Peinture
Texte : Frank Vigneron

Performatif

Les calligraphes chinois et japonais sont souvent animés d'un feu divin lorsqu'ils s'adonnent à leur discipline. Tel calligraphe japonais de ma connaissnce, rencontré à Paris, me confia lors d'une mémorable conversation (l'individu geignant et hurlant devant son verre de vin, les clients nous regardant avec de moins en moins de patience) que le pinceau « c'est comme une mouche »... et de laisser sa main chasser l'extrémité d'un pinceau imaginaire sur la table, parmi les verres. L'implication entière du corps du calligraphe ne se traduit pas nécessairement par des performances que d'aucuns voient comme histrioniques, mais même dans le calme et le recueillement, le geste physique fait autant partie de l'œuvre graphique que les caractères représentés (ceci est bien sûr particulièrement évident dans l'écriture cursive folle, kuang caoshu 狂草書, de Zhang Xu 張旭, actif 713-756).

Ceci est tout aussi vrai pour nombre de grands peintres chinois, en particulier ceux de la dynastie Qing comme Zhu Da 朱耷 (c. 1624-1705) et Shitao 石濤 (1642-c.1718), ou les Excentriques de Yangzhou (Yangzhou Baguai 揚州八怪) du dix-huitième siècle. Il est sans doute un peu surprenant de noter que cela est tout aussi vrai, mais peut-être d'une façon moins voyante, pour des artistes chinois qu'on n'associe que rarement aux irrésistibles mouvements du pinceaux des calligraphes. Dans la plupart des cas, les peintres dits « orthodoxes » réutilisent les formules de trait, d'emploi de l'encre et de composition qui avaient été élaborées au travers d'une longue tradition picturale. Ces motifs sont pratiquement les mêmes chez tous les artistes qui se réclamaient de cette tradition orthodoxe. Il est donc très difficile d'établir des critères caractéristiques pour chacun de ces peintres et de leur reconnaître des styles qui les différencieraient clairement. Les peintures de Shen Zongqian 沈宗騫(c. 1734-1817) par exemple, dans toutes leurs variétés, ne sont pas très différentes de celles d'autres artistes orthodoxes du dix-huitième siècle comme son maître spirituel Zhang Geng 張庚 (1685-1760).

En ce sens, je ne peux m'empêcher de comparer ce genre de tradition picturale à la musique classique occidentale. Les œuvres de ces artistes ressemblent plus à des « performances », des « représentantions », qu'à une pure recherche plastique. De la même façon que les musiciens occidentaux, qui suivent leur partition et n'improvisent que sur des modèles établis, les peintres orthodoxes peignaient en utilisant cette vaste gamme de traits et de modèles de composition fixés par un millénaire de création picturale chinoise. Si la musique classique occidentale semble laisser peu de place à l'improvisation (même si les Coda, dans les concerts pour piano de Mozart, par exemple, étaient des espaces aménagés pour l'improvisation du joueur), le compositeur américain John Cage (1912-1992) après la deuxième guerre mondiale a ouvert des portes à la musique et aux arts graphiques qui devait amener des développements dramatiques dans l'usage de la technologie et de l'improvisation. C'est ainsi que les années soixante-dix ont vu l'explosion de types d'art entièrement inimaginables juste quelques décennies auparavant. Le free jazz aussi est un signe de cette nouvelle ouverture qui s'est traduit par des formes tout aussi « libres » dans le domaine pictural. Pour faire un raccourci saisissant, le calligraphe et les peintres comme Zhu Da et Shitao seraient des musiciens de free jazz, improvisant dans une totale liberté les formes coulant du plus profond de leur être, tandis que les peintres orthodoxes seraient des musiciens classiques, ménageant dans l'espace fixe des formules héritées des anciens un espace où leur propre individualité réussit quand même à se manifester.

Depuis ces temps qui nous semblent désormais bien reculés, l'aspect performatif des arts plastiques a emprunté des chemins qui, s'ils sont profondément originaux, ne devraient pourtant pas être considérés comme totalement détachés de traditions plus anciennes. En dehors de cette relation (peut-être un peu artificielle, je l'admets, mais de nos jours il faut faire feu de tous bois) avec la musique improvisée, il n'y a guère eu de relation au performatif dans l'art occidental avant Jackson Pollock, l'inventeur de la notion « d'action painting ». Et encore, Pollock lui-même ne voyait dans la réalisation de l'œuvre (littéralement cavaler autour de la toile posée sur le sol, faisant couler la peinture ou la projetant avec des bâtons et parfois des pinceaux) qu'une étape nécessaire, même si extrêmement originale, au résultat final du « painting » : la toile achevée, tendue sur un châssis et pendue au mur. Ce sont les photos et le film que le photographe Hans Namuth qui fit de Pollock peignant qui ont donné l'idée à Allan Kaprow (1927-), l'un des plus influents artistes des révolutionnaires années soixante-dix, de voir l'œuvre de Pollock exclusivement sous son aspect « action », l'aspect « painting » ne venant qu'au second plan. Voir « l'action painting » sous ses deux aspects de performatif et de visuel a ouvert la porte à un véritable raz-de-marée de nouvelles conceptions sur l'art : depuis de nouvelles approches de l'art abstrait jusqu'aux développements les plus surprenants des performances d'artistes, c'est l'art des dernières décennies du vingtième siècle, et apparemment celui du vingt et unième, que cette lecture de l'œuvre de Pollock opérée par Allan Kaprow a rendu possible.

