Art et Histoire
Texte : Frank Vigneron

I Like Hong Kong VII : Dé/territorialisation, une bille à la maison

La vie de tous les jours, celle qui nous fait lire la presse, s'immisce aussi dans des œuvres tout aussi poétiques mais moins intéressées par le vocabulaire de l'art traditionnel chinois. L'énorme quantité de journaux et de magazines publiés à Hong Kong est une des choses que n'importe quel étranger connaissant un tant soit peu la langue chinoise trouve difficile à croire. Qu'un territoire aussi exigu puisse produire une presse illustrée presque aussi abondante que celle de la France s'explique historiquement par la passion de la civilisation chinoise pour la chose écrite, mais le développement hystérique de la presse à sensation est moins facile à expliquer. Et il faut encore une fois se tourner vers le caractère résolument populaire de la culture à Hong Kong : la musique cantopop et la nourriture font une bonne partie des sujets abordés par la presse locale. A ces sujets il faut aussi ajouter l'explosion d'un domaine qui trouve aussi une clientèle surabondante sur le continent et à Taiwan, c'est-à-dire tout ce qu'on appelle en anglais lifestyle : décoration intérieure, mode, voitures et autres gadgets électroniques qui inondent un marché de plus en plus développé dans le delta de la Rivière des perles.

Chan Yuk-keung 陳育強 , artiste dont les installations comportent une énorme mesure de poésie (et qui insiste toujours sur le fait que ses œuvres sont ouvertes à un grand nombre d'interprétations), évoque la cacophonie engendrée par la surabondance de presse dans cet objet étrange Bubble News, en équilibre instable sur des béquilles très fines. Une énorme pile de journaux défraîchis dont la base, illuminée d'une façon aveuglante, est reliée par un tuyau transparent à une sorte de fissure par laquelle s'échappent des bulles mousseuses. Ces bulles représentent certainement la mousse que les Hongkongais disent voire apparaître aux commissures des lèvres d'une personne qui parle trop et trop vite. Malgré le poids énorme que l'exigence du succès commercial représente pour la presse du territoire (et ce poids se traduit malheureusement par de plus en plus de infotainment), on ne dira jamais assez que la presse est réellement libre à Hong Kong et qu'une multitude d'avis et d'opinions, politiques et autres, y sont quand même exprimés. Et c'est bien ce que cette installation semble dénoncer, trop de gens parlant en même temps, trop d'opinions exprimées d'une voix forte dans la même pièce et ce qui reste n'est plus qu'un empilement de papier sur des fondations bien fragiles et des bulles éclatant silencieusement dans l'air. Le constat est désolant car l'état de la presse dans le monde contemporain semble n'offrir que deux alternatives, soit une presse contrôlée et donc virtuellement silencieuse, soit une presse libre, bavarde et vitupérante, mais qui mène à l'assourdissement. Ne nous plaignons pas trop cependant, entre deux maux, il faut choisir le moindre…

L'empilement est une autre conséquence de notre société de consommation et les journaux de l'installation de Chan Yuk-keung apparaîssent dans un nombre énorme d'appartements à Hong Kong. L'exiguïté de ces appartements est bien sûr la raison principale pour cette accumulation de choses, le même nombre d'objets dans une grande maison aura moins l'apparence du chaos qui semble régner dans ces foyers. Et c'est une autre des caractéristiques de cette culture hongkongaise qui se traduit par un sentiment partagé par le plus grand nombre, c'est-à-dire une relation à l'espace qui se traduit presque systématiquement par un manque : les appartements sont petits, les bureaux sont petits et beaucoup de conversations tourneront autour des problèmes engendrés par ce manque. Il n'est d'ailleurs peut-être pas tout à fait correct de parler de problèmes, les habitants du territoire, s'ils préféreront toujours avoir un appartement ou une maison plus grande, vivent dans ce manque d'espace sans trop souffrir, acceptant sans trop d'états d'âme que celui-ci est une commodité qui manque et a toujours manqué. Il suffira de regarder l'installation de Kith Tsang intitulée The Storage of Amnesia ( L'entrepôt de l'amnésie ) pour comprendre à quel point l'espace familial, pour remplir son rôle de confort émotionnel, n'est pas dépendant du nombre de mètre carrés.

Cette installation temporaire fut créée dans la galerie de John Batten à Hong Kong, endroit qui fut fondé délibérément par son propriétaire dans les quartiers les plus hauts en couleur de Hong Kong : dans ces rues en pente encore pleines d'anciens magasins et si « couleur locale » qu'elles sont petit à petit envahies par des restaurants et des bars très fréquentés par la communauté internationale du territoire. Les rares meubles, tous en bois, les petits objets, les jouets, le rideau en perles de verre, la petite malle en osier plastifié, la fenêtre en métal évoqueront tout de suite à un Chinois de Hong Kong une période passée, celle précisément qui fut évoquée, avec le succès international que l'on sait, par le film de Wong Kar-wai, In the Mood for Love . A ce propos, le panneau peint en vert qui fait mine de partager un espace de travail et un espace de repos dans l'installation semble évoquer les scènes du film dans lesquelles le couple Tony Leung Chiu-wai et Maggie Cheung Man-yuk se retranchent dans des chambres  où tous les bruits du reste de l'appartement sont encore clairement audibles. Le morcellement de l'espace privé était ainsi fait par des cloisons qui ne protégeaient que du regard des autres, les voix et les bruits ne faisant pas partie de ce qu'un Européen, par exemple, considérera comme une violation. Et il suffira d'aller prendre un petit-déjeuner cantonais dans un de ces immenses restaurants de Hong Kong (« boire du thé », comme disent les autochtones) pour comprendre que le brouhaha assourdissant qui y règne n'est pas un obstacle à l'intimité familiale ou amicale qui règne à chaque table.

