Art et Histoire
Texte : Frank Vigneron
I Like Hong Kong VI : Dé/territorialisation au bistrot
L'intérêt pour les cultures locales n'est pas nouveau, les Romantiques du XIXe siècle avaient déjà recherché leurs racines dans l'imaginaire et la musique populaire pour définir des styles qui devaient êtres accueillis par un public international. Mais les motivations de ces auteurs et artistes étaient de partir du particulier pour arriver à l'universel et les origines populaires de ces œuvres d'art devaient être complètement transformées en un langage artistique différent, celui de l'art élevé des musées et des galeries d'art privées. De la même façon, dans les années 1980, des groupes d'artistes-peintres comme les Italiens de la Transavanguardia ou les Allemands du Néo-Impressionnisme furent les premiers à la « mort de la peinture » annoncée par les artistes de l'art conceptuel. Ces peintres réactivèrent un retour à l'image qu'ils voyaient à la fois comme une attaque contre cet art conceptuel des années 1970 et un retour à leurs racines culturelles. Comme Irving Sandler l'écrivit dans Art of the Postmodern Era. From the Late 1960s to the Early 1990s : « Ironiquement, l'intérêt croissant envers l'identité nationale était devenu si international qu'un «look» national aidait les artistes à obtenir une reconnaissance internationale ».
Depuis, les identités nationales, terme qui était souvent équivalent à « nationalité » dans les années 1980, commença dans les années 1990 à se fragmenter de plus en plus. Nombre d'artistes n'étaient désormais plus français, allemand ou espagnol, mais français breton, allemand bavarois ou espagnol catalan.
Même s'il y a de nos jours un débouché commercial sur le marché de l'art international pour ce genre d'œuvres, les artistes qui vivent dans des régions considérées comme provinciales par les marchés américain ou européen semblent avoir un intérêt croissant pour la création orientée vers les publics locaux. Les exemples abondent d'ailleurs, depuis les Chicanos vivant des deux côtés de la frontière américano-mexicaine, jusqu'aux artistes philippins, vietnamiens ou indonésiens. De même, la presse internationale spécialisée fait de plus en plus d'efforts pour documenter l'œuvre de ces artistes. Les ouvrages ainsi produits montrent des suggestions et des situations qui ne prendront tout leur sens que pour les gens vivant dans le même environnement culturel que les artistes. Cela a été dit fort souvent, mais il est toujours bon de répéter que, pris hors contexte, ces travaux perdront une grande partie de leur sens d'origine (celui insufflé par l'artiste), mais ce sens sera souvent remplacé par une aura d'exotisme et de mystère qui sera aussi précieuse en tant qu'argument de vente dans des villes comme New York, Londres ou Paris. Une grande partie des œuvres faites par des artistes chinois, sur le continent, à Taiwan, Hong Kong ou dans les quartiers chinois du monde entier, tireront un avantage certain de cette aura d'exotisme sur le « marché international » qui veut encore dire le marché de l'art occidental.
Ce qui apparaîtra plein de sens, touchant ou révoltant à un participant de la tradition d'origine d'une œuvre sera au contraire voilé de mystère, et donc tout aussi intéressant, à un témoin de l'extérieur. En définitive, et indifféremment de l'origine du regard sur l'œuvre, celle-ci apparaîtra pleine de sens à toutes les parties concernées mais pour des raisons différentes. Cette façon de toucher un public international paraît, pour le meilleur ou pour le pire, celle dont beaucoup d'artistes occupés à toucher un public local produisent leur travail : une véritable polysémie. Leur indifférence apparente au marché de l'art international est souvent rationalisée en une acceptation d'une large variété d'interprétations de leurs œuvres, quelles que soient les contradictions que de telles interprétations peuvent faire naître (et le silence intéressé d'un artiste tel que Xu Bing 徐冰 envers les discours des critiques d'art montre bien que l'artiste ne veut pas prendre position). Plus que jamais et plus souvent que dans les parties les plus favorisées du monde, les artistes de ces régions « provinciales » se sont exclus de ce processus d'interprétations pour voir, amusés et curieux, ce que leurs œuvres créeront chez un public étranger en termes de regards et de sensations.
Pour en venir enfin aux artistes de Hong Kong, je ne voudrais pas faire croire que la sélection d'artistes suivant soit en quelque façon que ce soit représentative des artistes du territoire. C'est une liste totalement subjective et faite expressément pour tenter d'illustrer les notions que j'ai introduites dans la première partie de ce chapitre. Que les nombreux autres artistes de Hong Kong qui pensent communiquer quelque chose d'autre qu'un esprit local me pardonne donc d'avance. De plus, je dois bien l'admettre, il y a dans ce choix quelque chose d'un goût pour l'exotisme de ma part, un exotisme qui ne prend pas sa source dans la carte postale touristique je l'espère, mais dans la recherche d'une atmosphère résolument autre, quelque chose qui échappe totalement à ma francitude. Il faut le répéter, si une certaine forme d'art contemporain trouve ses sources dans des formes de culture locale, il ne faut pas espérer que les non-initiés puissent comprendre d'emblée ce que les initiés saisissent instantanément. Même après quatorze ans à Hong Kong, je me tiens encore sur les bords de la culture hongkongaise, la regardant de très près certes, mais toujours de l'extérieur. Ce choix est donc simplement le mien (celui d'une personne née à Hong Kong mais éduquée en France, marié à une hongkongaise, parlant un peu le mandarin et le cantonais, etc.) et il ne veut même pas tendre pas à l'exhaustivité car celle-ci est impossible dans cette période où toutes les formes d'art sont possibles et prêtes à être reçues par leur propre public.
