Art et Histoire
Texte : Frank Vigneron

Orient rencontre Occident (3) : tension et hybridation I

Ce processus qui consiste à accepter provisoirement l'idée « d'Orient rencontre Occident » pour mieux le démonter peut bien sûr s'appliquer aux artistes de Hong Kong qui n'ont pas été soumis à ces associations dans les mêmes termes. C'est l'ethnicité chinoise de Luis Chan 陳福善 (1905-1995) et Gaylord Chan 陳餘生 (né en 1925) qui a mis nombre de critiques d'art dans l'embarras au cours des ans, au moins jusqu'au moment où le paradigme « Orient rencontre Occident » a été à peu près abandonné dans l'histoire de l'art, il n'y a pas si longtemps après tout. Luis Chan a été très clair à propos de ses liens avec le surréalisme, qui le fit pratiquer au départ des techniques comme le dessin automatique et le mena finalement à l'exploration de l'abstraction gestuelle. Ces peintures gestuelles font sens pour un Européen ou un Américain qui connaîtrait Georges Matthieu (né en 1921) ou le maître de « l'action painting » Jackson Pollock (1912-1956), mais elles font sens aussi pour un Chinois qui connaîtrait la technique de « l'encre éclaboussée » (pomo 潑墨) pratiquée par les peintres et les calligraphes du passé. 


• Georges Mathieu (né en 1921), Capétiens partout, 1954, huile sur toile, 295 x 600 cm. Paris, Musée National d'Art Moderne, Centre Georges Pompidou.

Comme nous l'avons vu, quand les critiques et les historiens de l'art voient la philosophie Zen dans la simplicité des formes des travaux « color field » (comme dans l'œuvre de Mark Rothko) ou « hard edge » (comme dans l'œuvre de Barnet Newman, 1905-1970) de l'école de New York, ou quand le grand peintre Zhang Daqian 張大千 (1899-1983) s'essayait à une « version chinoise » de « l'action painting » (tout en rappelant à qui voulait l'entendre que les Chinois avaient fait « la même chose » de nombreux siècles auparavant avec cette technique de l'encre éclaboussée) dans les années 1960, ils limitaient leurs expériences à un emprunt de formes. C'était un pas nécessaire vers une hybridation plus complète mais cela s'appuyait encore sur des notions assez mal comprises : mal comprises de la part des artistes, historiens et critiques d'art euro-américains qui n'avaient pas vraiment fait de recherches sur les fondements de la philosophie Zen ; mal compris de la part des artistes et critiques d'art chinois qui n'avaient pas saisi à quel point les artistes euro-américains se fondaient sur des notions platoniques du sens qui étaient absentes de la peinture chinoise. La compréhension de la peinture gestuelle de Luis Chan souffrit aussi de ces notions mal comprises et le fait qu'il ait été chinois ne fut pas d'une grande aide.

Quant à Gaylord Chan, toute sa vie entre dans ses peintures. Il y a quelque chose de gigantesque dans sa façon de peindre et de vivre (quiconque l'a rencontré est impressionné par sa stature, son rire et son goût pour le vin, la bonne cuisine et l'amitié). Pour quelqu'un comme moi, qui suis toujours en train d'essayer de justifier le goût pour quoi que ce soit à travers des explications culturelles et trouve très étrange qu'il puisse y avoir des œuvres d'art qui puissent être plaisantes pour à peu près n'importe qui dans n'importe quelle culture, les œuvres de Gaylord Chan ont quelque chose d'inexplicable. Tout le monde semble trouver quelque chose à son goût dans ses images, qu'elles soient brillantes et colorées ou sombres et moroses. Comme ce sont principalement des peintures à l'huile ou acrylique, les défenseurs du cliché « Orient rencontre Occident » s'appuient toujours sur l'ethnicité de Chan pour illustrer la validité de cette métanarration. D'autres analyses de son œuvre ont tendance à se diriger vers l'ancien statut colonial de Hong Kong pour expliquer la sensation « occidentale » de ses peintures tandis que d'autres critiques préfèrent insister sur la « subtilité chinoise » de son exploration des formes.

Bien qu'elles soient généralement décrites comme étant des peintures abstraites, les objets de tous les jours apparaissent dans ses images, comme le dos en plastique jaune de cette chaise derrière une table rouge. Et pourtant, ces formes pourraient aussi être lues comme étant une sorte d'insecte bizarroïde marchant lentement devant nous. L'artiste lui-même voit le soleil dans cette image qui était à l'origine une gravure sur bois qu'il aimait tant qu'il la refit en acrylique sur toile, d'où la mention « encore » dans le titre. Je dois confesser une certaine mesure de sentiment de culpabilité ici car j'ai tendance à présenter cette peinture dans mes cours comme quelque chose de typiquement « Hong Kong » : cette chaise est un modèle qu'on trouve facilement dans beaucoup de magasins de meubles à Hong Kong et la « lecture insectiforme » peut bien être vue comme un portrait surréaliste d'un cafard, créature partout présente dans l'ancienne colonie. Je suppose que l'œuvre de Gaylord Chan peut être vue comme un projet esthétique particulièrement réussi puisqu'il se prête à tant de lectures différentes, l'une d'entre elles étant sans nulle doute le paradigme douteux « Orient rencontre Occident » même quand on sait qu'il ne résiste plus à un moindre degré d'analyse. Mais Gaylord Chan ne s'est pas rendu coupable de l'utiliser dans sa propre compréhension de ses œuvres et il faut nous tourner vers un autre artiste vivant pour voir les deux termes de ce paradigme être employé intentionnellement d'une façon aussi inventive qu'ambitieuse.

