Poésie
Texte : Bernard Pokojski

Emmanuel Looten, bienvenue …

« Vous êtes de ceux qu'il y a lieu de détester ou d'aimer à chaud, sans prendre ses précautions ni ses distances. Or, j'aime votre poésie, malgré tous vos efforts à la rendre particulièrement hirsute, hostile, grimaçante, antipathique ; peut-être aussi à cause, justement, de tant de sincérités en elle qui révèlent tout de suite les paroxysmes. » (Alain Bosquet)

« Je ne parle pas français, je parle Looten, mais pourquoi parlerais-je une autre langue que la mienne ? » lancé à un journaliste en 1971.

Looten donc, un nom qui ne dira sans doute rien à de nombreux lecteurs, aurait fêté ses cent ans l'année dernière, à Bergues, ville considérable où il vit le jour. Et Pierre Dhainaut encore de nous livrer ces propos : « Il étonne, il bouscule le système de repères grâce auquel on voudrait se rassurer : une puissance est là, en acte, qui embrase les mots et les emporte, qui exige de nous, soit la négation, soit l'adhésion, un comportement sans réserve. Il rend impossibles les compromis, les demi-mesures. » Dhainaut, rejoint ici en quelque sorte Alain Bosquet qui de son côté mettait l'accent sur une poésie hirsute, hostile et grimaçante en saluant « une puissance en acte qui embrase les mots ».

Looten était vraiment une force de la nature qui dans sa jeunesse avait couru un 100m en 11 secondes, lancé le poids et joué au rugby. Durant la guerre, il endossera l'uniforme d'aviateur et aura mené une double vie de poète et de cadre industriel ne voulant laisser seul son frère à leur entreprise familiale. Looten publiera son premier recueil A cloche-rêve en 1939 et L'Opéra fabuleux , en 1946 marquera la fin de la période de ses débuts où il se reprochera d'avoir manqué de hardiesse car tout de suite il aspirait à cet envol que ne pouvaient lui offrir la versification et les usages du discours. Il ira alors à la conquête de son indépendance poétique rejetant rimes et mètres réguliers trop prévisibles à son goût et sapera les liens logiques pour préférer invocations et interjections qui seront alors vagues ou flammes. Il fera entièrement confiance aux allitérations et assonances pliant les vocables et les métamorphosant en pures forces sonores. Pour lui, le sens devait alors jaillir du déchaînement des sonorités « brutes », un de ses adjectifs favoris, et la langue très vite allait manquer de ressources puisqu'il créerait des néologismes de toutes sortes, associant deux noms, faisant d'un verbe un nom et vice versa. Il aura aussi recours à certains archaïsmes et choisira des mots étrangers pour leur bizarrerie et leur rudesse, s'offrant même le plaisir de créer de nouvelles onomatopées.

Emmanuel Looten accompagnait en cela d'incomparables inventeurs de mots tels que Du Bartas et René Ghil qui avait associé à chaque son le timbre d'un instrument. Henri Michaux n'était pas très loin non plus, et Pichette préfaça son Grenier sur l'eau en 1949. Looten déclarera qu'« on doit en finir avec cette superstition des textes et de la poésie écrite » et avait rêvé d'une poésie ayant renoncé au soliloque pour « devenir symphonie » à laquelle « viendrait s'incorporer une batterie ». Il se référera au jazz dans ses poèmes et dans son théâtre on assistera à une multiplication de voix.

