Art et Histoire 藝術與歷史

Texte : Gérard Henry

 
  Entre le 17e et le 18e siècle en Chine, splendeur sans décadence
Histoire d’un siècle de peinture et de sa pensée (15)

十七、十八世紀之間的中國︰興盛不衰——一個繪畫及其思想的百年史(十五)
 
 

La philosophie qui sous-tend ce texte est très évidemment plus taoïste que bouddhiste, même si ces deux systèmes ne sont pas nécessairement opposés, mais des éléments empruntés au Classique du Changement, cet ouvrage fondateur de la pensée chinoise, y sont aussi reconnaissables. Les premières phrases du traité proposent un excellent exemple de ces idées absconses et traduisibles seulement grâce à un appareil de notes. C’est aussi dès le début que Shitao présente la thèse principale de tout son traité, l’idée de « l’Unique trait de pinceau » (yihua 一畫) déjà mentionné (toutes les traductions du traité de Shitao employées ici sont de Pierre Ryckmans):

« Dans la plus haute Antiquité, il n’y avait pas de règles ; la Suprême Simplicité ne s’était pas encore divisée. Dès que la Suprême Simplicité se divise, la règle s’établit. Sur quoi se fonde la règle ? La règle se fonde sur l’Unique Trait de Pinceau. L’Unique trait de pinceau est l’origine de toutes choses, la racine de tous les phénomènes ; sa fonction est manifeste pour l’esprit, et cachée en l’homme, mais le vulgaire l’ignore. C’est par soi-même que l’on doit établir la règle de l’Unique trait de pinceau. Le fondement de la règle de l’Unique trait de pinceau réside dans l’absence de règles qui engendre la Règle ; et la Règle ainsi obtenue embrasse la multiplicité des Règles. »

Ces phrases, élégamment traduites, sont ensuite expliquées par Pierre Ryckmans dans plusieurs notes qui comptent environ huit pages de très petits caractères. Si je m’étends sur ces explications, c’est surtout parce que la traduction des autres traités choisis pour cette thèse, mais cela est vrai de la plupart des traités du 17e siècle aussi, n’exigent pas autant d’éclaircissements car leur langage n’est pas aussi lyrique. En fait, on verra que c’est une des caractéristiques du 18e siècle de produire des traités qui sont de plus en plus lisibles et de plus en plus orientés vers la pratique de la peinture et non pas seulement la réflexion théorique. De fait, dire de ce traité qu’il est l’un des plus riches de la tradition de la théorie picturale chinoise est peut-être exagéré, même s’il faut bien admettre que, parce qu’il n’est pas si clair, il exige de la part du lecteur et du praticien beaucoup plus de réflexion qu’un autre traité comme celui de Shen Zongqian ou de Fang Xun.

La peinture est un parallèle de l’activité créatrice de l’univers pour Shitao. Ce concept est donc entièrement contenu dans « l’Unique trait de pinceau », où l’idée instrumentale est celle d’unicité qui se réfère à l’origine primordiale de l’univers. Shitao ne nous donne pas d’explications claires sur la signification et l’origine de « l’Unique trait de pinceau », si ce n’est que celui-ci ne peut pas être déduit des méthodes traditionnelles de la peinture. Comme cette méthode ne peut pas être définie d’une façon discursive, il est évident que le langage du traité a été choisi par son auteur pour rester ouvert à l’intuition du lecteur. Shitao a décrit l’exigence de dépasser l’héritage des Anciens en termes tout aussi clairs que la plupart des autres théoriciens de la peinture chinoise et, encore une fois, ce n’est pas sur ce terrain que l’on observera de différences particulières entre les « Orthodoxes » et les « Individualistes ». Une des différences les plus notables provient aussi du langage de Shitao qui reste tout au long du traité aussi dense qu’expressif :

