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Paris est un mot magique, à en croire le point de vue étranger du dernier Woody Allen (à qui Guitry semble répondre dans Si Paris m’était conté : « Mais la Belle-époque, mon enfant, ce sera toujours l’époque où on avait 20 ans » ) ; ou bien Paris est un mot tabou (Les Deux anglaises et le continent, 1971). Car comment ne pas projeter sur la ville des désirs, des souvenirs, des rêves ?
Si Paris m'était conté de Sacha Guitry (1955) |
Le choix des parcours est multiple. On pourrait faire un tour gastronomique, allant du spectacle populaire de la grenouille avalée par un bonimenteur dans Cléo de 5 à 7 (1962) aux conflits de valeurs qui déjà divisaient les prisonniers de guerre autour du restaurant Le Fouquet’s dans La Grande illusion (1937) ! Ou boire un café dans un bistrot où ont lieu parfois les rencontres les plus banales ou les plus improbables : celle de Anna Karina en prostituée qui réfléchit sur le sens de la vie en conversant avec le vrai philosophe Brice Parain (Vivre sa vie, Godard, 1962).
Ou encore élire un monument : l’Arc-de-triomphe par exemple, dont l’apparition spectaculaire est souvent exploitée en contrepoint d’une défaite collective ou intime, dans Rififi (Dassin, 1955), Place de l’Etoile (1965), L’Armée des ombres (Melville, 1969).
Vivement dimanche de Francois Truffaut (1983) |
Paris est une carte maîtresse de la Nouvelle Vague (des cinéastes provinciaux conquis par la capitale). Car au coeur du cinéma français s’y ancre un imaginaire du possible, du changement : de l’aube mythifiée de Bob le flambeur (Melville, 1956) à la naissance d’un mouvement de cinéma finalement très éphémère, pourquoi Paris devient-il un slogan ? C’est sous un angle nouveau que la ville est découverte, arpentée, sillonnée, loin du studio et de sa qualité française. L’accent parigot n’est plus de mise. La jeunesse a le vent en poupe. Paris promu au rang de personnage à part entière dès Les Quatre cent coups, inspire aussi Rivette qui oppose le réalisme de la ville à la logique paranoïaque du complot animant le scénario (Paris nous appartient, 1961). Le film à sketchs Paris vu par… (1965) signe sans le savoir la fin de la Nouvelle Vague, mais la capitale restera un sujet à part entière chez ses héritiers. II faut un goût de l’altérité pour s’ouvrir à la proximité du voisinage : Varda peut filmer en voisine l’inquiétante étrangeté de la rue Daguerre parce qu’elle est aussi celle qui sait filmer par ailleurs les cicatrices sociales et le bouillonnement de Los Angeles. Après nous avoir inlassablement baladés dans les rues de Paris, quartier par quartier (depuis La Boulangère de Monceau, 1963), le Rohmer de la dernière heure (L’Anglaise et le duc, 2001) met en scène un Paris en toiles de fond mais il y est pourtant paradoxalement fidèle à l’esprit frondeur des Jeunes Turcs.
On peut regretter avec Godard le Paris robotisé d’Alphaville (1965), avec Tati l’anonymat et la déshumanisation à l’œuvre dans la ville labyrinthique et inhospitalière de Playtime (le musicien noir mal reçu à l’entrée du restaurant de ce film de 1967), avec Resnais la froideur du nouveau quartier de la Grande bibliothèque de Cœurs (2006). Fuir ? Trouver refuge en banlieue ? Les guinguettes impressionnistes d’un âge d’or révolu ont disparu. Le Trénet pittoresque y chante cruellement faux sur les images de De bruit et de fureur (Brisseau, 1987). Mais la jeunesse n’a pas dit son dernier mot.
Si le métro hong-kongais ne fait pas grève ce soir-là, venez retrouver la Zazie de Louis Malle (film de 1960), pour une visite guidée à toute allure des monuments caractéristiques. Puisque le temps imparti est bref, pas d’escale au musée en compagnie des gangsters fatigués d’Un flic (Melville, 1972). Emboîtons plutôt leur pas de course revigorant aux héros de Bande à part (Godard, 1964). On laissera au vestiaire la déférence érudite que la ville mériterait (celle prêtée à l’officier allemand francophile du Silence de la mer) pour préférer à cette dignité solennelle les jeux de l’amour et du hasard (les collégiens du Jeune Werther – Doillon, 1992) : « Paris est tout petit pour ceux qui s’aiment comme nous d’un si grand amour », déclamait le hâbleur (dans Les Enfants du paradis). Un petit coup de Tour Eiffel au mollet administré par la pétulante Fanny Ardant pour faire marcher son monde à la baguette de la comédie n’a jamais fait de mal à personne sauf au bougon Trintignant de Vivement dimanche (Truffaut, 1983). A chacun son Panthéon cinématographique… |
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