Dans cet article, je ne parlerai pas des performances d'artistes qui se présentent comme une sorte de théâtre de plasticien mais sans résultat « exposable » comme les peintures de Pollock. Les œuvres montrées ici proviennent cependant de telles performances, et le terme de peinture ne suffit pas à couvrir tout ce que ces modes d'expression contiennent. Après l'expressionnisme abstrait dont Pollock faisait partie, c'est au Japon, dans le mouvement Gutai 具體 (qui signifie « concret ») que je voudrais aller chercher un autre exemple de performatif visuel (il faut d'ailleurs noter que ce mouvement est contemporain du Nouveau Réalisme français et de l'œuvre de Georges Mathieu, 1921-). Il est évident que l'influence de la culture américaine était prépondérante dans le Japon de l'après-guerre et les expressionnistes abstraits occupèrent une place essentielle dans les nouvelles expressions artistiques du Japon des années cinquante et soixante. Outre cet apport, les artistes japonais allèrent aussi chercher dans les gestes de la calligraphie ce qui pouvait compléter le côté performatif de l'œuvre de Pollock dans un sens plus foncièrement oriental. L'œuvre du célèbre Shiraga Kazuo白髮一雄 (1924-) est en ce sens tout à fait significative des recherches picturales de l'art abstrait des années post-Kaprow. Ne soyez pas trop ébahi par ce génial hurluberlu (mais, qui s'étonne de quoi que ce soit de nos jours ?), peindre avec ses pieds n'est en fait pas plus surprenant que peindre avec ses ongles ou ses cheveux, choses que les peintres chinois faisaient déjà au dix-huitième siècle (en particulier Gao Qipei 高其佩, 1660-1734, dont le petit-fils Gao Bing 高秉 écrivit vers le milieu du dix-huitième siècle un incroyable traité intitulé Discussion sur la peinture du bout des doigts, Zhitou Huashuo 指頭畫說)

Comme d'habitude (Jacques Prévert faisait d'ailleurs dire à un des ersonnages des Enfants du Paradis, « c'est vieux comme le monde ça... la nouveauté »), il n'y eut pas à attendre bien longtemps avant de voir certaines réactions se faire aux idées de « l'action painting ». Au côté cradingue de la peinture de Pollock, qui élève la tache de peinture sur les vêtements au rang de discipline mystique, Yves Klein oppose une relation à la matière picturale aussi lointaine qu'il est possible de l'imaginer. Quand Pollock trempait ses mains dans la peinture et couvrait ses bleus de chauffe de couleur, Klein décidait de porter un smoking et un nœud papillon et de laisser l'immersion dans la peinture à des modèles féminins qu'il dirigeait d'une voix impérieuse d'un bout à l'autre de la toile, posée sur le sol ou accrochée au mur selon les performances. Si la relation à la calligraphie est bien plus ténue que dans l'œuvre des artistes du mouvement Gutai, il reste que Klein devait avoir une certaine compréhension de la dimension physique attachée aux arts d'expression orientaux puisque celui-ci, karatéka de profession et familier de la culture japonaise, pratiquait en amateur la calligraphie. Cette fois, c'est au corps lui-même (mais aux corps des autres) que l'artiste français fait appel et non à une sorte d'extension virtuelle du corps dans l'espace : le geste du corps lui-même et non ce qui reste du geste. Et c'est certainement dans cet emploi direct du corps que ce que les artistes du Nouveau Réalisme entendaient par « réalisme » est le plus évident.