S'il est encore possible de l'évoquer, c'est à un inconscient collectif que Kith Tsang fait appel dans son Entrepôt de l'amnésie , et un inconscient formé par les régions les plus profondes de la psyché, celles des souvenirs d'enfance, des odeurs et des positions corporelles littéralement créées par cet espace du passé. C'est une marque psychologique qu'un témoin du dehors, comme le Français que je suis, ne pourra voir que de l'extérieur, et ne pourra comprendre que d'une façon indirecte, à travers le prisme de sa propre expérience.

Dans une série de courts documentaires (moins de 5 minutes !) que la RTHK avait faite sur des artistes locaux il y a quelques années, un autre appartement croulant sous les journaux et les objets de récupérations de toutes sortes a fait son apparition. Ha Bik Chuen 夏碧泉 nous était montré brièvement explorant les rues de Hong Kong, et ses poubelles, pour collecter les matériaux de ses sculptures et de ses peintures. Très célèbre depuis bien des années, c'était certainement le plus vieil artiste de cette courte série, Ha Bik Chuen représente à la fois une génération plus ancienne et des orientations nouvelles profondément enracinées dans les problématiques attachées au concept d'Art Brut. De même, par son obsession pour les objets trouvés dans la rue, il appartient au courant des récupérateurs comme Kurt Schwitter ou Robert Rauschenberg. Ce sont de bien grands noms à associer à cet artiste, mais Ha Bik Chuen trouve toute son originalité dans les matériaux qu'il utilise, ceux qui proviennent souvent de l' énorme gaspillage des chantiers de Hong Kong ou d'éléments de la culture locale comme les tables de mah-jong.

Dans un court article présentant une de ses peintures publié dans Paroles (Mars/Avril 2000), Ha Bik Chuen parle de sa vision de l'artiste idéal, vision qui correspond si bien à l'idée d'une société hongkongaise en permanente instabilité. L'artiste voit la possibilité de demeurer original dans l'exigence de devenir « un objet rond, ayant le potentiel de rouler automatiquement ». Cette permanente instabilité n'est donc pas vue comme une chose négative, bien au contraire, elle permet à l'artiste et à quiconque qui accepte de vivre ainsi d'être plus flexible, plus susceptible de comprendre et de s'adapter à son environnement, et semble illustrer parfaitement l'esprit nomade d'une « diaspora topique » et, dans le cas de Ha Bik Chuen qui n'est arrivé à Hong Kong qu'en 1947, de première génération. C'est ainsi à une autre caractéristique, rarement observée dans la culture chinoise classique, que la culture de Hong Kong s'attache de plus en plus.  Quand les Chinois de la dynastie Qing se tournent vers le passé pour insuffler un nouveau sang dans leur art, c'est à un passé lointain qu'ils pensent. Les artistes de Hong Kong vont au contraire se tourner vers un passé récent, et encore rarement observé, pour vivifier leur mémoire collective. 



藝術與歷史

我愛香港(七):疆界消失——屋中的彈子


• Ha Bik Chuen, Une femme élégante, mixed media 2002

日常生活,閱讀報刊的日常生活也成了相當詩意的藝術品的題材。但中國傳統藝術對此不太感興趣。香港出版的報刊雜誌其數目之龐大,令任何一個稍懂中文的外國人都難於置信。一個彈丸之地竟能出版插圖精美、數量堪與法國媲美的報刊雜誌。從歷史觀點看,這是中國傳統對文字情有獨鍾所致。

然而,報刊雜誌的這種瘋狂驚人的發展的確難解。還是必須再次回來審視香港文化極其大眾化的特點:粵語流行曲及飲食文化是報章期刊的主要內容之一。此外還得加上一個急劇發展的領域,在中國大陸、台灣都擁有廣大讀者,這便是英語稱作〝Lifestyle〞的:室內設計、時裝、汽車以及電子產品,它們充斥珠江三角洲愈來愈龐大的市場。

