Art et Histoire 藝術與歷史

Texte : Frank Vigneron

 
  Entre le 17e et le 18e siècle en Chine, splendeur sans décadence :
Histoire d'un siècle de peinture et de sa pensée (8)

十七、十八世紀之間的中國︰興盛不衰 : 一個繪畫及其思想的百年史(八)
 
 

Cette insistance sur les sentiments mena Yun Shouping à réfléchir plus clairement sur ce que « concept » (yi ) veut dire. Ce terme est par exemple très fréquemment employé dans l’expression xieyi 寫意, littéralement « écrire – ou peindre – le concept » (quoique, comme l’indique François Jullien, le traduire ainsi n’ait aucun sens), qui signifie en peinture ce que l’on peint d’une façon rapide et spontanée, et est l’opposé de gongbi 工筆, ce qui est peint d’une façon précise et méticuleuse (en chinois moderne, xieyi 寫意 signifie « à son aise », « d’allure dégagée »). Bien que le plus souvent traduit par « idée », je préfère, autant que se peut, le mot « concept » pour éviter au lecteur d’associer cette notion à l’idée platonicienne qui fut si importante dans la peinture européenne. Ce terme indique parfois l’image mentale que le peintre veut restituer sur son support, et cette image mentale provient du cerveau de l’artiste car le peintre, étant lui-même une partie de la nature, est aussi en mesure de produire un paysage. C’est dans ce sens que les théoriciens de toutes les époques l’utilisent généralement en gardant une bonne dose de mystère quant à son origine et la façon de le capter. Yun Shouping est particulièrement sibyllin à ce propos :

« Le concept, c’est ce que les gens peuvent voir et ce que les gens ne peuvent pas voir. »


• Yun Shouping 惲壽平 (1633-1690), Fleurs et plantes colorées《設色花卉冊》, page d'album, encre et couleur sur soie, 29.9 x 22.2 cm. Musée de Shanghai.

« [Les peintres de la dynastie] Song disaient “on ne peut pas utiliser son esprit pour atteindre aux Anciens” et aussi “la peinture est faite de façon spontanée (xieyi)”. Ces deux expressions sont particulièrement subtiles et elles ont souvent poussé les gens à faire des erreurs. Si je ne sais pas comment utiliser mon esprit, c’est justement alors que je peux l’utiliser pour atteindre aux Anciens. Si je ne sais pas comment utiliser un concept, c’est alors seulement que je puis peindre de façon spontanée [littéralement, cette phrase se présente ainsi : “Si je ne sais pas utiliser le concept, c’est alors que je puis peindre le concept”]. »

Mais il peut aussi indiquer l’impression générale que le peintre doit saisir puis restituer et Yun Shouping utilise à la fois l’humour et l’histoire pour le signifier :

« On dit que les [gens du pays de] Wei [pendant la période des Royaumes Combattants] étaient comme des rats, que ceux de Yue étaient comme des dragons, que ceux de Jing étaient comme des chiens, que ceux de Qin étaient comme de belles femmes, que ceux de Song étaient comme des voitures et que ceux de Lu étaient comme des chevaux. Ceux qui parlent de peinture disent qu’il ne faut pas les représenter ainsi, mais qu’il faut cependant suivre attentivement les concepts [que ces descriptions inspirent]. »

A la fin cependant, l’importance du « concept » (yi ) revient souvent à l’importance de la composition, car seul un « concept » clair permet de concevoir une composition à la fois vivante et équilibrée. Yun Shouping s’étend souvent sur l’importance de la composition, mais dans des termes qui ne seront pas ceux des familiers de la peinture occidentale et de l’importance que celle-ci accorde à la géométrie. C’est dans les termes spécifiques à l’emploi du pinceau-encre que Yun Shouping, comme tous les peintres des dynasties précédentes qu’ils soient considérés comme « orthodoxes » ou « excentriques », « du nord » comme « du sud », s’exprime :

« Le pinceau dans les peintures des Anciens peut parfois apparaître trop compact et encombré, mais il y demeure du vide animé. Les peintres modernes remplissent jusqu’aux coins de leurs compositions. S’il y a de la solidité dans les endroits vides, alors toute la composition sera animée, et plus il y aura de tels endroits et plus [la peinture] sera aérée et agréable. »

