Art et Histoire
Texte : Frank Vigneron
I LIKE HONG KONG
Cette célèbre ritournelle des années 60, chantée en anglais par Poon Dik-wa 潘迪華 qui apparaît d'ailleurs souvent dans les films de Wong Kar-wai, pointe assez précisément vers les problèmes qu'une identité culturelle hongkongaise doit poser. Celle-ci repose-t-elle vraiment sur le poncif « East meets West » qui a collé à la peau de Hong Kong pendant des décennies ou bien provient-elle exclusivement d'un fond Chinois qui n'aurait été que masqué par l'occupation britannique. Outre le fait que j'ai personnellement toujours connu cette chanson (mes parents avaient acheté ce disque lorsqu'ils ont habité sur l'île dans ces mêmes années soixante), je ne peux m'empêcher d'y associer une certaine nostalgie pour un passé vécu par eux avec une passion qu'aucun autre endroit n'avait su éveiller. Je mets donc cette chansonnette en exergue de ce chapitre final qui traitera principalement des rapports entre une identité culturelle hongkongaise et les artistes demeurant dans la zone économique spéciale. De même, cette chanson en exergue devrait clarifier le fait que, quelle que soit ma proximité à la culture de Hong Kong, c'est en tant qu'observateur regardant de l'extérieur que je témoigne ici. Cet article a donc été écrit à l'origine en guise de témoignage pour d'autres observateurs externes, ceux que je connais sans doute le mieux, c'est-à-dire mes compatriotes français, et il devrait ainsi montrer ce qui éveille l'attention des étrangers du territoire ayant un intérêt plus que passager pour ce qui s'y passe.
Les termes « identité culturelle » sont encore très problématiques à Hong Kong, puisque tant de personnes n'acceptent même pas son existence, mais il est aussi admis comme une évidence par une autre, et certainement plus importante, portion de la société hongkongaise. Cette identité, comme tout autre identité culturelle, est toujours en plein changement et un témoin des constantes transformations du territoire verrait et sentirait des attitudes et des états d'esprits différents à des moments différents. Il n'est jamais aisé de définir précisément ces caractéristiques et on ne peut espérer en faire un portrait qu'à un point donné dans le temps. Cependant, les changements prennent du temps à se produire et il est quand même possible de faire une esquisse, peut-être un peu floue puisque son sujet est toujours en mouvement, d'une identité culturelle hongkongaise au début du vingt et unième siècle.
Même si les différences entre un art élevé et un art populaire tendent à disparaître dans le contexte global, il faut cependant accepter la notion qu'une certaine forme de production artistique occupe encore le champ de la culture haute, ne serait-ce que parce qu'elle est dédiée à une portion assez étroite de la société. S'il faut accepter cette dichotomie, la culture à Hong Kong prend le plus souvent une forme ludique adressée au public sous forme de films, de productions télévisuelles, de bandes dessinées et de nourriture : toutes formes qui sont encore généralement considérées comme relevant de la culture populaire. C'est alors que l'identification d'une certaine forme de production artistique à un art élevé commence à faire plus de sens, car ce que le public peut trouver seulement dans les galeries (commerciales ou publiques) est encore destiné à une infime portion de la société hongkongaise, même si les promoteurs de cette forme d'art passent de plus en plus de temps à essayer de la faire accepter à un public plus large en essayant justement d'effacer la dichotomie entre art élevé et art populaire. Un nombre croissant d'artistes locaux explorent ainsi les coutumes locales qui sont apparues progressivement sur le territoire depuis une centaine d'années.
Avant de continuer, il faudrait se débarrasser une fois pour toute de ce cliché imbécile qui veut qu'à Hong Kong « l'occident rencontre l'orient ». Ce stéréotype ne résiste en réalité pas à un minimum d'analyse car l'occident tout comme l'orient ne sont que des mots pratiques servant à nommer deux zones géographiques et donc deux zones d'influence culturelle distinctes, mais ni l'un ni l'autre ne peut représenter la richesse culturelle de ces zones. En réalité, les utiliser sans un minimum de réflexion ne peut que mener à un gommage dramatique d'un nombre énorme de caractéristiques culturelles. Je voudrais donc prendre ici deux exemples qui me sont familiers : la France et la Chine.
