Littérature
Texte : Lo Kwai-cheung

Sur l'Image, par rapport à l'Ecriture

Une de mes nouvelles, publiée dans les années 80 dans le magazine « Littérature de Hong Kong », s'intitule « Images de femmes » et narre l'histoire d'une femme (ou plutôt de trois femmes, aux noms de  C , Si et Shi). Pour être exact, il s'agit d'une seule et même femme, projetée en trois images, et de ce qui lui est arrivé respectivement à Hong Kong, à Taiwan et en Chine continentale. Il n'y a pas vraiment à chercher d'intrigue précise, seuls des fragments de tableaux sont mis bout à bout, accompagnés d'un "je" narratif invisible dans les trois cas, correspondant à l'angle de vue d'un narrateur caché, ou une caméra inexistante.

La scène de C se déroule à Hong Kong, et a trait aux relations triangulaires, ambiguës entre deux hommes et une femme (en réalité dans les trois petites histoires se profilent des relations triangulaires --- j'étais amoureux à l'époque, donc particulièrement sensible à ce type de relations, si ce n'est même un peu trop sensible). J'ai utilisé à dessein le style des natures mortes comme dans les peintures à huile, pour décrire le physique et les expressions de  C, ainsi que son chez-elle. J'ai aussi eu recours aux albums de photos pour faire apparaître la liaison passée de C avec un autre homme, depuis le début où ils se tenaient à distance l'un de l'autre dans des photos de groupe, jusqu'à ce qu'ils se rapprochent de plus en plus, au fil du temps. J'ai également cherché à refléter l'évolution historique de la société de Hong Kong, à travers les changements de coiffure et de tenues sur les photos de ces femmes.

La scène de Si se passe à Taiwan. J'ai tout simplement fait d'elle un mannequin de photos publicitaires, dont je saisis sans cesse les expressions à travers le viseur d'un appareil photo. Le photographe, qui entretient des relations ambiguës avec  Si, a fui la Chine continentale pour venir s'installer à Taiwan. Aussi ai-je voulu, à travers ce personnage, faire ressortir le sens politique des photos, car les photos subissent toujours une transformation, une mise en scène ou suivent un plan préconçu afin de remplir certains objectifs, que ce soit à des fins de publicité commerciale ou de propagande politique. Objet photographié,  Si est intimement liée à son expérience de femme complètement dépendante et se laissant manipuler.

La dernière évocation décrit l'histoire de Shi qui a connu en Chine la Révolution culturelle et la période de réforme et d'ouverture qui a suivi. J'ai voulu rendre cette scène particulièrement dramatique, en ayant en tête quelque chose se rapprochant d'un film fantastique au style exubérant. Dans plusieurs passages, j'ai cherché à donner l'effet d'un film tourné au ralenti, avec par exemple des séquences de paysage, vues d'une longue rame de train qui roule lentement, tranchant ainsi avec les changements brusques et rapides de l'époque. On y trouve aussi chez les gens la fureur de s'engager avec passion dans les mouvements politiques, en dépit d'un angle de vue situé très bas, ne laissant voir que les pieds des dirigeants politiques et des autres personnes, sans montrer de vue d'ensemble.

De tous mes romans, je pense qu'« Images de femmes » est celui où j'ai le plus recouru au concept d'Image. J'ai lié la Femme à l'Image, ce qui devrait démontrer ma fascination et la confusion que j'éprouve pour les deux. N'ai-je pas dit tout à l'heure que j'étais alors amoureux ? Le fait de rapprocher, voire de traiter à égalité, l'Image et la Femme permet de déceler sans doute que, moi qui me crois un auteur masculin en chair et en os, je nourris au fond, vis-à-vis d'un référentiel extérieur, des illusions teintées peut-être de folie et de violence. J'ai fait appel aux images pour écrire cette nouvelle, bien entendu avec la ferme intention d'innover, mais le sens véritable serait que ces images froides – puisqu'elles sont à deux dimensions et sans relief -, créent une distance infranchissable entre l'objet de mon récit et moi-même, de sorte que mon écriture ne puisse fusionner avec ce qu'elle décrit (quand bien même une telle fusion ne saurait être qu'une fusion illusoire), me laissant ainsi davantage d'espace pour réfléchir aux relations impossibles entre l'écriture et son objet.

