Art et Histoire 藝術與歷史
Texte : Frank Vigneron

Entre le 17e et le 18e siècle en Chine, splendeur sans décadence
Histoire d'un siècle de peinture et de sa pensée (I)


• Shen Sichong沈士充 (actif fin 16e - début 17e siècle), Lisant dans la forêt d'automne《秋林讀書圖》, rouleau à suspendre, encre et couleurs sur papier, 126,5 x 30,8 cm. Musée de Shanghai.

Fatigué de continuer à entendre ces clichés imbéciles sur la « Chine millénaire », il me semble important de montrer que l'empire du milieu, comme tout autre pays, a toujours changé. Pour essayer de comprendre aussi d'où vient l'art hybride qui semble être encore – et pour combien de temps dans cette période de crise ? – la coqueluche du marché de l'art, il me semble tout aussi important de montrer les extraordinaires développements de l'art chinois pendant la période précédant immédiatement le terrible déclin que la Chine connut pendant le 19 e siècle (et en grande partie provoquée par l'avidité et la bêtise accompagnant l'expansion coloniale). Le 18 e siècle fut la dernière période de splendeur que la Chine, et on peut croire qu'une splendeur similaire soit en passe de revenir (si, bien sûr, elle s'accompagne de plus de justice sociale que pendant cette période tout autant répressive que la nôtre). C'est dans ce siècle passionnant qu'on pourra montrer certains des germes qui ont permis aux artistes chinois d'aujourd'hui de s'adapter aux exigences d'une production artistique satisfaisant des amateurs venant du monde entier et donc de cultures profondément différentes.

La pensée sur la peinture en Chine a une longue et riche histoire qui a été partiellement analysée par plusieurs de nos grands sinologues, parmi eux François Cheng et François Jullien. Tous deux ont réussi à comprendre les points essentiels de ce vaste corpus de textes mais ils n'ont pas vraiment su le considérer dans son aspect historique : s'il est vrai que de nombreux concepts y apparaissent visiblement inchangés sur plusieurs siècles, il demeure que d'autres concepts – et la peinture elle-même – ont profondément changé et les théoriciens de la dynastie des Song (960-1127) ne dirent pas les mêmes choses que ceux des Qing (1644-1911). J'ai déjà expliqué dans un autre article de Paroles que cette théorie de la peinture provenait généralement de la pensée lettrée et qu'elle semble bien être assez uniforme, mais ceci n'est bien qu'une apparence et il sera intéressant de voir à quel point elle changea en particulier entre le 17 e et le 18 e siècle, période pendant laquelle les premiers contacts avec l'Europe eurent lieu en peinture grâce à la présence des Jésuites à la cour. Je me propose donc de regarder, dans une longue série d'articles, à la fois la peinture de cette époque en Chine et la pensée qui la sous-tend en insistant sur les différences, parfois profondes, avec les époques précédentes. C'est en fait bien plus tôt qu'il faudra commencer cette histoire et une vaste portion de la peinture de la dynastie Mandchoue, la dynastie Qing, prend bien évidemment sa source dans celle de la dynastie Ming.

