Poésie
Texte : Bernard Pokojski

Davertige, un seul livre

Sa vie cette tisane de chiendent dans la cruche mouillée
Sa vie plus fragile qu'un petit bateau dans l'eau sale
Davertige

Et cet homme vit depuis plus de 25 ans à Montréal dans l'ignorance de tout le monde. La différence entre Davertige et Ducharme ? Ducharme cache étrangement son corps du public tout en lui dévoilant sa part la plus secrète, son âme. On ne connaît de Davertige ni son corps ni son âme. Un poète secret se promène librement à Montréal. Cette manière de seperdre dans la foule me fait bien penser à Pessoa.
Dany Laferrière, La Presse , 2 déc. 2002

Ma rencontre avec Davertige : début des années 80 à la bibliothèque de l'Alliance Française de Wanchai où reposait mystérieusement son recueil Idem , dans l'édition de Seghers. Davertige, un nom qui ne pouvait tromper et exerçait déjà toute sa fascination. L'exemplaire fut photocopié, le tout broché et précieusement gardé… l'auteur toujours aussi secret.. Puis, dans la revue québécoise Nuit blanche quelques colonnes annonçant la mort du poète et une nouvelle réédition d'Idem sous le titre d' Anthologie secrète , m'aidèrent à lever quelque peu le voile.

Davertige est né le 2 décembre 1940, à Port-au-Prince sous le nom de Villard Denis d'un père maître d'hôtel et d'une mère originaire de Cavaillon. Il est dit que très tôt il apprend le français grâce à la présence d'une vieille dame guadeloupéenne et qu'il manie cette langue à la perfection. Mais à cinq ans, il sera victime d'une mauvaise chute qui fera de lui un enfant solitaire à la santé délicate, compensée par un goût précoce pour le dessin et les arts plastiques. A douze ans, tout en poursuivant ses études secondaires, il entre au Centre de céramique de l'Education nationale où il s'initie à la peinture et à la céramique. Ses nombreuses lectures lui permettront dans le même temps de se forger une pensée autonome et de découvrir les mensonges sociaux. À partir de 1954, on le voit régulièrement au Foyer des Arts plastiques et dès 1958, il exposera ses premières toiles, très sombres qui n'intéresseront évidemment personne « Je serai comme Van Gogh qui de son vivant n'a pas vendu un seul tableau ». Ses peintures refléteront ses préoccupations sociales et dénonceront la misère de son île tout en dégageant une fraîcheur et une grâce particulières malgré l'influence du « réalisme socialiste » car Davertige se sentait communiste.

A 17 ans, il avait commencé à écrire de la poésie et en 1959, il livre ses premiers poèmes sous le nom de Davertige car Villard Denis lui semblait trop attaché à la peinture. Il se lie alors d'amitié avec les poètes haïtiens de l'époque et emprunte la voie plus moderne d'un Magloire-Saint-Aude qui avait brisé les traditions parnassienne et romantique dans lesquelles vivait la poésie haïtienne.

Mais le climat politique s'était dégradé et suite à l'arrestation d'un ami étudiant, Davertige se réfugie chez une dame lavandière dans la banlieue de Port-au-Prince où de septembre 1960 à février 1961, il compose Idem
« Idem mon premier testament mon ciel brisé
Par-dessus les paysages et les ports de mauvaise mine
Idem les pavés échaudés et creusés de roues de buggys
Le long desquels s'accrochent mon long passé
Mes folies mes voyages qui pour vous mes amis
Sont cette ville engloutie dans la brume. »
(p17 dans l'édition Seghers)

Le recueil ne paraîtra que le 7 janvier 1962, à compte d'auteur et les 300 exemplaires seront payés par sa peinture qui le fait vivre et sa voiture qu'il doit vendre. Mais n'ayant pas trouvé suffisamment d'argent, il jette le quart du manuscrit dans un égout, poèmes engagés trop influencés par le réalisme socialiste.

Cette même année, à l'occasion d'un séjour à Paris, Maurice Hubin critique littéraire, adresse Idem à Alain Bosquet qui saluera le génie de Davertige dans un article du Monde : « Il arrive, une fois tous les dix ans et peut-être moins, qu'en lisant un poète inconnu on reçoive un choc (…) Ce genre de bouleversement je l'ai éprouvé (…) en lisant une plaquette pauvrement imprimée à quelques exemplaires, à Port-au-Prince : Idem de Davertige. »

Mais qu'est-ce qu'Idem ?
« Idem ! Marée mouvante à tout brasser, des tessons de soleil, des débris et des chiffons de chairs, à tout confondre dans le flux et le reflux de tout déterminisme. Les étoiles, les fers à repasser, les fleurs, les buggys, les animaux, les vieux souliers et les voitures sans frein, tout le bric-à-brac quotidien grouillant dans le kaléidoscope géant des saisons en métamorphose et toujours plus solubles, toujours moins denses, dans une absence de pesanteur à donner le vertige … » Serge Legagneur, préface à la première édition.

