Art et Histoire 藝術與歷史

Texte : Frank Vigneron

 
  Entre le 17e et le 18e siècle en Chine, splendeur sans décadence :
Histoire d'un siècle de peinture et de sa pensée (9)

十七、十八世紀之間的中國︰興盛不衰 : 一個繪畫及其思想的百年史(九)
 
 

Et pourtant, cette attitude de détachement que l’on trouve chez les peintres orthodoxes n’existe guère que dans les textes et il faut vraiment admirer ces artistes en réalité pris dans les complications de vies de lettrés officiels (et certains d’entre eux comme Wang Yuanqi ne manquèrent pas d’honneurs officiels), ou pire, de lettrés indépendants et sans revenus, pour avoir su véhiculer dans leurs peintures cette aspiration à une véritable sagesse. Comme tous les autres Orthodoxes, et ceci se vérifiera jusqu’à la fin du 18e siècle chez Shen Zongqian, Wu Li pensait qu’il était beaucoup plus difficile d’étudier le Tao que le pinceau-encre. L’étude du Tao est une « discipline » qui ne reposait pas sur les mêmes exigences à la fin de la dynastie Ming au 16e siècle et au milieu des Qing au 18e siècle, on verra d’ailleurs plus tard à quel point ces différences ont eu d’importance sur la façon dont la peinture a été pensée à ces différents moments. Quoiqu’il en soit, on peut généraliser en disant que dans le domaine de la peinture, la compréhension du Tao permet de clarifier son esprit avant de commencer à peindre. Comme on l’a vu, la clarté de l’esprit, bien sûr nécessaire à la réalisation d’ouvrages au style précis, est encore plus nécessaire à l’emploi du lavis à l’encre pour les Orthodoxes. Pour eux, l’idée d’improvisation n’était pas acceptable et seuls les mauvais peintres pouvaient prétendre que les peintures au lavis, le xieyi 寫意, pouvaient être simplement exécutées rapidement sans une longue préparation mentale. Et pourtant, en ce qui concerne le spectateur, il demeure que les meilleurs effets ne peuvent qu’être suggérés et non pas directement représentés. Il s’agit encore de ce que l’adage de Su Dongpo à propos de la ressemblance formelle implique et Wang Jian y fait allusion dans le passage suivant :
« Quand les gens voient un beau paysage, ils disent souvent que cela fait penser à une peinture ; quand les gens voient une belle peinture, ils disent souvent que cela est exactement comme la réalité. On peut donc voir qu’il n’y a pas de façon fixe de faire la différence entre la forme [c’est-a-dire la création d’un paysage original] et son ombre [c’est-a-dire ce qui n’est qu’un rendu de formes]. Entre le vrai et le faux, il n’y a pas [la même différence qu’entre] le stagnant et le savoureux et seuls ceux qui ont une merveilleuse intuition peuvent le comprendre. Ceux qui ne le savent pas ne pourront jamais faire de grandes œuvres, quelle que soit leur habileté. C’est pourquoi les théoriciens de la peinture qui font la différence entre les œuvres spirituelles et les œuvres merveilleuses, ainsi qu’entre les grands peintres et les peintres fameux, ne sont jamais complètement clairs dans des discriminations si subtiles. »


• Wang Jian 王鑑 (1598-1677), Copie interprétative de paysages des dynasties Song et Yuan 《仿宋元山水冊》, page d'album, encre et couleur sur papier, 55.2 x 35.2 cm. Musée de Shanghai.

Dans des termes sans doute plus mystérieux que le très direct Su Dongpo, Wang Jian nous rappelle que la peinture lettrée n’est pas à la recherche d’effets réalistes même si le réalisme n’était pas rejeté non plus par principe. Ces exigences concernant à la fois le style précis et le xieyi 寫意 sont donc soutenus par d’innombrables références à la tenue correcte du pinceau-encre. Si la manipulation du pinceau-encre n’était pas spontanée, il ne pourrait pas refléter la vie. Le « spontané » (ziran 自然) est d’ailleurs un autre concept Taoïste qui ne sépare pas cette attitude humaine de la façon dont la nature se produit elle-même puisque le mot « spontané » est le même que celui de « nature » (ziran 自然 ou « grand spontané », daziran 大自然). Quoique le binôme pinceau-encre doive se comprendre comme un seul concept dans la théorie lettrée depuis Dong Qichang jusqu’à Shen Zongqian, ils étaient séparés dans les passages plus techniques destinés à expliquer l’utilisation du médium et de son outil et on verra qu’il y a une tendance de plus en plus grande à accorder plus d’importance au pinceau vers la fin du 18e siècle avec les traités parfois fort techniques de cette période. En fait, depuis les débuts de la critique d’art en Chine chez Zhang Yanyuan, pinceau et encre étaient aussi utilisés séparément pour jauger des qualités d’un peintre. C’est à ces différences que Wang Shimin s’attache dans son passage sur la forme et l’esprit :

