Poésie
Texte : Bernard Pokojski

Nicolas Bouvier, poète pérégrin

Sans le voyage je n'aurais pas écrit —
Sans les livres je n'aurais pas voyagé —


« A dix-neuf ans, je voulais en faire des mains de pianiste. Je n'ai pas eu le courage, ou la vie en a décidé autrement. Elles ont donc fait d'autres choses : bricolé des carburateurs ou des arbres à cames, tenu l'accordéon dans un bar de Quetta, fait la plonge sur les paquebots blancs et défunts des Messageries maritimes, manié des caméras (…), chassé — de leur propre initiative et sous diverses lattitudes — mouches à merde qui venaient m'éponger les yeux, caressé force matous puceux et quelques dames (…) » (Journal d'Aran et d'autres lieux)

Bouvier l'arpenteur disparaissait un mardi 17 février 1998 à Genève ayant « visité les villes et connu les mœurs de tant d'hommes » pour reprendre ces mots qui nous viennent de très loin. « Quand je suis né, ma mère avait déjà trente-cinq ans. Je n'aurais pas dû naître parce qu'elle avait des problèmes de thyroïde et on lui avait interdit d'avoir un troisième enfant. » Il viendra donc au monde chétif et rabougri dans un village près de Genève en 1929, fera l'école buissonnière avec de petits paysans qui se fourraient les dix doigts dans le nez et sera rossé plus qu'à son tour par ces mêmes costauds tout rouges qui lui lançaient des cailloux. Sa mère l'obligera à porter des vêtements hideux, coupés dans des tissus qui grattaient, vêtements qui d'eux-mêmes provoquaient l'hilarité générale.

Le milieu familial était « huguenot, à la fois rigoriste et éclairé, très ouvert intellectuellement mais où tout l'aspect émotif de l'existence était sévèrement géré. » C'est donc là que s'élaborera son « impatience du monde » et qu'entre six et sept ans, il lit tout Jules Verne, Stevenson, London ainsi que Fenimore Cooper, aidé en cela par le métier de son père : bibliothécaire. Il avouera qu'à huit ans, il aimait tracer avec l'ongle de son pouce le cours du Yukon dans le beurre de sa tartine et que l'habitait l'envie de « grandir et de déguerpir », horrifié par la vie « clés en main » que tout semblait lui promettre.

Entre 10 et 13 ans, il s'abîmait dans la contemplation d'atlas, à plat ventre sur un tapis alors que la table familiale avait reçu Hermann Hesse ou Robert Musil. Puis finira par venir le temps des « maraudes adolescentes » : Bourgogne, Toscane, Provence, Flandres avant qu'une marche de trois jours dans la toundra finlandaise ne lui révèle qu'il est fait pour « l'état nomade ». L'Université lui apportera une licence en Lettres et une autre en Droit… il y étudiera aussi un peu le sanscrit, suivra des cours d'histoire médiévale et formera un temps l'idée d'une thèse comparative de Manon Lescaut et de Moll Flanders…

Juin 1953, enfin, Bouvier s'éloigne de Genève à bord de sa petite Fiat Topolino « J'avais quitté Genève depuis trois jours et cheminais à toute petite allure quand à Zagreb, poste restante, je trouvai cette lettre de Thierry : (…) Au dos de l'enveloppe, il était encore écrit : « mon accordéon, mon accordéon, mon accordéon ! » Bon début. Pour moi aussi. J'étais dans un café de la banlieue de Zagreb, pas pressé, un vin blanc-siphon devant moi. Je regardais tomber le soir, se vider une usine, passer un enterrement — pieds nus, fichus noirs et croix de laiton. Deux geais se querellaient dans le feuillage d'un tilleul (…) je m'étirais, enfouissant l'air par litres. Je pensais aux neuf vies proverbiales du chat ; j'avais l'impression d'entrer dans la deuxième. » Oui, Bouvier entrait dans sa deuxième vie, celle des voyages et celle de l'écriture… ce premier voyage durera deux ans et son Usage du monde sera peaufiné pendant dix ans. « Je restais longtemps le nez contre la vitre avant de rejoindre sa table. On trinqua. J'étais heureux de voir ce vieux projet prendre forme ; lui d'être rejoint (…) Au centre d'une pièce immense et nue, Thierry s'était installé, en clochard méthodique (…) Un sommier rouillé, son matériel de peinture, la lampe à pétrole et, (…) sur une feuille d'érable, une pastèque et un fromage de chèvre. La lessive du jour séchait sur une corde tendue. C'était frugal, mais si naturel que j'avais l'impression qu'il m'attendait là depuis des années. »