Pour moi – qui écris en chinois -, la Chine, Taiwan, voire Hong Kong ne seraient qu'une série d'images successives. Je ne connais ces lieux que de façon superficielle et simpliste, et prétendre les connaître de façon pénétrante avec un certain recul sur le passé ne serait en réalité que projections superficielles et illusoires. Est-ce uniquement dû à mes propres limites, ou est-ce au fond une généralité, je ne saurais trancher.
De par sa nature, l'écriture est-elle condamnée à ne refléter que des images sans relief ? Supposons que la "profondeur", le "concret" ne soient autre que pure imagination ou projection, l'écriture serait-elle plus à même, par rapport à la photographie ou au cinéma, de produire la sensation d'illusion ?

Je dois admettre que cette question ne me préoccupe guère et je n'y réfléchis pas beaucoup de manière consciente. Parfois je mets même à profit des images cinématographiques existantes pour concevoir mes fictions. Cela étant, après plusieurs années, cette question m'est revenue, d'une manière inconsciente, lorsque j'ai eu à réécrire le scénario d'une pièce de théâtre intitulée « Le nombril du désir » (pièce de théâtre que j'ai ensuite transformée en roman).

J'ai fini l'ébauche de cette pièce dans les années 80 : deux groupes, "la Bande des coiffeurs" et "le Groupe des cireurs", s'occupant respectivement de la beauté de la tête et de celle des pieds, se disputent l'exclusivité du nettoyage du nombril et pour ce faire s'engagent dans des affrontements et des négociations. Je considérais cette pièce comme une allégorie politique, faisant allusion aux négociations entre la Chine et l'Angleterre sur l'avenir de Hong Kong. Si l'ébauche de la pièce a été terminée dans les années 80, il m'a fallu attendre 1997 pour rencontrer un metteur en scène se montrant intéressé à monter cette pièce. En revanche, il a souhaité transformer le scénario en comédie musicale haute en couleurs et riche en sonorités, avec des images attrayantes.

Comme je suis totalement incompétent en matière musicale, tout ce que j'ai pu faire, c'était d'écrire de longues tirades, afin que les musiciens trouvent suffisamment matière à adapter en chansons. En fin de compte, il y a eu moins de parties chantées que ce à quoi je m'attendais. Le jeu sur scène était complètement dominé par des discours fleuves, avec peu de passages lyriques.

Après avoir lu la pièce et vu la représentation, un autre metteur en scène m'a dit que s'il avait eu à la diriger, il aurait fait abstraction complète de la partie chantée pour en faire du théâtre pur ; il aurait demandé aux acteurs de rester tranquillement assis, et aurait utilisé la densité du langage et la force des mots pour déclencher la puissance théâtrale. Je ne peux exclure qu'il a dit cela en passant, pour prouver implicitement sa grande maîtrise dans l'art de diriger, mais il a effectivement exprimé quelque chose qui ne m'était pas venu à l'esprit. En effet j'ai produit, sans le vouloir, un tas de dialogues alambiqués et obscurs, qui n'ont pas permis aux spectateurs de se former des images claires dans la tête, à cause d'un langage trop dense et trop compact. Alors je me suis dit, les mots ne dépendent pas forcément des images ni ne donnent forcément lieu à d'autres images, ils peuvent tout aussi bien détruire les images et nuire à la formation d'images. Peut-on y voir une certaine expérimentation, ou un éventuel moyen pour l'écriture de concurrencer les médias d'images, je n'en suis pas sûr.

Ou peut-être ne peut-on même pas parler de concurrence, car face aux médias des images, l'écriture ne fait absolument pas le poids. Néanmoins je la considère, tant bien que mal, comme une autre possibilité de créer des sensations profondes.




文學專欄

關於影像,對應寫作

我有一篇八十年代在《香港文學》雜誌上發表的小說,名字叫《女性映像》,故事是關於一個女子 ( 或許是三個,她們的名字是〝 C 〞、〝斯〞和〝施〞 )……正確一點說,是一個女子的三個投影,分別在香港、台灣及中國內地所發生的一點事情。故事,其實沒有甚麼清晰可尋的情節,只是一段一段的影像排列,三個段落裡都有一個隱影的 〝我〞,作為不顯眼的敘述視點,或者是當作不存在的鏡頭。

〝C 〞的一段發生在香港,牽涉著二男一女的曖昧三角關係 ( 其實三個小故事裡都隱藏著這種三角關係…… 那時我剛在談戀愛,所以對這種關係特別敏感,如果不是過度敏感的話 ) 。我刻意用描繪靜態油畫的手法,寫〝C 〞的外貌體態與她置身的家居,又用相片簿去呈現〝C 〞與另一個男子交往的歷史,從最初在群體照裡,兩個人隔得老遠,到在以後的相片上愈靠愈近;我亦試圖透過她們照片上衣飾、髮型的改變,去反影香港社會的歷史變更。