Après les trois artistes locaux présentés dans l'article du Paroles de Septembre/Octobre 2005, et qui posent des questions essentielles sur des thèmes abordés par de nombreux artistes contemporains, les problématiques concernant le corps et le temps dans l'art, je vais enfin passer au thème de l'identité culturelle hongkongaise dans l'art produit sur le territoire. Même si nous avons déjà vu que la vidéo d'Ellen Pau ne prend tout son sens que dans le contexte de la culture populaire et plus particulièrement la culture populaire de Hong Kong, il est d'autres aspects de l'identité culturelle du territoire qui ont déjà été explorés avec beaucoup de brillance par des artistes qui se considèrent hongkongais.
Pour en revenir au Cha Chan Ting, c'est vers un véritable classique que je voudrais me tourner maintenant. Créé pour une mémorable exposition de l'espace indépendant PARA/SITE, pendant laquelle l'artiste avait gravé le menu d'un de ces restaurants à même le sol de béton de la galerie, cet estampage se trouve maintenant dans le musée des Beaux Arts de Hong Kong. L'artiste Leung Chi-wo 梁志和 , qui a aussi participé à la biennale de Venise en 2001, se livre ici à une variation sur la dichotomie art élevé / art populaire. Prendre un texte sans aucune valeur culturelle, c'est-à-dire n'appartenant pas au canon de la littérature classique chinoise, pour lui donner un statut d'icône en lui accordant le traitement réservé aux classiques, c'est-à-dire le graver dans la pierre, est déjà un acte qu'on pourrait qualifier de lèse-majesté. Qu'il ne s'agisse pas de pierre mais de béton ne fait qu'amplifier l'étrangeté d'un geste encore aggravé par sa dernière étape vers l'immortalité : être transféré sur du papier comme les grands classiques de la calligraphie eux aussi conservés dans la pierre.
Une autre couche de signifiant peut être ajoutée à ce complexe acte culturel en le rapprochant du traitement que certains artistes conceptuels ont réservé à l'institution des musées archéologiques et autres musées de l'homme. Comme Sophie Calle mettant un seau en plastique moderne dans une vitrine réservée à des vases datant de la plus haute Antiquité, Leung Chi-wo nous éveille à l'absurdité de certains arrangements muséologiques qui confèrent le statut d'art élevé à des objets dont l'emploi originel était purement fonctionnel. C'est donc aussi au musée comme machine à fabriquer de la culture que l'artiste s'attaque et il nous rappelle par la même occasion que c'est le contexte qui crée l'œuvre d'art et non une quelconque valeur intrinsèque. La valeur esthétique est devenue entièrement relative dans l'art contemporain et l'emploi par Leung Chi-wo d'un référant aussi indépendant des concepts traditionnels de l'art chinois montre à quel point la vie de tous les jours, et son enracinement dans l'identité culturelle d'une population, peut être effective.
