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« Le Tout-Monde est à la fois le limon et la cendre, la libation et l’élévation, la terre et le feu, l’eau et l’air secret. »
« Le poème offre au lecteur un espace qui satisfait son désir de bouger, d’aller hors de lui-même, de voyager par une terre nouvelle, où pourtant il ne se sentira pas étranger. » (E. Glissant)
Disparaissait à Paris ce 3 février 2011, âgé de 82 ans, le Martiniquais Edouard Glissant, poète et romancier dont l’œuvre s’était nourrie à la politique, l’Histoire et la géographie de la Caraïbe, mais demeurait tournée cependant vers l’imaginaire et l’invention de nouveaux modes du dire.
Tout commença sur les hauteurs de Sainte-Marie avec un père, sorte d’intendant, qui se déplaçait de plantation en plantation presque chaque année, permettant ainsi au jeune Edouard de découvrir très tôt la Martinique. « Déjà, c’était humblement apprendre la diversité du monde. » Il sera cet élève brillant qui à 10 ans ira à Fort-de-France au célèbre lycée Schœlcher, puis en 1946, au sortir de la Seconde guerre mondiale, âgé d’à peine 18 ans, débarquera à Paris pour s’inscrire à la Sorbonne. Il y fera des études de philosophie et d’Histoire ainsi que d’ethnographie au Musée de l’Homme. Il militera au sein des mouvements marxistes et anticolonialistes se rappprochant un temps de la revue Présence africaine. Il participera au premier congrès des écrivains et artistes noirs organisé en 1956. A Paris, Glissant avouera avoir vécu un temps dans une espèce de recul mais la ville lui semblait familière grâce à Balzac et aux auteurs du XIXe siècle. Les Noirs à cette époque étaient « l’objet d’une curiosité amusée » et il se souviendra de vieilles dames qui l’arrêtaient dans la rue : « Monsieur, vous permettez que je touche vos cheveux ? » Quant aux jeunes femmes, quel meilleur moyen que de faciliter la conversation. Le racisme se manifestait quand un Antillais voulait louer une chambre : la réponse était presque toujours négative. Mais ce qui sauvera les étudiants « coloniaux » fut la fermeture des maisons closes. Les étudiants français refusaient d’y loger. Glissant habitera au 4 rue Blondel, dans le quartier Strasbourg-Saint-Denis. « Ce n’était par cher... des glaces partout jusqu’au plafond et des peintures pornographiques sur les murs ! »
Glissant entrera en littérature par la porte royale de la poésie et son premier grand recueil Les Indes, en 1956, parlera de la conquête par la voix du conquérant et par celle toujours absente du conquis. Cette même année, il publie Soleil de la conscience, essai dans lequel il entrevoit déjà « qu’il n’y aura plus de culture sans toutes les cultures, plus de civilisation qui puisse être métropole des autres, plus de poète pour ignorer le mouvement de l’Histoire ». Toute la pensée de Glissant semble se mettre ici en place. Il écrira aussi qu’« Aux Antilles (...) un peuple positivement se construit. Née d’un bouillon de cultures, dans ce laboratoire dont chaque table est une île, voici une synthèse de races, de mœurs, de savoir mais qui tend vers son unité propre ». S'avance ce qu’il définira comme « l’identité-rhizome » fondée sur la pluralité et la « relation », clef de voûte de sa pensée prophétique du devenir humain. Il verra dans le monde une sorte d'archipel où les diverses civilisations, mises en relation et en réseau, s’influenceront tout en préservant leur spécificité. Il plaidera pour un monde réellement pluriel au « carrefour de soi et des autres. »
En 1958, il obtiendra le prix Renaudot, occasion qui lui permit de faire une fête interminable à tout casser, pour son roman La Lézarde, premier volet d'une saga martiniquaise (le Quartrième siècle, la Case du commandeur et Malemort). L’écriture flamboyante de Glissant interroge en fait ce que peut être la parole d’un peuple composé de descendants d’esclaves affranchis et son constat demeurera que ce peuple doit poursuivre sans relâche la quête de son identité afin de résister contre une colonisation culturelle tout autant diffuse qu’étouffante... Glissant, qui soupçonnait son nom d’être « l’envers insolent » de celui d’un certain colon Senglis ne reniera jamais ses origines. En 1993, dans son roman Tout-Monde : « Tout ce vent, dit le vieux Longoué, il nous porte graines et sables des pays d’Afrique, par dessus cet océan. Et si tu fouilles dans l’océan, vous décomptez les Africains attachés de boulets déversés en chaîne dans les abîmes. » S’il écrivait, Glissant, comme je l’ai déjà dit, ne s’était pas éloigné de la politique et à la fin des années 50, il fonde avec des camarades radicaux le « Front antillo-guyanais » qui réclamera l’indépendance des Antilles. Le gouvernement français interdira la formation et assignera ses fondateurs à résidence en France métropolitaine. Une tentative de rejoindre la Martinique le verra même renvoyé manu militari vers la mère partrie. Il prendra tout naturellement fait et cause avec les indépendantistes algériens et signera le « Manifeste des 121 ». Il ne pourra se réinstaller dans son île qu’en 1965 et dans ses romans, il fera le portrait d’une société antillaise comme saisie de folie, allant de rupture en rupture, coupée de son Histoire, souffrant tantôt d’un manque tantôt d'un excès de racine.