De nos jours, très nombreux sont les plasticiens qui s'adonnent à une poursuite des problèmatiques créés par Kaprow sur l'œuvre de Pollock, et ces interrogations sont devenues si universelles que la relation à ces artistes ne peut déjà plus être considérée que comme une influence lointaine. Le performatif est devenu un des traits les plus courants de cet art « postmoderne », si courant d'ailleurs qu'il apparaît bien souvent comme absolument nécessaire à la majorité des plasticiens (combien de vidéos viennent complémenter des installations qui n'en ont pas toujours besoin ?). Pour illustrer l'incroyable variété des manifestations du performatif dans l'art contemporain, je vous montrerai juste un exemple emprunté à l'œuvre d'un de ces très importants artistes chinois qui choisirent l'exil il y a une vingtaine d'années, même s'ils reviennent désormais très souvent sur le continent, Cai Guoqiang 蔡國強 (1957-). Celui-ci décida, dans les années quatre-vingts alors que l'art contemporain chinois venait tout juste de se manifester avec une force impressionnante, d'employer de la poudre à canon pour« peindre ». On peut dégager plusieurs niveaux à ce choix : premièrement, l'emploi culturel d'un objet que tout Chinois sait avoir été inventé en Chine ; deuxièmement, l'intégration du hasard dans la réalisation d'une œuvre, choix qui provient autant de l'ouest que de l'est ; et troisièmement, cet aspect performatif, puisque la majorité des toiles ainsi réalisées le sont soit en public, soit soigneusement filmé pour la postérité. Que Cai Guoqiang soit aussi très célèbre pour ses nombreuses performances, impliquant souvent le feu ou des explosifs, et que certaines de ces toiles aient été employées pour un défilé de mode aujourd'hui célèbre d'Issei Miyake 三宅一生 ne fait que souligner que le performatif est au centre de ses préoccupations et que celles-ci n'ont plus grand-chose à voir avec « l'action painting », même si elles en découlent.

 


繪畫

行為表演



中國和日本的書法家全神貫注、運筆揮毫時,常獲神示。我在巴黎認識一個日本書法家在一次難忘的敘談中曾這樣悄悄地對我說:毛筆〝好比一隻蒼蠅〞。說罷,就在桌上的茶杯之間揮動起那支想象的毛筆來。他哼哼唧唧,大聲叫嚷著,引來週圍越來越不耐煩的目光。書法家揮毫時身體的牽動不能視為行為表演,對這種表演有人稱它為患了演劇症。然而,即使屏息靜思,手的動作也和被表現的漢字一樣,均屬書法藝術不可分割的一部份,這尤其適用於張旭(活躍於713-756年)的狂草。

為數眾多的中國畫家,尤其是清代的朱耷(1624-1705)、石濤(1642-1718)或揚州八怪,都可這樣看待。對於那些甚少涉足書法的畫家,也同樣適用,當然沒有這般明顯。一般而論,所謂〝正統派〞畫家,只是沿襲源遠流長的傳統筆法、用墨和章法。那些自稱稟承傳統的畫家亦然。因此對於這些畫家,甚難指出他們的特點,分辨出他們各自的風格。例如沈宗騫(1734-1817)的畫,儘管種類繁多,也和他的精神導師張庚(1685-1760)的畫一樣,與十八世紀正統派畫家們的畫無甚分別。

在這個意義上,我不禁要把這種繪畫傳統與西方古典音樂作個比較。這些中國畫家的畫作以其說像〝表演〞、〝表現〞,毋寧說更像純造型的探索。西方的音樂家完全照樂譜演奏,即便即興,也依照既定調式。中國的正統派畫家也完全依照流傳千年的筆墨丹青的規矩格法作畫。西洋古典音樂留給即興演奏的空間甚小,即使在莫扎特的鋼琴協奏曲的尾聲部份,常留有即興演奏的空間。二次大戰後,美國作曲家約翰.凱奇(John Cage, 1912-1992)為音樂及繪畫藝術打開了一個缺口,帶來了科技運用及即興創作的突破性發展。這樣,上世紀七十年代,便突然出現了早幾十年完全無法想象的各種藝術風格。自由爵士樂亦是這一缺口的象徵,反映在藝術領域裡則是〝自由〞的繪畫形式。簡而言之,朱耷、石濤一類的書畫家可歸為自由爵士音樂家,他們自由自在,毫無拘束地盡情創作腦海中湧現的形象;而正統派畫家則是古典音樂家,師承古法,在傳統給予的有限空間裡,表現他們自己的風格。

在彷彿離我們遠去的年代,造型藝術在行為表演方面所走的道路雖然非常奇特,但卻不能說與古老的傳統毫不相干。除了和即興音樂的關係外(這點大概有點牽強,但在我們這個時代,必須盡一切可能來作解釋)在杰克遜.帕洛克這位行動畫派祖師爺之前,西方繪畫裡,可說幾無行為表演的成份。帕洛克作畫時,將畫布釘在地板上,繞著畫布行走,把油彩直接潑灑在畫布上,或者用木棍、刷子潑灑。他認為一幅〝畫〞的最終完成,需經過雖然非常奇特,卻至為必要的一個階段:即一朝大功告成,將畫繃於畫框,然後掛到牆上。多虧漢斯.摩納拍攝的帕洛克作畫時的照片和電影,才令阿蘭.卡普洛(1927-)這位在藝術革命的七十年代影響至深的藝術家,只從〝行動〞角度來審視帕洛克的畫作,而〝繪畫〞的一面,則被推到次要地位。從行為表演及視覺角度審視〝行動畫派〞,為新藝術的洶湧澎湃打開了一道閘門。由對抽象藝術的初步探索到行動繪畫的驚人發展,這個二十世紀末,尤其是二十一世紀初的藝術,只有在阿蘭.卡普洛對帕洛克繪畫的解讀後,才有可能。

