Poésie 詩詞

Texte : Bernard Pokojski
Traduction : Wong Yan Tak
 

Nora Mitrani, rose publique
諾拉· 米特拉尼 ─ 眾人的玫瑰

 
 
• Nora Mitrani

« D'emblée, j'avais été sensible au timbre de ce qu'elle écrivait, et qui lui était propre : un très bel alliage du noble et du grave avec l'ardent. » André Breton.

« Je ferme les yeux plus fort. Je regarde le sang faire les cent pas sous mes paupières. Je te désire comme l'océan désire la lune. » Julien Gracq

Nora Mitrani ne fait pas partie des grands noms connus du surréalisme, coincée qu'elle fut entre les dates de 1921 et 1961 qui la feraient sombrer dans l'oubli et une œuvre somme toute très mince rassemblée tardivement en 1988. Elle naquit en Bulgarie, à Sofia, dans une famille d'origine judéo-espagnole et italienne qui émigrera en France vers 1930 et la jeune fille poursuivra ses études secondaires à Paris au lycée Hélène-Boucher. Aux heures sombres de l'occupation allemande, sa mère ainsi que la plupart de ses proches seront déportés à Auschwitz pour y être assassinés. En 1952 seulement, elle fera allusion à cette tragédie : « Mais assez longtemps, la nuit ne fut pour moi qu'une nuit allemande sans soleil secret, la longue nuit confusionnelle qu'habitent les monstres. » Elle devra alors à ces heures adopter une fausse identité afin de s'inscrire à la Sorbonne où elle fera des études de philosophie. A cette époque, elle apparaîtra travaillée par des idées contradictoires : attirée par le catholicisme, elle perdra très vite la foi pour se tourner vers le trotskisme tout en faisant sa thèse sur les philosophes chrétiens que sont Malebranche et Maine de Biran. Elle avouera plus tard que toutes ces étapes lui furent nécessaires avant la découverte du surréalisme. Tout commença d'ailleurs chez le futur directeur des Editions K., Alain Gheerbrant où à la fin de l'année 1945 elle fit la connaissance de Hans Bellmer qui préparait ses illustrations pour une réédition sous le manteau du sulfureux Histoire de l'œil de Georges Bataille. Le quadragénaire et l'étudiante tombent rapidement dans les bras l'un de l'autre et celui-ci lui présente à Carcassonne en avril 1946 son ami Joe Bousquet. De cette rencontre naîtront alors les fameux anagrammes réalisés d'après un hémistiche de Nerval : « Rose au cœur violet » dont Nora Mitrani était une fervente admiratrice. Ce « Rose au cœur violet » était au départ le titre qu'elle voulait donner au livre qu'elle écrivait sur Bellmer « Je trouvais cela trop fleuri, trop doux. L'un et l'autre ont proposé de faire des anagrammes (...) et ce fut comme une fièvre. Les anagrammes se font mieux à deux, un homme, une femme. Une espèce de compétition ou plutôt de vivacité qui s'attise réciproquement » déclarera Bellmer.

• Hans Bellmer, Poupée

Ce titre qu'il trouvait trop doux rejoignait en fait ses travaux et certains de ses dessins car cette rose au cœur violet pouvait se lire comme la représentation de la vulve ou plus souvent de l'anus. Naîtront donc de ces 17 lettres une soixantaine d'anagrammes dont voici un exemple :

  Se vouer à toi ô cruel
  A toi, couleuvre rose
  O, vouloir être cause
  Couvre-toi, la rue ose
  Ouvre-toi, ô la sucrée
      *
  Va où surréel côtoie
  O, l'oiseau crève-tour
  Vil os écœura toute
  Cœur violé osa tuer.

Ces anagrammes auront évidemment une forte charge érotique et leur germination peut être essentiellement attribuée à Nora Mitrani, Bellmer ne possédant pas encore à ce moment-là une suffisante maîtrise du français. On y trouve déjà son style imagé et passionné et affleure son mysticisme catholique tout transgressif qui la mènera autant à un certain messianisme trotskyste qu'à l'érotisme culpabilisé d'un Georges Bataille.