Face à cela, il inventera « une poétique de la mondialité » : « se concevoir comme une racine courante du monde, en liaison avec toutes les autres racines qui ne seraient pas sectaires, renfermées sur elles-mêmes ». Il sera le concepteur du « Tout-monde » ou encore du « chaos-monde », pensée de l’errance et de l’accueil qui permettra de débloquer l’imaginaire pour déboucher sur la notion de métissage ou plutôt celle de « créolisation », « métissage conscient de soi-même ». L’identité créole s’est constituée par trois siècles d’interférences et il aimait à rappeler qu’un « Noir de Cuba, un Blanc de Guadeloupe, un Indien d’Haïti participent d’une même identité ».
Glissant annonçait ainsi la créolité de Patrick Chamoiseau ou de Raphaël Confiant et si ce premier avait avoué sa difficulté « d’écrire en pays dominé », Glissant avait pu lui rétorquer que si, son imagination était détruite ou déroutée, l’imaginaire persistait « Agis dans ton lieu, pense avec le monde ». La « créolité » d’autre part ne pouvait marcher qu’aux Antilles alors que la « créolisation » de Glissant était un processus universel dont Saint-John Perse et William Faulkner étaient tout autant des représentants en littérature.
Glissant tentera aussi d’illustrer ses idées, son identité-relation par sa vie puisqu’il se partagera entre la Martinique, Paris et les Etats-Unis où sa défense d’un William Faulkner était souvent froidement reçue par les étudiants afro-américains. Pour lui, Faulkner avait préparé Tom Morrison qui s’inspirera de ses techniques de construction romanesque... En 2010, Il publiera La Terre, le feu, l’eau et les vents, anthologie poétique du Tout-Monde dans laquelle il réunissait par delà les siècles et les géographies les paroles les plus humaines qui soient. Y cohabitent, entre autres, Toussaint Louverture, V. Hugo, Socrate, des dictons, Mahmoud Darwish, Césaire, Brassens, Neruda, Rutebeuf, un chant améridien ou une pétition d’ouvriers... Les paroles poétiques sont en quelque sorte libérées de toute hiérarchie et un philosophe des Lumières peut avoir pour voisin un griot africain. Tout cela participe de la mémoire collective et doit être cultivé sinon le monstre risque de se ranimer toujours davantage... L’écrivain guadeloupéen Daniel Maximin dira d’Edouard Glissant qu’il « écrivait pour dépasser le passé, les aliénations, les enfermements (et qu’il) avait retrouvé l’archipel à l’intérieur de l’île, le message des continents à l’intérieur du village ».
Son idée du Tout-monde s’était matérialisée par la création de l’Institut du Tout-Monde qui « se propose de faire avancer la connaissance des phénomènes et processus de créolisation et de contribuer à diffuser l’extraordinaire diversité des imaginaires des peuples... »
Glissant n’est plus ; que retiendra-t-on de lui, le penseur, le romancier, le poète épris de beauté et de paix ? Tout cela faut-il l’espérer pour que le monde vive.
L’œuvre de Glissant est immense et protéiforme, allez à la découverte de ses poésies, de ses essais, de son théâtre et de ses romans, je ne saurais tout citer ici.
Je vois ce pays n'être imaginaire qu'à force de souffrance,
Et qu'au contraire très réel il est souffrance d'avant la joie,
Ecumes ! — à peine là, qui s'effarouche et meurt.
