Art et Histoire
Texte : Frank Vigneron

Orient rencontre Occident I : Un stéréotype instable dès ses débuts

Cette nouvelle série d'articles tentera de régler son compte au discours « Orient rencontre Occident » si souvent appliqué à tout ce qui se passe à Hong Kong. C'est surtout à ce que ce stéréotype fit à la compréhension de l'art produit dans la colonie qu'ils s'attacheront. Et dans un premier temps, à tout seigneur tout honneur, remontons à l'origine de ce discours dans les hybrides créés par l'école de Lingnan.

L'école de Lingnan ( Lingnanpai 嶺南派 ), fut un des groupes d'artistes les plus actifs qui se soient impliqués dans la création d'un art hybride au début du vingtième siècle. Elle fut d'ailleurs créée par deux frères originaires du Guangdong (Lingnan est un nom donné occasionnellement à l'ensemble de la province du Guangdong mais ce n'était à l'origine que le nom d'une de ses divisions administratives au début de la république), Gao Jianfu 高劍父 (1878-1951) et Gao Qifeng 高奇峰 (1889-1933). Les mentions « Orient rencontrant l'Occident » dans les descriptions des œuvres de l'école de Lingnan sont abondantes et il semble que ce soit avec raison puisque nombre des acteurs de ce mouvement furent influencés par un certain type d'art hybride souvent pratiqué dans les académies japonaises où l'art occidental, et plus particulièrement la peinture à l'huile, y était enseigné comme discipline fondamentale. Au lieu du métadisocurs « Orient rencontrant l'Occident », c'est un autre métadiscours, qui d'ailleurs faisait aussi partie du projet moderniste euro-américain que Gao Jianfu voulait matérialiser, celui d'internationalisation. Dans Mes vues sur la peinture contemporaine, un ouvrage des années 30, celui-ci écrivit qu'il croyait qu'il ne devait pas seulement s'occuper des éléments de la peinture occidentale. Il était certain qu'il y avait de bons côtés à la peinture indienne, égyptienne, persane, ou aux chefs-d'œuvre d'autres pays anciens ou modernes, et que lui et ses amis se devaient de tous les absorber comme nourriture pour les offrir à leur peinture nationale. En ce début du vingtième siècle, avec les sciences progressant et les communications qui se développaient, il espérait que ce nouvel art national deviendrait une peinture mondiale.

Ce qui semble s'être passé dans le discours sur l'école de Lingnan est un glissement depuis « l'Occident en tant qu'Euro-Amérique », ce qui était en fait enseigné dans les académies d'art japonaises du début du vingtième siècle, vers « l'Occident en tant que reste du monde ». Plus tard, tandis que la guerre faisait rage sur le continent et que l'école de Lingnan s'établissait dans des lieux tels que Hong Kong et Macao, la connexion avec ces colonies et donc avec l'Europe fut si forte que la seule façon de voir leurs travaux fut d'utiliser à la fois le vocabulaire de la peinture chinoise et celui de la peinture à l'huile dans une mixture typique du discours « Orient rencontrant l'Occident » (Wen Fong 聞方 ) par exemple, citant d'une peinture de jonques par Gao Jianfu faite en 1945, parle d'une œuvre combinant harmonieusement « des traits de pinceau chinois avec un chiaroscuro occidental »).

Mais ce paradigme devient plus problématique quand on le considère en relation avec les artistes qui étaient actifs plus récemment, plus spécialement la « deuxième génération » des peintres de l'école de Lingnan. Il y a en ce moment une merveilleuse exposition des œuvres de Zhao Shao'ang 趙少昂 (1905-1998) au Heritage Museum de Shatin dans laquelle la petite pièce que celui-ci utilisait comme studio a été entièrement reconstruite (avec ses meubles, livres, ustensiles pour peindre et une fenêtre barrée typique de Hong Kong avec une photo reproduisant la vue de la rue). Si l'on considère que, lorsque j'ai vu cette exposition pour la première fois, se trouvait dans une autre pièce du même musée une exposition montrant les éléments d'une identité culturelle locale, plus particulièrement dans l'environnement architectural du territoire, on ne pouvait pas s'empêcher d'avoir le sentiment très justifié que ce studio de peintre était aussi là pour indiquer un certain « esprit de Hong Kong » dans l'œuvre de Zhao Shao-ang, un esprit qui justifiait aussi en partie son appartenance à l'école de Lingnan et ce qu'elle représentait.