Quasi contemporain du Caravage, et certainement aussi influent sur le reste de l'histoire de la peinture en Chine que l'Italien en Europe mais pour d'autres raisons, c'est avec l'artiste et théoricien Dong Qichang 董其昌 (1555-1636) que je commencerai cette présentation des courants de la peinture dans l'Empire du Milieu. Il s'inscrivait lui-même dans la tradition de l'école de Wu (Wupai 吳派 ), groupement d'artistes particulièrement actifs pendant la période s'étalant de la fin du 15 e siècle à la deuxième moitié du 16 e siècle. Cette école se développa dans la zone comprise entre Nanjing 南京, Shanghai 上海 et Hangzhou 杭州, en particulier dans le district de Wu, et suivit chronologiquement l'Ecole de Zhe 浙. Composée d'érudits et de peintres dilettantes de formation confucéenne, elle perpétua les idéaux de la peinture des lettrés de la dynastie Yuan, avec la différence cependant que les œuvres de ses adhérents furent caractérisées par une certaine sérénité et un équilibre peut-être dû aux bonnes situations sociales de leurs auteurs. Les peintres lettrés de l'école de Wu, se réclamant en particulier du style austère des Song du Nord, restèrent fidèles à cette tradition qui accordait la primauté au trait et au dessin. Animée par des artistes prolifiques et riches d'inventivité, elle s'agrandit rapidement pour regrouper la plus grande partie des lettrés de la ville de Suzhou 蘇州. L'histoire de l'art chinoise traditionnelle, telle qu'elle fut écrite à la fin du 18 e et au 19 e siècle, lui donna une fonction stabilisatrice en peinture, incarnant le respect de la tradition lettrée contre la recherche systématique de nouveauté des derniers représentants de l'école de Zhe, et contre l'excentricité des Individualistes du début du 17 e siècle. Tout aussi traditionnellement, on considère que si l'école de Wu représente l'idéal lettré, l'école de Zhe représente une attitude plus opportuniste de recherche de la nouveauté associée aux peintres professionnels. On verra cependant à quel point ces jugements ont besoin d'être reconsidérés de nos jours.

Dong Qichang devint le porte-parole des lettrés de la fin des Ming et eut une influence prépondérante sur la façon dont l'histoire de la peinture fut comprise au moins jusqu'à la fin du 18 e siècle. Vers la fin du 16 e siècle, le centre des activités dans la tradition de l'école de Wu s'était déplacé de Suzhou à Songjiang 松江 , dans le sud-est du Jiangsu 江蘇. Comme l'ancien nom de cette ville était Huating 華亭, les peintres de ce groupe furent donc aussi appelés « école de Huating » (Huatingpai 華亭派 ). L'étude analytique des techniques et préoccupations esthétiques des anciens maîtres, qui avaient capté l'attention des principaux peintres du début de la dynastie Ming, fut alors approfondie par le groupe de peintres de Songjiang auquel appartenait Dong Qichang. Les théories qu'ils dégagèrent concernant les principes essentiels de la peinture et les styles historiques du paysage devinrent un véritable « manifeste » pour les représentants de la peinture lettrée (Wenrenhua 文人畫 ) et exercèrent une influence durable sur l'art chinois. Les principaux personnages de ce groupe furent Chen Jiru 陳繼儒 (1558-1639), Mo Shilong 莫是龍 (actif c. 1567-1582) et Dong Qichang. Tous trois appartenaient à la classe des lettrés et professaient la prééminence de la poésie, de la calligraphie et de la peinture dans l'ordre des créations humaines. Dong Qichang fut le plus prolixe des trois et conquit une telle réputation en tant que calligraphe, peintre et connaisseur que ses œuvres furent recherchées dans tout l'empire. On verra dans la section sur l'histoire de la théorie de la peinture à quel point ses idées furent essentielles pour la formation d'une esthétique lettrée. Pour le moment, il suffira de mentionner que le style que et ses amis pratiquaient – composition épurée et emploi de l'encre sans couleurs trop voyantes – fut ce que l'on entend toujours comme style des lettrés.