Comme on voit :
« Sur les graviers, émerveillé de salaisons
un peuple marche dans l'orage de son nom !
Et des lucioles l'accompagnent. »
(extrait de La Terre inquiète)
Mathieu évoquait - si c'est là évoquer - la lente banalisation des paysages de Martinique, sous le bétonnage et la pollution médiocre du progrès (c'était en 1985) - et certains de ses amis contestaient l'affaire, la dégradation n'était pas si décisive qu'on le croyait, - mais il rameutait aussi tant d'autres parts du monde où se jouait le jeu cruel du rapport des femmes et des hommes à leur entour et à leurs lointains :
villes terrifiées, camps de la mort, déserts inexpugnables, marais impénétrables, barrios de tôles coulant leurs boues, trottoirs aux enfants fous, bordels géants, usines qui tuent, chemins de la faim où tombent des millions, la lie pitoyable de la terre, exténuée dans l'irrémédiable flux.
(Tout-Monde, Gallimard p52) |
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「一體世界是河泥和灰燼,是澆祭和升華,是土地和火焰,水流和隱秘的空氣。」
「詩歌奉獻給讀者一個空間,滿足他運動、超越自己、到一個新天地遨遊的欲望,在這個新天地裡,他並不感到陌生。」── 愛德華.格利桑
• Edouard Glissant, photo Co Hélie, Gallimard
馬提尼克人愛德華.格利桑於今年2月3日於巴黎仙逝,享年82歲。他是詩人兼小說家,作品浸透着詩意及加勒比的人文歷史和地理,但卻充滿想象和創意。
一切發軔於聖-瑪麗高原,父親是一名總管,從一個種植園到另一個種植園,營營役役、辛勤勞作,令小愛德華很早便有機會窺探發現馬提尼克。「我開始謙虛地學習世界的多樣性。」他是一名傑出的學生,十歲那年便到法蘭西堡著名的Schœlcher中學就讀。
二次大戰後的1946年,剛滿18歲的他抵巴黎,入讀索邦大學。他修讀哲學和歷史,並在人類博物館鑽研人種誌學。他積極參與馬克思主義和反殖民主義運動。一個時期和《Présence africaine》雜誌關係密切。1956年,他參加了第一屆黑人作家和藝術家大會。在巴黎,格利桑說他有一個時期過着某種退隱生活。但多虧了巴爾札克以及其他一些十九世紀的法國作家,巴黎令他感到親切。這個時期,黑人成了「眾人關注的有趣事物」。他回憶道,一些老婦人在大街?上攔住他,對他說道:「先生,可不可以讓我摸摸你的頭髮?」至於年輕的婦女,則成了攀談的絕妙藉口。種族主義在一個安的列斯人租房的時候表現得最為明顯:總是遭人拒絕。所幸取締妓院成了來自殖民地莘莘學子的福音。法國學生不願意租住曾是青樓勾欄的房子。格利桑便是住在Strasbourg-Saint-Denis區,Blondel街四號一間屋子裡。他說:「租金不貴……屋子上下都鑲着鏡子,直至天花板,牆上畫滿了淫穢的圖畫!」
格利桑是從詩歌的軒敞大門步入文學殿堂的。他的第一本詩集《印第安》(Les Indes)於1956年出版問世,書中他以征服者的口吻,也以始終緘默無語的被征服者的口吻談論征服。也就在這年,他還發表了評論《良心的太陽》(Soleil de la conscience),文中他說:「沒有其他文明便沒有自身文明,沒有一種文明可以自詡囊括其他文明,不瞭解人類歷史的人不可能成為詩人。」格利桑的思想彷彿盡現於此。他這樣寫道:「在安的列斯…… 一個民族正在形成,她誕生於一個適宜的環境,在這實驗室裡,每張桌子都是一個島嶼,是種族、風格、知識的大雜燴,但卻趨向統一。」那基於多樣性和「聯繫」、他稱之為「身份根莖」、並構成他對人類發展具預見性的關鍵思想發展得很順利。他在這個世界看到一種群島,在這裡各種文明交織混雜,相互影響,但卻各自保存其特性。他為一個「你、我、他相互交匯」的真正的多元世界搖旗吶喊。