En dépit de sa petite taille et de son apparen te unité culturelle, la France (que Pierre Daninos voyait non pas « formée de 40 millions de Français » mais « divisée en 40 millions de Français) est en fait partagée en un nombre important de traditions et de formes de la langue française qu'il serait vain de vouloir décrire ici. Le sens de fragmentation culturelle qui fut si bien décrit dans le contexte théorique du postmodernisme par des auteurs comme Jean-François Lyotard et Gilles Deleuze peut ainsi être trouvé aussi dans le renouvellement de la notion de dialecte, terme qui est rejeté par de nombreux linguistes de nos jours car s'appuyant trop, sinon exclusivement, sur des préceptes politiques. Louis-Jean Calvet, dans Linguistique et Colonialisme, par exemple le rejette d'emblée car tout moyen d'expression orale ou écrit est une langue en soi et le provençal, par exemple, est tout autant une langue que l'italien si on ne se borne pas à le voir seulement d'un point de vue politique et nationaliste.
Quant à la Chine, et malgré les énormes efforts que le gouvernement de la République Populaire de Chine fait pour garder une cohésion culturelle qui apparaît de plus en plus difficile à maintenir, il ne faudrait pas oublier qu'elle est aussi faite d'une énorme variété de langues, de climats, de coutumes locales et d'habitudes alimentaires qui ne permettent pas de voir une quelconque unité. Mais le discours tenu par le pouvoir politique en Chine depuis le premier empereur et le fait que le chinois écrit soit compréhensible à l'ensemble des Chinois alphabétisés a certainement pu masquer cet état de fait. Il suffit d'ailleurs de regarder un peu dans le passé, la période des Royaumes Combattants pour être plus précis, pour voir que ce pays n'a pas toujours montré l'unité politique qu'il semble vouloir récupérer à toute force. De plus en plus, les langues locales de la Chine continentale sont utilisées dans des médias qui leur étaient refusés il n'y a pas si longtemps et un ami m'a récemment parlé d'un dessin animé américain (Tom et Jerry) doublés en sichuanais pour les programmes de la télévision de Chongqing (Merci à David Palmer de la branche hongkongaise de l'EFEO (Ecole Française d'Extrême-Orient) pour cette information). Un tour à Taiwan vous montrera de même que le taiwanais est parlé de plus en plus dans des situations autrefois réservées au mandarin.
Si cela est vrai pour la France et la Chine, aucun pays ne semble échapper à cette tendance, ce qui est d'ailleurs à l'origine d'un grand nombre de tensions politiques dans le monde. Ce qui peut paraître contradictoire, c'est-à-dire que la globalisation économique semble s'accompagner d'un morcellement culturel de plus en plus grand, ne l'est que superficiellement. C'est en fait dans un monde où les échanges sont de plus en plus fréquents à une échelle internationale que les gens comprennent plus clairement les caractéristiques uniques qui forment leur héritage culturel local. Dans mon cas par exemple, je ne me suis jamais senti aussi Français que depuis que je vis à Hong Kong, même si je serais bien en mal de définir clairement ce qu'être Français veut dire, car des milliers de détails et d'attitudes de la part des gens qui m'entourent ne cadrent pas avec les milliers de détails et d'attitudes que les Français pratiquent en France.
Il ne serait peut-être pas trop exagéré de penser que ce globe « mondialisé » ressemble un peu à une version maligne de l'anarchie par Pierre-Joseph Proudhon (1809-1865), c'est-à-dire un monde fédéralisé dans lequel les frontières ont été abolies, l'autorité décentralisée entre des associations de localité et des contrats entre elles remplaçant les lois. Substituez à ces communautés d'hommes libres des conglomérats internationaux dont le seul but est de faire des profits et vous aurez une assez adéquate définition de la mondialisation. Et pourtant, on pourrait se prendre à rêver : peut-être que, grâce au renouveau d'un morcellement culturel, le capitalisme s'épuisera un jour en lui-même et ressortira de l'autre côté en un nouvel humanisme, peut-être que les désastres humains actuels, combattus avec beaucoup de sens et de courage par une portion de ces groupes activistes appelés alter-mondialistes, ne sont que les douloureux soubresauts d'un serpent changeant de peau. C'est sans doute croire un peu trop en la théorie de la libération, chère aux Marxistes de l'école de Frankfurt, et je ne suis pas si naïf qu'il me faille croire en une téléologie historique car je n'ai jamais pensé que le progrès puisse se voir comme une amélioration sans fin de la condition humaine. Mais, qui sait, le futur de cette mondialisation dans le domaine culturel sera peut-être plus riche et moins douloureux qu'il ne l'est maintenant.
