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Bien que j’apprécie tout autant les œuvres d’art engagées dans des formes d’expression moins tactiles, il faut bien admettre qu’il existe un certain degré d’opacité dans ces ouvrages et ils bénéficient souvent à un haut degré d’être tout simplement « expliqués » à travers une expression additionnelle, celle du texte. C’est une position que bien des artistes « conceptuels » rejettent cependant, ceux-ci répétant souvent à quel point leur travail est « direct » et à quel point il est engagé dans la vie de tous les jours. Mais c’est bien souvent dans cette qualité d’être « direct » que leurs œuvres sembleront opaques à la grande majorité des amateurs d’art qui seront plus prêts à apprécier des travaux plus « traditionnels » comme par exemple la peinture ou la sculpture.
Law Yuk-mui appartient clairement à ce genre de praticiens que nous nommons généralement « conceptuels ». Pour son projet de maîtrise, par exemple, elle choisit d’étudier en détail comment les plasticiens contemporains ont utilisé le livre, à la fois comme médium et comme contenant, tout en produisant une série d’œuvres sur le même sujet. Dans la thèse qu’elle écrivit, Law Yuk-mui ne s’est pas arrêtée à une remarquable description des pratiques d’art contemporain prenant le livre comme support, mais elle situa aussi clairement sa propre pratique à l’intérieur de cette recherche, donnant au lecteur ce qui manque bien trop souvent aux expositions d’art contemporain : une réflexion écrite faite par le plasticien qui non seulement clarifie les dimensions visuelles parfois difficiles à saisir de son travail, mais en réalité y ajoute une dimension supplémentaire.
En visitant l’exposition montrant son travail de maîtrise, composée de plusieurs livres-objets faits par la plasticienne elle-même, mais aussi une exposition d’autres livres d’art (contenant d’art ou livres conceptuels) ainsi qu’une vidéo réalisée avec un soin extraordinaire (qualité malheureusement assez rare dans l’art vidéo), on comprenait à quel point la lecture de sa thèse pouvait ajouter une dimension supplémentaire à la vision de cet ensemble. Sans être nécessaire, puisque cette exposition était d’abord conçue pour être vue seule, cette lecture multipliait le plaisir du spectateur qui aurait eu la patience de la lire.
Nombre de ces objets, ainsi que de riches explications, sont visibles sur le site suivant (http://lawyukmui.net/works/selected_works_2010_01.html), site sur lequel je conseille au « surfer » de regarder intégralement la vidéo et le livre intitulés Disabled Novel (《殘話小說》), titre dont la traduction provoque toutes sortes de difficultés qui sont d’ailleurs partie intégrante de la réflexion engagée par l’artiste (quelque chose comme
« roman handicapé », mais aussi « roman rendu inopérant » ; le titre Chinois pouvant être « roman à la parole maléfique » ou « roman à la parole handicapée »).
Composés de multiples événements pris de la vie de la plasticienne, mais aussi d’événements marquants des dernières années à Hong Kong (faisant de cette œuvre un questionnement sur les limites du privé et du public), ce livre et cette vidéo est, selon la plasticienne : « Un film muet dont 95% du script est fait d’un monologue intérieur… Son contenu est un jeu entre la réalité, la mémoire et l’imagination, ses segments fragmentés traçant la trajectoire psychologique des êtres humains à travers la cité. »
Certaines sections du livre et de la vidéo continuent le thème de l’ambiguïté du langage évoqué dans le titre. Elle demanda par exemple à ses camarades de traduire en chinois l’expression « You’ve lost ». Ce qui semblait être une tâche bien aisée se révèle à la fois riche de sens et de contradictions et ces jeunes gens varièrent le sens en chinois, allant de « tu as déjà perdu » à « tu l’as déjà perdu » jusqu’à « tu as perdu [ton chemin] » et « tu as perdu [au jeu] » (mais on comprend bien que mes approximations françaises ne peuvent pas rendre le problème plus clair – nous parlons d’une véritable mise en abîme ici, traduisant en français des traductions variées en chinois d’une phrase anglaise elle-même relativement ambiguë…).