D'autre part, Looten se liera d'amitié avec Karel Appel, le peintre COBRA, qu'il qualifiera de « Messager de la férocerie » et en 1954, ils produiront une plaquette-objet, Haine , puis en 1975, un an après la disparition de Looten, sortira Rhapsodie de ma nuit qui par-delà la mort affirmera les liens étroits entre le poète et le peintre, violent et tourmenté lui aussi. Looten avec ses mots rejoignait les peintres COBRA qui foudroyaient leurs toiles de couleurs vives. Il se sentira aussi attiré par Georges Mathieu, précurseur et chef de file de l'abstraction lyrique dont l'art consistait à couvrir ses toiles d'un entrelacs de signes non figuratifs dans un geste immédiat seul capable, selon lui, de livrer les impulsions les plus profondes de la vie psychique. Avec Looten, il partageait une passion pour le Moyen-âge et un attachement pour le Nord et « son peuple indomptable, doué d'une énergie peu commune. » Looten écrivait dans une sorte d'urgence et Raphaël Mishkind, artiste et galeriste lillois se rappelle l'avoir vu écrire un poème à l'improviste en quelques instants devant un meuble : Ses manuscrits d'ailleurs portent peu de ratures et l'écriture impulsive semble se dérouler en un seul mouvement. Il éditera la plupart de ses livres à ses frais et quelquefois, en déposant ses parutions chez un libraire, les offrira à ceux qui leur témoignaient de l'intérêt. Ne publiant jamais pour être vendu, il n'aura aucun service de presse et peu d'articles salueront ses ouvrages. Cependant, la vie qu'il menait à Paris le mettra au premier plan des manifestations de l'après-guerre. Il offrira des exemplaires de cornes dénichées au Marché aux Puces à Dali, grand collectionneur de ces précieux objets, qui en retour exécutera un dessin de sa femme Andrée Aroz, en rose. Avec Dali toujours, il collaborera à un numéro spécial des Rois Mages et présentera à la Fondation suisse, le chou-fleur géant réalisé au centre agricole de Rosendael. Les formats de ses recueils étaient le plus souvent modestes, contrastant avec ceux des poèmes-objets ( Kermesse pourpre , Cogne-ciel , Haine ) qui pouvaient prendre la forme d'un dépliant ou d'un éventail et les textes recto-verso se déployaient en pliages souvent complexes. La modestie du tirage de ses recueils quelquefois simples plaquettes entraînera aussi de nombreuses anthologies publiées de son vivant même. Curieusement, Looten sera traduit en japonais et J'étincelle de lumière forte , en 1960, sera calligraphié sur éventail par Sofu Teshigahara dans une traduction de Tore Haga. Cogne-ciel ou Haine trouveront eux-aussi leur chemin au Japon et il correspondra avec Mishima. Looten suscitera aussi de l'intérêt en Italie et une anthologie y paraîtra établie par Alain Bosquet en 1954. Sa renommée s'étend jusque dans les pays arabes grâce à des traductions de poèmes et d'articles. Lurçat créera des tapisseries inspirées du poème Saint-Eleuthère qui figure dans le recueil Chaos et le Lillois Michel Degand exposera à Los Angeles et San Francisco douze tapisseries inspirées par Chant vers l'impossible (1972).

La poésie de Looten sera souvent taxée d'ésotérique, hermétique, ce dont il se défendra en avançant que « le poème est le langage de la magie » et que le poète se devait « d'inventer une langue comme l'a dit Rimbaud ». Iaroslav Serpan verra chez Looten un « viol du langage usuel par un systématique délabrement de ses structures, la mise à feu des poudrières de la syntaxe ou encore sa réduction à ses états élémentaires : le cri, le râle, le paroxysme du phénomène, l'invective d'avant l'Histoire ». En 1949, à la Maison des Artistes d'Anvers, Looten confirmera son mysticisme sauvage : « La substance poétique est avant tout l'appel du Créateur. Dieu fait le poète, l'appelle et le brûle à mille feux sans rédemption. »

Ecrire fut pour lui toujours un acte tragique et « le sang de poésie est hémorragie propre, il est énorme dépense, somptuaire et bénévole libation, un sang riche d'incompréhension, et balayé à des égouts faciles. » Ce poète traduit en de nombreuses langues fut cependant viscéralement attaché à sa Flandre natale où il voyait à l'œuvre un celtisme inhérent à son Histoire « deux qualités majeures et qui sont partagées par les gens du Nord, un certain mystère, quelque chose de plus mystérieux et de plus irrationnel (…) et ensuite ce qu'on pourrait appeler le cosmisme, c'est-à-dire un rapport avec les forces telluriques de toutes les planètes. »

Jean Rousselot le surnommera le « Viking égaré dans notre siècle » mais un recueil de 1968 sera intitulé Exil intérieur comme si Looten avait ressenti qu'après avoir palpé le ciel et déchaîné les éléments on se retrouve toujours face à soi-même. Sa santé se détériorera et il ira chercher le soleil à Juan-les-Pins où l'attendait la mort en 1974.

Que reste-t-il d'Emmanuel Looten ? A vrai dire, je n'en sais trop rien. Des recueils déjà dispersés de son vivant et sans doute personne pour les rassembler mais il rejoint par-là toute une cohorte de poètes qui ont vécu vraiment pour la poésie.

Jeux de Je
Souilles de vêpres arsouille, joyaux
De sang sec, chanvre chauve,
Plaies étoupées, éclats d'un je calfat…
Ciel main inertiel, un gong aux ergots d'or.
Jeu d'otarie : la lune…
Hautains jets d'eau ployés, piezo-quartz d'une onde,
Frileux jaillis, un souviens-toi charnel
Où scintille une peau de ciel.
Orgues bouc et Jubal rugit-siffle,
Tuba épilepsie.
L'océane insolence de ces jetées hachées.
Toi poème-Magie, espace des nuances, clous-croix métal de sang,
Je… Moi…

Carnassier, le feu reste fauve : Halliers ocellant, la bauge cervière crépite d'un élan qui est maître et meurtre, nerf et sang de l'humain. O carnivores à feu d'entrailles. Chaude origine de mon semblable problème. La saison fuyarde rebrousse un ciel déperdu. Une défense, cornue du ciel, bigarre les pluies déverses.

