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Pour Dong Qichang 董其昌 (1555-1636), le paysage était le médium idéal de l'homme cultivé pour exprimer sa valeur spirituelle et sa perception du principe organisateur de la nature. La peinture de paysage ne pouvait, ni ne devait, rivaliser avec le véritable paysage; essayer de reproduire l'apparence extérieure et travailler à la ressemblance formelle ne pourrait reproduire rien d'autre que la propre faiblesse d'esprit du peintre. Mais la peinture possédait une beauté propre : les merveilles du pinceau et de l'encre, ce qu'il faudra appeler en français le « pinceau-encre » (du chinois bimo 筆墨). Pour Dong Qichang, seuls les lettrés étaient dignes d'extérioriser ce qui, à travers leur éducation, leur culture et une sincère dévotion à la nature, les rendaient capables de s'accorder au flot et à l'ordre ineffable des choses. Cependant, l'artiste, n'étant lui-même qu'un intermédiaire de cet ordre universel, ne devait rien avoir de personnel à faire connaître. Comme ces hommes étaient censés être à la fois libres de toute ambition et de toute sentimentalité, leur peinture se dégageait, d'une part, de la vulgarité, du désir de choquer ou d'étonner, et, d'autre part, de la mièvrerie, de l'appel trop souligné aux sentiments. Cette idée se manifestait clairement dans ce goût pour le « fade et l'insipide » (pingdan 平淡) que l'on retrouve dans tant de peintures faites par ceux qui se réclamaient de l'idéal lettré. De fait, cette insipidité était la seule façon de garder au paysage peint tout son potentiel de transformation. Trop de détails et de précision dans le rendu des éléments empêchaient le spectateur de voir dans la peinture une sorte de signe valable pour tous les paysages réels de la nature.
C'est ainsi que la peinture devint un objet de contemplation encore plus riche que la nature elle-même pour Dong Qichang et pour toute la tradition lettrée qui allait suivre. Dans son ouvrage principal, les Indications sur la peinture (Huazhi 畫旨), il explique cette idée en la resituant dans l'histoire de la peinture chinoise : ‘En ce qui concerne les merveilles du paysage naturel, la peinture ne peut pas y être égale ; mais en ce qui concerne les merveilles du pinceau-encre, c'est le paysage naturel qui ne peut pas égaler la peinture. Su Dongpo écrivit dans un poème : « Juger une peinture par sa ressemblance formelle, c'est vraiment montrer l'intelligence d'un enfant. Que quelqu'un fasse un poème en décrivant simplement ce qui est et nous savons qu'il ne s'agit pas d'un poète. » Et j'ajouterai : « C'est exactement comme dans la peinture des Yuan. » Chao Buzhi 晁補之 (1053-1110) écrivit un poème qui disait : « Pour pouvoir peindre ou écrire un poème sur l'apparence externe des choses, il faut que ces choses ne changent pas. Ce que le poème communique et ce que la peinture transmet, il faut le chérir dans les formes de la peinture. » Et j'ajouterai : « C'est exactement comme dans la peinture (académique) des Song. » Dong Qichang explique déjà ce qui l'intéresse dans la peinture en ayant recours aux artistes de la tradition lettrée comme le grand poète Su Dongpo. Il voit dans le désir de ce dernier de ne pas s'attacher uniquement aux apparences, en peinture comme en poésie, la même ambition que celle des grands artistes lettrés de la dynastie mongole. On verra dans sa classification des peintres combien ceux-ci furent importants pour sa définition de « l'école du Sud ». De l'autre côté, il voit dans l'attachement aux apparences une tare, décrite par le poète des Song du Nord Chao Buzhi, qu'il attache à la peinture de l'académie des Song du Sud, très précise, très détaillée et s'appuyant sur la couleur. Dong Qichang montre déjà clairement sa préférence pour la peinture faite aux lavis d'encre et sans couleur.