Cette œuvre porte aussi en elle quelque chose de somnambulique et déploie des images envoûtantes venues du surréalisme qui ne se révèlent cependant jamais ésotériques. Le vocabulaire brise toute mesure mais la révolte ne rejoint pas celle du Martiniquais Césaire ou de son compatriote haïtien René Depestre. Alain Bosquet parle « d'une superposition d'images » qui explique les « raccourcis à la fois d'une pensée, d'une hallucination et d'un subconscient. »

« Je me croyais médium des rêves de chacun. »

En 1964, Davertige choisit l'exil : « Je n'ai aucune honte, moi, à dire qu'un jeune écrivain qui nourrit beaucoup d'ambition doit s'expatrier. Par besoin d'oxygène ». Il décidera donc de s'envoler en Europe, en passant tout d'abord quelques jours à New-York, mais son séjour durera un an. Il y fera la connaissance d'Alain Bosquet et travaillera dans une petite boutique de peinture « Art Haïti » où il fera de « l'art commercial ».

Cette même année Idem est réédité chez Seghers à 650 exemplaires et en octobre 1965 Davertige arrive à Paris. Il s'installe dans un petit hôtel du Quartier Latin et se met à fréquenter le milieu littéraire parisien qui lui rend hommage dans une mise en espace d'Idem. Il aura des contacts avec des gauchistes et rencontrera une jeune Française avec laquelle il vivra à partir de 1967. Une fille naîtra en 1968. Cette année-là, il se rend en Chine avec d'autres gauchistes et entreprend des démarches auprès du gouvernement chinois afin de recevoir de l'argent et des armes pour combattre la dictature en Haïti mais les Chinois ne manifesteront aucun intérêt pour les luttes révolutionnaires dans son pays.

En 1970, Davertige se lance dans la rédaction d'un roman qu'il aurait vu comme l'œuvre de sa vie mais les 2000 pages manuscrites iront au feu… et il semble envahi par un sentiment de désillusion. Il rencontre le directeur de Nouvelle Optique, maison d'édition de Montréal, qui l'encourage à venir dans sa ville.

En  1976, il rompra avec Chantale et quittera Paris pour Montréal, considérant avoir perdu en Europe son sens de la langue française, son prestige et son génie.

Jusqu'en 2002, il vivra replié sur lui-même, peignant et récrivant Racine et La Fontaine. « Les ténèbres : la vie s'achève. Plus de Villard Denis. Davertige est au passé » dira-t-il, effectuant cependant un voyage de six mois en Haïti en 1987 puis un autre deux ans plus tard.

C'est lors de ce deuxième voyage qu'il entrera en contact avec Rodney Saint-Eloi : « J'ai tout de suite été séduit par la vivacité de cet homme élégant dont les yeux dissimulent mal l'angoisse (…) Ce jour-là, un dieu m'est tombé sur la tête. Davertige parlait avec aisance de philosophie et de poésie. » Rodney Saint-Eloi insistera pour republier Idem aux Editions Mémoire, mais cela en 2001 quand il se sera lui aussi installé à Montréal. Davertige exprima pour cette entreprise le désir de récrire ses poèmes et d'en enlever « les vétilles » tout en peaufinant ses textes. Rodney Saint-Eloi apportera du papier et de l'encre de Chine et ce seront une quinzaine de dessins qui accompagneront la nouvelle édition.

« Idem est l'histoire d'Idem, l'histoire d'un homme seul, de l'homme d'un seul livre, l'homme d'un seul vertige, sans présent, sans avenir, qui veut seulement résumer son passé, en partant  «à la recherche de sa croyance» et des «statues de sanglots» ». R-Saint-Eloi.
Le livre sortira enfin en 2003 mais au mois de mars 2004, Davertige sera hospitalisé et se battra contre la mort afin de terminer « son système philosophique » qui devait contenir quelque deux cents pages…

Le dimanche 25 juillet, il mourra, tôt dans la matinée…
« Je m'endors dans le lit de mon ombre » Ainsi s'achève la vie de l'homme d'un seul livre à l'avenir incertain, à la fois Rimbaud et Lautréamont des tropiques…
« Et mon avenir se confond avec les verres de fumée qu'on porte la nuit… »

