Littérature
Texte : Eric Sacher

Claude Simon et l’art de la parenthèse

Le prix Nobel de Littérature consacré en 1985 s’est éteint vingt ans après, le 6 juillet 2005. Son nom restera le symbole même du Nouveau Roman, une révolution toute littéraire accompagnée par Jérôme Lindon aux éditions de Minuit et à laquelle participèrent ses compagnons Robbe-Grillet, Nathalie Sarraute, Michel Butor. Voyage au centre de l’Ecriture.

Disparu, parti (ailleurs, au-delà, nulle part ?), Claude Simon nous a quittés. La mort, pourtant, il la connaissait. Elle le hantait avec ces lambeaux de chair laissés au fil des guerres (la première guerre mondiale où son père le laissa orphelin, la guerre civile en Espagne en 1936 et la deuxième guerre mondiale dont il fut un des combattants). L’écho de ces guerres et de ces morts s’entend dans tous ses romans (L’Acacia pour son père ; Les Géorgiques pour l’Espagne, La Route des Flandres pour la drôle de guerre). L’odeur de notre disparition certaine, cette terrible odeur des générations perdues par les tueries et la folie des hommes, transpire à travers ses écrits où notre fragile civilisation semble condamnée par le non-sens de l’Histoire, capable de ne créer que des cadavres.

« Comme si elles se tenaient toujours là, mystérieuses et geignardes, quelque part dans la vaste maison délabrée, avec ses pièces maintenant à demi vides où flottaient non plus les senteurs des eaux de toilette des vieilles dames en visite mais cette violente odeur de moisi de cave ou plutôt de caveau comme si quelque cadavre de quelque bête morte quelque rat coincé sous une lame de parquet ou derrière une plinthe n’en finissait plus de pourrir exhalant ces âcres relents de plâtre effrité de tristesse et de chair momifiée » (Histoire)

Cet échec de l’homme, né pour mourir, né pour tuer ou être tué, Claude Simon le connaît bien. Orphelin très tôt, il a dû quitter Madagascar où il est né le 10 octobre 1913. Il lui en restera des paysages et des photos qu’il décrit dans L’Acacia et que ceux qui sont nés à Madagascar reconnaîtront sans doute: « un fouillis de fougères arborescentes, de feuillages géants, vernis, charnus, rainurés, pendant en grappe, s’éparpillant, festonnés, gaufrés, striés, déchiquetés, aériens, s’entremêlant, se bousculant, entourant d’un cadre exubérant une muraille de roche, une cascade… ».

Il effectue ses études à Perpignan puis à Paris. Il suit les cours de l’académie de peinture André Lhote. Sa passion pour la peinture n’est pas étrangère à ce qui deviendra sa propre vision du roman. Ses œuvres fonctionnent par l’ajout successif de touches, de détails, presque invisibles ou incompréhensibles à qui garde son œil collé au tableau, mais qui révèlent tout leur sens à qui sait prendre du recul, voir l’œuvre dans son ensemble avec ces liens si subtils qui lient chaque coup de pinceau. Les romans de Claude Simon sont tout en prismes, tout en reflets. « Je pense beaucoup mieux en termes d’art qu’en termes de littérature. C’est que je ne suis pas un intellectuel mais un sensoriel. Je suis très concret. »
Le concret, c’est l’acte d’écrire. Le présent de l’écrivain entrain d’écrire, dans l’acte même de l’écriture. D’où cette impression, dans les œuvres de Claude Simon, de labyrinthes sans fin dans lequel le lecteur prend plaisir à se perdre et à se retrouver. C’est que l’auteur lui-même se cherche, cherche son roman dans la profondeur de ses souvenirs, il semble se laisser emporter par le pouvoir créateur de sa plume. La vie n’est pas faite d’une seule histoire mais d’un flot continuel de souvenirs qui se coupent et se recoupent. « Ecrire, c’est avant tout réussir à faire surgir des images communiquer des sensations »

La parenthèse devenue roman
Chaque expérience nous replonge dans une expérience antérieure et construit une mémoire future. Claude Simon a voulu ses romans à l’image de la vie, à l’image de ce flot continuel de pensées qui nous traversent. La vie guide l’auteur, comme étonné lui-même par la liberté de ses personnages, sans cesse changeants et dont il peine à reconnaître chaque trait. Les parenthèses à son propre discours s’interrogent sur ses propres personnages, rajoutent des détails survenus brusquement, rappelés dans une mémoire oubliée. Cet art de la parenthèse, c’est le roman qui se construit sous nos yeux, la réalité qui se construit et se défait devant le lecteur. C’est l’homme qui, emporté malgré lui par la vie, doute de lui-même.