En fait, nombre des sections de ces deux œuvres jouent sur les multiples ambigüités que la vie à Hong Kong montre en permanence. Le statut ambigu de la « démocratie » de Hong Kong, par exemple, se révèle particulièrement menaçant sous les traits de ces soldats de l’armée populaire de libération pliant le drapeau chinois à Hong Kong lors de la fête nationale (la plasticienne se demandant pourquoi elle n’arrive pas à trouver un air de vacances à ces images en dépit des palmiers de l’arrière-plan). On pourrait continuer sans fin les réflexions sur Disabled Novel, mais puisque ces deux ouvrages sont disponibles sur le net pour que chacun s’en fasse une idée, je m’arrêterai ici. |
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我雖然亦欣賞那些表現形式欠觸覺感的藝術作品,但不可否認在這些作品身上有某種不透明,它們在很大程度上需要借助文字加以說明。但這種做法常遭〝觀念派〞藝術家的摒棄,他們總是強調自己的作品是如何〝直接〞,他們又是如何融入日常生活。然而,正因為這種所謂的〝直接〞令他們的作品晦澀難懂,以致廣大的藝術愛好者轉而更欣賞如繪畫或雕塑這些〝傳統〞藝術。
羅玉梅很明顯屬於我們通常稱為〝觀念派〞的藝術家。她的碩士論文的主題,選擇的是仔細研究當代的造型藝術家如何既以書作為創造媒材又作為表現內容,創作了同一主題的系列作品。在她的論文裡,羅玉梅沒有停留在對當代造型藝術如何以書作為媒材進行創作的精采描述,她還清楚地闡明了自己的藝術實踐,為讀者提供了在當代藝術展覽中經常缺乏的一種東西:即造型藝術家所作的思考,她既為自己作品難以理解的視覺空間作了澄清,事實上亦為作品增加了一維輔助空間。
她為碩士學位舉辦的個展內容有她自己以書為媒材製作的物體藝術,一些藝術專著(內容涉及藝術和觀念)以及她特別細心製作的錄像作品(遺憾在錄像作品中非常罕見)。我們看到她的碩士論文對欣賞她的整個藝術作品起了何等重要的輔助作用。但這並非絕對必要,因為她的展覽首先是構思來被人觀賞的,但對於有耐心閱讀的觀眾而言,若讀了她的論文,勢必大增欣賞的樂趣。
我奉勸瀏覽者要全部看完她的錄像和題為《殘話小說》的書,這書名譯成外文可謂困難重重,這也是藝術家構思中的不可或缺的組成部份(可譯成〝殘廢小說〞或〝無效小說〞,書名則可改稱《不吉利話語小說》或《殘言斷句小說》)。
這本書和這個錄像作品的內容由藝術家生活中的種種故事及近年來香港發生的一些重大事件構成(作品對私人及公眾的極限提出了質疑)。據藝術家本人所言,這本書及這個錄像是一部無聲電影,其中95%是內心獨白…… 其內容是現實、記憶和想象的一場遊戲,各個片段描繪了這個城市人們的心路歷程。
書中和錄像中的某些部份繼續玩着書名引起的語言模糊不清的遊戲。例如,作者要她的年輕朋友將英語You've lost 譯成中文。這個看來輕而易舉的事情卻顯露出充滿意義和矛盾。而年輕人將其譯成含義各不相同的中文,如〝你遺失了〞,〝你將它遺失了〞,直到〝你迷路了〞及〝你賭輸了〞等等(要知道我的大略的法語翻譯不能把問題說清楚,欲將本身含糊不清的英文譯成的各種中文再譯成法文,無疑是如臨深淵……)。
確然,兩個作品中的許多部份都玩着香港生活不斷提供的模稜兩可的遊戲。例如,香港所謂〝民主〞的含糊地位,在中國國慶節解放軍升起五星紅旗時便顯得具威脅性(藝術家問為甚麼在這些以棕櫚樹為背景的畫面上她看不到假節的氣氛)。我們可以無止境地對《殘話小說》作探討,不過既然大家都可上網瀏覽這兩個作品並作出自己的思考,那我也就在此打住了。
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