Le prologue s'identifie à la nuit du tombeau où ma jeunesse reposait
Aux ailes des corbeaux et aux charbons ardents de mon passé
Des fleurs fanées émergent de mes yeux
Car aujourd'hui un papillon m'est aussi cher
Qu'un lac aux lucioles d'étoiles
Mes cheveux qui se suicidaient la nuit
Ont des sources comme nuages
Vivants brisez les nuits de vos tombeaux sans profondeur
Je ferme les volets sur le suicide et le néant
Les chevaux d'étoiles galopent autour des lunes
Et de la mare du printemps – le galop éternel
La femme montre ses aurores miraculeuses
Et ses cheveux de pluie cassée en gouttelettes antarctiques
La seule couronne autour de nous
Par le bras de nuage et sur le lac des bois
La nuit lâche ses grands oiseaux
Et pour que renaisse ma vie
Mes yeux, je leur ai donné des milliers de lucioles
Et des buissons de jasmins errant aux quatre vents


詩詞

達韋蒂熱:一本書傳世的詩人

他的一生 , 是那濕漉漉的瓦罐裡的一劑絆腳草藥湯劑
他的一生 , 比那濁流上飄浮的小船更脆弱。 ── 達韋蒂熱


‧Aluminium Fantôme (Davertige)

這人在蒙特利爾生活了二十五載有餘,卻默默無聞。若問達韋蒂熱與杜沙爾姆(Ducharme)之間有何分別?那便是杜沙爾姆雖奇妙地隱跡人群,卻展示了他最隱秘的心靈;而達韋蒂熱而,無論肉身或精神,皆無從知曉。一個神秘的詩人在蒙特利爾的天底下自由散步。這種隱跡遁世的方式不由令我想起了佩索阿(Pessoa)。
─— 達尼.拉費里埃:《La Presse》,2002年12月2日 我之發現達韋蒂熱是於上世紀八十年代,在灣仔法國文化協會圖書館裡。一本由塞熱爾出版社(Seghers)印行的他的詩集《Idem》神秘地躺在書架上

不錯,正是達韋蒂熱,一個散發著強烈魅力的名字。我如獲至寶,即刻將它影印,裝訂成書,珍藏起來。作者的身份總是顯得如此神秘。後來,在魁北克出版的《白夜》(Nuit blanche)雜誌上,我讀到了報導他去世的幾行文字,而以《神秘詩選》(Anthologie secrète)為書名再版的 《Idem》這部詩集,助我稍稍揭開詩人神秘的生世。 達韋蒂熱1940年12月2日誕生於海地太子港,取名維拉爾.德尼(Villard Denis)。其父為一富裕人家的膳食總管,其母為原籍卡瓦戎的法國人。據說在一位瓜德羅普老婦的教導下,他很早便學會了法文,運用自如。在五歲那年,他不幸重重地跌了一跤,從此令他成為身體孱弱、孤獨怕人的小孩。所幸對繪畫及造型藝術早熟的性趣彌補了這一缺陷。十二歲時,他一邊讀中學,一邊進入國家教育部的瓷藝中心學習繪畫和陶瓷工藝。他博覽群書,令他漸漸有了自己的獨立思想,並發現了社會的虛偽。自1954年起,他常出入造型藝術之家。自1958年始,他展出了第一批畫作,由於色彩灰暗,引不起觀眾的興趣。他說:〝我將像梵高一樣,有生之年一幅畫都賣不出去。〞他的繪畫反映了他對社會的關注,揭示了海地的貧困。雖受〝社會主義現實主義〞的影響(他自覺是名共產主義者),卻散發出一種清新和優雅。 十七歲時,他開始寫詩,1959年,他以達韋蒂熱的筆名發表了處女詩作,因為他覺得維拉爾.德尼這名字和繪畫關係太密切了。他和當時的海地詩人都有交往,並走詩人馬格盧瓦爾-聖-奧德現代詩的道路,砸碎了海地詩歌賴以生存的帕爾納斯派和浪漫主義傳統。然而政治氣候惡化,在一名大學生朋友遭逮捕後,達韋蒂熱躲藏在太子港郊區一名洗衣婦家裡,就在這期間,即1960年9月至1961年2月,他創作了《Idem》。   

〝Idem,我的第一個遺言,我破碎的天
高懸在醜陋的景緻和海港上;
Idem,小型貨車車輪輾過的馬路,
我過去的漫長歲月、我的癲狂不羈、我的足跡 沿著這些馬路糾纏不清。
而對你們而言,我的朋友, 那只是一座消失在霧中的城市。〞
(塞熱爾出版社版,第17頁)

詩集遲至1962年1月7日由作者自費出版,共印了三百冊。印費由他賣畫借以維生的錢及他賣車所得的錢支付。但是由於籌措不到足夠的資金,他只好把四份之一的手稿扔到陰溝裡。這都是些深受社會主義 現實主義影響的使命詩。

同年,文學批評家莫里斯.于班(Maurice Hubin)藉在巴黎盤桓的機會,將《Idem》寄給阿蘭.博斯凱(Alain Bosquet)。後阿蘭.博斯凱在《世界報》上撰文褒揚了達韋蒂熱的詩才。他說:〝每隔十年或更少些時間,便會發生這樣的事情,即當我們讀著一個寂寂無名的詩人的詩作時,會突然一驚,眼前一亮……當我讀著在太子港出版、印刷粗劣、只印了幾本的達韋蒂熱的《Idem》這本小詩集時,便感受到了這種震驚。〞 那麼《Idem》究竟是甚麼?