Thierry Vernet et Nicolas Bouvier étaient réunis pour le long voyage qui allait les emmener aux confins de l'Afghanistan et du Pakistan, où en décembre 1954, à la Khyber Pass, ils se séparèrent… Long voyage qui nous donnera L'usage du monde, véritable art poétique où Bouvier inaugure une littérature faite de vagabondage terrestre, d'errance entre les mots, les phrases, les genres, les citations de textes connus ou inconnus… Ce texte hybride, ouvert, qui propose avant tout un parcours sur l'usage des sens, fut complètement ignoré par la critique alors structuraliste qui n'en voulut rien savoir…Que voulez-vous, celle-ci ne pouvait avoir aucune oreille pour un vagabond qui parlait de faim, de fatigue, de fièvre ou de folie et qui chaque soir cherchait quelques petits mètres-carrés où jeter sa paillasse, afin de reposer ses os. Que faire d'un « maître à voyager » ? Bouvier continue seul, traverse l'Inde et en 1955, se retrouve à Ceylan, lieu terrible pour lui où il aurait pu sombrer dans la folie « Le voyage ne vous apprendra rien si vous ne lui laissez l'occasion de vous détruire ».

Expérience limite dans l'atmosphère moite et surchauffée de l'île qui nous vaudra le Poisson-scorpion , publié seulement en 1981… « Voyage : cent fois remettre sa tête sur le billot, cent fois aller la reprendre dans le panier à son pour la retrouver pareille ».  Il tombe souvent prostré sur sa chaise, gagné par la fièvre et les souvenirs à chercher durant de longues minutes le prénom de son père, face aux insectes exotiques se livrant à leurs combats quotidiens. Quand il déambule sur les grèves, la route soudain « s'arrête tout bonnement dans le sable comme quelqu'un qui juge en avoir assez dit ». Le Poisson-scorpion demeure son livre le plus douloureux, le plus décharné et fascine par son envoûtement mortifère, le classant aux côtés du Michaux des textes sur la mescaline. Bouvier se libérera de Ceylan en accomplissant de basses besognes dans les entrailles d'un navire qui le mène à Tokyo…

« J'ai débarqué, consigné mon bagage à Tokyo Central » et suis parti au hasard dans cette ville interminable, une brosse à dents dans la poche. » Il y passera un an, écrira et vivra de travaux photographiques. Fin 1956, après trois ans de route, il regagne la Suisse, s'y marie et s'installe à Coligny, près de Genève où il s'invente le métier d'iconographe : sa collection personnelle comptera plus de 30 000 documents. En 1964, Bouvier reviendra au Japon avec femme et enfant et y restera plus de deux ans vivant de reportages aléatoires, travaux photographiques, traductions et mille petits boulots dans ce pays « radicalement autre ». En 1989, à son habitude, il publiera Chronique japonaise mais la plus grande partie de ses notes restera inédite et sa femme Eliane publiera ses « fragments d'éternité » après sa mort sous le titre Le vide et le plein. Le Japon des années 60 offrait au regard étranger quelque chose qui résiste, se dérobe, allant jusqu'à l'irriter et à l'agacer à cause de son opacité : « ce peuple d'esthètes et de sergents ». Mais tout de suite après, la fascination : « Quand le Japonais en a assez de se sentir à l'étroit dans ses paysages sans horizons, il s'en tire en entrant dans une pomme ou dans une noix. »
Le vide et le plein fait évidemment écho à son recueil de poèmes Le dehors et le dedans constamment remis sur le métier et étoffé au fil de ses différentes éditions et rééditions.

C'était hier / plage noire de la Caspienne / sur des racines, blanchies rejetées par la mer / sur de menus éclats de bambous / nous faisions cuire un tout petit poisson / sa chair rose / prenait une couleur de fumée. (…) (Trébizonde 1953)
Mais par où commencer / depuis que le midi du pré / refuse de dire pourquoi / nous ne comprenons la simplicité / que quand le cœur se brise (Genève, avril 1983)

