Philosophie
Texte : Eric Sacher
Gilles Deleuze et la fabrique de concepts
« La philosophie est l'art de former, d'inventer, de fabriquer des concepts ». Dans Qu'est-ce que la Philosophie ?, Gilles Deleuze décrit ce qui a été pour lui sa vie et son œuvre : créer des concepts pour nous aider à comprendre les territoires qui nous entourent et notre devenir.
David Lapoujade, auteur de l'exposition sur Gilles Deleuze et du livret qui l'accompagne, a rassemblé dans deux livres aux Editions de Minuit un certain nombre de textes et entretiens du philosophe parus dans différents recueils et journaux dans le monde de 1953 à 1974 (L'île déserte) et de 1975 à 1995 (Deux régimes de fous). Egalement spécialiste des frères William et Henry James, cet ancien ami et proche de Deleuze, professeur à l'Université Paris I, est à Hong Kong pour présenter l'exposition qui continuera à la Bibliothèque de l'Université de Lingnan jusqu'à fin décembre.
« Un grand philosophe est celui qui crée de nouveaux concepts : ces concepts à la fois dépassent les dualités de la pensée ordinaire et donnent aux choses une vérité nouvelle, une distribution nouvelle, un découpage extraordinaire. » Dans ce texte sur Bergson que l'on peut retrouver dans L'Ile déserte, Gilles Deleuze présente à 30 ans une conception de l'art philosophique qu'il ne cessera de développer toute sa vie durant. Si « le nom de Bergson reste attaché aux notions de durée, d'élan vital, d'intuition », le nom de Deleuze est lui inséparable des notions de rhizome, de territoire, d'événement et de ritournelle.
Né à Paris en 1925, il s'intéresse jeune à la philosophie et après ses années au lycée Carnot, suit les cours de F. Alquié, G. Canguilhem et J. Hippolyte à la Sorbonne. Il y rencontre François Châtelet, Michel Butor, Olivier Revault d'Allones et Michel Tournier. L'approche passéiste des universitaires de l'époque ne le passionne pas. « A la Libération, on restait bizarrement coincé dans l'histoire de la philosophie. (…). Nous nous précipitions comme de jeunes chiens dans une scolastique pire qu'au moyen-âge. Heureusement, il y avait Sartre. »
En 1948, il réussit l'agrégation de philosophie et enseigne dans plusieurs lycées avant d'intégrer la Sorbonne et le CNRS. Ses premières publications concernent Hume et l'empirisme (1953) et Nietzsche (1962), deux auteurs qui ne le quitteront pas et qui guideront sa propre démarche. C'est en 1962 qu'il rencontre Michel Foucault pour qui il eut « une admiration et une affection énormes » et à qui il consacrera un livre en 1986. Chargé d'enseignement à la faculté de Lyon, il publie en 1968-69 ses deux thèses « Différence et Répétition » et « Spinoza et le problème de l'expression ».
« Répéter, c'est se comporter, mais par rapport à quelque chose d'unique ou de singulier, qui n'a pas de semblable ou d'équivalent. »
En 1969 c'est la rencontre avec Félix Guattari et l'aventure à l'université Paris VIII Vincennes: « j'ai rencontré Félix. Il avait l'impression que j'étais en avance sur lui, il attendait quelque chose. (…)Mais je travaillais uniquement dans les concepts et encore de façon timide. Félix m'a parlé de ce qu'il appelait déjà les machines désirantes : toute une conception théorique et pratique de l'inconscient-machine, de l'inconscient schizophrénique. Alors, j'ai eu l'impression que c'était lui qui était en avance sur moi. ». Le premier fruit de cette collaboration fut l'Anti-Œdipe. Gilles Deleuze et Félix Guattari ont alors continué à travailler en commun. Non seulement en continuant leurs réflexions sur Capitalisme et Schizophrénie (Mille Plateaux) mais également en publiant en 1975 un livre sur Kafka et en 1991 Qu'est-ce que la philosophie ?
