Philosophie
Texte : Eric Sacher

Jacques Derrida : le philosophe-déconstructeur et la fin d'un monde

Le 9 octobre dernier s'est éteint à Paris Jacques Derrida. Avec lui disparaît toute une époque de la philosophie française qui fit l'admiration d'une génération d'intellectuels, de tout un monde

Jacques Derrida demandait pardon par avance, s'excusait souvent auprès du lecteur pour ce qu'il considérait comme « l'impudeur » et « l'obscénité » de l'acte d'écrire. Ecrire, c'est se montrer nu, c'est se révéler aux autres. De fait, J. Derrida n'a jamais caché que sa propre vie, son expérience et ses impressions étaient intimement liées à sa pensée et à son écriture. Dans sa Circonfession, il révèle ainsi à quel point ses origines, juives, sont une marque de sa culture et de sa communauté, marque dont il ne peut se défaire et qui laisse sa trace dans tout ce qu'il a pu dire et écrire. Né en 1930 près d'Alger, il appartient à cette génération qui sera marquée par deux événements, Vichy et la guerre d'Algérie. Il se décrivait volontiers comme un produit post-colonial : « Tout ce que je fais, tout ce que j'écris a une certaine affinité de synchronie avec la post-colonialité. »

Sa vie entière sera consacrée à la philosophie. Elève à l'Ecole Normale Supérieure (ENS) en 1952, il passe l'agrégation de philosophie en 1956. Il fait son service en tant qu'enseignant en Algérie avant d'obtenir un poste d'assistant à la Sorbonne de 1960 à 1964. Devenu enseignant à l'ENS, il est élu en 1984 à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences-Sociales (EHESS). Son enseignement influencera profondément les universités anglo-saxonnes où il sera régulièrement invité toute sa vie durant. Dès 1975, il dirige un séminaire annuel à Yale. C'est sans doute là que réside le paradoxe Derridien : alors que l'Université française le boude (malgré sa renommée internationale, il ne sera jamais professeur au Collège de France), les universités américaines ne jurent que par la déconstruction, thème au cœur de l'héritage intellectuel de J. Derrida.

Qu'est-ce que la déconstruction ? « Il faut entendre ce terme de « déconstruction » non pas au sens de dissoudre ou de détruire, mais d'analyser les structures sédimentées qui forment l'élément discursif, la discursivité philosophique dans lequel nous pensons. Cela passe par la langue, par la culture occidentale, par l'ensemble de ce qui définit notre appartenance à cette histoire de la philosophie.»

J. Derrida est porté ainsi, sans le vouloir vraiment, à la tête d'un mouvement qui s'apparente plus au post-structuralisme qu'au structuralisme, privilégiant l'étude de l'écrit au “logocentrisme” de l'époque. Parallèlement, J. Derrida continue ses lectures publiques et ses écrits sur Nietzsche, Freud et surtout Heidegger. Son œuvre, immense, est d'une grande richesse. L'art (La vérité en peinture, Mémoires d'aveugle...), la littérature (Signéponge, Qu'est-ce que la poésie ?...), la politique (Spectres de Marx…), le droit et les relations internationales (Le Concept du 11 septembre…), tout semblait devoir être analysé, déconstruit. Tout fut l'objet de livres, de lettres, d'entretiens, d'articles, de reportages ou de documentaires télévisés. Comme s'il souhaitait ne laisser aucun aspect du savoir humain délaissé ou déserté par la pensée philosophique.

J. Derrida n'est pas à proprement parler un philosophe engagé mais plutôt un engagé en philosophie. Il a pris part aux travaux du Groupe de Recherche sur l'Enseignement de la Philosophie (GREPH), aux Etats généraux de la Philosophie en 1979 et surtout il fonde en 1983 le collège international de philosophie, institution atypique désormais bien installée dans l'univers intellectuel français et même international. Il choisit ses combats en fonction de ses réflexions, craint toute récupération et cherche avant tout à rester libre. D'où sa méfiance envers une certaine forme de bien-penser qui exigerait finalement une uniformité dangereuse de la réflexion philosophique. Il a été aux côtés des dissidents tchèques et préside en 1981 l'association Jean Hus. A cette occasion, il fait même de la prison ! Plus récemment, il a soutenu le Comité International de Soutien aux Intellectuels Algériens (CISIA). Ce n'est nullement un hasard si ces causes concernent toutes la liberté de pensée.

Cette liberté, il en a usé pour comprendre, pour décortiquer, pour déconstruire le monde dans lequel nous vivons. On a tant besoin de comprendre l'incompréhensible. Dans Le concept du 11 septembre (éditions Galilée), J. Derrida propose la définition suivante du « philosophe » contemporain : « …je serais tenté d'appeler philosophe, dans l'avenir, quiconque réfléchit de façon responsable à ces questions et demande des comptes à ceux qui ont en charge la parole publique, le langage et les institutions du droit international. Est « philosophe » (je préférerais dire « philosophe-déconstructeur ») celui qui tente d'analyser, pour en tirer des conséquences pratiques et effectives, le lien entre les héritages philosophiques et la structure du système juridico-politique encore dominant et visiblement en mutation. Est « philosophe » celui qui cherche une nouvelle critériologie pour distinguer entre « comprendre » et « justifier ». » C'est ce philosophe-déconstructeur que J. Derrida s'est toujours donné comme modèle.