« (…) se rendant compte qu’il n’était plus du tout essoufflé depuis un moment déjà quoiqu’il restât toujours planté devant la porte sans se décider à entrer, et un moment plus tard encore se rendant compte qu’il ne pourrait même jamais se décider à entrer, restant pourtant là à s’engueuler sans pouvoir non plus se décider à partir, puis (non pas la prudence, ni la peur, mais comme une sorte de poids qui lui serait brutalement tombé dessus ou lui (corps et esprit) pesant tout à coup cent fois son poids, impossible à mouvoir, comme si la fatigue ou l’accablement qu’il avait oublié (ou combattus, ou négligés) tandis qu’il remontait en courant l’avenue, discutait avec la garde, jouait des coudes dans le hall, refluaient maintenant, dans le silence du corridor seulement troublé par le crépitement assourdi des machines à écrire qui parvenait à travers les portes, insurmontables annihilant toute volonté et toute velléité de révolte, en même temps que quelque chose de nouveau en lui, (…) » (Le Palace)

Révolutionnaire du roman, Claude Simon n’a jamais voulu l’être dans la vie. A l’opposé de Jean-Paul Sartre, le concept de « l’art pour l’art » a plus de sens pour lui que celui de « littérature engagée ». Quand son esprit novateur fut consacré par le Prix Nobel en 1985, il l’accepta comme une reconnaissance de sa contribution à la Littérature du XXème siècle.
Non engagé ne veut pas dire indifférent. En 1936, à Barcelone, il vit la guerre d’Espagne de l’intérieur, une guerre qu’il évoque dans Le Palace mais plus particulièrement dans Les Géorgiques. Cavalier en 1940 sur le front belge, la guerre autant que la défaite le marquèrent (La Route des Flandres). Son engagement se fait discrètement. Par touches successives, comme toujours. Pas par éclat. Connaissant les erreurs commises par les français à Madagascar en 1947, il a dénoncé les excès coloniaux de cette France qu’il aime « pour le meilleur et malgré le pire ». Il signe « le manifeste des 121 » et intervient au procès Jeanson contre la guerre d’Algérie. Mais sa révolution reste celle des Lettres.

Avec Claude Simon entre en littérature, le refus de la linéarité du roman. Le nouveau roman se libère des conventions. Il se libère du point et de la majuscule pour les remplacer par la virgule, par la parenthèse. De solide, le roman devient liquide. Rien ne doit pouvoir contrer le flot des différents souvenirs qui se rencontrent et s’entrechoquent. Le roman était (H)istoire, le nouveau roman est histoire(s). Claude Simon nous a laissé en héritage sa vision de l’Histoire, sa conception du roman, ses formidables parenthèses à lire et à relire. Quant à lui, il vient de refermer sa dernière parenthèse, celle qui nous attend tous, celle de la vie.

文學

克洛德.西蒙及插入語的藝術

一九八五年諾貝爾文學獎的一盞明燈二十年後,即二零零五年七月六日熄滅了。他的名字永遠是新小說的象徵,他進行了一場文學革命,子夜出版社(Edition de Minuit)的熱羅姆.蘭東(Jérome Lindon)一直陪伴著他,還有他的戰友羅伯-格里耶(Robbe-Grillet)、娜塔麗.薩洛特(Nathalie Sarraute)、米歇爾.布托爾(Michel Butor)。這是一場深入文學堂奧的探索。

消失了,走了(在別處,在彼世,茫茫不知何方?)克洛德.西蒙離我們遠去了。然而他對死亡並不陌生。連連戰爭的血肉模糊的猙獰面目纏繞著他(第一次世界大戰奪走了父親的生命,令他成了孤兒;一九三六年的西班牙內戰及二次大戰,他參與其中,奮戰沙場)。在他所有的小說裡,都震蕩著戰爭與死亡的迥響(《百年槐樹》獻給父親,《農事詩》(Les Géorgigues)獻給西班牙,《弗蘭德爾公路》(La Route des Flandres)則獻給可笑的戰爭)。從他作品的字裡行間散發出我們命定的死亡的氣息,這因人類的瘋狂和互相殺戮而犧牲了的幾代人的可怕的氣息。在他的作品裡,我們脆弱的文明彷彿被歷史的荒謬判了死刑,只知道製造死屍。

“她們彷彿總是在那兒,在搖搖欲墜的寬敞的大屋的某處。屋裡那些現在幾乎空蕩蕩的房間裡,瀰漫著在空氣裡不再是那些來訪的老婦身上散發出的香水味,而是從地窖裡或墓穴裡散發出來的霉氣,好像一具動物的屍體或地板縫、牆腳邊一隻腐爛著的死老鼠身上發出的、像被憂郁碾成粉末的石膏或乾癟的死肉的嗆人的惡臭。”(《歷史》(Histoire)

