Poésie 詩詞

Texte : Bernard Pokojski

 
  Georges Haldas, scribe du partage
喬治.阿爾達斯:與人分享的寫作者
 
 

« Plus le scribe, encore une fois, est immobile, plus il reçoit les rayons du monde visible et ceux de l'invisible. A partir de quoi, il peut dire ce qu'il a à dire. Et il doit rester d'autant plus immobile aujourd'hui que le monde a la bougeotte. » Georges Haldas Paroles du scribe
        
Sans feu ni lieu j'arrive / au bout de ce voyage / Ne me demandez rien / je n'ai pas de bagages / Simplement je regarde / tout seul obstinément / du côté de la mer / où s'est close l'étoile /
    Georges Haldas Un grain de blé dans l'eau profonde

Georges Haldas est parvenu au bout de son long voyage ce 24 octobre 2010, né qu'il était un 14 août 1917 à Genève, sa disparition, disons-le, n'ayant evidemment suscité aucun écho du côté des mornes plaines françaises où il était dédaigné et ignoré... Ce Voyageur obstiné laisse cependant au bord de sa route plus d'une soixantaine d'œuvres, bagages qu'il nous faudra bien ouvrir un jour afin d'y découvrir ses trésors. Ceci ne l'empêchera pas de noter dans ses carnets : « Ecrire : foutaise. Haute foutaise. Le sentiment d'avoir parfois gâché ma vie. Et celle de mes proches. Vivent ceux qui n'écrivent pas ! » Provocation extrême d'un homme qui écrira durant sept décennies habité toujours par la méfiance à l'égard de la figure du littérateur et qui pouvait déclarer sans sourciller préférer les charcuteries aux librairies ou refaire un match de foot avec ceux qui voulaient bien l'entendre... Georges Haldas était né d'une mère suisse et d'un père grec qui l'emmènera à l'âge de 5 ans dans son pays d'origine. Lors de leurs promenades, le père lui parlera des héros homériques et du sens de la vie mais vieillard, il se souviendra encore d'un match de football surréel entre les marins d'un navire anglais qui mouillait près d'Agostoli et l'équipe locale. Le match atteindra à ses yeux une dimension quasi fellinienne et le terrain éclairé par les projecteurs du navire avait déclenché en lui « une rêverie prodigieuse ».

De retour à Genève à l'âge de 9 ans, il se sentira perdu au milieu des autres élèves et se mettra à dessiner ce bateau qu'il avait pris pour la Grèce lorsque sonnait l'heure de la dictée. Il passera pour un mauvais élève, préférant le spectacle de la rue, les fanfares du dimanche matin et le soleil. Il avouera encore n'avoir jamais eu de rêve car la réalité pour lui dépassait toujours les plus fous souhaits. Le goût de l'écriture lui viendra à l'âge de 17 ans : un professeur qui comprend bien l'adolescent lui propose de faire un portrait d'Hélène de Troie, et 130 pages sortiront de la plume de celui qui auparavant avait été incapable de mener à bien une simple composition... Haldas fera ensuite des études classiques et étudiera les Lettres à l'Université de Genève. Un temps, il hésite même entre la théologie et une carrière dans le football mais à 20 ans, il sait qu'il consacrera sa vie à l'écriture, éveillé qu'il fut à la poésie par l'un de ses professeurs. En 1940, en pleine guerre, il entre au Journal de Genève d'où il sera viré pour « opinions antinomiques », lui étant reprochées ses idées politiques, trop amies de la résistance au nazisme. L'année suivante il se marie, travaille dans une librairie, connaît le chômage et en 1954 abandonne femme et enfants pour être engagé par un éditeur. Il animera aussi une galerie et collaborera avec deux autres éditeurs. Mais tout ceci n'était en sorte que la partie visible car Georges Haldas allait commencer à vouer son existence à la lecture et à l'écriture. Il vivra, selon ses mots, en Etat de poésie et cherchera à traduire le plus fidèlement possible ce qui passait par lui, délaissant alors les récits de fiction pour rendre en poèmes ou en chroniques ce qui montait en lui. Ses notations journalières formeront sa matière, expression avant tout d'une vie intérieure qui engagera le lecteur à quitter les chemins du divertissement pour suivre des sentiers d'arête. Il recueillera « le pollen du temps » et fera sienne l'expression de Baudelaire « minutes heureuses » qui nous enjoignait à explorer le « mystère incroyable de la réalité ».