Ces référence au vide et au compact, François Cheng dirait « vide et plein » en collant plus étroitement au sens originel de xu et shi , montrent bien l’importance accordée par les peintres aux problèmes de l’espacement des éléments de la peinture. On verra plus tard l’importance accordée en particulier aux espaces dans la peinture chinoise en les rapprochant de thèmes philosophiques aussi abordés par François Jullien. C’est plus particulièrement dans la pratique du xieyi 寫意, pratique donc « libre » et opposée à la manière précise du gongbi 工筆, que l’importance de l’espacement et du rythme devient primordiale. Ainsi, Da Chongguang 笪重光(1623-1692) dans Les Moyens de la peinture (Huaquan 畫筌), un ouvrage reflétant l’orthodoxie des Quatre Wang et qui fut d’ailleurs publié avec les annotations de Wang Hui et de Yun Shouping, écrivit :
« Dans les forêts, l ’ombre n’a pas d’endroit pour devenir oppressante ; hors les montagnes, comment la lumière pourrait-elle provenir du pinceau ? Le vide est par nature difficile à dépeindre, [il faut] que les scènes denses soient claires et que les scènes dépouillées soient évidentes. L’esprit doit absolument pouvoir être peint, les vrais paysages sont restreints et les paysages spirituels sont naturels. Si les rapports dans la composition laissent à désirer, il y aura des endroits dans la peinture qui seront aussi indésirables que des verrues. Si les rapports entre le vide et le plein se produisent mutuellement, il n’y aura pas d’endroit dans la peinture qui ne sera accompli et merveilleux. »

On notera que le traité de Da Chongguan a été écrit dans le style de la prose symétrique (pianwen 駢文), et qu’il n’est pas aussi facile de lecture que la plupart des traités associés à l’orthodoxie des « Quatre Wang » car, bien souvent, la prose symétrique, forgée dans un but généralement poétique, appelle à des distorsions qui ne facilitent guère une lecture « technique ».

Quoiqu’il en soit, l’exigence de simplicité et d’équilibre de la composition reste claire dans les exigences de ce peintre.
Toujours à propos des exigences de la composition, mais dans des termes à la fois plus lisibles et plus poétiques, Yun Shouping rappelle que la clarté est nécessaire quel que soit le style utilisé par le peintre :
« La méthode des [peintres de la dynastie] Song était de graver leurs peintures [c’est-à-dire de peindre attentivement avec des lignes claires et beaucoup de détails], et celle des [peintres de la dynastie] Yuan était de faire des transformations [c’est-à-dire d’utiliser des lavis d’encre]. Cependant, les transformations [du lavis] ont leur source dans la peinture détaillée, le merveilleux se trouve dans une interaction sans obstruction entre ces deux styles. Ceux qui ne les pratiquent que d’une manière routinière ne les comprennent que confusément et les séparent complètement, c’est bien ainsi que les contemporains ont perdu leur chemin. »

La « routine » (xi ) dont Yun Shouping parle dans ce passage est une préoccupation importante des peintres de cette époque et on verra plus tard comment des théoriciens comme Shen Zongqian traiteront de ce problème important. Cet aspect psychologique plus que technique se voit le plus souvent corrigé non seulement par une exigence de plus de connaissances historiques de la part des peintres, connaître l’art du passé est toujours essentiel pour les « Orthodoxes », mais aussi par la nécessité d’un esprit calme et détendu. Se détendre prend des dimensions philosophiques pour les peintres chinois qui utilisent le plus souvent un épisode tiré d’un des classiques du Taoïsme, le Zhuangzi 莊子, dans lequel un seigneur d’antan n’avait retenu à son service qu’un peintre aux allures pour le moins décontractées tout en rejetant ceux qui avaient un air plus sérieux :

« En peignant, il faut se comporter [comme si vous portiez] une tunique dégrafée, comme s’il n’y avait personne autour de vous. C’est alors que se déclencheront les métamorphoses à travers vos mains, et que le souffle primordial se manifestera avec férocité. D’abord, vous ne serez plus contraint par les règles artisanales, et vous pourrez vous mouvoir [en toute indépendance] en dehors des règles établies. »

Ce genre de position n’est évidemment pas originale à l’époque des Quatre Wang, et on la retrouve inchangée à travers tout la littérature théorique depuis les Song. Le grand artiste doit donc être détaché et n’être concerné ni par les vicissitudes du monde ni par les règles de la peinture. Wu Li, reprenant certaines phrases de Su Dongpo, ne fait que confirmer cette exigence :

« Les Anciens qui pouvaient faire de la littérature ne recherchaient pas les louanges et les honneurs ; ceux qui étaient de bons peintres ne recherchaient pas la gloire et le succès. Il [Su Dongpo] disait : “J’écris pour exprimer mon cœur, je peins pour conforter mon esprit. Je peux bien porter des vêtements de bure et manger de la nourriture grossière, mais je ne veux l’aide de personne.” Ni les rois, ni les ducs ou les nobles ne peuvent commander ces peintres, ils ne pouvaient pas être atteints par les honneurs. La voie du pinceau-encre ne peut pas être comprise par ceux qui ne possèdent pas la voie [le Tao]. »

 


• Yun Shouping 惲壽平 (1633-1690), Fleurs et fruits
《花果圖》, page d'album, encre et couleur sur soie, 26.5 x 35.7 cm. Musée de Lüshun.