« En ce qui concerne la réceptivité et la connaissance, c’est la réceptivité qui précède, et la connaissance qui suit ; la réceptivité qui serait postérieure à la connaissance ne serait pas la véritable réceptivité. Depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours, les plus grands esprits se sont toujours servis de leurs connaissances pour exprimer leurs perceptions et se sont employés à intelliger leurs perceptions pour développer leurs connaissances. Lorsque pareille aptitude ne peut s’appliquer qu’à un problème particulier, c’est qu’elle ne repose encore que sur une réceptivité restreinte et une connaissance limitée ; il importe donc d’élargir et de développer celles-ci avant de pouvoir saisir la mesure de l’Unique trait de pinceau. Car l’Unique trait de pinceau, en effet, embrasse l’universalité des êtres ; la peinture résulte de la réception de l’encre ; l’encre, de la réception du pinceau ; le pinceau, de la réception de la main ; la main, de la réception de l’esprit : tout comme dans le processus qui fait que le Ciel engendre ce que la Terre ensuite accomplit, ainsi tout est fruit d’une réception. »

Les termes de « microcosme » et « macrocosme » viennent tout naturellement à l’esprit à la lecture de Shitao, et la peinture est pour lui tout autant création que la création à l’œuvre dans la nature. Il ne faudrait pourtant pas croire que Shitao s’adonne tout au long de son traité à des idées philosophiques car il donne aussi des conseils pratiques au lecteur, même si ces conseils sont toujours reliés à ses concepts principaux et finissent par ne plus donner l’impression d’être des avis uniquement destinés à la tenue du pinceau :

« Si l’on ne peint d’un poignet libre, des fautes de peinture s’ensuivront ; et ces fautes à leur tour feront perdre au poignet son aisance inspirée. Les virages du pinceau doivent être enlevés d’un mouvement, et l’onctuosité doit naître des mouvements circulaires, tout en ménageant une marge pour l’espace. Les finales du pinceau doivent être tranchées, et les attaques incisives. Il faut être également habile aux formes circulaires ou angulaires, droites et courbes, ascendantes et descendantes ; le pinceau va à gauche, à droite, en relief, en creux, brusque et résolu, il s’interrompt abruptement, il s’allonge en oblique, tantôt comme l’eau, il dévale vers les profondeurs, tantôt il jaillit en hauteur comme la flamme, et tout cela avec naturel et sans forcer le moins du monde. »

C’est bien sûr dans la répétition des thèmes reliés à l’emploi des œuvres du passé qu’on croît pouvoir reconnaître une attitude plus individualiste, mais l’idée qu’il n’est pas possible de simplement répéter les trouvailles des Anciens est un thème que l’on retrouve constamment dans la théorie des Quatre Wang, mais aussi de peintres tels que Zhang Geng et Shen Zongqian. Le passage suivant, quoique le langage y soit plus abrupt, pourrait très bien avoir été écrit par un « Orthodoxe » :
« Quant à moi, j’existe par moi-même et pour moi-même. Les barbes et les sourcils des Anciens ne peuvent pas pousser sur ma figure, ni leurs entrailles s’installer dans mon ventre ; j’ai mes propres entrailles et ma barbe à moi. Et s’il arrive que mon œuvre se rencontre avec celle de tel autre maître, c’est lui qui me suit et non moi qui l’ai cherché. La Nature m’a tout donné; alors, quand j’étudie les Anciens, pourquoi ne pourrais-je pas les transformer. »

Il est donc évident qu’il ne faut pas trop chercher dans la théorie des raisons de voir Shitao comme un Individualiste et c’est surtout à cause de son extraordinaire œuvre picturale que cette réputation est en fait justifiée. Shitao est aussi, autre signe d’individualité pour la tradition chinoise même si cette attitude se retrouve aussi chez les Orthodoxes mais d’une façon certainement moins virulente, très critique vis-à-vis des peintures et des peintres dont il pensait qu’ils ne respectaient pas l’exigence d’originalité.