Parmi les questions qui lui étaient chères se trouvait toujours en filigrane celle du temps. L'un de ses concepts-clés était ainsi celui de « différance » que Vincent Descombes dans Le Même et L'Autre tente de définir de la manière suivante : « Cette différence originaire, Derrida la nommera plus tard différance, mot où il faut entendre les deux sens du verbe « différer », lequel signifie sans doute « ne pas être identique » (on dira, par exemple, que le présent diffère de lui-même), mais aussi « remettre à plus tard » (et on dira que le présent est toujours un présent « différé », que c'est toujours demain qu'il sera un présent pleinement présent). C'est cette différance qui produit, entre autres effets, l'histoire. Il y a histoire, parce que dès l'origine, le présent est comme en retard sur lui-même. » Cette réflexion sur le temps, J. Derrida a pu l'appliquer à nos sociétés et à nos peurs contemporaines en essayant par exemple de comprendre le traumatisme qu'a pu créer le « major event » du 11 septembre : « Il y a traumatisme sans travail de deuil possible quand le mal vient de la possibilité à venir du pire, de la répétition à venir mais en pire. Le traumatisme est produit par l'avenir, par la menace du pire à venir plutôt que par une agression passée et « finie ».

Derrière cette réflexion sur et par le temps, se glisse fondamentalement une quête du sens de la vie et de la mort : « La mort toujours imminente, la mort impossible et la mort déjà passée, voilà trois certitudes apparemment incompatibles mais dont l'implacable vérité nous fait don de la première provocation à penser ».

Avec J. Derrida, c'est un monde qui s'en va, toute une génération d'intellectuels. Est-ce à ce monde, à son monde, qu'il pensait lorsqu'il écrivait à propos de la disparition de G. Deleuze : « Chaque mort est unique, sans doute, et donc insolite, mais que dire de l'insolite quand, de Barthes à Althusser, de Foucault à Deleuze, il multiplie ainsi dans la même « génération », comme en série toutes ces fins hors du commun ? » ? Lui qui comparait la mort de chacun à la fin du monde a emporté le sien, le nôtre avec lui. A la disparition de Louis Althusser, il écrivit ce mot : « Ce qui prend fin, ce que Louis emporte avec lui, ce n'est pas seulement ceci ou cela, que nous aurions partagé à un moment ou à un autre, ici ou là, c'est le monde même, une certaine origine du monde, la sienne sans doute mais celle aussi du monde dans lequel j'ai vécu, nous avons vécu une histoire unique. »

Le philosophe de l'Hospitalité et de l'amitié nous a donc quittés, emportant avec lui sa génération, nous laissant seul avec cette fin du monde, notre fin du monde.

哲學

雅克‧德里達 :
解構主義哲學家及一個世界的終結

雅克‧德里達於去年九月十日於巴黎逝世了。隨著他的離去,那為一代知識份子,整整一個世界所讚賞的法國哲學時代也宣告結束。

雅克‧德里達經常事先向他的讀者致歉,要求原諒他視為〝厚顏〞、〝猥褻〞的寫作行為。寫作,這便是渾身赤裸展示給讀者。確實如此,德里達從來都不隱藏自己的生活、人生經驗、感受都是和他的思想和寫作緊密聯繫一起的。在他的《割禮懺悔》(Circonfession)一書裡,他透露自己的猶太人出身是怎樣成了他的文化素養、他的社交、他的哲學源頭的標記,他無法擺脫這一標記,從此,在其言談及所寫的一切文字裡頭都留有這一印記。他於一九三零年出生於阿爾及爾,屬於受兩個事件:維希政權及阿爾及利亞戰爭影響的一代人。他視自己為後殖民主義的產物。他說:〝我所做所寫的一切均和後殖民主義有某種親密的同時性。〞

他將一生貢獻給哲學。一九五二年,他是高等師範學校的學生,一九五六年獲哲學教師資格。兵役期裡,他在阿爾及利阿執教。一九六零年至一九六四年期間任巴黎大學助教。後轉入高等師範學校任教,並於一九八四年榮選為高等社會科學研究學校(EHESS)成員。他的教學深深影響了盎格魯──撒克遜高等學府,在他一生裡,常被邀請赴英倫講學。自一九七五年起,他主持美國耶魯大學的年度學術研討會。就這樣,出現了一種德里達式的反常現象:法國大學對他不滿(雖然他享有國際聲譽 ,但從來都不是法蘭西學院(Collège de France的教師),而美國大學則只看重他的解構主義思想,這是德里達哲學遺產的核心。