Un lecteur attentif trouvera également au fil des pages un autoportrait de Georges Haldas qui disait si bien cependant de ses écrits qu'ils n'étaient que des mots de l'Autre en lui. Mais ses mots s'opposeront au terre-à-terre, à l'éphémère et à tout ce qui fait écran à l'essentiel. « Il ne faut rien vouloir que l'ombre et le silence / Il ne faut rien attendre / Il faut laisser la nuit sur nos linceuls s'étendre / Il faut laisser les mots renaître sous la cendre. » Son regard sur le monde et les hommes sera de même lucide et généreux et Haldas n'inventera pas ses personnages, les dénichant dans le quotidien le plus ordinaire. Il refusera toujours le nom « d'écrivain » pour celui « d'homme qui écrit » et fréquentera cafés, zincs du coin, buffets de gare, bistrots, penché sur ses carnets qui captaient la vie sous tous ses aspects. Il prend le pouls du lieu, regarde, s'implique, se rapproche des gens, et peut même à sa manière partager le repas d'un inconnu : « Grand soleil. Près de la voie ferrée. Un cheminot. A l'écart des autres. La pause. Assis sur une poutre. A l'ombre de la cabane aux outils. Pas un festin pour lui. Mieux. Je veux dire : pain, fromage, saucisson. La bouteille. Mais la question, bien entendu n'est pas là. Elle est dans l'espèce de recueillement où on voit notre homme s'apprêtant à manger. L'attention, la minutie même avec lesquelles il prépare le repas que, dans un instant, il va faire ». L'œil s'allume à chaque détail et ces petits riens le mettent en appétit. Il semble déguster lui-même tout en se recueillant et ceci nous rappelle qu'en exergue à son livre Boulevard des philosophes qui traçait le portrait de « l'homme son père », il avait mis cette citation de Pascal : « Toute la suite des hommes n'est qu'un seul homme qui subsiste toujours. »

Haldas restera cet arpenteur disponible qui chemine et nourrit sa mémoire dans le labyrinthe de la ville faite d'innombrables bistrots comme autant de stations. « Quand je suis avec quelqu'un, je le sens dans son corps, dans sa gestuelle, dans le timbre de sa voix, et pas seulement par ce qu'il me dit, mais aussi aux contradictions qu'il y a entre le timbre de sa voix et la nature de ce qu'il me rapporte. Quand il s'en va, je vois en outre son dos qui est son inconscient, cela qu'il n'a pas pu cacher. » Il était aussi très important pour lui de décrire « la beauté du monde » et il se disait doté d'une hypersensibilité aux choses de la vie. « Ma conception de l'écriture touche aux assises de l'être : elle est nécessité de dire la vie dans son horreur et ses merveilles ; mais je ne force personne à partager ce concept ; ceux qui veulent y adhérer, y adhèrent ; les autres ont leur libre arbitre. » Haldas se dira ouvertement compagnon de route des communistes suisses et ses affinités remontaient avant le second conflit mondial car à ses yeux, c'était le seul mouvement capable de s'opposer aux visées expansionnistes du nazisme allemand. Il restera proche d'eux jusqu'à la fin, en partie, comme il le dira si bien, pour « emmerder les capitalistes ». Haldas sentait cependant le monde menacé par la montée de ce qu'il appelait les trois déserts : le désert géographique, le désert social et le désert intime. Il y avait selon lui le risque présent de s'égarer, de perdre ses repères, tout en étant écrasé par une économie globalisée et de voir les libertés étouffées par les dogmes religieux. Haldas sera fasciné par la figure du Christ et la puissance de sa résurrection mais pour ma part, je retiendrai surtout ceci : « Les lettres et les mots d'une phrase couchés sur le papier doivent mourir pour que le sens se dégage. Toutes les lettres et tous les mots qui ont participé à la genèse du sens vivent dans le sens, mais libérés de l'espace et du temps où ils étaient sur la page ». Chez Haldas, « la graine » doit aussi mourir pour libérer la vie et l'écriture est cette forme de résurrection.

Haldas a été très peu édité en France où son œuvre, comme je l'ai dit, n'a reçu que très peu d'échos. A Paris, on regardait un peu de haut cet écrivain, ce chroniqueur suisse qui écrivait dans une langue pas très parisienne, et pour lire ses œuvres, il faut aller aux Editions de L'Age d'Homme...

«Le partage, ça se conquiert, ça n'est pas donné. Il faut aller à l'autre, il faut lutter, il faut parfois, et aussi il faut mourir à l'autre pour que quelque chose naisse. » (Georges Haldas) Allez donc voir Georges Haldas et ses secrets !

