Poésie
Texte : Bernard Pokojski

Jacques Izoard, dormir sept ans

« J ’ai rêvé d’être en vie
quelque part et nulle part.
Mais mon rêve en charpie
n’a pas fait de vieux os.
Ne rêve à rien, tu deviendras
poussière, poussière, poussière. »
         Jacques Izoard

Vendredi 18 juillet de cette année, Jacques Izoard avait assisté à Bruxelles aux funérailles de Gaston Compère et généreuse la mort est allée le chercher du même pas le lendemain matin, le foudroyant d’une crise cardiaque. Izoard avait 72 ans et quittait sa ville de Liège qu’il avait tant aimée... Regard sur un poète belge majeur qui vécut le plus clair de son temps pour la cause poétique et dont la réputation s’étendait des deux côtés de la frontière. Il était tout d’abord né Jacques Delmotte à Liège même, dans un quartier populaire, fils d’un père instituteur et d’une mère professeur de dessin.

L’enfant manifesta très tôt un attrait pour le théâtre de marionnettes et la prestidigitation ainsi que les comptines, les devinettes et les jeux de langage. Adolescent, les poètes romantiques auront ses faveurs mais très vite, ils céderont la place à Picabia et Lautréamont. Il tiendra aussi un cahier personnel qui recueillera ses premiers poèmes. A 18 ans, il s’inscrira à l’Université de Liège mais devant travailler pour gagner sa vie, il sera contraint d’abandonner. En 1955, il entrera cependant à l’Ecole Normale de sa ville afin de se tourner vers le professorat. Il donnera alors ses premiers poèmes à une revue et recevra les encouragements de Georges Linze et André Curvers. A Paris, il ira à la rencontre de Jules Supervielle, André Breton, Francis Ponge et en 1960-61 fera son service militaire en Allemagne dans les impitoyables Chasseurs Ardennais. Un an plus tard, sortira son premier recueil Ce manteau de pauvreté et il adoptera le pseudonyme définitif d’Izoard, nom de ce défilé de roches rouges des Alpes qu’il avait vu passer lors d’une chevauchée en vélomoteur et dont la sauvagerie désertique l’avait fasciné. Ce recueil alliait poèmes et récits annonçant déjà certaines des interrogations d’Izoard qui accompagneraient sa trajectoire de poète. « Je voudrais trouver le point principal de mon corps, là où j’ai mal quand je souffre en silence. Est-ce un arbre qui grandit dans ma tête et qui m’étourdit du murmure incessant de ses feuilles? (...) A vrai dire, je ne me suis jamais remis de ma naissance. » Izoard fixait aussi son objectif : « La poésie est pour moi le moyen de vivre mieux et plus longtemps dans l’épaisseur des choses. » En 1964, Izoard rend visite à Zadkine dans son atelier parisien, rencontre Octavio Paz et Asturias. Cette année-là, il entrera aussi au comité de rédaction du Journal des Poètes auquel il donnera des poèmes, entretiens et notes de lecture. Il découvrira aussi l’Espagne dont certains paysages l’émerveilleront et commencera à bâtir une œuvre poétique faite d’une cinquantaine de recueils qui semblent couler tout naturellement de sa plume inspirée.

En 1972, autre découverte : les textes d’Eugène Savitzkaya, liégeois tout comme lui, dont l’écriture novatrice provoquera en lui un véritable choc et le conduira à écrire quelques recueils à quatre mains. Izoard lancera aussi la revue Odradek qui fleurira jusqu’en 1970 pour devenir un haut lieu de création poétique. Odradek, mot emprunté à Kafka et qui désignait chez celui-ci cet objet qui bouge tout le temps et qui ne se laisse jamais attraper, n’était-il pas le mieux trouvé pour saluer la poésie... Naîtra alors quelque chose que certains appelleront « école de Liège », autour de Jacques Izoard et de la petite maison d’édition de l’Atelier de l’Agneau. A Liège, Izoard mettra sur pied des séances de lectures publiques inaugurées par le célèbre « Machupicchu » de Pablo Neruda et on le verra aussi participer à de nombreux colloques sur la poésie, de Cerisy à Rotterdam, déployant une incroyable énergie, sans pour cela oublier ses obligations d’enseignant qui introduisait chez ses élèves « le poème du jour ».
Izoard, homme de communication et d’échange, véritable passeur, était décrit comme un personnage facétieux, pétri de bon sens et de générosité dont les coups de gueule et l’humour pince-sans-rire ainsi que les anecdotes glanées au cours de ses déambulations liégeoises vont manquer à ses nombreux amis. Izoard était aussi très attentif aux autres et savait insuffler l’envie de continuer à écrire et le dépassement, encourageant tout jeune poète en pointant chez lui le meilleur, n’était-ce qu’un seul vers. Il avait beaucoup de sympathie pour les laissés pour compte, les marginaux et toutes les petites gens de son pays de Liège. Le nom d’Izoard lui-même commencera à circuler dans les années 70 et La Patrie empaillée éveillera des commentaires élogieux dans la presse et « restera incontestablement comme un livre où la poésie la plus dense se met au service d’une curieuse équation ».