En dehors de la représentation physique de ces œuvres, c'est dans les commentaires sur ses peintures qu'une certaine dérive se fait jour dans l'emploi du paradigme « Orient rencontrant l'Occident ». Pour une exposition de 1978 de ses œuvres, Laurence C. S. Tam 譚志成 , alors directeur du Musée d'art de Hong Kong, écrivit ce qui suit dans le catalogue : « A l'âge de seize ans, il commença à étudier la peinture avec le maître de l'école de Lingnan, Gao Qifeng, et il devint donc influencé par l'art de la “modernisation de la peinture chinoise” proposé par Gao Jianfu… Essentiellement, cette théorie propose l'introduction de sujets non conventionnels et des techniques de l'art occidental dans la peinture chinoise — comme l'emploi de la perspective et du chiaroscuro. Zhao réussit à utiliser ces techniques dans sa peinture en conjonction avec les principes et les méthodes de la peinture chinoise traditionnelle… »

Les « sujets non conventionnels » et « l'emploi de la perspective et du chiaroscuro » auxquels cet auteur pensait se trouvaient certainement dans cette peinture assez connue de Zhao représentant un crâne et des fleurs. Ce sujet fut clairement emprunté à l'une des nombreuses vanitas peintes au dix-septième siècle en Europe et il est vrai que la mort n'est pas un sujet traditionnel de la peinture chinoise ; par contre le chiaroscuro, sur lequel Wen Fong et Laurence Tam insistent tant, est plus problématique cependant et le voir comme nécessairement emprunté à l'art occidental n'est pas nécessairement vrai. On pourrait montrer que le chiaroscuro est un concept qui fait sens dans une définition de la peinture s'appuyant sur une notion de théâtricalité, comme dans l'art de Rembrandt et Caravaggio, et qu'il ne se prête pas très bien à la peinture chinoise ; de même, des contrastes de zones sombres et de zones claires dans l'usage de l'encre se trouvent dans nombres d'autres peintures du passé (même si elles ne sont pas toujours utilisées pour dépeindre un volume) sans qu'on doive s'appuyer sur le concept de clair-obscur.

Les difficultés créées par l'emploi de concepts si différents ont produit une façon bien plus prudente de parler du projet d'hybridation de l'école de Lingnan et vers les années quatre-vingt-dix, bien peu étaient les universitaires et critiques d'art qui prenaient encore ce risque. Pour une exposition de 1990 du même artiste organisée à Hong Kong, aucune mention de l'intérêt porté par l'école de Lingnan à l'Occident n'était faite dans le catalogue et le choix des peintures n'incluait aucune de celles dont le sujet pouvait être qualifié de « non conventionnel » (c'est-à-dire emprunté à l'Occident). L'auteur de la préface, Chiu Sai-kwong 趙世光, lui-même un artiste respecté et le président permanent de Hong Kong Art Research Association, préférait se référer aux anciens et vénérables concepts de la peinture chinoise comme les « Six Principes » ( liufa 六法 ) énoncé par Xie He 謝赫 au cinquième siècle de notre ère (voir encadré).

Sa seule mention d'une quelconque influence de l'Occident est utilisée pour expliquer le choix de Zhao Shao-ang de faire des peintures sur plusieurs panneaux : « Il y a de moins en moins de demande pour les panneaux décoratifs venant de Chinois vivant en dehors de la Chine à cause de leur adoption de modes de vie occidentaux. » Une notion en fait très surprenante pour un peintre chinois vivant à Hong Kong puisqu'une façon de vivre à l'occidentale voudrait en fait dire mettre les peintures sur le mur, et de ce fait n'avoir aucun problème pour montrer des œuvres de grande taille, tandis que les lettrés chinois du passé préféraient garder leurs peintures sous formes de rouleaux et d'albums, c'est-à-dire quelque chose qu'il était possible de ranger et de ne pas toujours montrer. Au début des années quatre-vingt-dix, après une telle orgie de discussions sur la nature du concept « Orient rencontrant l'Occident » que ce métadiscours était devenu plus que suspect, il était plus logique pour les critiques d'art de présenter Zhao Shao-ang, un des derniers représentants de l'école de Lingnan, comme un artiste uniquement intéressé par l'art chinois « traditionnel ».