|
藝術與歷史
我愛香港(六):茶餐廳裡的疆界消失
• Peinture bavarois : Franz Marc (1880-1916), La Vache Jauen, 1911, huile sur toile, 140 x 189.2 cm. Solomon R. Guggenheim Museum, New York
對地方文化的興趣並非新鮮事物,十九世紀的浪漫主義藝術家已經在想象及大眾音樂中尋找其根源,將其打造成可為普世接受的風格。但這些藝術家的目的在於由特殊出發以達至普遍。而藝術作品的原始民間風格必須完全被改造成另一種藝術語言,即藝術博物館和畫廊展出的高級藝術品。同樣,在八十年代,一些畫派如意大利的超先鋒派及德國的新表現主義第一個起來反對觀念主義畫家宣稱的〝繪畫已死〞的觀念。這些畫家重新回歸形象,把這視為對七十年代興起的觀念藝術的反擊及回歸自己的文化之根。正如歐文.桑德勒(Irving Sandler)在其《60年代末至90年代初的後現代主義藝術》 (Art ofthe Postmodern Era. From the late 1960s to the Early 1990s)一書裡所言:〝諷刺的是,對於民族認同日愈高漲的興趣竟變成如此國際化,致使具民族色彩的‘外觀'竟助畫家獲得國際公認。〞
此後,民族認同,這個八十年代有時等同〝民族性〞的術語,到了九十年代便開始分化。從此許多畫家不再簡單地稱作法國、德國或西班牙畫家;而是布列塔尼法國、巴伐利亞德國或加泰羅尼亞西班牙畫家。
這類繪畫雖然今天在國際藝術市場有銷路,但這些被歐美市場視為區域性的藝術家為本地觀眾創作的興趣日趨強烈。這情況非常普遍,從居於美國和墨西哥邊界兩側的奇卡諾人的藝術家直至菲律賓、越南、印尼的藝術家,盡皆如此。而國際上的藝術出版機構也愈來愈努力收集出版這些藝術家的作品。這些藝術作品的含義、理念只有對和藝術家同居一地的觀眾才能盡顯其義。這有點老生常談,但在這裡重提一下不無益處,即易地而處,這些畫作便將失去大部份為畫家所注入的原有風味,但卻常為一種異國情調、一種神秘色彩所代替。這也是這些畫在紐約、倫敦、巴黎這些大城市走俏的原因。中國大陸、台灣、香港以及世界各地華人地區畫家的作品在仍自稱歐洲藝術市場的〝國際市場〞上,就靠異國情調這點而大收其利。
富地方風格傳統的藝術品的創作者看來充滿意義,無論令人感動抑或令人厭惡的東西,相反,對局外人而言,似乎蒙上一層神秘色彩,也因此同樣饒有趣味。總之,如果不理會藝術品原有的旨趣,則出於各自的理由,人們都會覺得它充滿意義。這種感動世界各地觀眾的方式,好歹成了志在感動地方觀眾的畫家的創作指引:真正含義多重。他們對國際藝術市場表面的冷漠可以由以下這點得到合理解釋,即他們欣然接受對他們作品的眾說紛紜的解讀,儘管這些解讀常常自相矛盾(畫家徐冰對畫評人的言論保持沉默,正說明了畫家不願採取既定立場)。這些區域性藝術家不參與對藝品的詮釋解讀,他們饒有興趣地、好奇地探視他們的作品從視覺和感受上究竟對外國觀眾產生了甚麼作用。
最後且來談談香港藝術家,我以下選擇的幾位藝術家並不一定是香港畫壇的代表。這個選擇純屬主觀,意在闡發我在第一章提到的觀點。在此,懇請許多其他有意傳遞香港精神以外信息的畫家朋友鑒諒。此外,應該承認,在我的選擇中有我個人對異國情調的偏愛,但這不是從旅遊明信片中獲得的,而是從與我的法國性截然不同的、完全屬於另一種氛圍的研究中獲得。應該再次重複,如果一件當代藝術品根植於地方文化,則不應希望外行人能像內行那樣即刻明白其涵義。我雖然旅居香港十四載,但對香港文化也只能說剛沾到邊,當然是作近距離觀察,但總是作為局外人。這個選擇純屬個人喜惡(這是一個生於香港、在法國受教育、與香港人結縭、略諳普通話和粵語的人的選擇),這個選擇也決無求詳之意,再說欲求詳盡,在這個時代亦不可能,因為各種形式的藝術品皆可出現並為公眾所接受。
在《東西譚》2005年9/10月一期上,我們介紹了三位本地藝術家,他們就當代藝術家關心的主題提出了一些根本問題,如有關人體及藝術中的時間問題。現在,我想探討一下本地創作的藝術中香港文化認同的問題。儘管我們已經看到,鮑靄倫的錄像製作只有在大眾文化的背景下,尤其是在香港的大眾文化背景下才能盡顯其義。還有一些自稱香港人的藝術家對香港本土文化的各方面成功地作了探討。
現在再回來談談茶餐廳,這是我想探討的一個典型。在Para/Site藝術空間一次值得紀念的展覽期間,藝術家梁志和將茶餐廳的餐牌雕刻在畫廊的水泥地上。這作品的拓本現藏於香港藝術博物館。梁志和亦曾參加2001年威尼斯雙年展。他這件作品是對二元對立:高級藝術/大眾藝術的一重變化。他將毫無文化價值,亦即和中國古典文學沾不上邊的一些文字刻在石頭上,賦予他崇高地位,這舉動已經足可被視為大不敬。更何況不是刻在真正的石頭上,而是水泥地上,這就增加了其荒誕。最後又像對待刻在石上的古代大家的手蹟一樣被拓下來,送進博物館永存,這就更加大逆不道了。
• Liang Chi-wo 梁志和, (1968-), Untitles (after «Dream of a Path» (城西夢續), 1996, set of five oil on paper, each 244 x 60 cm.
我們將這個複雜的文化舉動和一些觀念藝術家對待文物博物館或其他博物館的態度相比較,就另有一層意義。如索菲.卡勒(Sophie Calle)將一個日常用的塑膠水桶置於展覽遠古器皿的櫥窗裡,梁志和亦提醒我們注意博物館對一些文物處理的荒謬,常把一些古代日常生活用品提升到藝術品的高度。藝術家攻擊的是好比文化製造機的博物館,同時也提醒我們是環境創造了藝術,而非一種純粹的價值。在當代藝術裡,美的價值完全是相對的。梁志和獨立於中國藝術傳統的創作說明了日常生活,以及植根於大眾的文化認同,是多麼地卓著有效。
|