Recueil unique partagé à parts égales entre Le dehors et le dedans , fait d'une quarantaine de poèmes. Bouvier avouait cependant que la poésie « m'est plus nécessaire que la prose parce qu'elle est extrêmement directe, brutale ». Cette déclaration ne l'empêchait pas de croire que dans chaque poème devait subsister « un petit noyau d'obscurité, deux ou trois mots dont on n'a pas percé le sens ». La poésie se devait aussi être « conjuration » et « exorcisme » pour « tâcher de faire face, de tenir à distance une menace ». Ses poèmes forment de petits tableaux elliptiques qui recherchent leurs mots justes, se déploient en des rythmes variés, des heurts et des ruptures, ayant pour matériau principal ses grands voyages avec en contrepoint Genève, la ville de tous les départs…

En 1985, « empaqueté comme un esquimau je suis sorti pour voir de quoi ce rien était fait ». « Rien est un mot spécieux qui ne veut rien dire. Rien m'a toujours mis la puce à l'oreille ». Ce sont les îles d'Aran et le journal qu'il en a rapporté. On n'y échappe pas aux embruns, à la nuit noire, aux bruits et on y suit Bouvier comme son ombre… Les hommes bricolent ou boivent, les femmes tricotent et chaque village des îles a son motif : « Autrefois, c'était pour reconnaître les noyés, rejetés par la mer : les crabes et les poissons ne mangent pas la laine. » Eruption du fantastique et du merveilleux en quelques mots comme souvent chez Bouvier !

Il était, paraît-il, myope et gaucher, sujet à la neurasthénie mais bon buveur et affichait en public une élégance fraternelle et sereine. Son humour était feutré et ceux qui le rencontrèrent, ont parlé de sa belle personne qui n'avait rien du littérateur envieux et arrogant. Reclus à Coligny, il aimait passer de longs moments avec sa femme, ses deux enfants, ses disques, ses livres, ses chats entre deux escapades… « Depuis trente ans, je suis chercheur d'images. Ce métier aussi répandu que celui de charmeur de rat ou de chien truffier ne s'enseigne nulle part. Je suis tombé dedans comme une pierre dans un puits, retour de Paris avec le manuscrit de mon premier récit de voyage, refusé partout. »

Et pour mettre un terme à ce bref hommage une dernière citation du vieux poète Hafizon — est-ce  Nizami ? — qu'il se plaisait à dire : « Si le sage ignore encore les secrets de ce monde, je me demande de qui le cabaretier peut les avoir appris ? »

Hira – Mandi
Dernière échoppe ouverte
dans la nuit de la ville
guirlandes de piments
samovar et phalènes
halo blanc de l'acétylène
la barbe du patron est teinte d'un rouge espiègle

Trois hommes vêtus de cuir
lapent le thé versé dans leur soucoupe
hautes pommettes
brillant dans leurs faces cuivrées
sous la frange de feutres informes
pèlerins du Tibet chinois
en route vers l'Inde gangétique
pour accrocher leur moulin à prières
aux branches du figuier du Bouddha
puis s'en retourneront chez eux
à petit souffle à petit pas
par ces confins insurveillables
qui passent au-dessus des nuages
J'ai moi aussi rendez-vous avec un arbre
il n'est en tout cas plus question de dormir
quand la lune navigue comme une toile gonflée
si brillante et véloce
que l'âme elle-même en a une ombre
            Lahore, 1954-1982

 


詩詞

尼古拉.布維耶 — 浪遊詩人

沒有旅遊,我便不會寫作;
沒有書本,我便不會旅遊。

〝十九歲時,我想用雙手彈琴,成為鋼琴家。我沒有勇氣,或者生活另有安排。後來我的雙手做了其他事情:擺弄修理汽化器、凸輪軸,在奎達 (Quetta) 的酒吧拉手風琴,在郵船上洗碗碟,拍電影 …… 驅逐那飛來飛去、停留在你眼皮上的討厭的蒼蠅,撫弄了許多身上長滿蝨子的公貓和幾個女人 …… 〞(阿朗及其他地方旅遊日記)

高視闊步的布維耶於 1998 年 2 月 17 日星期二在日內瓦離開了這個人世。引用很久以前他說過的一句話:他〝造訪了許多城市,認識了許多人的生活習慣。〞〝我出生的時候,母親已經三十五歲了。我本不應該來到這個世上,因為母親患有傷寒症, 醫生不准她再懷第三胎。〞 1929 年在日內瓦附近的一個村子裡他來到了人間,孱弱、發育不良,和村裡那些把十個指頭塞到鼻孔去摳的鄉下孩子一起逃學。他常被這些臉蛋紅紅、結結實實的鄉下孩子毆打,向他扔石子。母親強迫他穿上用粗布裁製成的衣服, 粗糙的布料扎得他渾身痕癢,衣服醜陋不堪,引來眾人的訕笑。