« La peinture ne dépend pas de la ressemblance des formes. Certaines peintures sont merveilleuses dans leur emploi du pinceau et non dans celui de l’encre, d’autres sont merveilleuses dans leur emploi de l’encre et non dans celui du pinceau. Si l’on peut saisir le Samâdhi [c’est-à-dire le sens essentiel, bien que cette expression bouddhiste ait aussi le sens d’extase] de ceci, on deviendra un maître. »

Ces positions sont entièrement partagées par Wang Yuanqi qui donne donc, dans des notes qui furent rassemblées par ses élèves et ses amis, Quelques notes prises à ma fenêtre sous la pluie (Yuchuang Manbi 雨窗漫筆), une sorte de compte-rendu de la position lettrée maintenue par les autres Wang. Dès le départ, ce court traité présente son programme, qui est bien celui que nous avons identifié dans les écrits des autres Orthodoxes. Aucune répétition cependant dans cet ouvrage hautement original et qui eut une extraordinaire influence sur les peintres suivants qui se réclamaient aussi de cette tendance « orthodoxe ». Wang Yuanqi s’inspire au départ fortement de ce qu’il apprit dans le studio de son grand-père Wang Shimin (qui, il faut le rappeler, avait connu personnellement Dong Qichang).

« Les Anciens ont discuté des Six Canons en détail, mais j’ai peur que les étudiants plus récents aient adhéré à des opinions déjà faites sans chercher à exprimer les intentions de leurs propres cœurs. Ils hésitèrent, tentèrent de deviner le sens de ces règles et, en rebroussant chemin, devinrent dépravés. Je vais maintenant expliquer le sens général des principes du "concevoir la disposition des éléments à peindre" [c’est-à-dire le premier des Six Canons de Xie He], du pinceau-encre et de la disposition des couleurs en accord avec mes opinions et celles qui m’ont été transmises par mon grand-père Wang Shimin, dans le but de faire connaître le doux comme l’amer. Tout ce que j’ai pu en saisir, je vais ainsi l’écrire au gré du pinceau. »

Tout en insistant sur l’importance de la spontanéité, c’est aussi, comme il l’explique dans cet avant-propos, la question de la couleur qu’il veut éclaircir pour la première fois dans l’histoire de la théorie lettrée en Chine:
« Peindre avec les couleurs est comme travailler avec le pinceau-encre. Le but est ici de donner du lustre à un travail insuffisant de ce pinceau-encre, et cela peut aider à faire ressortir les endroits merveilleux. Mais les artistes modernes ne comprennent pas ceci. Dans leurs peintures, les couleurs sont simplement des couleurs et le pinceau-encre est simplement le pinceau-encre. Ceci ne s’harmonise pas avec l’élan de la peinture de paysage ni n’entre dans l’ossature même du papier et de la soie. Nous n’y voyons qu’un sirocco de rouge et de vert, ce qui ne peut que nous laisser dégoûté et ennuyé. Si l’on ne cherche pas particulièrement le coloris, mais si l’on s’efforce de saisir le souffle, essayant de le provoquer et de le faire sortir dans l’ombre et la lumière, dans le premier plan et dans le dernier plan, la couleur sera renforcée par ce souffle. Votre œuvre ne flottera ni ne s’arrêtera, mais sera complétée d’une façon spontanée. Il est impossible de réussir ceci d’une façon hâtive. »

Cette tentative est remarquable à plus d’un titre car la couleur avait été en quelque sorte mise au rebut par les théoriciens de l’art lettré et Dong Qichang en particulier. Elle semblait ne relever que du domaine des peintres de l’école de Zhe et des professionnels en général. Tout comme les autres Orthodoxes du début des Qing qui n’étaient pas près à rejeter le style précis sous prétexte que celui-ci participait d’une vision de la peinture qu’ils n’étaient pas censés partager, Wang Yuanqi ne voulut pas ignorer cette question importante qui allait prendre encore plus de poids pour la génération suivante. Quoique présenté comme un seul texte et sans divisions qui pourrait être appelées des chapitres, ce traité peut cependant être divisé en sections concernant chacune un thème particulier.

 


• Wu Li 吳歷 (1632-1718), Couleurs du printemps sur Hutian 《湖天春色圖》, rouleau à suspendre, encer et couleur sur papier, 123.5 x 62.5 cm. Musée de Shanghai.