Selon ces alter-mondialistes, et je ne peux qu'approuver, la mondialisation économique doit reposer sur des cultures locales de plus en plus différenciées pour être viable. Très peu de gens approuveraient l'idée d'une globalisation culturelle ne reposant que sur un nivellement des traditions au niveau d'une culture populaire occidentalisée et vendable à tout le monde. La diversité devrait toujours être encouragée à travers des projets tels que l'éducation d'une population sur sa culture locale. De plus, puisque la culture est médiatisée à travers la langue, et puisqu'il a étéprouvé bien souvent que le multilinguisme est en fait bénéfique au développement des enfants, il n'existe en réalité aucune raison de ne pas encourager les populations à utiliser les langues locales en même temps qu'une ou deux autres langues étrangères (et des pays comme la Suisse ou la Belgique, où une vaste majorité parle deux ou trois langues en plus des langues locales montre à quel point ce projet est viable). Hong Kong, avec sa langue propre et dans un contexte géographique et économique en pleine mutation, c'est-à-dire le delta de la Rivière des Perles, est un laboratoire particulièrement fertile pour l'observation d'une culture locale et de ses rapports avec la mondialisation.
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藝術與歷史
我愛香港……
這首六十年代由潘迪華用英文演唱,經常出現在黃家衛電影裡的,大家耳熟能詳的歌曲,相當精確地提出香港文化認同所遭遇的問題(註)。這個文化認同是基於幾十年來像標籤似地貼在香港身上的〝中西文化交匯〞的老生常談,抑或純粹來自英國殖民統治未能動搖的深厚的中華文化根基?我對這首歌非常稔熟(六十年代我父母旅居香港時,買了錄有這支歌的唱片),更由於父無的關係,對它有一份難於抑制的懷舊之情。這種情懷,是任何一個地方都無法激起的。我將這首歌的歌詞置於最後一篇文章的開頭作題詞。本篇主要談及香港文化認同與居住於經濟特區的藝術家之間的關係。同樣,這首作為題詞的歌意在道明,本人雖對香港文化相當熟悉,但我是作為一個局外人來見證香港的。撰寫這篇文章的初衷是代一些局外人,也許是我最熟悉的一些人,即我的法國同胞作些對香港的見證,指出引起這些旅居香港的外國人所關注的問題。他們對這片土地發生的 一切傾注了非過客心態的關注。
‧Rebecca Pan 潘迪華 in London with Louis Amstrong, 1962
所謂〝文化認同〞這一詞語,在香港仍倍受爭議,許多人都不接受其存在。但也為香港社會顯然更重要的一部份人所接受,這個認同如同其他文化認同一樣總是不停地變化,它見證一個地方的滄桑,看到和感受到不同時期人們的不同態度和不同的精神面貌。意欲準確地闡明這些特點從來都不是一件易事,我們所能做的,僅是在某一特定時期,對這些特點作一簡單描述。然而,一切變化都需假以時日 ,不過我們還是可能對二十一世紀初香港的文化認同勾勒出一幅簡圖,也許會有點模糊,這由於其內容總是不斷地在變化。
