Art et goût 藝術與品味

Texte : Antoine Marie

 
  Une histoire secrète du chocolat
神秘的可可豆故事
 
 

藝術、音樂和美食,盧以思邀請一些嘉賓透過嗅覺、視覺、聽覺和味覺來親身體驗一趟嶄新的官感之旅。這是一個結合藝術和烹飪的節目,嘉賓在一個黑喑的房間中藉着一些香味的引令下看到兩位舞者跳着熱情的雙人舞。之後他們進入一間半昏喑的房間,藍色的燈光照亮了他們的餐具。他們坐在靠墊上,在Cédric Maridet設計的聲音作品的陪伴下,並由一些全身黑衣的服務員招待,開始一場眼睛和嘴巴的盛宴。這場盛宴的每一道菜都有着同一種材料──巧克力。負責烹飪的是來自新加坡的黃慧嫺,她將巧克力與料理中的海鮮、肉類、乳酪和甜品的各種味道結合,在餐碟上創造出一些精美視覺組合。這節目由朱嘉慧策劃,於2010年9月29日在尖沙咀K11購物藝術館舉辦,屬於藝術生活節的其中一項活動。

Expérience artistique et culinaire où l’invité pénètre dans une salle plongée dans l’obscurité et s’assoit à terre sur un coussin, alors qu’une lumière bleutée descendue du plafond vient éclairer son couvert. Commence alors un ballet de serveurs tout vêtus de noir, qui sur des sons de Cédric Maridet venus des forêts d’Amazonie, déposent en son assiette des plats artistiquement présentés autant pour le plaisir des yeux que celui des papilles. C’est à un festin qui célèbre L’Histoire secrète du chocolat que Loic Sérot, nous convie en artiste et maître d’hôtel, alors qu’en cuisine officie une très jeune femme, Janice Wong, chef singapourien qui marie le chocolat à toutes les saveurs d’un repas. Art, musique, cuisine, Loïc Serot invite ses invités à une expérience totale et inhabituelle, sensuelle au vrai sens du terme puisse qu’elle s’adresse au nez, à l’oeil, à l’oreille et à la bouche. C’etait le 29 septembre 2010 au K11 Art Mall, sur l’invitation d’Adrien Cheng à Tsim Sha Tsui dans le festival Art Life organisé par Daphné Chu. Antoine Marie raconte :

C'est dans une nuit profonde que nous avançons. Les faibles réflexions d'une bouteille d'eau éclairée agitent des vagues bleues sur les serveurs qui nous accueillent. Dans ce mouvement, des parfums sont vaporisés sur nos mains. La danse qui suit fait émerger du sol les gestes imbriqués d’un jeune couple. Les lumières(LED) passent dans ces corps, sous leurs vêtements, s’étendent, se cachent et finissent à bout de bras, redonnant à l’espace mi-éclairé sa perspective. Champagne et canapés sont servis. Puis le rideau s’ouvre sur les tables. C’ést alors assis sur le sol, élément premier qui va traduire le thème et ses directions, que le dîner va prendre tout son sens et développer son économie figurative, sonore et gustative.

Les images: topographie et échos
Nous allons donc nous asseoir dans l'ombre d’une projection: ombre qui masque l'espace, projection qui illumine, par partie, la table de photographies représentant des détails du sous-bois. La table s’offre alors comme un autre sol où le dîner va émerger par strates successives et projetées suivant l'ordre du menu: Sous-sol, racines, sol, sous-bois, fleurs, ciel. L’invention, s’il y en a une, a été d'accompagner le contour de ces photographies par des formes géométriques simples: carré, rectangle ou cercle (en fonction des plats) afin d'offrir, une fois projetées, un moment de magie quand les assiettes, leur design et sublimes compositions y sont servis.

En référence aux « images pièges » de Daniel Spoerri, créateur du Eat Art, où l'artiste fixe les restes des dîners par leurs objets sur des tables, la proposition de Loic Serot met l’accent sur une topographie trouée de lumière, ouverte sur ce qui arrive. Les images et les plats fonctionnent ensemble mais dans un double temps : celui fixe et abstrait des photographies et celui comme figuratif, zoomé, et en relief des plats. Dans cette projection zénithale, chaque geste crée en silence un dialogue entre l'ombre et la lumière: échos vivant des mouvements de la nature.

Son: intention et conscience
Pour l'occasion, le sound-designer et artiste Cedric Maridet a ramené une multitude d'enregistrements de forêts qu'il a réalisés aux quatre coins du monde. L'aspect documentaire semble vouloir ici déclarer son intention : Ne pas toucher la nature mais de seulement la rejouer : en variations, intensité, nappes et diversité. Dans cette multiplicité anonyme, sans beat, les sons de la forêt ne semblent plus vouloir adresser leur localisation, mais figurer ce qu'ils transportent. Ils se traduisent comme éléments qui ne sont signifiants que pour ce qu'ils sont : vent, craquement, animal, feuille, bois, groupe, mouvements,... Ils nous offrent un moment de conscience capable de les nommer comme présence du familier ou comme voix, rappelant variétés et espèces pour celui qui les connaît ; mais pour chacun cela nous replonge dans notre étrangeté, certes disconnectée de nos origines, mais ouverte comme une promesse en devenir: celle d'une nature sans fin.

Mets : teneur et éthique
La nourriture n'a pas de frontière, Janice Wong, le chef dont on parle aujourd'hui lorsqu'il s'agit de dessert, le sait. Ou seulement si les frontières peuvent encore dessiner des cartes originelles ou des cartes aux trésors. Celui qui connaît l'histoire du chocolat sait aussi peut-être en dessiner ses secrets.

Ici, les éléments picturaux sont autant de textures et de matières qui viennent exprimer en détail les différentes impressions des strates du sous-bois. D'éléments noirs, étranges et anciens comme la truffe, le café ou le réglisse, à des éléments clairs, légers ou volatiles comme les mousses, les pétales ou les parfums cachés, Janice compose par densité et teneur : chaque aliment dégusté semble posséder son exacte teneur en ingrédient original ainsi que son parfait dosage d'humidité ou de sécheresse, de dureté ou de moelleux, de liquide ou de solidité. Le chaud et le froid se répondent, confirmant la magie que crée ce dispositif trouée de lumière comme si certaines parties des mets étaient encore chaudes, comme ensoleillées et d'autre à la fraîcheur préservée à l'ombre des feuillages, dans l'épaisseur du sous bois. Servis dans des réceptacles minimums : vase transparent, boîte rectangulaire et assiettes rondes, la nourriture se présente en couleur et contraste comme des moments ou l'hyperréalisme peut rejoindre l'abstraction. Cela pourrait nous faire penser au chef Michel Bras lorsqu'il décrit sa cuisine comme des univers, mais c'est peut-être plus à Coltrane et à Miles Davis que les compositions ont à voir. La nourriture rend hommage à une nature en mouvement, révélée par gestes et fragments, reconnaissance d'une nature mentale, construite et fluide, ouverte et généreuse.

Le dîner travaille donc dans ces perspectives. Les esthétismes se dévoilent comme présences d'où émane notre dimension éthique celle avec laquelle: en couleur, bruit, texture, saveurs, matière, humidité, température et lumière nous décrivons, dessinons et peignons le réel. Dans cette aspiration, Une histoire secrète du chocolat dépasse ses ambitions. Qui sait déguster, ne boit plus jamais de vin, mais goûte des secrets, disait Salvador Dali.