Mais, inséparable de l'Etat de poésie sont les rencontres humaines. Et le café est le lieu privilégié, aussi, de ces rencontres. Un soir, donc, que selon mes habitudes, je me trouvais dans un des établissements du quartier dit des Eaux-Vives — quel nom mystique ! — Je vois, installé à une table voisine de la mienne, un homme au visage volumineux et sanguin ; chevelure blanche de lion fatigué par la vie comme par les excès de vin rouge ; et qui, ramassé sur lui-même, grassouillet, paraissait plongé dans une rêverie profonde. Je le regardai. Sa physionomie, et tout l'air de sa personne, me disaient quelque chose. Soudain je le remis : (G. Haldas : La Légende des cafés)

On parle à la terrasse
Et la mort nous observe
Mais les amis sont là
Nos joies sont à ce prix.
Car bien avant la pluie
Tout était déjà là
Et la source dans la nuit
Refait dans son murmure
Tout le terrain perdu
(...)
Léger sera le pain
Qu'à peine on touchera
Léger aussi le vin
Car nos corps de lumière
N'en auront plus besoin

Mais toi aussi, mémoire
Un jour tu t'en iras
Sur un chemin obscur
Par une nuit sans nom

Rien ne frappe son regard
qui ne lui soit familier.
Ô pas dans le brouillard
Et gares désertées

 

〝我再說一次,寫作者愈是安坐不動,愈可獲得有形世界和無形世界的陽光。由這一點出發,他便可說他應說的話。而今這個世界有了旅行癖,他更應安坐不動。〞── 喬治.阿爾達斯:《寫作者的話》(Paroles du scribe)

〝無家可歸,四處飄泊,終於來到旅途的終點。不要問我有甚麼,我兩手空空,沒有行裝。我只是固執地凝望那海面上西下的夕陽。〞── 喬治.阿爾達斯:《深水中的一顆麥粒》(Un grain de blé dans l'eau profonde)


• Georges Haldas, le point final, Photo Node/244H/ch

2010年10月24日,喬治.阿爾達斯走完了漫長的人生路。他於1917年8月14日出生於日內瓦。他的謝世,顯而易見,沒有在法國引起任何返響,在沉悶的法蘭西土地上,他遭人貶抑、忽略……然而,這固執的〝旅人〞在他走過的路邊為我們留下了六十多部著作。這些〝行李〞,有待我們有朝一日將它打開,發現箇中的珍藏。他在記事本上這樣寫道:〝寫作,是廢話,廢話連篇。有時候我覺得是浪費生命,浪費親友的生命。那些不寫作的人,但願他們好好地活着吧!〞這是一個七十年來在遭人質疑是否是一個作家的困擾下孜孜寫作的人的激憤之言。在熟肉和書店之間,他完全可以眉頭皺都不皺地選擇熟肉,或者和願意傾聽他的人再踢一場足球……。喬治.阿爾達斯的母親是瑞士人,父親是希臘人。在他六歲時,父親將他帶回祖家希臘。爺兒倆散步時,父親和他講述荷馬史詩的英雄故事並曉以人生道理。年邁時,他還記起一場超現實主義的足球賽,那是停泊在阿戈斯托里(Agostoli)的一艘英國輪船上的水手和當地的一支足球隊的一場比賽。在他眼中,比賽氣氛幾達費利尼電影的效果,而那由探照燈照明的球場,令他感到彷彿是一場〝神奇的夢〞。


• La Légende des cafés, dessin de Pierrine Lanier

九歲時他回到日內瓦,在同學們當中,他感到孤獨失落。當默書的鈴聲響起時,他卻畫着當年把他載回希臘的那艘輪船。他被認為是一名壞學生,喜歡街頭景象、星期日早晨的起床號和陽光,更甚於讀書。他自認從來沒有過幻想,因為他覺得現實總是超過了最瘋狂的願望。他在十七歲上喜歡起寫作來。一位老師很瞭解這個少年,要他描寫一下特洛亞的海倫。他竟洋洋灑灑寫了130頁紙,而往常他連一篇作文都難以完成…… 後來,他研讀古典文學並入日內瓦大學修讀文學。一個時期,他在神學和從事足球事業間搖擺不定,但二十歲時,受到一個老師在詩歌方面的啟發,他決定從事寫作。1940年二次大戰戰火猶酣,他進入《日內瓦報》工作,但由於他的〝二律背反〞的政治觀點遭人批評,人們認為他太傾向於抵抗納粹而遭解僱。翌年,他結婚,在一家書店工作,後失業。1954年他拋妻別子,受僱於一家出版社。他還主持一個畫廊並和兩個出版商合作。這一切僅是表面文章,喬治.阿爾達斯正着手將一生奉獻給閱讀和寫作。用他自己的話說,他時時生活在詩境中,試圖盡可能忠實地將他經歷的一切表達出來,將湧現在他心頭的一切不用虛構的小說,而用詩歌和專欄的方式表達出來。他每天記下的筆記是他的寫作材料,首先是一種內心的表達,令讀者遠離娛樂消遣而隨他走進崎嶇的探索之路。他採集着〝時間的花粉〞,將波德萊爾的〝幸福時刻〞化為己有,邀我們一起去探索那〝不可思議的現實之神秘〞。