然而,正統派的這種超然物外的態度幾乎僅見於畫論中。當我們有能耐從這些畫家作品裡的超脫悟出睿智時,便對他們讚嘆不已。他們有些人身陷複雜的官場,如王原祁;有些人則恃才傲物,獨立於世,窮愁潦倒。和所有的正統派畫家一樣,十八世紀末的沈宗騫對此亦作了一番審視。吳歷認為道學遠比研習筆墨更為艱難。道的研究是一門〝學科〞,十六世紀的明末和十八世紀中葉的清代均有不同的要求。我們稍後可以看到這種不同對各個時期的審畫態度有何等重要。但不管怎樣,可以這樣來概括,即在繪畫領域裡,對道的參悟可令畫家在作畫前頭腦清晰。誠如我們所見,清晰的思維,對工筆畫固然重要,而對正統派畫家的水墨寫意畫則更為必要。他們認為,所謂即興揮毫是不能接受的,只有那些畫技拙劣的平庸畫家,方以為一幅水墨寫意畫,不必經過長時間的潛心經營可一揮而就。對觀賞者而言,一幅畫的效果只能透過暗示而非明言方可達致。這裡再次涉及到蘇東坡有關形似的至理名言。王鑑在以下一段引文裡是這樣婉轉敘述的:
〝人見佳山水,輒曰如畫;見善丹青,輒曰逼真。則知形影無定法,真假無滯趣,惟在妙悟人得之。不爾,雖工未為上乘也。故論畫者有神品、妙品之別,有大家、名家之殊,絲毫弗爽也。〞
王鑑的描述比蘇東坡的單刀直入也許更具神秘感,他提醒我們雖然文人畫原則上並不排斥寫實,但它並不追求寫實的效果。對工筆和寫意的要求,有正確運用筆墨的眾多資料作堅實基礎。若筆墨的運用不自然,則無從表現氣韻。〝自然〞(spontané)是道家的另一觀念,它不將人類的這個態度和大自然展現自身的這種方式割裂開來。在漢語裡,繪畫的〝自然〞(spontané)和大千世界的〝自然〞(nature)是同一個詞。雖然自董其昌至沈宗騫,〝筆〞和〝墨〞在文人畫的理論裡一直被視為同一個觀念,但在探討繪畫媒介及其工具的畫論裡卻被分開來敘述,我們可以看到十八世紀末,在一些極其專業的畫論裡,有一種賦〝筆〞以更大關注的愈來愈大的傾向。確實,中國的藝術批評自唐代的張彥遠伊始,便以筆墨為圭臬來品評一個畫家的優劣。王時敏在他有關〝形似〞與〝神似〞的論述裡,亦強調筆墨的分別。他說:
〝畫不在形似,有筆妙而墨不妙者,有墨妙而筆不妙者,能得此中三昧,方是作家。〞

他的觀點為王原祁所全盤接受。王原祁的論畫文字由其弟子及友人收集,並冠以《雨窗漫筆》出版問世。這是他對其他三王的文人畫理論的總結。這篇短小精悍的文論開宗明義便提出了自己的綱領,並為其他正統派畫家的畫論所引証。這篇別樹一幟的奇文頗具精義,沒有絲毫拾人牙慧,鸚鵡學舌的成份,並對後來標榜〝正統〞的畫家影響至深。王原祁早期深受其父王時敏的影響(這裡應提一下,王時敏亦認識董其昌本人)。


• Wang Jian 王鑑 (1598-1677), Copie interprétative de paysages des dynasties Song et Yuan 《仿宋元山水冊》, page d’album, encre et couleur sur papier, 55.2 x 35.2 cm. Musée de Shanghai.

〝六法古人論之詳矣,但恐後學拘局成見,未發心裁,疑義意揣,翻成邪僻。今將經營位置,筆墨設色大意,就先奉常所傳,及愚見言之,以識甘苦,後有所得,當隨筆錄出。〞
在強調〝自然〞的重要性同時,他亦在中國的文人畫論史上第一次對色彩作了如下的闡釋:
〝設色即用筆用墨意,所以補筆墨之不足,顯筆墨之妙處,今人不解此意,色自為色,筆墨自為筆墨,不合山水之勢,不入絹素之骨,惟兒紅綠火氣,可憎可厭而已。惟不重取色,專重取氣,於陰陽向背處,逐漸醒出,則色由氣發,不浮不滯,自然成文,非可以躁心從事也。〞

從各方面看這篇畫論是傑出的,須知色彩在某種程度上已為文人畫論家尢其是董其昌所拋棄。它似乎只和浙派畫家及一些專業畫家有干係。清初的正統派畫家藉口工筆畫是他們並不認同的另類畫種,而對它滿不在乎。王原祁卻不願意忽略這個對未來的畫家愈形重要的課題。雖然這只是一篇不分章節的短文,但卻可將它劃分成各有專題論述的幾過部份。