Wucius Wong 王無邪   (né en 1936 et qui, en 2007, enseigne encore au département d'arts plastiques de l'université chinoise de Hong Kong) a été une des figures les plus influentes de la peinture chinoise de la fin du 20e siècle et du début du 21e (j'ai été un familier de son œuvre dès la fin des années 1980, bien avant que je n'arrive à Hong Kong). David Clarke, dans Hong Kong Art. Culture and Decolonization, présente l'œuvre de Wucius Wong comme exerçant une tension entre deux traditions profondément différentes : « Wucius Wong semble partagé entre une allégeance au modernisme occidental et une autre à la tradition chinoise, souhaitant d'une certaine façon affirmer les deux. Plutôt que de permettre son travail de souffrir d'une inhabilité à harmoniser ces deux narrations en conflit cependant, Wong exerce un certain degré de contrôle sur cette situation en faisant de l'opposition le thème de son travail. Le conflit n'est pas résolu par cette décision, mais au moins il lui donne une expression, il le met en scène. »

L'idée de tension est probablement la meilleure façon de décrire les sentiments parfois inconfortables des artistes chinois de la génération de Wong envers l'idée d'hybridation. Ce sentiment n'est pas présent dans les projets enthousiastes d'artistes un peu plus vieux comme Hon Chi-Fun et Irene Chou, et, en fait, leur position est semblable à celle des artistes de l'école de Lingnan qui croyaient si fortement que leur mélange d'Orient et d'Occident était un progrès, quelque chose qui améliorerait la peinture chinoise dans son ensemble, que nous devons la voir comme quelque chose de semblable d'une certaine façon à certains aspects du projet moderniste euro-américain, c'est-à-dire le désir d'une amélioration et celui de ne pas s'en tenir à un respect aveugle du passé. La tension dans l'œuvre de Wucius Wong provient de sa compréhension du fait que le passé ne peut pas être simplement ignoré, cela n'est pas seulement indésirable mais tout simplement impossible à faire puisque nous sommes formés par le passé sous la forme de ce que nous appelons l'arrière-plan ou fondement culturel. Il y a littéralement une action sur le matériel de l'hybridation dans l'œuvre de Wucius Wong et même son nom anglais est une réflexion sur ses possibilités : ce nom est formé sur celui de Confucius, qui est une hybridation ancienne du chinois et du latin : de la même façon que Kongfuzi 孔夫子 devint Confucius, son nom chinois en mandarin, Wuxie (qui est prononcé wuhsie) devint Wucius. Cette action traduit aussi son choix de matériau puisque un grand nombre de ses peintures, même celles qui « ont l'air chinois », furent faites avec de la peinture acrylique.

 



藝術與歷史

中西交匯(三):張力與混雜


• Luis Chan 陳福善 (1905-1995), Dragon《龍》 1985, acrylique sur papier, 76 x 118 cm. HK Museum of Art.

為更地好解讀〝東西交匯〞而暫且接受這一理念,這種做法無疑亦適用於不囿於這一老套的香港其他藝術家。陳福善 (1905-1995) 與陳餘生(生於 1925 年)的中國性,多年以來,至少直至〝東西交匯〞這老生常談在藝術史裡幾乎被拋棄的時候,總之在不太久之前,曾令許多藝術批評家感到茫然不知所措。陳福善與超現實主義的關係是非常明確的,超現實主義促使他開始作些技術上的探索如自動繪畫,最終令他創作起抽象畫來。對一個歐洲人或美國人而言,由於他們熟悉喬治.馬蒂厄 (Georges Mathieu ,生於 1921 年)或〝行動畫派〞宗師杰克遜.帕洛克 (1912-1956) ,抽象畫當然有義意;然而對一個熟諳中國畫家和書法家〝潑墨〞技巧的中國人,抽象畫亦有所啟迪。

