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Tout comme j’aime la sorte d’art qui peut être appelée « tourné vers la communauté », c’est-à-dire celle à qui l’on a donné récemment le nom de « tournant social dans l’art », il ne faudrait pas croire que la seule façon de s’adresser à la société en entier est d’adopter nécessairement ces pratiques qui exigent souvent des « performances » (au sens anglais du terme) et une participation de groupe. De telles pratiques comprendraient par exemple le travail d’un plasticien comme Tim Li 李民偉 qui organisa il y a peu une série d’œuvres communautaires avec un groupe de gens exécutant une danse du dragon avec les sortes de lits pliants dont la surface avait représenté l’espace individuel disponible aux premiers habitants des HLM de Hong Kong. De tels projets communautaires sont bien sûr d’excellentes façons de donner aux participants un lien direct avec les réflexions qui ont fait naître cette pratique artistique, mais il me semble que d’autres media plus traditionnels (un sujet déjà abordé dans l’article précédent de cette série) peuvent fonctionner tout aussi bien dans le même but. Dans les deux cas, l’idée que l’art puisse être une façon de se « souvenir » de l’existence pourrait être appliquée.
Dans un texte fameux sur une peinture de van Gogh représentant des chaussures, Martin Heidegger commente son idée que notre relation à l’existence est absente de la conscience aussi longtemps qu’il n’y a pas peine. Tant que nos chaussures sont confortables, elles ne sont pas présentes à notre conscience. Si nous voyons des chaussures dans une œuvre d’art par contre, celles-ci nous rappellent la vérité de ce qu’une paire de chaussures est sans avoir recours à une expérience douloureuse. Les chaussures peintes par van Gogh ne sont pas seulement une imitation, elles nous montrent la vérité que nous avions oubliée. L’idée de l’art en tant que remémorateur de l’existence semble s’adapter à toutes sortes de pratiques artistiques, que celles-ci impliquent directement le spectateur ou le participant.
• Celia Ko. 高天恩 Grandpa at That Moment, Now, 228,6 x 183 cm acrylique sur toile, 2008 |
Le projet que Celia Ko a terminé lors de son séjour à l’université Lingnan fut ainsi une exploration très réussie de souvenirs personnels et collectifs, projet qui permit aux spectateurs de se remémorer leur propre passé et celui de leurs familles à travers les observations que l’artiste fit de sa propre famille et de son passé. Dans le catalogue de l’exposition, Celia Ko nous donne une réflexion sur ses grands-parents et sa propre vie ainsi que des commentaires sur chacune de ces œuvres. « En coupant les images de mes grands-parents en un style contemporain, j’ai essayé de ‘jeter un regard moderne’ sur leur portrait photo très formel pour les libérer de leurs coiffures et vêtements dépassés. J’imagine comment je puis peut-être les ramener à la vie comme un couple bien plus jeune, me reconnectant à eux dans ce moment depuis longtemps révolu. » Quant aux peintures d’objets laqués qui appartinrent aussi à sa famille, elle ajoute : « J’associe les objets de laque avec les histoires de ma grand-mère que je connais intimement et qui advinrent il y a longtemps. La noirceur de leur surface, à la fois objet et peinture, incarne cette impression du passé qui vit en mon esprit. »
