Cinéma 電影
Texte : Sébastian Veg

Frontières brouillées : fiction et documentaire dans le cinéma chinois contemporain
越界:當代中國電影的紀實和虛構

近年,中國紀錄片與劇情片在技巧及取材方面,都互相融合無間,拍出不少佳作,賈樟柯與寧瀛,便自由進出兩者之間。 三峽及一帶鄉鎮被夷平的題材,便由紀錄片轉移到劇情片裡。它在賈樟柯的新作《三峽好人》(2006) 出現之前,早已給鄢雨、李一凡的《淹沒》(2004) 紀錄下來。劇情片會挪用紀錄片的東西,如數碼拍攝及起用非職業演員等手法(如賈樟柯的《小武》,1997)。相反,紀錄片也會借用劇情片的板斧,最明顯就是糅合夢境與夢想等虛構情節,將個人生活戲劇化處理。也許,導演有意識到現實主義美學壽終正寢,便紛紛尋找更複雜的〝寫實〞美學。主觀與客觀之間的壁壘不再分明之後, 兩種創作的形式便可互補不足,也令大家質疑〝寫實主義〞的定義。

Jean-Luc Godard affirmait sans détours : « Mettons bien lespoints sur quelques “I”. Tous les grands films de fiction tendent au documentaire, comme tous les grands documentaires tendent à la fiction. [...] Et qui opte à fond pour l'un trouve nécessairement l'autre au bout du chemin. » Si cette intuition n'est pas confirmée toujours et partout, on constate dans le cinéma chinois des dernières années une convergence remarquable entre les deux genres, en termes aussi bien de thèmes, de réalisateurs et de techniques cinématographiques. Le documentaire de Jia Zhangke En public ( Gongzhong changsuo , 2001), tourné en grande partie à la gare de Datong, apparaissait d'abord comme une curiosité, un collage personnel issu du film de fiction correspondant, Plaisirs inconnus. Au contraire, le dernier film de Jia, Still Life ( Sanxia haoren ), se présente comme inspiré par le documentaire qui l'accompagne, Dong (Est). De plus, Jia n'est pas le seul réalisateur à changer ainsi de genre : le documentaire Le chemin de fer de l'espoir ( Xiwang zhi lu ), réalisé en 2002 par Ning Ying a rencontré un succès international comparable à celui de ses films de fiction ; Li Yang a obtenu l'ours d'argent au Festival de Berlin en 2003 pour son premier film de fiction, Blind Shaft (adapté d'une nouvelle de Liu Qingbang), après avoir réalisé trois documentaires.

Plus largement, un nombre limité de thèmes circulent entre les genres, apparaissant successivement dans la fiction ou le documentaire. Celui des chemins de fer, lieu commun du film de propagande, a d'abord été subverti par Du Haibin dans son documentaire Le long des voies en 2001, avant de faire un retour dans En public , Le chemin de fer de l'espoir , et surtout dans À l'ouest des rails de Wang Bing (2002). De la même façon, le thème de la mine est repris par Li Yang et par Jia Zhangke dans Plateforme , mais aussi dans des documentaires comme Mine no. 8 du jeune réalisateur Xiaopeng. Ce motif entre plus largement en résonance avec la chronique que tient Wang Bing du démantèlement des grandes entreprises d'État de Mandchourie dans les années 1990, thème qu'aborde également Wang Chao dans le film de fiction L'orphelin d'Anyang (2001). Dans le dernier film de Jia Zhangke, la construction du barrage des Trois Gorges et de la destruction des villages alentour, qui faisait l'objet du documentaire Fengjie, la ville engloutie ( Yanmo ) de Li Yifan et Yan Yu (2004), passe ainsi du documentaire à la fiction. De cette façon, alors que la fiction s'approprie le thème de la disparition du monde de l'industrie et de la vie socialistes, tournant à l'occasion en DV et avec des acteurs amateurs ( Xiao Wu de Jia Zhangke), le genre documentaire emprunte en retour certaines techniques de la fiction, comme la dramatisation de vies individuelles, qui permettent de construire une véritable intrigue, incorporant notamment des formes de fiction, comme les rêves, les aspirations ou les méditations. Ainsi, le critique Lin Xudong écrit sur À l'ouest des rails : « Le vaste panorama que brosse ce film ne détourne en rien de la quête du cinéaste explorant les moindres recoins de la vie dans une ceinture industrielle déclinante et l'existence étrange et onirique de ses habitants. Pendant neuf heures, le film se déroule peu à peu comme une peinture chinoise ; la profondeur émotionnelle des douzaines de personnages leur donne vie comme s'ils étaient les sujets d'une peinture à l'huile 1 . »