Deleuze fonctionne comme une boîte à outils dans laquelle chacun est libre de chercher et de trouver le concept-clef qui lui permettra de mieux nous comprendre. (« C'est ça une théorie, c'est exactement comme une boîte à outils. (…) Il faut que ça serve, il faut que ça fonctionne. ») A partir de ces concepts, il propose des solutions, des explications. Trois ans après mai 1968 (Anti-Œdipe), il présente ainsi le Désir comme clé de la servitude politique : « Non, les masses n'ont pas été trompées, elles ont désiré le fascisme, en telles circonstances, et c'est cela qu'il faut expliquer, cette perversion du désir grégaire. »
Il a conceptualisé mai 68 mais a toujours refusé l'engagement au nom de l'engagement. Seules les idées comptaient : « Les philosophes devraient dire aussi, et arriver à le faire : pas d'idées justes, juste des idées. Parce que, des idées justes, c'est toujours des idées conformes à des significations dominantes ou à des mots d'ordre établis, c'est toujours des idées qui vérifient quelque chose, même si ce quelque chose est à venir, même si c'est l'avenir de la révolution. Tandis que « juste des idées », c'est du devenir-présent, c'est du bégaiement des idées, ça ne peut s'exprimer que sous forme de questions, qui font plutôt taire les réponses. »
D'une culture impressionnante, il sait rendre ses concepts vivants par des exemples empruntés aux arts pour lesquels il s'est passionné. Ses écrits concernent aussi bien la littérature (Proust, Kafka…) que la peinture (La logique de la Sensation consacré à F. Bacon : « Contrairement à une peinture misérabiliste qui peint des bouts d'organes, Bacon n'a pas cessé de peindre des corps sans organes, le fait intensif du corps. ») ou le Cinéma auquel il a consacré deux volumes entiers. « Le cinéma ne reproduit pas des corps, il les produit avec des grains, qui sont des grains de temps. » Cette réflexion sur l'espace et le temps sera suivie de nombreuses interventions sur les réalisateurs et films qu'il affectionne. « Le cinéma procède à un auto-mouvement de l'image, et même à une auto-temporalisation. ». Rohmer, Dreyer, Bresson et surtout Godard le passionnent. Chaque création suscite le désir d'explication. Il crée et devient au travers des objets qu'il commente. Jusqu'au roman policier pour lequel il a consacré certains articles !
En ces temps troublés où l'Histoire semble se répéter, certaines de ses réflexions nous rappellent notre propre actualité : « On découvre plein de gens qui ne veulent pas qu'on les prive de leur guerre et qui considèrent un espoir de paix comme une catastrophe. »