« Six Principes » ( liufa 六法 ) :
Base de la théorie picturale chinoise, ils ont été pour la première fois formulés dans le plus ancien traité de peinture qui nous soit parvenu : les Notes sur les œuvres anciennes ( Guhuapinlü 古畫品錄 ), de Xie He 謝赫 (actif c. 490-535). Chaque canon est composé de quatre caractères et se prête à de nombreuses traductions parfois assez différentes, je ne proposerai que la traduction de Nicole Vandier-Nicolas pour chaque principe : (1) qiyun shengdong   氣韻生動 : « le rythme harmonique du souffle, c'est le mouvement de la vie ». (2) gufa yongbi 骨法用筆 : « la méthode de l'os est ce qui s'entend de la manière d'utiliser le pinceau ». (3) yingwu xiangxing 應物象形 : « la correspondance avec l'objet est ce que signifie figurer les formes ». (4) suilei fucai 隨類賦彩 : « se conformer aux catégories est ce qui concerne le fait d'appliquer les couleurs ». (5) jingying weizhi 經營位置 : « régler et planifier est ce qui a trait à la mise en place et à la disposition (des choses) ». (6) chuanyi moxie 傳移模寫 : « transmettre (les modèles) est ce qui a trait à la copie ». C'est surtout le premier de ces canons qui donna lieu à de nombreuses interprétations, et fut, par sa relative « imprécision », employée dans toutes les conceptions esthétiques, sa flexibilité le rendant applicable dans des systèmes bien différents de celui de Xie He. Les cinq autres canons concernent tous la réalisation même du tableau.



藝術與歷史

東西交匯(一):一開始便站不穩的老套


• Zhao Shaoáng 趙少昂(1905-1998),
Crâne dans un rêve vague 《春閨夢裡人》1955, encre et couleur sur papier. Hong Kong Museum of Art.

這一新的系列文字將嘗試對所謂〝東西交匯〞這個老生常談做個清理。它是如此經常地被利用來描述在香港發生的一切。這些文章尤其著重探討這個老套在解讀香港這片土地上產生的藝術作品時所起的作用。首先,榮譽該歸誰便歸誰,讓我們窮源竟委,上溯到嶺南派所創作的中西合璧的繪畫中去尋找其源頭。

所謂嶺南派是指二十世紀初一群開放進取、努力融合中西藝術、獨闢蹊徑的藝術家。由祖籍廣東的高劍父 (1878-1951) 、高奇峰 (1889-1933) 昆仲所建立(嶺南一詞,在共和國成立之初僅指廣東省某一地區,後泛指整個廣東省)。〝東西交匯〞這個老生常談在評論嶺南派畫作時被頻頻使用,這不無道理,因為該派的許多門人深受日本美術學院盛行的東西混雜的藝術風格的影響。西洋藝術,尤其是油畫在日本藝術院校被當作基本功教授。高劍父不用〝東西交匯〞這一詞語,而用另一說法,即〝國際化〞,這是他意欲實現歐美式藝術現代化的宏圖大略的一部份。在他三十年代所寫的《當代藝術之我見》一書裡,他這樣寫道,不應只注意西方藝術,印度、埃及、波斯等國的繪畫或其他國家,無論古代或現代的藝術傑作都有其長處,值得他及其朋輩們楷模吸收,用以創作新國畫。二十世紀初,科技通訊日新月異,他希望新的國畫亦能成為國際 性的繪畫。