他的家庭屬〝胡格諾教派,嚴守戒規,又有教養,思想開闊,但在情感方面卻戒律森嚴。〞因此,這促使他〝渴望見識外面的世界〞。由於父親是圖書管理員,對他的閱讀幫助很大。六七歲上,他就讀完了儒勒.凡爾納的全部科幻小說,還有史蒂芬森、傑克.倫敦、庫珀等人的作品。他承認八歲時,他喜歡用手指頭在麵包片的牛油上畫出北美洲育空河的河道。 由於厭惡事事安排妥當、好像要甚麼有甚麼的生活,〝快快長大,離家出走〞的慾望常盤據在他心頭。

十歲到十三歲期間,他沉醉於觀看地圖冊,常趴在地氈上觀看。而家裡的桌面上,卻擺著赫爾曼.海塞和羅伯特.穆西爾的著作,後來,他成了〝少年流浪漢〞,足跡遍及勃艮第、托斯卡納、普羅旺斯、佛蘭德等地。最後在芬蘭的苔原跋涉了三天後,令他突然明白自己是屬於〝流浪一族〞的。他大學畢業,獲得文學和哲學學士兩個文憑。他也學了點梵文,學習中世紀史,並有一個時期構思寫一篇比較曼儂.列斯戈和莫爾.佛蘭德的論文。

1953 年 6 月,布維耶駕著自己的菲亞特汽車離開了日內瓦。他說〝我離開日內瓦已經三天了,我慢慢駛向薩格勒布 (Zagreb) ,在郵政局的留局自取處,我收到了蒂埃里 (Thierry) 的來信。在信封背面,他寫道: ‘ 我的手風琴,我的手風琴! ' 一個好的開始。我也是。我在薩格勒布郊區一家咖啡室裡,悠哉遊哉,面前一杯美酒。我看著夜幕降臨,工廠人去樓空,一隊送喪的隊伍走過, 送喪者赤著腳、圍著黑圍巾、胸前掛著黃銅十字架。兩隻松鴉在椵樹枝頭上啁啾嬉戲。我伸伸懶腰,大口地吸著空氣,腦海裡想著貓有九條命的傳說。我彷彿覺得自己也進入了第二個生命。〞不錯,布維耶的確進入了生命的第二階段:旅遊和寫作。第一次旅遊花了兩年時間,而他的《人情世故》 (Usage du monde) 一書,他精心修飾了整整十年。

〝我鼻子貼著玻璃窗長時間的站在那裡,然後向他坐著的那張檯子走去。我們互相碰杯。我慶幸計劃得以實現,我終於和他會合了。在一間空蕩蕩的、寬敞的房間中央,蒂埃里像一個有條理的流浪漢坐在那裡。一張生鏽的床繃,他的繪畫工具,一盞油燈。在一片楓葉上,放著一個西瓜和一塊山羊乳酪。衣服曬在一條繃直的繩子上。這十分儉樸,卻極其自然,我彷彿覺得他在那兒等我已經許多年了。〞

蒂埃爾.韋爾內和尼古拉.布維耶會合後便出發作長途旅行。他們一直來到了阿富汗和巴基斯坦, 但 1954 年 12 月,卻在 Khyber Pass 分道揚鑣。這次長途旅行為我們奉獻了《人情世故》這本詩集。這是名副其實的詩歌藝術,布維耶開創了一種漫遊體文學,遊蕩於字詞、句子、體裁、熟悉或陌生的引文之間。這本內容混雜、思想開放的詩集首先邀我們用感官盡情感受,但卻為結構主義者的文學批評家所完全漠視,他們對這根本不想知道。奈何,這些批評家根本不想傾聽一個流浪漢敘述他的飢餓、疲憊、熱病、瘋狂,每天晚上尋找一席之地以舒展酸痛的筋骨。〝流浪大師〞有何用?

