恩.戴維斯(Marion Davies)表演了各種表情,諸如〝沉思〞、〝情慾〞、〝憎恨〞等等。這是一部喜劇片,這便說明了這種表現手法已被視為明日黃花,滑稽可笑。

至於肖像畫,激情的表達被視為某種戲劇表演,借用歷史畫的術語,即將模特兒〝搬上舞台〞,讓他置身於一個往往被美化的環境中。科學家拉瓦錫的畫像即被表現為啟蒙時代社會的理想人物:模範丈夫、美滿婚姻、溫文儒雅、毫不顯耀,被做科學實驗的儀器所包圍、專心致志寫一本將改變科學未來的鴻篇巨製。很難想象一個科學研究者,即使在十九世紀初,以如此漫不經心的態度工作,能獲得甚麼成就。結論洞若觀火,即在這幅畫裡,我們面對的是〝搬上舞台〞這個觀念。我們看到,這個〝搬上舞台〞的觀念,其原則極接近中國的原則(當然亦有許多不同之處,只是這裡篇幅有限,不予贅述)。

中國的肖像畫,在可能的範圍裡,有兩個極端。一邊是表現身份的肖像畫,通常是表現帝王將相的宮廷肖像畫。另一邊則是我們這裡著意探討的身處某種情境的人物的肖像畫。在這兩個極端之間,是多少具上述這種或那種肖像畫特點的為數眾多的肖像畫。像往常一樣,我將目光投向沈宗騫的畫論,不過這次卻是他的肖像畫作。但首先我想簡略地介紹一下描繪達官貴人的肖像畫。如這裡介紹的出自無名氏手筆的汪慶百(十七世紀)的畫像(官方肖像畫家向來被視為手藝人)。這幅畫表現手法平淡無奇,只是讓觀賞者聯想起如《芥子園畫傳》裡所見的描繪傳說中的帝王的傳統肖像畫。

沈宗騫的這幅肖像畫畫的是一個名叫恩壽的滿清官員。畫面輕巧地敷上淡淡的色彩,人物刻畫得維妙維肖,幾乎可相信其逼真。畫的右半部是濃密的垂柳,柳絲漸漸向左邊散開。畫中,滿清官員凝視著門檻外的世界,彷彿陷入深深的沉思中:一位身處將內外世界隔開的邊界線上的文人,微觀世界中的微觀世界。沈宗騫將人物置於他覺得與其身份最相稱的環境中,屋宇被巧妙地隱去了,整個畫面予人一種寧靜感。他說:〝和而泰,覺道氣之沖然;安以舒,乃天機之適爾。〞整幅畫的佈局一絲不苟地遵照了兩三年後他在其畫論裡所提出的原則。正如他的其他肖像畫, 人物正襟危坐,顯得有點異樣,不夠自然,但卻加深了人物〝內心面貌〞的印象。由此可見,盡管表現手法有很大差異,恩壽畫像和拉瓦錫畫像都具有共同的意旨 :即將人物置於符合其內心世界及社會地位的環境下來表現。

沈宗騫描繪的毫無疑問是人物的〝內心面貌〞,刻畫得纖毫畢見,多少流於過份雕琢。人物置身度外,與畫框外的事物毫無牽連。姿態優雅,微微含笑,卻彷彿意識到自己正面對畫家。這透露了沈宗騫指使模特兒〝擺姿勢〞的消息。在他的畫論裡,他明確指出應迅速作畫,讓模特兒保持狀態,不露疲態。唯此,畫家才能捕捉到人物的精神面貌。

盡管容易得出這樣的結論,即中國的肖像畫偏愛表現平和和消極的表情,而不作激烈感情的描繪。但我們不能就此認為中國畫家對其模特兒的性格漠然不顧。十八世紀的中國肖像畫家蔣驥為後人留下了一篇題為《傳神秘要》的畫論。對人物畫的作法提供了以下見解,他說:〝畫者須於未畫部位之先,即留意其人,行止坐臥,歌呼談笑,見其天真發現,神情外露,此處細察,然後落筆,自有生趣。〞若說這是對模特兒心裡的關注,並不妥當(我們切勿將一切混為一談)。不過,看來蔣驥是認為若對所描繪的人物毫無瞭解,是作不出一幅令人信服的肖像畫來的。

今天,肖像畫已演變成這樣一個畫種,其功能遠別於〝古典繪畫〞對它的要求。表達激情這個題目,無論在西方抑或中國,都已從現代藝術中銷聲匿跡。奧地利藝術家Arnulf Rainer (生於一九二九年)模仿精神病院緊張症患者的面部表情,又或者耿健翌(生於一九六二年)用同一張臉表現的系列表情(號叫?大笑?咳嗽?),大家十分清楚,這與人的心靈無涉。這些面部表情,從此傳達的是一些沙爾.勒布倫和沈宗騫都完全陌生的信息。