有關嶺南派的論述裡,似乎有一個從〝歐美西方〞向〝全球西方〞演變的觀點。前者主導著二十世紀初的日本藝術院校。稍後,由於大陸戰火兵燹,嶺南派移師香港、澳門,和殖民地及西方的接觸變得強烈頻繁,以致在評論他們的畫作時,唯有同時運用中國繪畫以及西洋繪畫的語言,一種典型的〝中西交匯〞的混雜。(例如方聞在評論高劍父 1945 年創作的一幅表現帆船的畫時,便說它是〝中國畫的筆法與西洋畫的明暗對比的完美結合。〞)

然而,當我們和近期積極活動的藝術家,尤其是嶺南派〝第二代〞的畫家聯繫起來審視〝中西交匯〞這個老套時,便發現它變得頗有爭議。現時在沙田的香港文化博物館正舉行一個精彩的趙少昂 (1905-1998) 畫展。展廳裡展出了重新建造的當年趙氏的畫室(有傢具、書籍、繪畫用具、一扇香港典型的帶橫檔的窗子以及表現香港街景的一張照片)。我第一次參觀這個展覽時,發現在同一博物館另一個展廳裡,展出了具香港文化身份的繪畫,尤其整個展覽置身於富本土建築風格的氣氛裡。我們不禁有理由感到這個畫室亦在表現趙少昂畫中的某種〝香港精神〞,這精神多少證實了他屬嶺南派及嶺南派所表現的精神。

除了作品本身外,在對他畫作的評論中,〝中西交匯〞這範式的運用亦出現了新的演繹發揮。香港藝術館館長譚志成在 1978 年舉辦的趙少昂個展的目錄冊上這樣寫道:〝他十六歲從高奇峰學畫於高奇峰私立美學館。因此,在早歲即受高劍父等人所提倡 ‘ 國畫現代化 ' 理論影響極深。此理論強調國畫內容應現代化,同時認為西畫技法如投影,透視等均能溶匯於國畫中。趙氏以此理論與傳統的國畫理法結合運用……〞


• Go Jianfu 高劍父 (1879-1951),Jonques, 1945,
encre et couleur sur papier. The Metropolitan Museum of Art

譚志成提及的〝內容應現代化〞及〝投影、透視溶匯於國畫中〞確實出現在趙少昂一幅相當有名的表現髑髏和鮮花的畫裡。顯然,這主題借鑒了歐洲十七世紀非常流行的〝萬物虛空〞畫 (Vanita) ;而死亡也確實不是中國畫的傳統題材。然而,方聞和譚志成如此強調的明暗對比卻值得商確,把它視作是借鑒西洋藝術並不十分真確。我們可以指出,明暗對比這種觀念,只有在像倫勃朗和卡拉瓦喬強調 戲劇效果的繪畫裡才有意義,用在中國畫上並不適合。再者,在中國古代繪畫裡,以水墨喧染明暗對比的手法多不勝數(即便它並不總是用來描繪物體的外形),並不需要借助西方投影的觀念。
運用如此迥異的一些概念實在困難, 以致在評述嶺南派融合中西、獨創新風的業績時不無令人小心翼翼。九十年代時,甚少大學學者及藝術家願冒此風險。 1990 年,在香港舉行的一次趙少昂個展的目錄裡,絲毫未提及嶺南派借鑒西洋藝術的理論主張,所選的畫亦無一幅是表現非傳統題材的(即借鑒西方的)。趙世光,他本人亦是著名藝術家及香港藝術研究協會的終身主席,在展覽目錄的前言裡更樂於引述中國繪畫古老可敬的觀念,如公元五世紀南齊謝赫的〝六法〞。

對於西方的影響,他僅一次提到,即在解釋趙少昂欲作數幅相連屏風式的畫時。他說:〝國外西式陳設,也不適合羅列屏風,作者更少。〞對於一位生活在香港的畫家,有此一見,確實令人驚奇。所謂西式陳設,當然也包括把畫掛在牆上,再大尺寸的畫均無問題。而中國古代的文人卻更喜將畫捲起或裝訂成冊收藏, 繪畫變成了收藏品,更甚於向人展示。九十年代初,對〝中西交匯〞這觀念的含義經過連篇累牘的探討之後,這老變得愈加令人懷疑。因此,當藝評家在論述介紹趙少昂這位嶺南派最後一位大師時,說他只注重〝傳統〞的中國藝術,也就更合乎邏輯了。