高級藝術與大眾藝術之分野,雖然在全球範圍內已日漸消失,但必須承認某些藝術產品仍佔據高級文化殿堂, 儘管它只為社會上一小部份人所作。若接受這種二元對立的觀 念,則香港文化往往是以娛樂大眾的形式出現,諸如電影、電視劇、漫畫、飲食等等,所有這些,一般仍被視為大眾文化 。因此,對高級藝術的欣賞與認同便開始變得更有 意義了。儘管這些藝術品的推廣者花愈來愈多的時間爭取更多的觀眾,藉此試圖消除高級藝術 與大眾藝術之分, 但無論是商業性質抑或公眾畫廊裡展出的藝術品,參觀者仍 為香港社會的一小撮人。因此,愈來愈多的本地藝術家對一百多年來在本地逐漸形成的文化習俗展開了探索。
在繼續往下談之前,必須一勞永逸地擺脫那愚不可及的所謂〝東西文化交匯〞於香港的陳詞濫調。這個老調不堪一駁。所謂東西方不過是用來標明地理區域、或兩個明顯不同的文化影響區域的實用詞語,兩者皆無法表達該兩區域的豐厚的文化。事實上,一點不假思索地使用東西方的概念,只能無情地抹殺豐富多采的文化特點。這裡我想舉兩個我熟悉的國家為例:法國和中國。
雖然法國幅員狹小,文化表面統一,實際上卻擁有無數的文化傳統和各種方言,這裡不予贅述(彼埃爾.達尼諾斯Pierre Daninos)不認為法國由〝四千萬法國人構成〞,而 是為〝四千萬法國人所區分〞)。在尚-弗朗索瓦.利奧塔(Jean-Franois Lyotard)及吉勒.德勒茲(Gilles Deleuze)這類哲學家的後現代主義理論裡被詳細闡述的文化 分裂涵義亦可在方言這個概念的重新確定中得到印證。方言這個詞語今天已被眾多的語言學家所揚棄,原因是他們若不是完全,卻是太多地仰賴政治教條所致。例如路易-尚.卡爾韋(Louis-Jean Calvet)在其《語言學與殖民主義》一書裡就是一下子把它拋棄的。其實任何口語或書面語本身即為一種語言,例如普羅旺斯語,如果不囿於政治和 民族偏見,它和意大利語一樣都是一種語言。
至於中國,雖然中國政府竭力維護文化上的統一,但卻顯得愈來愈難維持。切勿忘記中國亦擁有為數眾多的方言 、各種不同的氣候、多姿多采的地方習俗和飲食習慣,不容 將她視為某種統一體。然而自秦始皇以來統治者的言論以及漢字為全體識字的中國人明瞭這一事實,彷彿掩蓋了真相。只需稍稍回顧一下中國歷史,尤其是戰國時期,便可知道這個國家雖竭力維持政治上的統一,但不總是一直統一的。在中國大陸,方言愈來愈多地出現在媒體上,這在過去是不允許的。不久前一位朋友向我談起重慶一家電視台將美國的一部動畫片(Tom and Jerry)用四川方言配音播出(是遠東法國學校(EFEO)香港分部的大衛.帕爾梅(David Palmer)向我提供這個消息的。在此謹致謝意)。再看看台灣,亦可見到閩南語在過去只准講國語的場合大行其道。
如果在法國和中國的情形是這樣,其他國家亦難倖免,這也是世界上出現許多政治紛爭的源頭。有點看來似乎矛盾,即隨著全球經濟一體化,地區文化看來應受愈來愈大的衝擊,可是這只限於表面。實際上,在一個國際範圍內交流日愈頻繁的世界裡,人們更加意識到構成地方文化傳統的特點。就我本人而言,沒有比自從在香港生活以來更覺得自己是一個法國人了,雖然究竟何謂法國人我自己也說不清楚,我只是覺得我週圍的人的行事態度以及其他種種細節與法國人不同。
如果認為〝全球化〞的世界多少有點像彼埃爾-約瑟夫.普魯東(1809-1865)無政府主已社會的諧謔版,也許並不誇張。亦即這是一個聯邦制的世界,國界已經消除,地方 協會間的分散權力及合同取代了法律。將國際聯合大企業那幫以牟取暴利為唯一目標的社群取而代之,你便得到了所謂全球化的恰當定義。我們可以這樣夢想:也許,借助文化的重新劃分,資本主義有朝一日便會自行消滅,而在另一處以新的人道主義面目出現。也許那些被稱作另類的世界主義者(alter-mondialistes)激進的一群,滿懷理想、奮勇無比、竭力與之戰鬥的人類目前的災難只是蟒蛇脫皮的陣痛。這也許太相信那為法蘭克福學派馬克思主義者珍惜的解放理論了。我個人不至天真到相信 歷史目的論,因為 我從來都不認為進步可被視為對人類生存條件無盡期的改善。不過,誰知道呢,也許這個文化領域的全球化會比現時更絢麗多采,更少些痛苦。
據這些另類世界主義者的觀點,經濟全球一體化應以那愈來愈趨分化方得以生存的地方文化為基礎,這點我亦讚同。很少人會認為文化全球一體化應建築在統一的、向人人兜售的、西方化的大眾文化基礎上。多樣化永遠應予鼓勵,可透過如向人民作地方文化教育等計劃進行。此外,既然文化透過語言傳播,既然大家都認為多種語言對兒童發展有益,那麼便絲毫沒有理由阻攔人民使用地方語言,與此同時,亦使用一種或兩種外國語(在瑞士和比利時,大多數人除本地方言外,還說兩三種語言就是一個很好的例子)。香港有自己的方言,同時地處經濟蓬勃起飛的珠三角洲,地理位置優越,正是觀察地方文化及其與全球化關係的極理想的瞭望站。
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