Le terme « individualiste » n’est donc pas aussi transparent qu’il le paraît dans le traité de Shitao, mais il vient cependant à l’esprit de quiconque lit ce texte car il fut un des premiers à mettre sa personne en avant. Loin de simplement rajouter sa pierre à l’édifice de la peinture, ce que les Quatre Wang avaient déjà fait et après eux Zhang Geng ou Shen Zongqian, Shitao se satisfait de peindre pour lui-même et pour se développer en tant qu’être humain dans la nature. Les « Orthodoxes » aussi étaient heureux de pouvoir développer leur nature propre par la pratique de la peinture mais leur but principal était de poursuivre l’histoire de cette peinture et de trouver leur place dans la succession des noms célèbres de cet art. Shitao, quant à lui, sans dédaigner l’idée qu’il puisse devenir un peintre célèbre, semble plus intéressé par son développement personnel. S’il produit des peintures par la même occasion, tant mieux, mais le lecteur a la nette impression que l’art de la peinture a moins pour objet de créer des images que de permettre au peintre de créer des paysages au même titre que la nature :

« Au milieu de l’océan de l’encre, il faut établir fermement l’esprit ; à la pointe du pinceau, que s’affirme et surgisse la vie ; sur la surface de la peinture s’opère une complète métamorphose ; au milieu du chaos s’installe et jaillit la lumière ! A ce point, quand bien même le pinceau, l’encre, la peinture, tout s’abolirait, le Moi subsisterait encore, existant par lui-même. Car c’est moi qui m’exprime au moyen de l’encre, et non l’encre qui est expressive par elle-même ; c’est moi qui trace au moyen du pinceau, et non le pinceau qui trace de lui-même. J’accouche de ma création, ce n’est pas elle qui pourrait accoucher d’elle-même. A partir de l’Un, l’innombrable se divise; à partir de l’innombrable l’Un se conquiert. La métamorphose de l’Un produit Yin et Yun [c’est-à-dire donc « l’essence première à partir de laquelle s’opèrent les métamorphoses de toutes les créatures »] – et voilà que toutes les virtualités du monde se trouvent accomplies. »

* Frank Vigneron (Associate Professor, Fine Arts Department, The Chinese University of Hong Kong )

 

 


Shitao 石濤 (Yuanji 原濟) (1642-1718), Prunier et bambou 《梅竹圖》, rouleau horizontal, encre sur papier, 34.2 x 194.4 cm. Musée du Palais, Beijing.

篇畫論所依據的哲學顯而易見為道教更甚於佛教。雖則這兩個哲學體系並不相牴牾,文中引用《易經》 這部奠定中國思想的經典的成份明晰可辨。這篇畫論的開篇即展示了這些玄妙的思想,唯借助翔實的注釋方能解讀。石濤開宗明義,介紹了他整個畫論的中心思想,前文已提及,即「一畫論」(本文引用的石濤畫論的文字均由 Pierre Ryckmans 譯出):

「大古無法。太朴不散。太朴一散。而法立矣。法於何立。立於一畫。一畫者。眾有之本。萬象之根。見用於神。藏用於人。而世人不知。所以一畫之法。乃自我立。立一畫之法者。蓋以無法生有法。以有法貫眾法也。」

這些論述,Pierre Ryckmans以優雅的文筆將其譯出,並作了密密麻麻長達八頁紙的詳細註釋。我對這點多費點筆墨解釋,皆因本文中引用的其他中國畫論泰半為十七世紀的著述,文字並不特別抒情,因此亦無需詳加註釋即可明辨其意。我們看到十八世紀的中國畫論變得愈來愈清晰可讀,愈來愈轉向繪畫實踐而非僅作理論思考,這是這一時期中國畫論的特點。若說石濤的畫論是芸芸中國畫論中的翹楚,這似乎有點誇張,應看到它並不十分明晰,閱讀起來,比沈宗騫或方薰的畫論更需費多點腦筋。


Shitao 石濤 (Yuanji 原濟) (1642-1718), Prunier et bambou 《梅竹圖》, rouleau horizontal, encre sur papier, 34.2 x 194.4 cm. Musée du Palais, Beijing.