1958年,他榮膺勒諾多獎(Prix Renaudot),並藉此大肆慶祝他的小說《裂縫》(La Lézarde),這是他馬提尼克傳奇的其中一部(其他三部為《第四世紀》(le Quatrième)、《騎士的茅屋》(La Case du commandeur)及《馬勒摩爾》(Malemort))。格利桑激揚文字,他問道,這個由從枷鎖下解放出來的奴隸的後裔組成的族群有何話語權,他證明這個族群仍須不遺餘力追求自己的身份以抵禦這個四處瀰漫又令人窒息的文化殖民。他懷疑自己的姓氏Glissant是某個叫做Senglis的移殖民姓氏的「胡亂顛倒」,他從未數典忘祖,否認自己的根。1993年,在他的小說《一體世界》(Tout-Monde)裡,有這樣的描述:「老Longoué這樣說道:這風吹過大洋,將非洲大地的塵土、種籽吹過來了。如果你搜索海底,將赫然發現帶着手銬腳鐐拖着鐵球被沉到海底深淵的非洲人。」如上文所述,格利桑的寫作不離政治。五十年代晚期,他和一些極端的朋友一起創立了「安的列斯 - 圭亞那陣線」(Front antillo-guyanais),爭取安的列斯獨立。法國政府禁止這個組織並將其創立者軟禁法國本土。格利桑曾試圖返回馬提尼克,但卻被武力押返法國。他站在阿爾及利亞獨立主義者一邊自不言而喻,並在「121人宣言」上簽名。直到1965年他才如願回到故鄉馬提尼克,在他的小說裡,他描寫了安的列斯社會,那彷彿瘋狂、日漸頹敗與歷史割裂,有時漠視自己的根有時又過份執着,在痛苦爭扎的社會。
面對這些,他創造了「世界性的詩學」:「孕育一個具世界性的普遍的根,與其他不分宗派、不固步自封的文化之根相連。」他是「一體世界」或稱「混合世界」的 設計者,這是一個瀟灑自由、海納百川的思想,它將遐思引向種族混雜的概念,更正確地說「克里奧爾化」的概念,「深明自身的種族混雜」。克里奧爾身份經過三個世紀的苦心經營方才建立,他常提醒大家:「古巴的黑人、瓜得羅普的白人、海地的印第安人都有共同的身份。」
格利桑指出帕特里克.沙穆瓦佐 (Patrick chamoiseau) 及拉斐爾.孔菲翁(Raphaël Confiant) 均具克里奧爾性。若前者說在「被統治的國家寫作」十分艱難,格利桑大可這樣加以駁斥,如果想象被摧毀或迷失方向,想象者仍可堅持:「在你所處的地方繼續行動,和大家一起思索。」「克里奧爾性」不僅見於安的列斯,格利桑的「克里奧爾性」是普世的,聖.約翰.佩斯(Saint-John Perse)及威廉.福克納 (William Faulkner) 都可稱為文學上的克里奧爾性的代表。
格利桑試圖以自身的生活闡明他的思想,他的與多種文化聯繫的身份,他生活走動於馬提尼克、巴黎和美國之間。在美國,他捍衛威廉.福克納的舉動常遭非洲裔美國青年學生的冷待。在他眼中,托尼.莫里森(Toni Morrison)受益於福克納的寫作技巧和小說構思…… 2010年,他發表了《大地、火、水和風》(La Terre, le feu, l’eau et les vents),這是他一體世界詩歌的選集,他穿越時空和地域,把世間最人性的語句都集中在一起了。其中有杜桑.盧韋圖(Toussaint Louverture) 、維克多.雨果、蘇格拉底、諺語、馬穆德.達爾維西 (Mahmoud Darwish )、塞澤爾、布拉森、聶魯達、呂特博夫,一首美國印第安歌謠及一份工人的請願書…… 詩歌語言可說從各階層脫穎而出,一個啟蒙時代的哲學家可以和身兼巫師、樂師、詩人的非洲黑人為伴。所有這些來自集體回憶,須悉心經營,不然,不良思想總會滋生蔓延開來。瓜得羅普作家達尼埃爾.馬克西曼 (Daniel Maximin) 是這樣評論愛德華.格利桑的,他說他「為超越過去、奴役、監禁而寫作。他在一個小島中找到了一個群島,在一個小村裡找到了世界各大洲的信息。」
他的一體世界思想透過一體世界學院的創立而實現了。學院「以促進對世界及克里奧爾化進程的認識以及傳播各族人民豐富多采的奇特想象為己任。」
格利桑離我們遠去了,他是何許人,思想家、小說家、熱愛美與和平的詩人?這一切都很重要,有了它,世界才得以生存。
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