La flamme est femme en sa nef mouvante. Accentuant le sol mouillé, le rendez-vous transi, neuf de signe éternel. Besoin chaleur à lumière mendiante. Le soleil, pâlement imitant, quiert les besoins épuisés, comme crépitent les torches du flanaire humain.
Le feu (extrait)



詩詞

埃馬紐埃爾.魯坦,歡迎你……


• Photo d'André Dourdin, Arthur Van Hecke et Emmanuel Looten, 6/10/62

〝你是屬於人們可以毫無戒心、直接去愛或恨的人。我喜歡你的詩歌,儘管你竭盡全力,把它變得粗野、充滿敵意、怪異、令人討厭;也許還因為詩裡蘊含着如許多達至頂點的真誠善意。〞 (阿蘭.博斯凱)

〝我不說法文,我說魯坦話。我為甚麼要說其他語言,而不說自己的語言呢?〞1971年他衝着記者這樣說道。

也許很多讀者對魯坦其人一無所知,而去年在Bergues他出生並頗重要的城市,有紀念他百歲冥壽的活動。皮埃特.戴諾 (Pierre Dhainaut) 這樣說道:〝他讓人驚奇,他推翻了一直以來人們賴以心安理得的規則:他是一種活動中的力量,將字詞燃燒、捲走。他要我們或接受,或拒絕,毫無保留餘地。既不能妥協亦無權宜之計。〞這裡戴諾與阿蘭.博斯凱可謂不謀而合。博斯凱強調其詩歌的粗野、敵意、怪異,而戴諾則說〝這是一種將字詞燃燒的活動中的力量。〞

魯坦的確具有一股與生具來的力量,年輕時以十一秒的速度跑了百米,擲鉛球、鐵餅,玩美式足球。戰爭期間,他穿上飛行員的制服,過着既是航空員又是工廠管理員的雙重生活,因為他不忍讓其兄弟一人打理家族企業。他於1939年發表了處女詩集《A cloche -rêve》。而1946 年問世的《神奇歌劇》(L'Opéra fabuleux) 則標誌着他事業第一階段的結束,他自責自己這一時期缺乏勇氣。他渴望的是詩學和寫作未能給以他的騰飛。於是他拋開太熟悉的詩歌韻律,開辟自己獨立的詩歌道路。他打破邏輯的枷鎖,更喜運用那如波濤起伏、如火焰飄忽的祈禱和感嘆。他完全信賴頭韻和准押韻,折疊着詞語,把它們幻變成純粹的鳴響力量。他認為字詞必須從〝粗野〞奔放的鳴響中才能迸發出意義來。〝粗野〞是他喜愛的字。他創造各種各樣的新詞,將兩個各詞連結起來,將動詞變成各詞,或相反,將名詞變成動詞。他也利用一些古語,選一些佶屈聱牙、古靈精怪的外來字,甚至創造一些擬聲詞。

埃馬紐埃爾.魯坦在這方面不乏創造新詞的同路人,如迪巴爾塔(Du Bartras)及勒內.吉爾(René Ghil)。後者竟用樂器來為每個字的發音配上相應的音色。亨利.米修亦不遑多讓。皮謝特(Pichette)於1949 年為他的《水上閣樓》(Grenier sur l'eau)作序。魯坦宣稱〝必須與文字及以文字書寫詩歌的迷信決裂〞,他曾經設想一種放棄內心獨白代之以〝交響樂〞並〝伴以敲擊樂〞的詩歌。他在詩中注入爵士樂的因素,而在其話劇裡則可聽到各種聲音的混雜。


• Dessin préparatoire de Mathieu pour le costume de Mag dans la Saga de Lug Hallewijn, 1965.

