Ciné-débat 電影座談會

Animé par Violaine de Schuytter

 
  Cinéma français : Scènes de baisers
法國電影:親吻的鏡頭
 
 

Les Roseaux sauvages

Dans Vivement dimanche, une Fanny Ardant malicieuse embrasse subitement un Trintignant pris de court en prétextant qu’elle a vu faire ça au cinéma. Au-delà du gag, Truffaut nous confie combien l’expérience artistique conditionne aussi tout apprentissage amoureux (il faut revoir Les Mistons, son court-métrage de 1957, où sont déjà intimement liés fétichisme et cinéphilie). Quand les réalisateurs doivent se plier aux normes imposées, ils composent aussi leurs scènes en déjouant la censure (les jeux du renversement chez un Jean Vigo ou un lit discret en arrière-plan). Les baisers balisent donc un itinéraire où la raison et la décence sont souvent victimes d’un jeu de dupes, mises en échec par les ruses de la passion et de l’amour du cinéma.

Comment toucher les spectateurs et favoriser l’irruption du singulier au coeur du prévisible et du cliché ? L’indicible se suggère par divers moyens : l’interruption du discours (l’opposition entre la parole et le corps dans Remorques de Grémillon), l’image de l’envol sublimé dans la fin féérique de La Belle et la bête de Cocteau), l’évanouissement anachronique (La Femme d'à côté de Truffaut), les larmes de joie dans Conte d'été… Le transport amoureux est manifesté par une syntaxe particulière (le très beau baiser de Tirez pas sur le pianiste). Autant donc de motifs thématiques et formels, de jeux de lumière, de rythme de montage (etc.) qui créent la force vive de l’élan. Aux artifices séducteurs du glamour (les stars, la musique…), le cinéma préfère parfois un naturel plus apparent.

Entre théâtralisation et effet de sourdine, les scènes de baisers déploient ou murmurent les jeux du possible et de l’impossible, ouvrant la brèche de l’exceptionnel. Et si les plus beaux baisers du cinéma, vierges de toute mythologie encombrante, étaient ceux qui savent retrouver l’innocence d’un lyrisme inédit (l’expression étonnante de l’amitié dans Les Roseaux sauvages) ?


La Femme d'à côté

La mise en scène, dépouillée ou virtuose, interroge subtilement la vérité des baisers, leur authenticité et contredit parfois le manichéisme du récit (la trahison mise en cause chez Becker) : qu’ils soient vrais ou faux, les baisers n’ont pas fini de faire leur cinéma sur la scène de la séduction pour mieux nous confronter aux contradictions du réel. Car c’est bien sûr toujours les contraires qui s’attirent (le flic et la « voyou(e) » dans Police).

Ces scènes prélevées sont autant de « baisers volés » qu’il faut pourtant aussi rendre à leurs différents contextes car ils sont enracinés dans la trame d’un film et d’une époque. Qu’il soit au début ou bien en fin de scène, de film, ou d’oeuvre, le baiser n’a pas le même poids.

La douceur des baisers ne va pas sans violence. La cruauté s’invite souvent au rendez-vous d’un privilège exclusif. Les réalisateurs ne se privent pas des ressources réflexives offertes par le dispositif de scènes vues : baisers surpris, espionnés, dévoilés (Les Enfants du paradis etc.).

Cet échantillon des mille et un baisers du cinéma nous balancera entre perdition et rédemption, promesse et désillusion au coeur des émotions. Une midinette sommeillerait-elle au coeur de tout spectateur ? L’évasion serait-elle la seule fonction de baisers égarant le spectateur hors du réel ? Dans La Règle du jeu, Renoir oppose avec une ironie tragique au désir de fuite et à l’aveuglement de ses personnages la vérité du relativisme de la mise en scène. La leçon paradoxale du « voyeurisme » des scènes de baisers renvoie aussi à leur interprétation.

Car si le cinéma nous fait faire la morale buissonnière, en nous faisant partager le goût de la transgression, il milite aussi à sa façon romanesque pour la tolérance : Le Gabin de Grémillon le dit sobrement : « parce que ce qu’il y a entre deux êtres, ça ne regarde pas les autres ». A voir !