〝Idem!它是將一切攪拌在一起的活動的潮水,陽光的碎片,肉的殘渣碎屑,在決定論的漲潮退潮中將一切混在一起。星星、熨斗、鮮花、小型貨車、舊鞋、沒有剎車的車輛,日常生活亂七八糟的東西麋集在不停地變化、總是更可溶解、更加稀薄的季節的巨大萬花筒裡,在輕快的氣氛中,沒有那令你頭暈腦脹的沉重……〞 (塞爾日.勒加尼厄:第一版前言) 這部著作帶有某種夢遊症的東西,展示了來自超現實主義的迷人景象卻又決非玄奧難懂。語言打破格律,但其反叛未及馬蒂尼凱.塞捷爾(Martiniquais Césaire)或其同鄉海地人勒內.德佩斯特(René Depestre)的程度。阿蘭.博斯凱說這是〝一種形像的重疊〞,解釋了如何對〝思想、幻覺、下意識三者的概括〞。〝我以為自己是每個人的夢的通靈者。〞 1964年,達韋蒂熱選擇了自我流放:〝一個胸懷大志的年輕作家卻要離鄉背景遠走他鄉,對此我並不感到羞愧。為的是透透氣,吸吸新鮮空氣。〞他決定飛往歐洲。途中本打算在紐約只停留幾天,不想一待就是一年。他在紐約結識了阿蘭.博斯凱並在一家專賣〝海地藝術〞繪畫的小店裡任職,製作〝商品藝術〞。

同年,他的詩集《Idem》由塞熱爾出版社出版,印行了650冊。1965年10月他抵?巴黎,在拉丁區一家小酒店住了下來,並開始頻頻與巴黎文學界接觸。巴黎的同人們為向他表示敬意,將《Idem》改編成劇上演。他接觸左派人士,結識了一位法國年輕女子,並從1967年起共赴同居。1968年誕下一女兒。這年,他還偕同左派戰友遠赴中國,與中國政府商榷提供經濟與武器援助,以推翻海地獨裁政府。無奈中國人對其國家的革命毫無興趣。 1970年,達韋蒂熱動手創作他視為他畢生代表作的一部小說,但不久兩千多頁手稿卻被他付之一炬…… 他彷彿深深陷入失望之中。他遇上了蒙特利爾《新觀點》(Nouvelle Optique) 出版社的經理,該經理鼓勵他到蒙特利爾來。1976年他和香塔爾(Chantale)分手,離開巴黎來到蒙特利爾,自覺已在歐洲喪失了對法國語言的悟性、自己的魅力和天份。 直至2002年為止,他不斷地反省自己,繪製和改寫拉辛及拉封登的作品。〝漆黑一片:生命已完結。不再有維拉爾.德尼存在。達韋蒂熱已成為過去。〞他這樣慨歎道。1987年他回到海地,滯留了六個月,兩年後,再度回國。

在第二次回國期間,他結識了羅德尼.聖-埃盧瓦(Rodney Saint-Eloi)。羅德尼.聖- 埃盧瓦這樣說道:〝我即刻被這個舉止優雅的人的機敏所吸引,他的眼神遮蓋不住一種不安的神情⋯⋯這天,我可真遇上天人了。達韋蒂熱悠然自得地談論哲學和詩歌。〞待到2001年,羅德尼.聖-埃盧瓦自己在蒙特利爾住下來後,他執意要由Mémoire 出版社再版《Idem》這本詩集。達韋蒂熱亦表讚贊同,但希望能重寫這些詩並剔除〝瑣碎〞,加以精心修飾。羅德尼.聖-埃盧瓦帶來了畫紙和墨汁,這樣,達韋蒂熱便為新版的詩集 增添了十五幅插畫。

〝Idem是Idem的故事,是一個孤獨的人,一本書傳世的人,沒有現在、沒有將來,只有一個願望的人的故事。這人出發去‘尋找信仰'和‘哭泣的雕像'。〞羅德尼.聖-埃盧瓦這樣說道。 這本新詩集最終於2003年出版問世,然而翌年3月,達韋蒂熱卻住進了醫院。他和死神搏鬥著,只想完成兩百多頁的《他的哲學體系》(Son système philosophique)這本書。

7月25日星期日凌晨,他與世長辭。
〝我在被自己影子籠罩的床上入睡〞,這位前路茫茫 、這位熱帶的蘭波和洛特雷亞蒙、這位以一本書傳世的詩人就這樣走完了人生路……〝彷彿夜晚戴著墨鏡,我的未來一片漆黑……〞