對感情因素的重視驅駛惲壽平更清晰地思考起所謂〝意〞的含義來。這個字常用於〝寫意〞這個詞中,從字面上,可解為〝寫或畫及觀念〞(雖然弗朗索瓦.于連指出這樣翻譯毫無意義)。所謂〝寫意〞,在繪畫上指以迅速即興的方式作畫,和精描細寫的〝工筆〞畫對立(現代漢語,〝寫意〞一詞解為〝舒適〞、〝無拘無束〞,但讀去聲)。雖〝意〞常被譯作〝idée〞(思想),但我更傾向於盡可能譯作〝concept〞(觀念),以避免讀者將它與柏拉圖的〝思想〞混為一談,須知柏拉圖的〝思想〞在歐洲繪畫中該有多重要。這個詞有時是指畫家欲借繪畫工具表現的心中圖像,而這圖像來自畫家的腦海。皆因畫家是大千世界的一部份,當然有能力再現這一角風景。中國歷代的畫論家就是在這個意義上使用這個詞的,並對它的出處及如何掌握它保持一種神秘。惲壽平關於〝意〞的闡述尤為晦澀難懂:
〝意者,人人能見之,人人不能見也。〞〝宋人謂‘能到古人不用心處’,又曰‘寫意畫’。兩語最微,而又最能誤人。不知如何用心,方到古人不用心處;不知如何用意,乃為寫意。〞



• Wu Li 吳歷 (1632-1718), Eclaircie de neige sur les cavernes de la colline《晴雲洞壑圖》, rouleau à suspendre, encre et couleur sur soie, 127 x 68.3 cm. Musée de Lüshun.

但亦可指畫家欲捕捉並重現的總體印象,惲壽平用既幽默又饒有興味的筆調闡明其意:〝魏云如鼠,越云如龍,荊云如犬,秦云如美人,宋云如車,魯云如馬。畫云者雖不必似之,然當師其意。〞

然而最後,〝意〞的重要性常與構圖的重要性聯繫起來,因為唯有清晰的〝意〞方能孕育出既生動又平衡的構圖來。惲壽平對畫的佈局常有長篇偉論,但使用的語言卻有別於熟悉歐洲繪畫及對其十分重要的幾何學的人所用的語言。惲壽平一如歷代畫家,無論是〝正統〞抑或〝特立獨行〞,〝南宗〞抑或〝北宗〞,是以〝筆墨〞所特有的語言來論述自己的思想的。他說:〝古人用筆極塞實處,愈見虛靈,今人布置一角,已見繁縟。虛處實則通體皆靈,愈多而愈不厭玩。〞

關於虛實,程抱一用了〝vide〞和〝plein〞兩字,更接近〝虛〞、〝實〞的原義,並指出中國畫對一幅畫內容的佈置極其重視。稍後,參照弗朗索瓦.于連有關的哲學論述,可以看到中國畫給予空間特別重要的地位,尤其是在與〝工筆〞畫截然不同的〝寫意〞畫中,留白與節奏感變得至關重要。為此,笪重光(1623-1692)在他的宣揚〝四王〞正統精神並由王翬作序的《畫筌》一書裡這樣寫道:
〝林間陰影無處營心,山外清光何從着筆?空本難圖,實景清而空景現;神無可繪,真境逼而神境生。位置相戾,有畫處多属贅疣;虛實相生,無畫處皆成妙境。〞


• Yun Shouping 惲壽平 (1633-1690), Fleurs et plantes colorées《設色花卉冊》, page d'album, encre et couleur sur soie, 29.9 x 22.2 cm. Musée de Shanghai.

我們應注意到笪重光的畫論以駢文寫成,比其他的論述〝四王〞正統精神的畫論難讀,皆因駢文尋求對仗押韻,曲折扭捏,不易對〝技巧〞作論述。但無論如何,他要求一幅畫構圖佈局簡潔平衡的觀點是瞭然的。

關於一幅畫的佈局,惲壽平的論述更加清晰和富有詩意,他說無論哪一風格的畫家,簡潔明快至為必要。他寫道:〝宋法刻畫,而元變化,然變化本由于刻畫,妙在相參而無礙,習之者視為歧而二之,此世人迷境。〞

惲壽平在這段話裡提及的〝習〞是這一時期畫家們十分關注的問題。稍後,我們看到畫論家們如沈宗騫是如何論及的。這個心理因素勝於技術的問題,不僅經常因畫家對歷史進一步的認識(對古代藝術的認識始終是正統派的根基),同時亦因對心靜灑脫的要求而有所改善。灑脫無拘對中國畫家而言已經是一種哲學,他們常引用道家經典之一的《莊子》裡的一個故事。話說古代一個 士大夫寧用一個落拓有節的畫家,而摒棄那些外表嚴肅古板者。

〝作畫須有解衣盤礴、旁若無人意。然後化機在手,元氣狼藉,不為先匠所拘,而游于法度之外矣。〞

這個態度不是〝四王〞時代所特有,自宋代以來所有談文論藝的典籍中都持這一態度。一代大畫家須超然物外,將人世的坎坷及繪畫成規置於度外,心如止水。吳歷引用了蘇東坡的話來強調這一要求:〝古人能文,不求荐舉,善畫,不求知賞。曰:文以達吾心,畫以適吾意。草衣藿食,不肯向人。蓋王公貴戚,無能招使,知其不可榮辱也。筆墨之道,非有道者不能。〞