Cette quête de l'expression en tant que manifestation de tout ce qu'il est possible de percevoir dans la nature mena tout naturellement ces artistes à une étude intense des techniques de manipulation du pinceau et de l'encre (souvent au détriment des couleurs) et finalement à l'élaboration de méthodes très complexes de ces outils. Ils étudièrent avec attention les anciens maîtres pour découvrir comment ceux-ci entraient en communion avec le monde naturel et pouvaient le transposer sous forme de traits. Ils en vinrent à conclure que les « rides de surface » (cun 皴), de même que la composition et la relation des formes entre elles, étaient de la plus haute importance. Toutes ces questions techniques avaient déjà été abondamment abordées par les peintres antérieurs, mais elles furent réexaminées exhaustivement par Dong Qichang et ses amis dans leur vision de la peinture. Ils jugèrent donc que des résultats appropriés ne pouvaient être obtenus qu'à travers une étude approfondie des anciens maîtres, à travers la copie de leurs œuvres, car l'essence du style antique devait sous-tendre leurs travaux. Même s'ils entendaient par « anciens maîtres » tous les artistes précédents, ils ne considérèrent en fait que ceux qui correspondaient à leur idéal du lettré. Ainsi, la culture et la connaissance du passé, comme par exemple la connaissance de toutes les sortes de « rides de surface » utilisées par les peintres des autres dynasties, devint une condition sine qua non pour les peintres lettrés. Dong Qichang l'exprima dans une phrase qui devint un poncif de cette théorie picturale : lisez et voyagez. C'est d'ailleurs aussi dans ce paragraphe que Dong rappelle l'existence des Six Canons : « Parmi les Six Canons des peintres, le premier est «l'harmonie du souffle engendre le mouvement.» L'harmonie du souffle ne peut pas être apprise, elle est connue dès la naissance et ne peut que venir spontanément. Mais on peut cependant acquérir d'autres qualités : en lisant des milliers de volumes, en voyageant des milliers de li, en se débarrassant de la poussière du monde qui encombre l'entendement, on peut créer spontanément des compositions pleines de richesse, établir la concentration de l'esprit et créer de la vie au gré du pinceau. Tout ceci permet de faire naître l'esprit dans les paysages. »
Depuis les temps les plus reculés, les Chinois ont toujours eu le plus grand respect pour les Anciens et pour la prépondérance de l'antiquité. Pour fortifier leurs théories par cette indispensable tradition, et pour mettre l'accent sur ce qui leur semblait le meilleur, Mo Shilong 莫是龍 (actif c. 1567-1582) et Dong Qichang créèrent leur fameux système séparant une Ecole du Nord (Beizong 北宗) d'une Ecole du Sud (Nanzong 南宗). Ces hommes étaient à des degrés différents influencés par les idées du bouddhisme chan 禪 (Zen en japonais). Ainsi, leur division de l'ensemble des peintres chinois en deux traditions était étroitement liée au schisme qui créa cette secte bouddhiste à la fin du 7e siècle. Quand ils en vinrent à classer les types de la peinture de paysage, ils suivirent le modèle des divisions de l'école du chen, en plaçant dans l'Ecole du Nord tous ceux qu'ils jugèrent être des peintres de l'apparat, et dans l'Ecole du Sud tous ceux dont les œuvres participaient du standard esthétique lettré de leur temps.