« Jacques Izoard s’affirme comme un des meilleurs poètes de sa génération. L’aisance et l’habileté deviennent dans ce recueil des éléments essentiels de création du poème. » Chez Izoard il y a incontestablement une fascination envers le langage et ses mots dans ce qu’ils ont de plus concret « Le langage est d’abord physique et la bouche qui prononce les mots est le premier lieu où l’on trouve le réel. A l’intersection permanente des mots et des corps se trouve le poème, objet lui-même, objet physique, objet rond, sensuel, caillou, puis bogue et oursin » pour reprendre les mots de Gérald Prunelle, grand connaisseur d’Izoard « J’aime les mots assez courts, un peu tassés sur eux-mêmes : corps, sommeil... » « Chacun a sa constellation de mots, on a son propre vocabulaire. Il n’existe pas une langue française, il n’existe qu’une langue française éclatée, où chacun parle sa propre langue. » «Je ne peux me servir de mots abstraits, ou très difficilement. » Izoard se servira d’autre part d’un ensemble de mots qu’il aura restreint afin de creuser en quelque sorte ces mots, de les retourner en tous sens et de les évider. « Qu’on ne s’y trompe pas ! A force de dire et de redire les mêmes mots, la voix devient blanche, réduite enfin à ce qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être : elle-même ». Izoard allait livrer son combat avec les mêmes interrogations, les mêmes tentatives qui sont autant de reprises qui allaient le mener vers l’insoluble. « Après tout, peut-être les poèmes ne s’amoncellent-ils nullement dans la mémoire. Comme les vagues, ne s’annihilent-ils pas l’un l’autre ».

Laissons-là la question faire son chemin puisque déjà nous parlions d’insoluble... Qui abordera la poésie d’Izoard ne saurait manquer son aspect « matérialiste », sa proximité avec Ponge, et la place déjà dite du concret, et de l’élémentaire le plus immédiat. Poésie toute faite de la sensation bien plus que du sentiment, façonnée par la main, la bouche et la peau. Mais ce monde semble cependant comme de tout temps, morcelé, fragmenté, ayant perdu une unité fondamentale et les objets s’y multiplient... La voix du poète est sèche, brève presque avare et son moi incertain qui avance à tâtons...

Pour ses 70 ans, les éditions de la Différence publiaient en deux épais volumes ses Œuvres complètes, depuis ses premiers recueils jusqu’à Dormir sept ans (2001). Ce qui frappera, c’est le nombre imposant de textes : 4 650, - qui donne à Izoard encore une nouvelle dimension et le lecteur aura alors l’impression d’être en face d’un livre total où les poèmes accumulés et comme tissés recréeraient la planète entière. Ils gardent tous cependant le secret de leur beauté, chant continu et comme infini où tout à coup se fait entendre une trouvaille verbale.

Cette année 2008, il avait fait paraître son dernier recueil, Lieux épars, ses Œuvres complètes n’ayant pas réussi à l’embaumer, et Jacques De Decker avait écrit à cette occasion que si Izoard s’est choisi un col pour pseudonyme, l’auteur (...) détient surtout de vastes cavernes d’où il exhume des richesses lyriques inépuisables... »

Depuis, Izoard s’en est allé dormir sept ans, nous laissant face à ses textes mais « l’écouter revient à élargir notre ouïe à l’infini », pour reprendre encore les mots de Jacques De Decker.
Avant de nous quitter, puisque la poésie ne souffre d’aucune frontière, un dernier salut à Mahmoud Darwich, le poète palestinien disparu ce 9 août 2008.