Comment interpréter au final le brouillage de la frontière entre fiction et documentaire par les réalisateurs chinois contemporains, en termes de thèmes, des techniques et d'intentions artistiques ? On peut émettre l'hypothèse que, suite à l'effacement du « réalisme » (socialiste) naguère appelé xianshi zhuyi, les cinéastes ont recherché une esthétique plus complexe du « réel » (xieshi). Leur déconstruction de la barrière entre subjectivité et objectivité est une façon d'interroger la pertinence de cette dichotomie en présentant les deux modes de création comme complémentaires – sans d'ailleurs que le documentaire soit nécessairement plus « réaliste » que la fiction. Comme l'a noté Jia Zhangke dans un entretien : « une fiction et un documentaire sont deux choses différentes. Par exemple, les relations entre les gens, entre les individus, sont paradoxalement plus faciles à montrer dans une fiction. Il est plus facile de faire apparaître certaines réalités dans une fiction, elles seront plus authentiques. […] Quand on tourne un documentaire, si l'on veut évoquer certaines questions, les gens ne souhaitent pas forcément parler de leur vie privée. On risque de ne filmer que les apparences. C'est encore plus compliqué avec des gens ordinaires, or c'est eux dont j'ai envie de parler 2 . » Jia met ainsi le doigt sur le statut différent de la fiction et du documentaire dans l'espace de production cinématographique et plus largement dans l'espace public chinois. Chaque genre crée en effet une relation différente avec les espaces publics et privés dans lesquels les films sont montrés, diffusés et discutés, le documentaire apparaissant paradoxalement comme une forme d'expression plus « privée » que la fiction, du moins en ce qui concerne son public. Enfin, si le documentaire est au film de fiction ce que l'essai est à au roman, on pourrait se demander si la confusion des genres que pratique cette génération de cinéastes n'est pas aussi le reflet de l'importance constante du sanwen dans la tradition chinoise et de sa frontière brouillée avec la fiction.

1)  Lin Xudong, « Documentary in mainland China », Documentary Box, no. 26, http://www.yidff.jp/docbox/26/box26-3-e.html, consulté le 1/3/2007.
2)  Perspectives chinoises n° 89 (mai-juin 2005), p. 47.


Before the Flood 淹沒 (Fenijie, la ville engloutie)
de Li Yifan, Yan Yu - 2004 - Sichuanais - 150mn
導演:李一凡、鄢雨 - 2004 - 四川話 - 150 分鍾

Le poète de la dynastie Tang Li Bai immortalisa dans ses vers l'ancienne ville fortifiée de Fengjie. Mais la ville cessera d'exister lorsqu'en 2009, elle sera submergée par les flots en raison de la construction du barrage des Trois Gorges sur le Yangtsé. Li et Yan nous donne un précieux témoignage sur la vie dans la Gorge de Kuimen, de celle du pasteur et de ses assistants vivant dans une vieille église protestante centenaire à celle d'une dispute entre les habitants et un fonctionnaire au sujet des compensations de leur déplacement.

屹立二千多年的奉節古城, 終於永永遠遠沒入歷史。古來騷人墨客吟誦的詩城白帝城就座落這兒。 2002 年 1 月,三峽工程響起第一聲爆破,不到一年整座名城已陷落成一片廢墟。我們見證了消逝前最後一刻。有機的關係崩解,教堂安排遷拆,老鄉忙於找幹部解決渺茫的賠償問題,苦力都轉做搬運與拆樓。當教堂、城牌、客棧一一倒下,不知唏噓,還是迎接新希望的興奮。

 



Dong / Still life ( sanxia haoren ) 東 / 三峽好人
de Jia Zhangke 2006, Mandarin et sichuanais - 65 / 108mn
導演:賈樟柯 - 2006 - 普通話/四川話 - 65/108 分鍾


Jia Zhangke  Jia Zhangke dans Still life prend pour cadre le village de Fengjie destiné a être englouti sous les flots et qu'il explore à la façon d'un documentaire. Il montre le malaise et le changement imminent au travers de deux histoires, celles d'un mineur qui y arrive pour retrouver sa femme quíl ne voit pas depuis 16 ans et celle d'une infirmière qui recherche son mari absent depuis deux ans et dont elle veut divorcer.

Dong donne une autre image de Fengxie : Jia Zhangke suit son ami le peintre Liu Xiaodong sur le barrage pour une série de toiles monumentales et figuratives sur les ouvriers qui œuvrent à la démolition des villes qui seront bientôt englouties par les eaux. Le peintre les peint à demi-nus dans une scénographie baignée de soleils couchants, dans un réalisme qui devient surréel.

賈樟柯拍攝 《東》紀錄畫家劉小東的創作過程時,興起拍攝《三峽好人》的念頭。於是,《東》的空間也出現在《三峽好人》裡;在《東》是工人模特兒的韓三明,也走進《三峽好人》的場景。韓三明飾演煤礦工人從汾陽來到奉節,尋找 16 年前出走的前妻;二人在長江邊相會,彼此相望,決定復婚。另邊廂,護士沈紅(趙濤)從太源來到奉節,尋找兩年未歸的丈夫;兩人在三峽大壩前相擁,黯然一舞後,決定離婚。老縣城已淹沒,新縣城未蓋好,該拿起的要拿起,該捨棄的要捨棄。賈樟柯輕取威尼斯最佳電影金獅獎,不過又一個肯定,同場不能不放映《東》:賈樟柯紀錄劉小東在創作,從三峽的民工開始,到曼谷的少女,兩種肉體,都煥發青春和生命的美麗。