Neuf ans après, Gilles Deleuze continue, par ces éditions préparées par David Lapoujade, à nous ouvrir sa boîte à outils.
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哲學
吉勒.德勒茲及概念的創造
〝哲學是形成、發明、創造概念的藝術。〞在《何謂哲學?》一書裡,德勒茲說他的生平和著作在於創造概念以助我們理解週遭的事物及自身的演變。
大衛.拉普扎德為德勒茲展覽策劃人及展覽小冊子撰寫人。他在子夜出版社出版的兩本集子裡,蒐集了德勒茲於一九五三年至一九七四年(《荒島》L'île déserte)及一九七五年至一九九五年(《兩個瘋子體制》Deux régimes de fous)期間先後在各種文集及報章發表的為數相當可觀的文章和訪談。他亦是威廉.詹姆斯和亨利.詹姆斯兄弟的研究專家,德勒茲的親密老朋友、巴黎第一大學教授,此次專程蒞臨香江舉辦有關德勒茲生平著作的展覽,該展現假嶺南大學舉行,展期至十二月底。
〝一個偉大的哲學家當為新概念的創造者:這些概念既超越普通思想的二元論,又予事物以新的真實性、新的分佈、奇特的界定。〞在《荒島》一書一篇有關柏格森(Bergson)的文章裡,我們可以看到德勒茲在而立之年便提出了哲學藝術的新觀念,從此終其一生不停地發展這一觀念。若言〝柏格森的名字與‘綿延'、‘生命衝動'、‘直覺'的定義融為一體,則德勒茲的名字便和‘根莖'、‘環境'、‘事件'及‘老調'分不開。〞
德勒茲於一九二五年誕生於巴黎,年輕時便對哲學懷有濃厚興趣。於卡爾諾中學 (Lycée Carnot) 畢業後,便於巴黎大學師從F.阿爾基耶(F. Alquié)、G. 康吉揚(G. Canguilhem)及J.伊波利特(J. Hippolyte)。他在大學裡認識了弗朗索瓦.沙特萊(François Châtelet)、米歇爾.比托爾(Michel Butor)、奧利維耶.勒沃.達洛納 (Olivier Revault d'Allones) 及米歇爾.圖尼耶(Michel Tournier) 等人。當時大學裡盛行的厚古之風沒能引起他的興趣。〝解放後,人們怪異地滯留在哲學史的探討中…… 我們好像一群小狗撲向一種繁瑣的經院哲學,這情景比中世紀還糟糕。所幸我們還有薩特。〞
一九四八年,他取得哲學教師資格,在幾所中學授課,後進入巴黎大學和國家科學研究中心 (CNRS)。他的早期著作探討休謨和經驗主義(1953)以及尼采(1962)。這兩位哲學家伴隨他終生並在他學問的荊途上為他指引。一九六二年,他遇見了米歇爾.福柯(Michel Foucault),對他〝十分欣賞和愛戴〞,並於一九八六年題贈他一本自己的著作。在里昂大學執教期間,他先後於一九六八年及一九六九年發表了兩篇論文:《差異與重複》(Différence et répétition)及《斯賓諾莎與表達問題》(Spinoza et le problème de l'expression)。
〝重複,即為運動,但它只和某種獨特、奇異,即非類似或等同的事物有關。〞
一九六九年他認識了費利克斯.加塔利(Félix Guattari),並於萬塞納的巴黎第八大學開始了他們的合作。〝我認識了費利克斯。他覺得我在學問上超越了他,並等待一些東西。 ⋯⋯其實我只是在研究概念,並且還相當謹慎。而他已經對我談起了他所謂的願望機器:這是一套關於機器無意識及精神分裂無意識的理論和實踐 上的完整觀念。我覺得是他超越了我。〞他們合作的第一份成果是發表了《反俄狄浦斯》(L'Anti-Œdipe)。此後,他們繼續合作。不僅對資本主義和精神分裂作了探討(《一千個平台》Mille plateaux),並於一九七五年發表了有關卡夫卡的著作,一九九一年發表了《何謂哲學?》(Qu'est-ce que la philosophie ?)。
德勒茲好比一個工具箱,每個人可隨意在裡面尋找並找到概念的鈅匙,幫助自己暸解世界。(〝這便是理論,它確實猶如一個工具箱…… 它應該為人服務,應該運作〞)。從這些概念出發,他提出答案和解釋。《反俄狄浦斯》發表於一九六八年五月,三年之後,他提出了〝慾望〞(le Désir)這一概念來解釋政治控制。他說:〝不,群眾並沒有上當受騙,在這樣一些情況下,他們渴望法西斯主義。而這點正是我們需要解釋的,這個邪惡的群體慾望。〞
他將六八年五月概念化 ,但總是拒絕以參與的名義參與。只有思想是重要的:〝哲學家也應說話並付諸於行。僅僅是思想,而非正義。因為正義是與主要涵義相符合又或者與確定的口號相符合的思想,總是一些檢視某些事物的思想,即使這些是未來的事物,是革命的前景。至於‘僅僅是思想',則是一種即時的演變,是一種思想的摸索,它只能以問題來表達,幾乎沒有答案。〞
他才學驚人,善於借助他酷愛的藝術令自己的哲學概念變得生動活潑。他的文字涉及面極廣,文學、繪畫、電影無所不包。他談論普魯斯特、卡夫卡。《感覺的邏輯》(La logique de la sensation)則是他論述畫家弗蘭西斯.培根的專著。書中他說:〝和一些只描繪人體器官的悲慘主義的繪畫截然相反,培根不停地描繪沒有器官的人體,描繪緊張扭曲的人體。〞而電影方面他也寫了兩部專著。〝電影不是再現人體,它是以膠片的顆粒、時間的顆粒來表現人體。〞在對時間和空間作了思考後,他又對喜愛的電影和導演作了許多評論。〝電影是以形象的自身運動、甚至是以自身的時間來進行的。〞羅默(Rohmer) 、德雷耶(Dreyer)、布烈遜(Bresson),尤其是高達(Godard)令他深深著迷。每部電影創作都激起他評論的願望。他創造並透過評論的事物在演變。他甚至還寫了一些評論偵探小說的文章。
在這個歷史似乎重複著的混亂時代,德勒茲的一些思考呼喚我們正視自身所處的世界:〝我們發覺許多人並不願意戰爭離他們而去,而將對和平的渴望視作一場災難。〞
九年之後,大衛.拉普扎德再版了哲人的著作,吉勒.德勒茲繼續為我們打開他的工具箱。
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