本文不準備談論一些藝術家的行為表演,這和帕洛克的畫一樣,它們形成某種造型藝術家的舞台,卻沒有〝可展示〞的效果。但這裡介紹的作品卻都屬這種行動藝術。繪畫一詞不能涵蓋這些表現形式所含的全部意義。在介紹了帕洛克有份參與的抽象表現主義後,我想在日本,在其〝具體運動〞中尋找行為藝術的另一種表現。應該指出這場運動與法國的新現實主義及喬治.馬蒂歐(Georges Mathieu, 1921-)的畫同一時期。顯然,二次大戰後的日本,美國文化的影響至為重大,抽象表現主義在五十及六十年代的日本新藝術潮流中佔有舉足輕重的地位。除此之外,日本藝術家試圖在書法的動作中尋找能從更深層的東方意義上來補充帕洛克作品的行為表 演方面。在這種意義上,著名的日本畫家白髮一雄(1924-)的作品在後卡普洛抽象藝術的探索中顯然十分有意義。不要為這種既天才又荒唐的行為感到過份驚訝(我們這個時代,有甚麼事做不出來?)。用腳繪畫,用指甲或頭髮繪畫,都一樣不足為奇。這些,中國的畫家們早在十八世紀便付諸於行了。這裡應特別提一下高其佩(1660-1734),他的孫子高秉在十八世紀中葉寫了一篇匪夷所思的畫論,名曰:《指頭畫說》。

像平常一樣,不必等多久,對〝行動繪畫〞的理念就有了某些反應(雅克.普雷維爾在其詩《天堂的孩子》裡讓其中一個人物這樣說道:〝新事物嗎,和這世界一樣古老。〞)帕洛克將油彩潑到帶神秘色彩的衣服上,他的畫是滴灑的亂糟糟的顏料。而伊夫.克萊恩(Yves Klein)則將繪畫推得更遠,遠得難於想象。當帕洛克將雙手浸在油彩裡並將油彩潑到自己工作服上的時候,克萊恩則穿著禮服,打著蝴蝶領結,叫女模特兒浸沒在顏料裡,自己則從舖在地上或釘在牆上的畫布的這一頭跑到另一頭,粗聲粗氣地指揮女模特兒的表演行動。若他和書法的關係比日本〝具體運動〞藝術家的作品所表現的更微妙,這是因為克萊恩是職業空手道武術師,熟諳日本文化,並且是業餘書法愛好者,對東方藝術表現的空間有一定的瞭解。這一回,這位法國藝術家是直接求助於人體(其他人的身體),而非人體在空間的可能延伸;求助於人體本身的動作,而非動作的餘緒。正因為直接運用了人體作藝術表現,新現實主義者們所謂的〝現實〞就最明顯不過了。

今天,眾多的造型藝術家醉心於繼續探討因卡普洛對帕洛克繪畫的解讀引起的諸多問題,這種探索是如此普遍,因此我們不能將藝術家的這個關注視作明日黃花。行為表演已成為〝後現代主義〞藝術的最普遍的特點之一,大多數造型藝術家似乎都認為它不可或缺(有多少攝錄機被調動來充實裝備,其實有時並不需要)。為了進一步闡明當代藝術中的行為表演難於想象的豐富多采,這裡茲介紹一位中國當代極重要的藝術家之一蔡國強(1957-) 的作品。二十年前他選擇了自我流放,但此後經常返回大陸。八十年代正當中國當代藝術剛剛蓬勃發展 之際,他決定採用火藥來〝繪畫〞。對他這種選擇,我們可作幾個層次的解答:首先,物質的文化層次的運用。每個中國人都知道火藥是中國人的發明;其二是在藝術創作中融入偶然性,這是來自東西方的選擇;最後是從行為表演角度來考慮。因為這類藝術創作大多數不是當眾表演,便是將它攝錄下來,以傳後代。蔡國強因眾多的行為藝術作品,包括利用火藥,令他名噪一時。他的有些畫作被用來做時下有名的三宅一生時裝表演的佈景。這些只強調了行為表演是他藝術創作的中心,但這些創作活動雖然源於〝行動畫派〞,卻與它無甚關係。