在石濤看來,繪畫是和大千世界的創造活動平行的。這觀念完全寓於「一畫論」中,其主要思想為與宇宙起源有關的獨特性的思想。石濤沒有對「一畫論」的含義和來源多作說明,只示意它不可能來自傳統的繪畫方法。由於用推論無以定義此法,故作者在畫論中的態度亦極為開放,任由讀者自行裁奪。和其他中國畫論家一樣,石濤對如何超越古人亦作了明晰的闡述。因此我們再次看到,不能從這方面來考察「正統派」和「特立獨行」的畫家間的特殊差異。石濤其中一個最突出的特點是他畫論的語言,始終是那麼簡潔生動:

「受與識。先受而後識也。識然後受。非受也。古今至明之士。藉其識而發其所受。知其受而發其所識。不過一事之能。其小受小識也。未能識一畫之權擴而大之也。夫一畫含萬物於中。畫受墨。墨受筆。筆受腕。腕受心。如天之造生。地之造成。此其所以受也。」


Shitao 石濤 (Yuanji 原濟) (1642-1718), Assemblée élégante Gathering dans la jardin de l'ouest 《西園雅集圖》, rouleau horizontal, encre sur papier, 36.5 x 328 cm. Musée de Shanghai.

閱讀石濤的畫論,「微觀世界」、「宏觀世界」這些概念便會油然而生,出現在腦海。對石濤而言,繪畫是一種創造,和大千世界的創造一樣。石濤在畫論中,並非只專注哲學思考,他亦提出一些有益的忠告。即使這些忠告始終離不開他的主要觀念,並最終令人忽略了他給人的這種印象:即他一心關注的是如何揮毫運筆:
「腕不虛則畫非是。畫非是則腕不靈。動之以旋。澗之以轉。居之以曠。出如截。入如揭。能圓能方。能直能曲。能上能下。左右均齊。凸凹突兀。斷截橫斜。如水之就深。如火之炎上。自然而不容毫髮強也。」

誠然,特立獨行的畫家可從其反覆強調不能簡單地摹寫古畫、因襲前人的言論中辨識,但這種觀點亦見於「四王」、張庚、沈宗騫的畫論裡。以下引述的一段文字,雖然有點晦澀,當出自一名「正統派」畫家之手:

「我之為我。自有我在。古之鬚眉。不能生在我之面目。古之肺腑。不能安入我之腹腸。我自發我之肺腑。揭我之鬚眉。縱有時觸著某家。是某家就我也。非我故為某家也。天然授之也。我于古何師而不化之有。」

顯然,不應過份地試圖從畫論中認出一個特立獨行的石濤,他獨闢蹊徑的美譽更多的是從他與眾不同的畫作中獲得。對於那些不尋求個人風格的畫作和畫家,石濤持嚴厲的批評態度,這是特立獨行的另一標誌,「正統派」畫家亦持這種態度,只是沒有這麼尖刻。

所謂「特立獨行」在石濤的畫論裡並不十分明顯。但無論誰只要讀他的畫論,腦海裡便有「獨特」的印象,因為他是芸芸畫家中全情投入的第一人。他不僅只為繪畫的殿堂添磚加瓦,這些前有「四王」,後有張庚、沈宗騫都這樣做過。他是只為自己,為作為自然中的人的自我完善而作畫。「正統派」畫家亦樂於透過繪畫實踐完善自己的人格,但他們的首要目的是繼續繪畫的歷史,是在藝術的長長的名人榜中覓一席自己的地位。至於石濤,他並非不屑於名譽,不想成為一個著名畫家,但他更關注的是修身養性,人格完善。如果他亦和他人一樣孜孜作畫,但讀者可從中看到繪畫不僅是創造形象,更是讓畫家得以如同大自然的創造一樣描寫大千世界:

「在於墨海中。立定精神。筆鋒下決出生活。尺幅上換去毛骨。混沌裏放出光明。縱使筆不筆。墨不墨。畫不畫。自有我在。蓋以運夫墨。非墨運也。操夫筆。非筆操也。脫夫胎。非胎脫也。自一以分萬。自萬以治一。化一而成綑縕。天下之能事畢矣。」