何謂解構主義?〝對於‘解構主義'這一術語,不應從分解(dissoudre)或摧毀(détruire)意義上理解,而應從分析構成推論因素的沉淀結構,即我們在其中思想的哲學推論上理解。而這由語言、西方文化以及由確定我們所屬的哲學史所構成。〞德里達就這樣身不由己地成了與當時流行的結構主義相抗衡,至少保持距離的一場運動的領袖。與此同時,他繼續公開講演,繼續撰寫有關尼采、弗洛伊德尤其是他竭力維護的海格德爾的著述。他的著作博大精深、內容充實。藝術方面,如《繪畫的真實》(La vérité en peinture)、《一個盲人的回憶》(Mémoires d'aveugle)等,文學方面有《Signéponge》、《何謂詩歌?》(Qu'est-ce que la poésie ?)等,政治方面如《馬克思的幽靈》(Spectres de Marx)等,還有法律和國際關係方面的著作,如《九月十一日觀念》(Le Concept du 11 septembre)。一切事物彷彿都應被分析、解構。一切事物都成了他著作、書信、訪談、文章、報告或電視紀錄片的主題。他彷彿希望人類知識任何方面都不被哲學思想所忽略、遺棄。

德里達嚴格來說不是一個介入社會的哲學家,但對哲學卻全情投入。他參加了哲學教學研究組(GREPH)的工作,一九七九年哲學總情況的調查。尤其於一九八三年建立了國際哲學學院,這是在法國甚至國際知識界一所非典型的學府。他根據自己的思維進行戰鬥,害怕任何操縱,總是尋求自由。因此他對某種正統思想形式總是存有戒心,因為這最終導致哲學思想危險的單一僵化。他站在捷克持不同政見者一邊,一九八一年主持了約翰.胡斯協會,並因此鎯鐺入獄。更近一些時期,他支持國際支援阿爾及利亞知識份子委員會(CISIA)。他所做的一切都與思想自由有關,這非偶然。

這個自由,他利用來理解、分析、解構我們生存的世界。我們是多需要理解不可理解的東西。在其《九月十一日觀念》(伽利略出版社)一書裡,德里達對當代哲學家作了以下定義:〝對將來的哲學家,我試著這樣來定義,即他以負責的態度對這些問題進行思考,對那些於公眾言論、國際法語言和制度負有責任的人問責。那試圖在哲學遺產與現有的佔統治地位、而又明顯地在變化中的法政制度結構之間的聯繫作分析以取得實際與有效成果的人是哲學家(我更喜歡‘解構主義哲學家')。那尋求真理基本標準論以便分清‘理解'與‘證明'的人是哲學家。〞德里達本人便是這個〝解構主義哲學家〞的楷模。

在他所重視的諸多問題中,有一個若隱若現的時間問題。他的主要哲學觀念之一為〝緩別〞(différance)。樊尚.德孔布(Vincent Descombes)在其著作《同一個與另一個》(Le même et l'autre)裡,嘗試以下列方式〝緩別〞對定義:〝這個原始的差別,德里達稍後將它稱作〝緩別〞,這個詞應對動詞‘différer'作兩種解釋。其一是‘不相同'(譬如說‘現在'有別於它本身);其二為‘推遲'(譬如說‘現在'總是‘延緩的現在',而‘明天'才是真正意義上的‘現在')。正是這‘緩別',除其他作用外,創造了歷史。之所以有歷史,那是一開始,‘現在'就彷彿自身遲到了一樣。〞對時間的這種思考,德里達將它運用到對當代社會、當代人的恐懼的理解上。例如對〝九一一恐怖襲擊〞所帶來的精神創傷,他試著作以下的解釋:〝當災難來自未來的更壞的可能,以更壞的方式重複,則這種精神創傷是不能透過悼亡追思得到醫治的。精神創傷來自‘未來',來自‘未來'的更壞的威脅,而非來自過去的、‘既成事實'的傷害。〞

在這個對時間及用時間所作的思考後面,有對生命和死亡的根本探究:〝總是逼近的死亡、不可能的死亡及已成過去的死亡,這便是三種表面不相容的確實性,但這個無可改變的事實 ,是啟動我們思考的契機。〞

隨著雅克.德里達的離去,這是一個世界、一代知識份子的消失。對吉勒.德勒茲的死,他寫下以下的文字時,想到的可是這個世界,他的世界?他寫到:〝也許,每個死亡都是獨特的,因此也是不尋常的。然而,從巴特(Barthes)到阿爾圖塞(Althusser),從福科(Foucault)到德勒茲(Deleuze),不尋常在同‘一代'人身上重複著,一系列的不同凡響的死亡。這不尋常究為何物?〞他將他們每個人的死亡比作一個世界的結束,他的死亡也帶走了他的世界以及我們的世界。路易.阿爾圖塞逝世時,他寫道:〝結束的,隨著路易的死亡他帶走的,不僅是我們在一個時候或另一個時候,此處或彼處可能共同享有的這些或那些,而是世界本身,是某種世界之源,可能是他的世界之源,但亦是我們在其中生活過、經歷過一個獨特歷史的世界之源。〞

哲人其萎,這位好客友善的哲學家,帶著他的一代人離我們而去,拋下我們獨自面對這個世界的結束,我們的世界的結束。