La Chine de la dynastie des Ming à l'époque de Dong Qichang montrait déjà les signes de ce qui allait être une des causes de son déclin. Les affaires du palais, et donc de l'empire entier puisque celui-ci était fortement centralisé, n'étaient désormais plus l'affaire des empereurs ou d'une quelconque autorité centrale. Toute politique efficace était le plus souvent étouffée dans l'œuf à cause des luttes d'influences auxquelles se livraient les officiels lettrés et les eunuques. La corruption permanente qui s'ensuivit, et ce à tous les échelons du pouvoir et dans toutes les provinces, ne fit que miner les pourtant nombreux avantages (système de transports sophistiqué, système de sélection du fonctionnariat équitable et efficace, économie florissante, etc.) dont jouissait la Chine. Dans ce climat de suspicion pour la chose politique, les lettrés intègres du Jiangnan 江南 (littéralement, « au sud du fleuve », c'est-à-dire dans les provinces du Zhejiang 浙江, Jiangxi 江西 et Anhui 安徽 ), région où la culture lettrée était déjà très forte, choisirent souvent de renoncer aux affaires de l'état pour se consacrer aux arts qui avaient déjà fait leur gloire pendant plusieurs siècles : poésie, calligraphie et peinture. Ce fut l'époque pendant laquelle l'idéal de la peinture lettrée, pourtant formulé et pratiqué dès la dynastie des Song (960-1279), fut codifié à un tel point qu'il menaçait déjà de disparaître sous le poids de ses propres contradictions. On verra plus tard, par exemple, comment le rejet traditionnel de tout rapport à l'argent pratiqué par les lettrés, un rejet codifié dans la théorie même de Dong Qichang, compliqua les rapports avec la peinture professionnelle. Parmi ces artistes qui allaient représenter l'orthodoxie au moins jusqu'au moment où les « Quatre Wang » allaient leur voler la vedette au début de la dynastie Mandchoue, on compte d'autres peintres de la même ville, comme Song Xu 宋旭 (1525-1606) et son disciple Zhao Zuo 趙左 (actif fin 16 e - début 17 e siècle), qui exécuta d'ailleurs des peintures que Dong Qichang signait quand celui-ci ne pouvait pas faire face à la demande. Cette tradition de « faux » signés Dong Qichang, soigneusement cachée aux clients bien évidemment, fut aussi perpétuée par son propre disciple, Shen Shichong 沈士充 (actif fin 16 e - début 17 e siècle).


十七、十八世紀之間的中國,興盛不衰
一個繪畫及其思想的百年史 ( 一 )

 


• Chen Jiru 陳繼儒(1558-1639), Plaisirs cachés dans la montagne nuageuse 《雲山幽趣圖》, rouleau 1a suspendre, encre sur soie, 110,4 x 54,6 cm. Musée Provincial du Liaoning.

對於〝千年中國〞的老生常談,我實在聽厭了,我想指出中華帝國和其他任何國家一樣也在不斷變化中,這點非常重要。為了解這個在藝術市場一直走紅的混雜藝術的源頭(但在金融海嘯的今天究竟能維持多久?),我想認識一下十九世紀中國可怕地衰落前中國藝術非同凡響地蓬勃發展的這段歷史亦非常重要(中國的衰落很大程度上是因為西方殖民主義者的貪婪和愚蠢)。十八世紀是中國經歷的繁榮興盛的最後一個時期,我們相信新的太平盛世正在來臨(當然還會帶來比我們這個充滿壓迫的時代更多的公義)。就在這個充滿激情的十八世紀,我們可以看到那令今天的中國藝術家有能力創作出滿足世界各地文化背景截然不同的藝術愛好者的藝術的最初的某些根源。

中國的美學思想源遠流長,豐富多采,部份已為我們的一些漢學家所分析,其中表表者有程抱一、弗朗索瓦.于連。兩者均洞徹浩瀚文本中的要義,但未能將之置於歷史角度來審視。固然,許多觀念幾個世紀來顯然一層不變,但一些觀念,包括繪畫本身已遭遇深刻變化。宋代(960-1127)的畫論家與清朝(1644-1911)的畫論家均各有所見。我在《東西譚》發表的另一篇文章裡曾提及中國繪畫理論大體來自文人思想,它看來非常一致,但這只是表相,看一看它在十七、十八世紀所起的重大變化,十分有趣。這個時期,多虧耶穌會教士在宮廷中的出現,中西繪畫得以產生第一次接觸。我打算用一系列文章,對這個時期的中國繪畫以及其所依據的思想作個探討,並着重指出它與之前各時期的不同點,這些不同有時相當深刻。作這個探討,得把時間再推前一點,眾多的清代畫家師法前人,均從明代畫家的作品中汲取營養。