Dong Qichang fut ainsi le premier à énoncer que la peinture visait le même but que les gong'an 公案 (koan en japonais), ces sortes d'énigmes aux réponses impossibles que les maîtres chan donnaient à leurs disciples pour les mener sur le chemin de l'illumination. La peinture devait provoquer une réaction dans les tréfonds de l'être qui pouvait être comparée à une sorte « d'illumination picturale ». Il était entendu que la réalité reposait au sein même de la conscience du peintre et que les thèmes de la peinture n'avaient donc pas de caractère essentiel puisqu'ils n'étaient rien d'autre que le réceptacle de cette conscience. L'initiation au secret de l'art pouvait ainsi commencer par une confrontation, non exempte de conflit, avec les anciennes peintures (cette confrontation était désignée par Dong Qichang par l'expression « bataille sanglante », xuezhan 血戰). Dans la mesure où ces œuvres étaient elles-mêmes des exemples « d'illuminations », elles pouvaient aider à faire surgir la lumière intérieure du sein de l'artiste. |
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• Dong Qichang (1555-1636), quatre feuilles de l'album Huit Scènes d'automne, encre et couleur sur papier, 1620. t3.8 x 37.7 cm. Musée de Shanghai |
董其昌(1555-1636) 認為,山水畫是文人雅士表達精神、洞察天地的最佳媒介。山水畫不能亦不該與真實自然相較。試圖再現事物外表、工於形似,只能揭露畫家之短。但繪畫卻自擁其美,即筆墨之精妙,筆墨法文譯作〝Pinceau-encre〞。董其昌還認為,文人深具文化素養,對自然忠誠執着,故此唯他有資格表現大千世界,並因此能與萬物的榮枯盛衰、陰陽昏曉和諧融合。然而藝術家僅是宇宙天地的中介人,不應透露自身的一點一滴。由於這些畫家被視為襟懷恬淡、澹泊功名,因此他們的畫作,一方面清麗脫俗,不嘩眾取寵、不作驚人之舉;一方面則不矯揉造作,不刻意矯情。這種理念,在對〝平淡〞的偏愛上表露無遺。這個特徵在衆多宣揚文人理想的畫家的作品中均可見到。 事實上,〝平淡〞是唯一可保住山水畫變化多端潛質的方法。過多的精巧細緻,妨礙觀賞者在表現真實自然的畫作中發現其價值所在。
這樣一來,對董其昌及其後的文人畫家而言,繪畫尤勝自然,成了凝視靜觀的對象。在他的主要畫論《畫旨》一書裡,他闡述了這一思想並還原了它在中國繪畫史上的地位。他寫道:〝以境之奇怪論,則畫不如山水;以筆墨之精妙論,則山水决不如畫。蘇東坡有詩曰 ︰〝論畫以形似,見與兒童鄰。作詩必此詩,定知非詩人。〞余曰 :〝此元畫也。〞晁以道詩云 ︰〝畫寫物外形,要物形不改。詩傳畫外意,貴有畫中態。〞
余曰 :〝此宋畫也。〞董其昌舉述如大詩人蘇東坡等一些傳統文人畫家,足以說明他的繪畫興趣所在。他認識到蘇軾無論詩話都不拘泥於形式,元代的文人畫家亦胸懷此志。我們看到他在總結畫史,將畫分成禪宗南北時,這些畫家對南宗派的定義有多重要。另一方面,他亦看到那細緻、精巧、重筆工彩的南宋院體畫的過分拘泥形式, 北宋詩人晁補之稱之為一種瑕疵。董其昌清楚地表明了他的偏愛,即水墨渲淡的山水畫。
對這個展現大千世界的藝術表現形式的探索,勢必令這些畫家對筆墨的技巧深入研究、精益求精,有時竟犧牲了色彩,最終生發出使用筆墨的種種奇崛複雜的方法來。他們亦專心師法古人,務求領悟古人如何與天地合一,並將之以筆墨呈現出來。他們總結道:皺,佈局剪裁、畫面各部之關係至為重要。這些技術問題早為前輩畫家探討過,但董其昌及其友輩卻從自己的繪畫視野,將之徹底審視一番。他們認為,唯有對古人繪畫的精深研究,悉心臨摹,領悟其靈機妙緒,方能有所建樹,原因是傳統繪畫風格是他們繪畫的依據。雖然他們將先輩畫家稱為〝古典大師〞,實際上只指那些與他們的文人畫理想相通的畫家。於是文化素養, 對古代的知識,如對歷代畫家運用的各種〝皺〞法的認識,便成了文人畫家不可或缺的條件。董其昌在一句話裡表達了這個思想,這句話亦成了文人畫理論的老生常談的公式:讀萬卷書,行萬里路。 董其昌亦在此一刻回顧了六法:〝畫家六法,一曰氣韻生動。氣韻不可學,此生而知之,自然天授。然亦有學得處:讀萬卷書,行萬里路,胸中脫去塵濁,自然丘壑內營,成立鄞鄂,隨手寫生,皆為山水傳神矣。〞
在遙遠的年代,中國人對先人,對古代的繁華總是恭敬景仰。為以須臾不可離的傳統充實自己的理論,凸顯他們心目中的優良東西,莫是龍(活躍于1567-1582年)與董其昌將畫壇分為北宗、南宗兩派。他們倆在不同程度上均受佛教禪宗思想的影響。他們將畫分為南北宗的舉措即與七世紀末創立的這一佛教支派緊密相連。因此他們將中國山水畫分類時,便師法禪宗分成南北的方式,將那些作品工筆重彩、富麗堂皇的畫家歸為北宗;將那些作品符合文人畫審美標準的畫家歸為南宗。
董其昌是提出繪畫的目標與禪宗公案的目標一致的第一人。公案是禪宗大師引導弟子感悟時所作的一種沒有謎底的謎語。繪畫必須在一個人的內心深處喚起共鳴,這可喻為一種〝圖畫的感悟〞。現實存在於畫家的意識當中,既然繪畫的主題只是這個意識的匯集地,那麽它便沒有固有的特性。對藝術秘密的參透,可透過與古代大師的繪畫作比較,其中難免衝突(董其昌稱這種比較為一場〝血戰〞)。在這些繪畫成了一種〝感悟〞的情況下,便可助畫家在內心深處發出光芒。
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