生為了死,為了殺戮和被殺戮,這個人類的失敗,克洛德.西蒙非常明白。他很早就成了一名孤兒。一九一三年十月十日,他出生於馬達加斯加,後來不得不離開出生地,只帶著一些當地的風景畫和照片。在他的小說《百年槐樹》裡有精彩的描寫,出生在馬達加斯加的人當可辨認:“一座蓊郁蔥蘢的喬木林,寬大、油亮、肉質、開槽的樹葉,成串成串地垂下,向四週散開,有花邊的、凹凸花紋的、條紋狀的、有缺刻的、輕盈的,茂盛的樹葉纏繞交織一起,一條油油的綠帶圍繞著一座岩石的高牆,一個瀑布……”

他先在佩皮尼昂(Perpignan)求學,後轉往巴黎。他在安德烈.洛特美術學院聽課。他對繪畫的熱愛影響了他的文學創作,形成其獨特的小說觀。他為作品連續不斷地加上筆觸和細節,對於那些把眼睛緊貼畫布的人而言,幾乎察覺不到或不可理解;而對於那些懂得後退一步,欣賞畫的整體,欣賞那把每一筆觸如此微妙地聯繫起來的人,則一切盡顯其義。克洛德.西蒙的小說是五光十色的三稜鏡,光影交錯。他說:“我用藝術語言思考比用文學語言思考更覺自在。這是因為我不善於思考。卻善於感覺。我的思維十分具體。”

所謂具體,即寫作的行為。正在寫作的作家,寫作的行為本身。因此在克洛德.西蒙的作品裡,有一種走不完的迷宮的印象。讀者在其中迷失方向,復又重逢,樂在其中。這是因為作者本人亦在尋找自己,在回憶的深處尋找小說,他彷彿聽任其富創造力的神來之筆的擺佈。生活不是由一個故事構成,而是由剪輯又剪輯、不斷湧現的許多回憶所構成。“寫作,首先是創造形象,傳遞感情。”

插入語變成小說每個經驗都令我們重新陷入以往的經驗中,並形成未來的記憶。克洛德.西蒙決意讓自己的小說成為生活的寫照,成為我們腦海裡源源不絕的思想的寫照。生活引領著作者,他自己也為自己創作的人物的自由自在、不斷地變化而感到驚訝,並難於辨認出他們的每個特徵。插入語按照他的意思探詢著人物,突然又加上從忘卻中喚醒的細節。這種插入語的藝術,便是在我們眼前形成的小說,在讀者面前形成又解體的事實。這是身不由己、為生活所驅策的人對自己的懷疑。

“……雖然他一直站立在門前,決定不了是否進去,但他意識到自己已不再氣喘吁吁。再過一陣子,他發覺自己是永遠決定不了是否進去的了。然而他仍站在那兒,謾罵著,也決定不了是否離去。接著,不是謹慎,亦非恐懼,一種莫名的重量猛然壓在他身上,又或者他連靈帶肉一下子增加了百倍重量,令他動彈不得。當他沿著林蔭大道往上奔跑、和女護理爭論、在大堂裡用肘推擠而忘卻(或戰勝或忽略)了的疲憊、沮喪,現在又湧回到寂靜的、只被由門後傳出來的沉悶的打字機聲音擾亂了的走廊裡,不可克服,將一切反抗的意志、念頭以及他心中任何新的意念都化為烏有……”(《豪華大酒店》(Le Palace)

克洛德.西蒙在小說領域裡是一位革命家,但在生活中他從來都不想成為一個革命者。和讓─保爾.薩特相反,對他而言,“為藝術而藝術”遠比“傾向文學”更有意義。一九八五年,由於他的創新精神而榮膺諾貝爾文學獎時,他欣然接受,認為這是承認了他對二十世紀文學所作的貢獻。

不介入並不意味著無動於衷。一九三六年,他在巴塞羅那親歷了西班牙內戰,對這場戰爭他在《豪華大酒店》,尤其是《農事詩》裡均有描述。一九四零年他是一名騎兵,在比利時前線作戰。戰爭和失敗都影響了他(《弗蘭德爾公路》)。他的參與是謹慎的。如同他一向的行事作風 ,循序漸進。不作驚人之舉。認識到一九四七年法國人在馬達加斯加所犯的錯誤,他毅然起來對這個“雖然糟糕卻為其美好”而深愛著的法國的殖民主義暴行進行揭露。他在《121人宣言》上簽了名,並參與了讓松(Jeanson)一案的訴訟,反對阿爾及利亞戰爭。不過他的革命畢竟只限於文學。

克洛德.西蒙否定了小說的直線敘述。新小說從陳規俗套中解放出來。它擺脫了句號、大寫,代之以逗號、括弧。小說從僵化轉為流暢。沒有任何東西可阻擋那相遇相撞、紛至杳來的種種回憶。小說是大歷史的小故事,新小說即是這無數的小故事。

克洛德.西蒙為我們留下了他的歷史觀、小說觀,他精彩的、叫人一讀再讀的插入語。而他自己則剛剛關上圓括弧,這個等待著人人的、生命的圓括弧。