Chine contemporaine
Texte : Eric Sacher

L'engagement intellectuel en Chine : Un état des publications en France

A l'occasion du salon du livre, un nombre important de publications en français sur la Chine contemporaine permet au public francophone de mieux saisir le rôle qu'ont pu avoir les intellectuels chinois dans l'ouverture économique et politique qu¹a pu connaître la Chine depuis la fin des années 70.

« Une bonne équipe dirigeante engagée dans la réforme et l'ouverture doit prendre des mesures claires pour ouvrir le pays. Elle ne devra jamais laisser passer une occasion, elle devra se mettre au travail et persévérer pour appliquer la réforme et l'ouverture, une ouverture à grande échelle. J'ai dit autrefois que nous devions créer d¹autres « Hong Kong » et j'entendais par là que nous devons insister sur l'ouverture et ne pouvons pas nous replier sur nous-mêmes. » Cet extrait d'une conversation entre Deng Xiaoping, Li Ping et Yilin est tiré des Archives de Tiananmen de Zhang Liang récemment traduit et publié en France (aux Editions du Félin). A l'occasion du salon du Livre en mars dernier consacré aux Lettres Chinoises, plusieurs publications se proposent de revenir sur les vingt-cinq dernières années de la Chine et cette formidable période d¹ouverture qui, malgré le choc de 1989 et de Tiananmen, s'est poursuivie, au moins économiquement. Personne ne peut ignorer qu'à l'occasion des quinze ans de Tiananmen, la question de la réhabilitation du mouvement de 1989 se posera d'une manière ou d¹une autre. Comme le présente Jean-Philippe Béja dans la présentation de sa traduction, c'est sans doute l'un des buts principaux de Zhang Liang en publiant ce livre : créer un véritable débat au sein de la société chinoise pour continuer politiquement ce qui a été entamé économiquement.

Dans L'Eveil de la Chine (aux Editions de l'Aube), Chen Yan retrace l'histoire de cette bataille intellectuelle qui, depuis la mort de Mao, a forgé la Chine actuelle, avec toutes ses réussites et ses contradictions. Inévitablement, le livre distingue deux périodes 1976-1989, que Chen Yan présente comme celle de l'idéologie en déconstruction, et 1989-2002, période sans idéologie marquée par la naissance de l'individu conscient, certes légitimé mais non légalisé. On ne trouvera pas dans l'Eveil de la Chine les analyses économiques ou sociales que le titre laisse supposer. Il s'agit ici de l'éveil intellectuel, de ce formidable débat d'idées qui a su animer l'ouverture de la Chine et qui en est le principal moteur.

A travers quatorze témoignages, Cheng Yingxiang décrit ce qu¹il appelle Le dégel de l¹intelligence en Chine (chez Gallimard), c'est à dire cette période de 1976 à 1989 qui a vu l'émergence d¹un courant réformateur et d'une volonté d¹ouverture en Chine, montée en puissance arrêtée nette dans sa course par les événements de Tiananmen. Par ces témoignages, Cheng Yingxiang illustre le discours de Chen Yan et permet de mieux saisir l'ampleur de la désillusion née de la répression de 1989. Malgré les bouleversements de l'Histoire, loin de se replier sur elle-même, la Chine continue son ouverture aujourd¹hui encore. Elle le doit à ses forces économiques mais également à ses intellectuels qui, de l'intérieur comme de l'extérieur, ont permis au débat démocratique de s¹ouvrir.

Une partie de ce débat, riche et passionnant, se découvre au travers des Ecrits édifiants et curieux sur la Chine du XXIe siècle (Editions de l¹Aube) où différents écrivains chinois présentent leurs visions de la Chine actuelle, de son passé et de ses perspectives d'avenir. Ce recueil dirigé par Marie Holzman et Chen Yan est d¹autant plus intéressant qu¹il ne se limite pas à un seul sujet et aborde toutes les différentes facettes de la société chinoise (économie, politique, religion, droits de l¹homme, place et rôle des femmes...). Il ne s'agit pas d¹un énième point de vue occidental sur la Chine mais bien d¹une réflexion de différents chercheurs et intellectuels chinois sur leur pays et son devenir.

Dans les romans d¹Adeline Yen Mah, lorsqu¹il est fait allusion aux souffrances qu¹a connues la Chine, il est souvent rappelé cette prédiction : Le XIXe siècle fut celui de l¹Angleterre, le XXe celui des Etats-Unis, le XXIème sera celui de la Chine. La prédiction se révélera sans doute exacte mais la voie qui sera prise reste encore incertaine. Comme l¹exprime Wu Guoguang dans le recueil de Marie Holzman et Chen Yan : « En ce sens, la route de l¹histoire qui prend son nouveau départ en Chine aujourd¹hui ne semble guère être plus aisée que celle qu¹il fallut parcourir au siècle dernier. »

A la recherche d'une ombre chinoise
Le mouvement pour la démocratie en Chine (1919-2004)

Jean-Philippe Béja, Seuil L'histoire immédiate

Jean-Philippe Béjà, directeur de recherches au Centre National de la Recherche scientifique et ancien directeur scientifique du Centre d'Etudes sur la Chine contemporaine à Hong Kong, publie au seuil un ouvrage de synthèse qui vient combler un vide : l'histoire, l'analyse, l'évolution et les derniers développements du « mouvement pour la démocratie en Chine (1919-2004). L'ouvrage est ambitieux car, comme le précise l¹auteur, « il s¹agit d¹attraper une ombre (...), un courant politique, c¹est-à-dire un ensemble d'idées sur la manière de gérer la société, sur les rapports entre les pouvoirs, et entre les citoyens et les pouvoirs (...) c¹est donc une partie de chasse bien particulière : le gibier est une ombre fuyante, changeante, portée par les forces dont les contours sont souvent difficiles à saisir, et qui bien souvent rentre sous terre... » J.P. Béjà retrace donc, du mouvement du 4 mai 1919 aux événements de la Pace Tiananmen en 1989, des Murs de la Démocratie des années 80 aux protestations ouvrières et paysannes d'aujourd¹hui, les différentes formes de lutte contre l'autoritarisme du régime. Plus que simple ouvrage historique, c'ést un voyage en profondeur dans la société chinoise d'aujourd¹hui et dans la façon dont elle évolue. Béjà détruit nombre d'illusions occidentales qui voient de façon simpliste un parti et un peuple dressé face à face. Il montre au contraire l'évolution subtile de l'état moderne chinois, comment en ce début de siècle celui-ci à réussi à s¹attacher les intellectuels, créant une société pseudo-civile où peuvent opérer organisations internationales ou associations humanitaires, détournant des pans entiers de la contestation du politique vers le social. J.P. Béjà sillonne la Chine depuis des décennies, il en a une connaissance vivante et de première main. Son ouvrage a aussi l'avantage de se bien lire et s'adresse autant à un public de chercheurs qu'à un lectorat intéressé par le monde chinois contemporain.

Gérard Henry