陳育強的裝置藝術極富詩意(他總是強調自己的作品的開放性,可容納各種不同的演繹)。一個由兩條細鐵枝支撐的不穩定的架子,傳遞一個由數量龐大的報刊雜誌造成的噪音。堆積如山的一疊舊報紙,底座用令人目眩的燈光照射,通過一條透明的管子與一裂縫相連,由裂縫裡冒出水泡。這些水泡即影射香港人常說的口水多過茶,是一個滔滔不絕地說話的人口角冒出的唾沫。雖然厚厚的報紙,象徵經營的勝利(但其內容不幸愈來愈充斥著〝娛樂新聞〞)。香港的報紙享受充份的新聞自由,各種政見,不同立場,沸沸揚揚盡顯報端。這正是這個裝置作品所要揭露的,太多的人同時說話,太多的主張在一個狹窄的空間被高聲表達,其結果只剩下一疊高高的報紙,座落在脆弱的支架上以及在空氣中靜靜地破裂的水泡。情況是讓人失望的,當今世上報紙似乎只有兩種可能:一種是受控制因此噤若寒蟬;另一種則是充份自由、誇誇其談、猛烈抨擊直至震耳欲聾。我們無需埋怨,俗話說:兩害相權取其輕。

層層疊放也是現代消費社會的另一後果。陳育強的裝置裡那高高疊起的報紙在香港許許多多家庭都可見到。當然,居住面積的狹窄是這種堆積的主要原因 。若在一個寬敞的大屋裡,同樣的堆積就不致顯得如此凌亂。這又是香港文化的另一特色,可用香港大部份人所共有的一種感受來表達,即空間缺失感:居所是狹小的,辦公室也是狹小的,許多話題都圍繞着這一缺失所帶來的問題。說這是問題似乎不太確切。如果香港人總希望有一間大屋住,但他們住在狹小空間裡也不覺得太痛苦,相當坦誠地接受這種舒適的缺失,這個一直以來存在的缺失。只要看一看曾德平的稱作《失憶倉庫》 (The Storage of Amnesia) 的裝置藝術,便可明白家居舒適可以怎樣不依賴面積大小。

這個臨時裝置在約翰百德畫廊製作。畫廊主人有意將畫廊建在香港最高地區:在這些狹窄陡峭的街道上舊式店鋪櫛比鱗次,極富地方色彩;餐館酒吧亦逐漸麇集此處,吸引了許多本港的外國人。不多的傢具,全是木質的,小擺設,玩具、玻璃珠窗簾、包上一層塑料的柳條籃子,這一切即刻令香港人聯想起已逝的歲月,這正是王家衛獲得國際聲譽的電影《花樣年華》(In the Mood of Love)裡描寫的時代。臨時裝置用一塊綠色壁板裝裝樣子地將工作空間和休息空間隔開,彷彿再現了電影裡的場景,梁朝偉和張曼玉二人躲在自己的房間裡,但左鄰右舍,外面的一切吵雜聲卻清楚地傳到耳中。私人空間就是由這些隔板分開,只能遮擋外來的視線,卻阻擋不住聲音,而這西方人則認為是一種侵犯。但只要你到遍佈香港的任何一間茶餐廳去吃早餐(本地人稱作〝飲茶〞),你便會明白,震耳欲聾的吵雜聲一點都不妨礙每張桌子人們一面品茗吃點心,一面親密交談的興緻。

曾德平在其裝置《失憶倉庫》表現的是人們的集體無意識。這個無意識是由靈魂深處、童年回憶、已逝歲月狹小空間裡散發出的氣味、人體的姿勢等構成的。這是一個心理標記,局外人,如作為一個法國人的我 ,只能從外邊觀察,只能間接地透過自己生活經驗的三棱鏡去瞭解了。

幾年前,在一套由香港廣播電視台 (RTHK) 製作的有關本地藝術家的短片中(不到五分鐘!),可以看到一間報紙堆積如山、佈滿撿來的雜物的房子。影片簡短地展現了夏碧泉在香港的街頭、垃圾箱搜索,收集雕塑及繪畫材料。長久以來,他頗有名氣。夏碧泉代表較老一代的藝術家,同時也代表深深植根於原生藝術觀念新方向的藝術家。憑他對街頭拾來的雜物的迷戀,可將他歸為庫爾特.施威特斯(Kurt Schwitters)或羅伯特.勞森伯格 (Robert Rauschenberg)這類拾荒者的行列。夏碧泉在他利用的材料 中找到了他作品的特點,這些材料通常是香港地盤大肆浪費拋棄的雜物及一些具地方文化特色的東西如麻雀檯等。


• Chan Yuk-Keung, Bubble News, 1996, journaux, boix et bulles, 300 x 150 x 300 cm

在香港法國文化協會雜誌《東西譚》發表的一篇介紹他的一幅畫的短文裡,夏碧泉談到他對理想藝術家的看法。這看法和香港是一個永不安定的社會的思想十分合拍。藝術家看到欲保持自己的特色是將自己變成 〝一個可自行滾動的圓形物體。〞這個永遠不安定並非負面的東西,相反,它令藝術家或任何接受這樣生活的人變得更加靈活,更易明白和適應他所處的環境,也似乎極好地闡明了〝原地散居〞的流浪精神。而對1957年才來香港的夏碧泉,則是第一代人的精神。這樣,香港文化便愈來愈執着於另一個特點,這個特點在傳統的中國文化裡是甚少被審視的。當清代畫家為給自己的畫作注入新血而回顧過去時,這過去是遙遠的。相反,香港的藝術家則是回顧最近的,至今甚少被審視的過去,來檢視自己的集體記憶。