• Photo L. Helly, Libraire L'Age d'Homme

一個細心的讀者在一頁頁讀着他的書時,可發現一幅喬治.阿爾達斯的自畫像,而他卻說自己所寫的一切僅是〝另一個人〞透過他說出的話。但他的語言絕非平凡、短暫或對本質的掩飾。〝除卻陰影和寂靜,甚麼都無需等待。讓夜在裹屍布上蔓延開來,讓語言從灰燼中重生。〞他以清晰、寬厚的眼光注視着世界和世人。他不虛構人物,而是從最平凡的日常生活中將人物發掘出來。他始終拒絕〝作家〞的稱呼而更喜歡〝寫作者〞這一稱謂。他是咖啡館、小酒吧、車站餐廳、小餐館的常客。他俯身在他的筆記本上記下他捕捉到的人生百態。他為地方號脈、介入、走近眾生,甚至可以和一個陌生人分享一頓飯:〝赤日炎炎。在鐵軌附近。一個鐵路工人。遠離他人。休息。坐在一根橫樑上。在工具房的陰影下。他沒有盛宴,卻勝似盛宴。我意思是指麵包、奶酪、香腸。一瓶紅酒。但顯然問題不在這兒,而在我們沉思默想中。但見他正準備吃飯。他專心致志、小心翼翼地準備他很快就要吃的一頓飯。〞他目光如炬,洞察細微,再微不足道的事情都令他感興趣。在沉思默想中,他彷彿品味着一切,這讓我們想起他為《哲學家大道》(Boulevard des philosophes)這本描寫〝男子漢父親〞的書所寫的題詞,他引用了巴斯卡(Pascal)的名句:〝一系列的人只是永遠繼續存在的一個人〞。

阿爾達斯永遠是一個悠閒的漫步者,在酒吧處處有如車站的城市的縱橫交錯的大街小巷彳亍前行,捕捉事物。〝當我和某人在一起時,我彷彿和他融為一體,進入他的一舉一動,他的音容笑貌,這不僅借助他對我所說的話,亦透過他說話的音色及他所說的事物的本質之間的矛盾。他離開時,我看着他無意識的背影,這是他無法掩飾的。〞描寫〝人世的美好〞對他非常重要,他自認為對生活中的一切事物具極高度的敏感。〝我的寫作觀觸及生存的基礎。我必須道出生活的醜惡和美妙;但我不強迫別人接受我的觀點。同意與否,悉聽尊便,人人都有自由意志。〞阿爾達斯公開承認自己是瑞士共產黨的同路人,這種親密關係可上溯到二次大戰前,因為在他看來,唯有共產主義運動才能抵抗住德國納粹的擴張。他自始至終接近共產黨,這部份原因,正如他說的,是〝不把資本家放在眼裡〞。阿爾達斯感到世界正被他所謂的三個沙漠威脅着:地理沙漠、社會沙漠及感情沙漠。他認為目前在全球一體化的壓迫下,人們迷失方向,不知所措,自由被宗教教條所窒息。他為耶穌及其復活的力量所深深着迷,而我卻更記住他的這句話:〝躺在紙上的字詞語句必須死去才能釋放出其含義來。一切參加產生意義的字詞語句均活在意義中,在它們身處的紙頁上由時空脫穎而出。〞在阿爾達斯的著作裡,〝種子〞必須死去才能釋放出生命,而寫作正是這種復活的形式。

阿爾達斯的作品很少在法國出版,正如我前面所言,他的著作在法國甚少引起返響。在巴黎,人們有點輕視這個作家,這個以不太巴黎化的法文寫作的瑞士專欄作家。若欲閱讀其著作,可造訪L'âge d'homme出版社……
〝分享,是贏來的,不是授予的。必須去接近他人,有時必須鬥爭,必須為他人而死以催生一些新事物。〞(喬治.阿爾達斯) 去閱讀喬治.阿爾達斯並發現他的秘密吧!