另一方面,魯坦和〝戈伯拉〞(Cobra)的畫家卡雷爾.阿佩爾交往頗篤,稱他是〝殘暴的使者〞。1954年,他們一起創作了名叫《憎恨》(Haine)的實物詩集(plaquette-objet),1975年,即魯坦逝世後的頭一年,《我的黑夜狂想曲》(Rhapsodie de ma nuit)問世,越過死亡,向世人顯示詩人與畫家的緊密關係,作品同樣激昂、焦慮不安。魯坦以其詩文和〝戈伯拉〞的畫家們聚集一起,這些畫家在他們的畫布上潑上鮮艷的顏色。他亦為抒情抽象畫家的先驅和執牛耳者喬治.馬蒂厄(Georges Mathieu)的畫所深深吸引。這位畫家的創作手法是直接在畫布上畫滿非具象的交織花體字,他認為這種手法最能充份表現內心深處靈魂的顫動。他和魯坦一起,對中世紀表現了極大的激情,對北歐以及其〝具有非凡能力、不可征服的人民〞寄以深沉的愛。魯坦善於作急就章,拉斐爾.米什金(Raphaël Mishkind)這位里爾的藝術家兼畫廊負責人這樣憶述道,他曾目睹魯坦在一張桌子前即席賦詩的情景,一瞬間便大功告成。他的手稿甚少塗改的痕跡,遒勁的筆跡彷彿一氣呵成。他大部份的作品都是自費出版的。有時候他親自將書籍寄放在一家書店裡,提供給對它們感興趣的人。他寫書之意不在銷售,因此無需求助媒體,亦很少見到宣傳他作品的文章。然而,他在巴黎的生活卻把他推到戰後各種示威的前台。他把在跳蚤市場獵得的牛角送給達利(Dali)這位珍稀物品的收藏家。為回報他,達利為他的妻子安德蕾.阿羅茲(Andrée Aroz)畫了一幅粉紅色的畫像。他還和達利一起編輯了《三王雜誌》(Rois Mages)的一期專刊,並在瑞士基金會展示了他在Rosendael農業中心製作的巨型花菜。他的作品尺寸一般都不太大,和他的實物詩(poèmes-objets)如Kermesse pourpre, Contre-ciel, Haine形成鮮明對照。這些實物詩是折疊式或折扇式的,正反兩面的書頁常作複雜的折疊。他的詩集,有時是一些簡單的小冊子,印刷數量有限,在他有生之年,亦被結集成許多選集出版。令人驚訝的是,他的作品竟被譯成日語。《J’étincelle de lumière forte》由Tore Haga譯成日語,並於1960年由Sofu Teshigahara書寫在扇面上。Contre-ciel和Haine在日本亦廣受歡迎,他並和Mishima互通書信。魯坦在意大利亦引起關注,1945年,阿蘭.博斯凱編選的他的一部詩集在意大利出版。隨着他的詩文被譯成阿拉伯語,聲名遠播阿拉伯世界。呂爾薩(Lurçat)受他在《Chaos》詩集裡的一首詩Saint-Eleuthère的啟發,製作了精美的掛毯。里爾人米歇爾.德岡(Michel Degand)在美國洛杉磯和舊金山展出了他受《Chant vers l’impossible》(1972)一詩啟發而製作的十二幅掛毯。

魯坦詩歌常被人視為玄奧、晦澀難懂,對此他這樣辯解道:〝詩歌是魔術的語言〞。雅洛斯拉夫.塞爾邦(Iaroslav Serpan)在魯坦的作品裡看到〝他以系統的對語句結構的破壞來侵犯語言。將句法付之一炬,或將其化作最基本的狀態:吶喊、喘息、事物的極點、野蠻的咒罵。〞1949年在安特衛普藝術家之家,魯坦是這樣界定他的粗野的神秘主義的,他說︰〝詩的本質首先是造物主的召喚。上帝創造詩人,召喚他,並將他燃燒成熊熊烈火,無法贖救。〞

對他而言,寫作是一種悲壯的舉動,〝詩的血液是汩汩湧流的純潔的血,是神聖無償的澆祭,它神秘不可理解,流向最通暢的下水道。〞他的詩被譯成眾多的語言,但他卻始終本能地與弗蘭德故鄉息息相連,在那兒他看到其歷史固有的克爾特主義,〝北歐民族共享的兩大特點,某種神秘,即一種極其神奇又荒謬的東西…… 此外,是一種所謂的宇宙主義,亦即和一切星球地力的一種關係。〞

讓.魯斯洛(Jean Rousselot)給他取了〝我們時代迷途的維京人〞的綽號。1968年,他的一本詩集取名《內心的放逐》(Exil intérieur),他覺得在觸摸了青天,激發了能量之後,是應該面對自己了。他的健康每況愈下,他到Jean-les-Pins去尋找陽光,並於1974年在那兒撒手人寰。

埃馬紐埃爾.魯坦為我們留下了甚麼?說實話我一無所知。他在世時,詩集已四散湮沒,大概沒有誰願意把它們再收集起來。但他卻屬於那一群真正為詩生活的詩人。