誠如我們所見,當藝術批評家和藝術史家在抽象派繪畫的〝大色域〞(如馬克.羅斯科的繪畫)或鋒刃派繪畫(如巴尼特.紐曼 Barnet Newman 1905-1970 的繪畫)的簡單色彩圖像中看到了禪宗精神,又或者當一代宗師張大千 (1899-1983) 嘗試〝行動畫派〞的〝中國版〞時這裡順便提一下,中國人早在幾個世紀前便運用〝潑墨〞技法做著〝同樣的事情〞,信不信由你),他們只限於借助圖像作探索實踐,這是邁向更完美的混雜的必要的一步,但這一切只基於一些不甚了然的概念。一方面是歐美的藝術家、藝術史家和藝評家沒有對禪宗哲學的基礎作認真的研究,因此對禪宗瞭解膚淺;另一方面是中國的藝術家和藝評家並不瞭解歐美藝術家植根於柏拉圖的美學思想究竟有多深,這種美學思想在中國繪畫裡是不存在的。這種認識的缺失,亦影響了對陳福善抽象畫的理解,即使他是中國人這點,也無助於事。


• Gaylord Chan 陳餘生 (né en 1925), Pont du soleil encore《再見太陽橋》, non daté, acrylique sur toile, 120 x 120 cm, c. 1982, Collection particulière.

至於陳餘生,他整個一生都投入到藝術創作中。在他的繪畫和生活方式裡有某種宏偉的東西(見到他的人無不被他高大的身影、他的笑容、他對美酒佳餚的嗜好、對友情的篤誠而留下深刻的印象)。對我這個無論對任何東西的任何癖好都試圖透過文化背景去解讀驗證、對竟有一些藝術作品幾乎令無論甚麼文化背景的人都感興趣的現象感到神奇的人,陳餘生的作品有某種無法理解的東西。無論是色彩鮮艷的畫抑或黯淡憂鬱的畫,每個人在他的畫中都可找到合乎自己口味的東西。由於他的畫作主要是油畫或丙烯畫,〝東西交匯〞的擁護者總是強調他的中國性,以闡明天馬行空的敘述 (MŽtanarration) 的有效性。而對他作品的另一些分析, 則傾向於援引香港前殖民地身份來解讀其作品的〝西方〞情趣;另一些畫評家則偏重他創作中的〝中國韻味〞。

雖然他的作品一般都被視為抽象畫,但在畫中卻出現日常生活的東西,比如在一張桌子後面的椅子的黃色塑料靠背。然而,這些形象亦可被解讀成在我們面前緩慢爬行的昆蟲。畫家本人亦在原為一幅木刻版畫的畫裡見到了太陽。他深愛這幅版畫,因而用丙烯畫原料重新畫在畫布上,並將畫題作《再見太陽橋》。這裡,我應向大家供認一個小小的犯罪感,事緣我在課堂上通常將這幅畫介紹為〝典型〞的香港風情:這張椅子在香港的許多傢具店裡都極易找到,而〝昆蟲的解讀〞則可被視為蟑螂的超現實主義形象。這個昆蟲在昔日的殖民地裡隨處可見。我認為陳餘生的作品可謂極成功的藝術創作,皆因它可供人以不同的解讀,其中一個當然是頗具爭議的〝中西交匯〞,雖然它不堪一駁。陳餘生利用它對自己的作品作個人的理解,無可非議。我們應轉向另一個仍在世的畫家來看看中西這兩種範式是如何有意地以極富創意又誇張的方式被運用的。

王無邪(生於 1936 年, 2007 年仍執教於香港中文大學造型藝術系)是上世紀末本世紀初中國畫壇一位舉足輕重的畫家之一(我在來港前,自 1980 年起,便已熟悉他的繪畫)。大衛.克拉克 (David Clark) 在他的專著《香港藝術:文化與非殖民化》 (Hong Kong Art, Culture and Decolonization) 一書裡談到王無邪的畫時,說他在中西兩種截然不同的傳統之間製造一種張力:〝王無邪似乎同時分享西方現代主義藝術與中國傳統藝術,希望以某種方式確認兩者。他不是笨拙地調和對立的兩者,而是在某種程度上駕馭它們,將這對立化作他繪畫的主題。衝突並不因此而得到解決,但至少他表現了它,把它展示以人。〞

張力這觀念大概是描述王無邪一代的中國藝術家面對混雜理念時心頭常有的一種不適感的最好方式。這感受在稍老一輩的藝術家如韓志勳及周綠雲身上卻不曾見。事實上,他們的立場一如嶺南派藝術家的立場,確信他們對中西藝術的融合是一種進步,在整體上改善了傳統的中國繪畫。我們應該將這視作和歐美現代主義運動中出現的一些現象極其相似的東西,即希望改進及不盲目固守過去。王無邪作品中那種張力來自他的這種理解,即過去是不容忽略的,這不僅不可取而且根本做不到,原因是大家都有一個成長過程,一個過去,即通常說的文化背景。王無邪畫作使用的材料很明顯是一種中西混雜。就說他的英文名字也是再三思考而成的:這名字以 Confucius 這個中文和拉丁文的混合體為基礎,正如孔夫子一變而成 Confucius ,他的中文名字 Wuxie (無邪)亦變成了 Wucius 。這個舉措也反映了他對繪畫材料的選取。他的許多畫作即使表面看來極富〝中國韻味〞,卻是以丙烯畫材料作成的。