〝斯〞的一段,地點在台灣,我索性讓她變成硬照廣告的模特兒,不斷從照相機的觀景窗內捕捉她的神態。與〝斯〞有曖昧關係的攝影師,是個從大陸投奔到台灣的人物,我想藉著他帶出相片的政治:不論是商業或政治宣傳的照片,為了達到某些目的,都會被加工、佈局、預先設計。而〝斯〞作為被拍攝的客體,與她任人擺佈的女性經歷又息息相關。

最後一段是〝施〞在中國遭逢文革與之後改革開放的描述。這一段我故意寫得特別誇張,心裡想著要像一部風格強烈的荒誕電影般,有好些段落更是以電影慢鏡頭的方法去寫,譬如長長一列火車慢動作地經過某一點所看到的景物,對比時代的急促突變,或者從低角度只看到政治領袖及其他人的腳,卻無法看到全貌,但仍然熱情投入政治運動的瘋狂。我想《女性映像》是我運用最多影像概念的小說了。把影像連結女性,應該代表著我對兩者的迷戀和迷惑吧。我不是說那時我正在談戀愛嗎?把影像與女性連結甚至等同,也許隱若透露著,我這個自以為是實體的男作者,對外在對照物的一種可能帶點狂妄與暴力的幻想吧。我用影像概念寫這篇小說,固然有刻意求創新的意圖,但更真實的意義是這些冷影像,替我和我想要寫的事物之間,製造了一個不能跨越的距離 ( 因為它們都是平面、二維空間的事物? ) ,令我的文字不能與所寫的物象結合 ( 即使這種結合其實很虛假 ) ,卻讓我有更多空間思考文字與描寫物的不可能關係。

中國、台灣,甚至香港,對我這個用華文寫作的人來說,可能都只是一個接一個的影像,我對它們的認識流於表面、膚淺,所謂歷史深度的理解,也只是平面幻象的投射。我不敢肯定,這是不是僅僅因為我的個人局限,抑或它其實帶有普遍性。文字的本質只能表現平面的影像?假如所謂深度、具體,都只是一種想像或者投射,文字真能比照片或者電影,更有力的製造這種虛幻的感覺嗎?

我必須承應,這不是我十分關心的問題。意識上我根本不會去多想它,有時我反而會借助既有的電影影像,去構思我的小說。不過隔了若干年,當我再重寫一個叫《欲望肚臍眼》的舞台劇劇本時 ( 後來我又把這個劇本重新改寫成一個中篇小說 ) ,那個問題又無意識地返回來了。

劇本的初稿在八十年代完成,寫〝飛髮黨〞與〝擦鞋幫〞兩個分別負責頭與腳的美容組織,為了爭取清潔肚臍眼的專營權而展開的鬥爭與談判。那時我將這個作品當成一個政治寓言,暗喻中英為香港前途的談判。八十年代雖然已經有了劇本的初稿,但是要到接近一九九七,我才遇上有舞台劇導演表示興趣搬演這齣戲。不過,導演希望劇本變為影像奪目、聲色俱備的音樂劇。

我對音樂完全無能為力,能做的是寫了許多極長的台詞,讓懂音樂的人有充足材料改編為可唱的歌曲。但最後真正變成歌唱部份的,卻沒有我預想的那麼多。結果,演出變成了完全由極長的台詞做主導,歌唱只是佔了少的部份。

有另一個導演看了劇本和演出,對我說如果讓他來執導,他會徹底放棄歌唱的部份,讓它變為一個〝語言劇〞,要演員都靜靜地坐著,由密集的語言與文字張力,來引發劇力。我不排除他只是隨便說說,潛台詞是要証明他的導演功力深厚,但這確是我最初沒有想過的。原來我不自覺地寫了一大堆艱深晦澀的對白,而這堆文字因為密集、過份緊張,反而不能容許觀眾在腦海裡產生清楚的影像。我在想,原來文字也不定要依賴影像製造影像,文字也可以粉碎它,阻礙影像產生。我不肯定,這算不算是一種實驗,或者是文字與影像媒介競爭的一個可能途徑。

也許,這不能算是競爭,因為文字根本不能與現在的影像媒介競爭。不如,我就姑且當它是製造深度感覺的另一個可能性吧。