董其昌和卡拉瓦喬幾乎是同時代人,兩者分別對中國和歐洲的繪畫都有深刻的影嚮。由於其他一些原因,我且從這位身兼畫家和畫論家的董其昌(1555-1636)開始,介紹一下中國繪畫的一些源流。他自稱屬吳門畫派,這是活躍於十五世紀未至十六世紀下半葉的一群畫家。繼浙派之後,吳門畫派在南京、上海、杭州,尤其是吳縣一帶蓬勃發展起來。吳門畫派的畫家多是博學鴻儒、文人雅士,他們繼承元代畫家的理想,但其畫作比元人多一種優雅閒適,這也許和他們的安定、舒適的生活環境有關。吳門畫派的文人畫家尢其崇尚北宋繪畫的雄壯渾厚、粗獷豪放,師承這一傳統,並在繪畫中竭力予以表現。吳門畫派畫家勤奮多產,創意無限,很快便壯大起來,囊括了蘇州絕大部份的文人。傳統的中國藝術史,寫於十八世紀末至十九世紀期間,均予吳門畫派重要地位,認為它起了穩定畫壇的作用,並維護了文人畫的傳統,抗拒了浙派晚期畫家的標新立異以及十七世紀初一些畫家的草率粗狂。在傳統上,人們認為吳門畫派代表的是理想的文人畫,而浙派則表現了一些專業畫家追求新奇、輕狂草率的態度。這種結論,今天看來,確實應予重新審視。

董其昌成了明末文人的代言人,對如何認識中國繪畫史起了決定性的影響,至少一直到十八世紀末。十六世紀晚期,吳門畫派的活動中心轉移至江蘇東南的松江,由於它過去稱作華亭,因此聚集在這裡的畫家亦稱〝華亭派〞。明初的主要畫家均潛心研究技法、師法古人,這種精神為董其昌所屬的松江的畫家們所繼承發揚。他們有關繪畫基本原則的理論以及對 山水畫傳統技法的確立,成了文人畫家的〝宣言〞,對中國繪畫有深遠的影響。這一派的代表人物有陳繼儒(1558-1639)、莫是龍(活躍於1567-1587)及董其昌。三人皆屬文人雅士並在詩、書、畫方面極擅長。尢以董其昌為最,他在書、畫及鑒賞方面均負盛名,以致其作品舉國爭相求索。我們看到,在繪畫理論史上,董其昌的思想怎樣形成了文人審美觀的基礎。他以及其追隨者的繪畫風格:結構簡單、水墨淡彩遂成了人們一直遵循的文人畫風格。

董其昌所處的明代已顯露出日後帝國衰落的其中一個原因的徵象。朝廷大事,由於高度集權,因此亦可說是整個帝國,從此皇帝或其他中央權力無從過問。權臣宦官內鬥、黨羽相爭,腐敗之風自上而下,由皇室直至各級官僚,舉國上下蔓延開來,以致一些有效的政策措施胎死腹中,嚴重地削弱了帝國擁有的優勢,諸如先進的交通系統,公正、有效的科舉制度,繁榮的經濟等等。在這種政治氣氛下,江南這塊文人文化業已蓬勃發展的土地上,正直的文人雅士紛紛絕意仕進,摒棄功名,全心投入已為他們帶來數百年光榮的詩、書、畫的藝術天地。這個時期,自宋代(960-1279)以來便已形成並為文人恪守踐行的文人畫的理想境界竟被系統化、完善化至這樣一種高度,以致由於自身許多矛盾,有消失遁跡之虞。稍後我們可以看到,文人雅士忌惡金錢的傳統觀念,這點董其昌的畫論裡亦有提及,怎樣複雜化了和專業畫家的關係。至少在清初〝四王〞出現之前,在正統派畫家的隊伍裡,還應加上宋旭(1525-1605)及其弟子趙佐(活躍於十六世紀末十七世紀初)。當董其昌難於應付客人的索畫要求時,遂由趙佐代畫並署上董其昌名字。這種小心翼翼蒙騙客人的弄虛作假之風,亦為其弟子沈士充(活躍於十六世紀末十七世紀初)繼承下來。