Textes-coquilles, textes bogues, où je dors sourd et aveugle, où je ne crois pourtant que ce que je vois, que ce que j'entends. Ajouter de la paille et enrouler de fil.
La patrie : le corps, peut-être, que l'on a sous les yeux. Procurez-vous un assortiment d'aiguilles à coudre, une paire de ciseaux, de la paille dont se servent les vitriers et les emballeurs, du plâtre de Paris, du sel de table... Déchirez du papier journal en petites languettes...
(extrait de La Patrie empaillée)


Parole de fil blanc
cousue de verre ou de liseron.
J'entoure ton corps
sans savoir qui tu es,
lampe où l'été
est torrent de poissons.
Pille tout ; les œufs, les outils,
les vêtements
qu'on ne mettra plus.
Les doigts toucheront
les nouveaux doigts.
Pouces, pierres, pupilles
ont des souffles cachés.
Je les connais à peine :
Je dors dans mon sommei

 

詩詞

雅克.伊索阿爾︰長眠七年

〝我 夢想這兒那兒
隨處生活。
但我破碎的夢
並不長久。
別再造夢啦,
你終將化作塵土
隨風飄颺。〞
— 雅克.伊索阿爾


• Jacques Izoard (Bronze de Nina Rodriguez - Castinado, 2006)

今年7月8日星期五,雅克.伊索阿爾在普魯塞爾參加了加斯東.孔佩爾(Castorn Compère)的葬禮後,第二天早晨便心臟病發,慷慨的死神就這樣奪走了他的生命。終年七十二歲的他溘然作別了他心愛的城市列日…… 讓我們回顧一下這位比利時大詩人走過的路。他終其一生,孜孜矻矻,為詩歌奮鬥,詩名遠播法比兩國。他原名雅克.德爾莫特(Jacques Delmote),出生於列日的平民區,父親是名小學教員,母親則為圖畫教師。

從孩提時代起,他便對木偶劇、魔術以及童謠、謎語、文字遊戲表現了極大的興趣。少年時代,浪漫主義詩人是他的心頭愛,但很快便讓位以皮卡比亞(Picabia)和羅特雷亞蒙。他在一本筆記簿裡寫下了他最初的詩作。十八歲時,他報讀了列日大學,但由於需謀生,便不得不中途輟學。1955年,他進入列日的師範學校,立志從事教育。他向一份雜誌投稿,寄出自己的處女詩作,並得到喬治.林茨(Georges Linze)及安德烈.屈爾維爾(André Curvers)的鼓勵。在巴黎,他結識了儒勒.蘇佩維埃爾、安德烈.布勒東及弗朗西斯.蓬熱。1960年至1961年期間,他在德國服兵役,加入英勇不屈的阿登省步兵團。一年之後,他發表了第一本詩集《貧困的外套》(Ce manteau de pauvreté)並最終取了伊索阿爾這個筆名。這名字來自阿爾卑斯山的一座山。一天他騎著摩托車在紅色的山巒間馳騁,荒涼險惡的山岩給他留下了深刻的印象。這集子融合了詩歌與故事,並提出了許多疑問,這些疑問一路上伴隨着他走過詩人的人生路。〝我想找出我身體的主要部位,當我默默受苦時,就在這部位感到痛楚。我腦袋裡是否長着一棵大樹,那樹葉不斷的沙沙聲令我頭暈目眩…… 老實說,自出生以來,我就沒有平靜過。〞他的目標亦很明確︰〝詩歌是我在這天地間得以更好地、更長久地生存的一種方式。〞1964年他造訪了札德金(Zadkine)在巴黎的畫室,結識了奧克塔維歐.帕茲(Octavio Paz)及阿斯圖里阿斯(Asturias)。這年,他亦加入《詩人報》(Journal des poètes)的編輯工作,並在報上發表了詩作、訪談和讀書筆記。他發現了西班牙,這國度的一些山川景色令他神迷,於是他着手創作一部由五十幾本詩集構成的皇皇巨著,詩歌從他神來之筆的筆端下汩汩流出。