Le fait que les deux images les plus importantes de l’exposition à l’université Lingnan sont des peintures pose donc aussi la question d’une forme d’art « traditionnelle ». Dans ce cas, le médium traditionnel est la peinture à l’huile ou à l’acrylique, moyen sur lesquelles beaucoup de réflexions ont été faites depuis ces cinquante dernières années. Pour faire sens de ce problème, on peut toujours s’appuyer sur le discours bien connu tenu sur la main comme médium, méthode qui s’adapte si bien à tout le contexte de la peinture à l’huile ou à l’acrylique qu’elle est en danger de devenir un stéréotype. Il demeure que la méditation très personnelle sur la famille et le passé dans laquelle Celia Ko s’est engagée pour la réalisation de cette série d’images est très simplement amplifiée par l’usage de sa main. Le lien entre main et expérience personnelle n’est cependant pas « naturel ». La sensation de « lien naturel » est plus simplement une idée qui a été construite au travers de plusieurs siècles de cultures euro-américaine et chinoise : tant de gens sur tant de siècles sont devenus convaincus de l’existence de cette étroite relation entre ce que la main fait et ce que l’esprit (ici expérience personnelle et mémoire) conçoit que cela est devenu une « vérité » culturelle dans tous les pays où la peinture a créé des images. L’art est décidément artificiel et toute relation existant dans ce contexte est le résultat de siècles d’influences culturelles, ce qui explique pourquoi nous le ressentons comme si naturel. On pourrait même dire que l’art est naturellement artificiel. |
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• Celia Ko. 高天恩 Grandma at That Moment, Now, 228,6 x 183 cm acrylique sur toile, 2008
我喜歡那可被稱作〝面向群體〞的一種藝術,近來人們稱它作〝藝術的社會轉折〞。不要以為面向社會全體的唯一方式定要採取這種〝表演〞(英語performances之義)及群體的參與。這種藝術實踐者中便有造型藝術家李民偉。不久前,他組織創作了群體藝術的系列作品,由一群人舉着折疊床舞龍完成,那折疊床的空間表現了香港公屋最早居民的有限的個人空間。這種群體藝術可令參加者與藝術家對作品的創作構思直接溝通,無疑是一種絕好方法。但我認為另一些較為傳統的藝術手法亦能有效達至此目的。在這兩種情況下,藝術可成為對現實生活回憶的一種方法的理念都得到了實踐。
在一篇有關梵高表現鞋子的一幅畫的著名評論文章裡,馬丁.海德格爾這樣說道,只要我們的內心不感到痛楚,便意識不到我們和現實世界的關係。只要我們的一雙鞋舒適,便會忽視它的存在。如果我們在一幅藝術作品裡看到鞋子,我們腦海裡呈現的只是一雙普通的鞋子,無需喚起甚麼痛苦的經驗。而梵高描繪的那雙鞋卻不是單純的再現,它向我們展現了我們業已忘記的真實。藝術是現實世界的回憶這種藝術思考似乎實用於一切藝術實踐,這些藝術實踐將觀賞者直接帶入其中。
高天恩執教嶺南大學期間完成的作品是對個人和群體回憶的極成功的探索,觀眾可透過她對自己的前塵往事及家庭的思考作同樣之舉。在展覽圖錄裡,高天恩對祖父母及自己的人生經驗作了思考並對每幅作品作了評述。〝我以現代藝術表現手法來刻劃祖父母的形象,試圖以‘一種現代的眼光’審視他們一本正經的照片,讓他們從舊髮式和過時的服裝中走出來。我想像如何將他們像一對年輕夫婦那樣引到現實生活中來,並和他們在久已逝去的歲月中相溝通。〞至於那些描繪她家中漆器的畫,她說:〝我將這些漆器同我非常熟悉的、發生在很久以前的祖母的故事聯繫在一起了。那漆器表面的黑跡,是實物亦是繪畫,是活在我腦海裡的對往事的深刻印象。〞
嶺南大學展覽中兩個最重要的形象均是繪畫這個事實,向我們提出了〝傳統〞藝術形式的問題。油畫或丙烯畫是傳統的媒介,對於這個表現手段近五十年來已為人們深入探討。為使問題富於新意,我們可以拿那著名的將手視為媒介的理論作依據,這手法是如此適用於油畫和丙烯畫,以致成了老生常談。高天恩對家庭及自己往事的思考而創作出這系列作品,可說是手的功能的擴大。手和個人經驗之間並無〝自然〞的聯系。之所以有〝自然聯繫〞這種感覺,那是基於幾個世紀以來歐美及中國文化築起的這個思想:多少世紀以來有多少人均深信由人手創作的東西和精神(此處指個人經歷和記憶)孕育的東西有密不可分的聯繫,這便成了將繪畫視作創作形象手段的所有國家的一種文化〝事實〞。藝術無疑是人為的,而它箇中的所有聯繫只是漫長歲月的文化影響的結果,這便解釋了為甚麼我們在觀畫時總覺得它是如此自然,我們甚至可以說藝術是非常自然的人為。 |
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