布維耶繼續孤身上路,穿過印度, 1955 年來到錫蘭,這是一個可怕的地方, 他差點陷入瘋狂。〝如果你不讓旅遊把你搞得精疲力盡,你便學不到甚麼東西。〞他這樣說道。在島上潮濕、悶熱的氣氛下,活動受限制,但他卻寫下了《魚 - 蠍子》 (Poisson-scorpion) 一書,遲至 1981 年才出版問世。〝旅遊是一百次將頭放在鍘頭的砧板上,又一百次將放著頭顱的籃子取回,而這頭並沒有甚麼兩樣。〞他經常頹喪地坐在椅子上,為熱病和回憶所困擾,在熱帶昆蟲毆鬥的嗡嗡聲中,他久久地追憶父親的名字。當他在沙灘上散步的時候,前路突然〝在沙地上中斷,彷彿一個人覺得自己講得太多,突然停下來一樣。〞 《魚 - 蠍子》是他最痛苦的一本書,文筆也最乾癟,但卻以其致命的咒語般的魅力令人著迷,可將其和米肖服用麥司卡令後寫下的文字相媲美。布維耶離開錫蘭,在開往東京的輪船上做粗重的活兒。〝我下船登岸,將行李寄放在東京市內的寄存處, 袋裡裝著一把牙刷,在這個漫無邊際的城市裡茫無目的地走著。〞他在東京住了一年,寫作和靠攝影維生。 1956 年,經過三年的長途跋涉,他回到了瑞士,結婚並在日內瓦附近的科利尼 (Coligny) 住了下來。他創辦了肖像收藏生意,他個人的收藏竟超過三萬件。 1964 年,布維耶攜妻帶子再度來到日本,一住便是兩年多,靠寫些不固定的報導、攝影、翻譯以及種種小生計,在這個〝完全不一樣〞的國度生活。 1989 年,他發表了《東瀛軼事》 (Chronique japonaise) ,但他大部份的文章都未發表過。他的內子愛麗安 (Eliane) 在他死後將他的《永恆片斷》以《虛與實》 (Le vide et le plein) 的書名結集出版。六十年代的日本讓外來者看到的是抗拒、躲藏,由於它的不透明,甚至令你惱怒、煩厭,〝這個唯美、守紀的民族〞。但很快他又為它著迷,〝當日本人在他們沒有廣闊地平線的風景裡感到侷促不安的時候,他們便鑽進蘋果或者核桃中尋找解脫。〞

《虛與實》顯然與詩集《裡與外》 (Le dehors et le dedans) 遙相呼應。這本詩集不斷被修飾,隨著屢屢再版,內容亦愈加充實。
《裡》《外》兩部份對等分配的奇特的詩集,共收集四十幾首詩。布維耶承認詩歌〝對我來說比散文更重要,因為它非常直接,不轉彎抹角。〞這個觀點並不妨礙他相信詩歌裡必須存在〝一點小小的晦澀、兩三個摸不透其涵義的字詞〞。詩歌還應該是〝咒語〞和〝驅魔術〞,以便〝竭力對抗和遠離威脅。〞他的詩歌是一些簡略的圖畫,在尋找適合它們的字詞,詩句伸展開來,節奏千變萬化,碰撞、分裂,以漫遊為主題,與日內瓦這個他屢次出遊的起點站相配合。

1985 年,〝我像愛斯基摩人那樣裹得嚴嚴實實,出發去看看微不足道的東西究竟是甚麼。〞〝微不足道是一個特別的字眼,毫無意義。它總讓我感到疑慮。〞他到了阿朗 (Aran) 的一些島嶼,寫了一本旅遊日記。我們在書中看到了浪花,漆黑的夜,喧囂,一路上像他的影子一樣跟著他。男人們做著零星活兒,喝酒,女人們編織毛衣,島上的每個村落都有自己的生存意義:〝過去,是辨認被大海拋上岸的淹死的人,魚和螃蟹是不吃毛料衣服的。〞簡單的幾個字爆發出神奇和奧妙,這在布維耶的作品裡是常見的。他近視、是個左撇子,神經衰弱,但酒量卻很好。在眾人面前溫文爾雅、神態安詳。他的幽默含蓄不露,認識他的人都讚他為人高尚,沒有文人的嫉妒和傲慢。他隱居科利尼,在不出門的時候,喜和妻子和兩個子女共渡時日,聽聽音樂,讀讀書,弄弄貓兒。〝三十年來,我一直是形象的追尋者,這個職業與弄鼠者和塊菰犬一樣普遍,但沒有一處地方可以學到。我跌入其中,好比一顆石子掉進了井裡。我帶著一個旅遊故事的手稿回到巴黎,但到處遭人拒絕。〞
為結束這篇向浪遊詩人致意的短文,請允許我引用古波斯詩人尼札米 (Nizami) 的一句話,他說:〝如果智者還不知道這個世界的秘密,那麼小酒館老板又該去問誰呢?〞