1972年,他有另一發現,即歐仁.薩維茨卡亞(Eugène Savitzkaya)的著作。和他一樣,這位作家亦是列日人,他清新的文筆令他震驚,並促使他與之合作創作了幾本詩集。伊索阿爾亦創辦了《Odradek》雜誌,一直辦到1970年,成為詩歌創作的聖地。Odradek一字是從卡夫卡的作品借來的,意指一件無時無刻不在活動而又捕捉不到的東西,用來讚美詩歌是再恰當不過了 ……圍繞着雅克.伊索阿爾及小小的L’Atelier de l’Agneau出辦社,一個文學流派誕生了,人們稱它為〝列日派〞。在列日,伊索阿爾舉辦了公開的詩歌朗誦會,以智利詩人巴勃羅.聶魯達的著名詩篇《馬丘比丘》(Machupicchu)揭開了序幕。他還積極參加了無數的詩歌研討會,從瑟里西(Cerisy)到鹿特丹,表現了難於置信的精力。同時亦沒有忘記教學工作,他為莘莘學子講授了〝當代詩歌〞。伊索阿爾是一個交際廣闊,善於溝通的人。他為人詼諧幽默通情達理、心胸開闊。他的高聲叫喚、冷面滑稽的幽默以及從列日日常生活中收集來的趣聞軼事,當令他眾多的朋友為之思念。伊索阿爾亦非常關懷他人,激發他人繼續創作,超越自身。鼓勵年輕詩人,指出他們的優點,那怕只寫出一首好詩。對於列日城中被遺棄的人、邊緣人及社會底層的各類小人物,他都寄以極大的同情關懷。七十年代,伊索阿爾這名字不脛而走,他的詩作《La Patrie empaillée》在報刊雜誌上好評如潮,〝無可爭辯地成為這樣一本書,即書中簡潔的詩句變成奇妙的方程式。〞〝雅克.伊索阿爾確立了他同時代最優秀的詩人之一的地位。自然流暢、活潑靈巧是他這本詩集詩歌創作的基本特徵。〞在伊索阿爾的作品裡,有對語言的執着迷戀,他使用的詞匯極其具體。熱拉爾.普呂內爾(Gérard Prunelle)這位伊索阿爾的知音人這樣說道︰〝語言首先是物質的,說話的嘴是現實存在的第一個地方。在字詞和事物不斷的交融和磨合下,產生了詩歌,它本身是個物體,物質、豐滿、感性、艱澀、棘手的物體。〞〝我喜歡短小的字詞,如Corps,Sommeil等等〞〝每人都有自己的一大堆詞匯,自己的語言。不存在所謂法蘭西語言,而只有光彩奪目的法蘭西語言,人們借助它說自己的話。〞〝我不善於使用抽象的詞匯,或者說用起來十分困難。〞伊索阿爾使用他嚴格控制下的一些詞匯,把它們翻來覆去,挖掘、掏空。〝大家注意,由於不斷重複又重複地說着一些話,語調變得平直,最終變成它不應終止的原來狀態︰它自己。〞伊索阿爾不斷地探索着同樣的問題、反覆嘗試,最終把他引向不可解的境地。〝總之,詩歌大概無法在記憶裡堆積儲存,這好比浪濤總是一浪接一浪。〞


• La Maison

既然這是不可解的,那就讓我們把問題擱下,讓它自行解決吧…… 不管是誰,一經接觸伊索阿爾的詩歌,便不會錯過它那〝物質〞的外表,和蓬熱詩歌的相近,以及那具體的、最直接基本的東西。這詩不僅由感情,而更多地由感性,經過手、嘴、皮膚營造而成。然而我們這個世界一直以來彷彿被分割、打碎,喪失基本的統一,各種事物則五花八門,紛至杳來…… 詩人的聲音變得嘶啞、短促幾近微弱,他把握不住自己,在黑暗中前行……

在他七十大壽之際,La Différence出版社出版了他厚厚兩大冊的《全集》,將他最初的詩集直至2001年出版問世的《長眠七年》悉數收集在內。總數洋洋灑灑4,650篇的文字令人驚訝,給伊索阿爾的作品以一個嶄新的閱讀空間,讀者彷彿面臨一部詩歌全書,堆積交織的詩歌彷彿再創了整個世界。每首詩歌均蘊涵着神秘的美,不斷地吟着,悠悠無期,倏然,一個優美的樂音從中躍出。
全集的出版並沒有讓他就此止步,今年2008年,他出版了自己最後一部詩集《Lieux épars》。Jacques De Decker是這樣評說他的︰伊索阿爾以一座山的名字來作自己的筆名…… 其實他自己擁有許多深邃的山洞,從中他發掘出無窮無盡的詩歌寶藏……
最後,伊索阿爾〝長眠七年〞去了,為我們留下了他的著作。讓我們再次引用Jacques De Decker的話,他說︰〝傾聽他的吟唱即將我們的聽覺擴展至無限。〞

詩歌是無國界的,在駐筆之前,讓我們向另一位詩人Mahmoud Darwich致最後的敬意,這位巴勒斯坦詩人於2008年8月9日辭別人世。