En juillet 1947, autre expérience déterminante après ces anagrammes, dont l'ensemble définitif paraîtra en 1957, les photos intimes que Bellmer prendra d'elle sur une plage. « Elle avait permis de prendre d'elle des photographies obcènes. A travers la vue de ces épreuves et la provocation coïncidente d'une trop forte dose de cocaïne, les fesses de la jeune fille tendent à devenir l'image prépondérante qui se confond de plus en plus, dans une vision concrète, avec l'image céleste, jusqu'à l'identité des plus passagères expressions de cette figure au sourire aveugle des deux immenses yeux qui sont les hémisphères de la croupe s'ouvrant sur l'anus. » (Petite Anatomie de l'inconscient physique ou l'Anatomie de l'image). De « cette semaine intense », Bellmer utilisera certaines de ses photographies pour Histoire de l'œil ainsi que pour l'hommage qu'il rendra au marquis de Sade à la fin des année 40. Nora Mitrani de son côté : « Une tension fugitive mais douloureuse, sans nom, tient éloignés cet homme et cette femme sur la plage de sable. Soudain, personne n'en donnera le pourquoi, ils creusent à une légère distance l'un de l'autre un trou dans le sable. Bientôt leurs doigts grattent avec beaucoup plus d'ardeur, leurs gestes semblent devenir intentionnels. En bas le sable devient fluide et frais ; et puis dans le long tunnel noir, par dessous le sable, leurs mains se rencontrent. Et en même temps que l'étreinte silencieuse des mains, cet homme et cette femme se sont retrouvés. » Bellmer nous donnera aussi en 1949 un Déshabillage qui le représente sortant du corps de sa compagne. Cependant, les écrits de Nora Mitrani nous révèleront qu'elle était en fait plus sa complice qu'une humble servante, une femme libre en quête de vertige érotique. « Les représentations érotiques, si elles ne provoquent pas le vertige ou les larmes, sont méprisables ».

• Hans Bellmer, Poupée

Nora Mitrani avait trouvé chez Bellmer ce qu'elle cherchait avant tout : l'aptitude et la passion à provoquer le scandale, fil conducteur de toute l'œuvre qui sera désormais entourée d'une aura de soufre. Mais un tel amour ne pouvait durer et en 1950, à la mort de Joe Bousquet qui les avait rapprochés, le couple se sépare, Bellmer devenant de plus en plus jaloux. La « sœur de l'impossible » comme il la décrira, continuera cependant à hanter ses œuvres postérieures et à la mort de celle-ci, il enverra à André Breton une lettre bouleversante. Cette même année, elle publie aussi « Scandale au si secret visage qui resitue Sade "ce monstre de marquis" dans toute une lignée de penseurs maudits qu'aucune force au monde n'aura jusqu'à ce jour réussi à étouffer » ! Un second article s'attaquera à tous ceux qui auront tenté « la divinisation et l'adoration outrée » du marquis tout aussi bien que « son édulcoration et son apprivoisement. » Seront visés Bataille, Klossowski et Gilbert Lély dont elle réduira les travaux à « de moites compilations ». Elle partira aussi au Portugal, faire une série de conférences à Lisbonne où elle découvre l'œuvre de Pessoa et rencontre le poète O'Neill... Au début des années 50, Nora Mitrani sera admise au Centre d'études sociologiques du CNRS qui la verra participer activement aux recherches sur la sociologie de la connaissance et la sociologie de la vie morale sous la direction de Georges Gurvitch. Ses travaux interrogeront la technocratie et la techno-bureaucratie. Jean Cazeneuve explique son orientation par « son attachement à certaines valeurs esthétiques », venues du surréalisme et sa réaction « devant la froide et inhumaine manipulation technique des projets technocratiques. »

Nora Mitrani aimera d'ailleurs cette citation d'Alfred Jarry : « si la machine produisait véritablement de l'amour, c'est la machine qui devint amoureuse de l'homme. »

Nora Mitrani sera décrite comme « une belle femme lointaine - mais pas distante - assez solitaire : une sorte de noblesse perdue entre crainte et nonchalance. Bien habillée, un peu madame, genre tailleur »... Ce qui ne l'empêchera pas de tomber amoureuse à nouveau, de Julien Gracq, l'énigmatique, qui la célébrera dans Prose pour l'étrangère « Ta vie quand tu n'es plus là vient battre autour de moi avec la traîtrise des flots sans lune, comme autour de la coque hasardée un océan plein de pièges et de surprises. Tu m'as mis au péril de la mer. Sur la haute vague phosphorescente qui vient battre aux falaises des rues à l'heure où la ville s'allume, ton parfum traîne comme les plis d'un pavillon lourd, comme l'odeur d'algue et de musc des mers dangereuses. »

Gracq sera sans doute son dernier amour... Mais à la fin des années 50, Nora Mitrani tombe malade et à peine deux ans plus tard, elle succombe à un cancer, finissant ses jours en Suisse. Son frère, Michel Mitrani dira se souvenir de « son extraordinaire humour dans des circonstances douloureuses. » Elle repose désormais à Paris, au cimetière Montparnasse. Œuvre très mince comme je l'ai dit, femme secrète mais qui s'ouvre impudiquement sur les photos de Bellmer alors que très peu de gens peuvent la nommer...

Mais il faut bien écrire sur elle pour qu'elle ne disparaisse pas tout à fait.

Nora Mitrani
Rose au cœur violet (Terrain vague Losfeld, 1988)


A une époque où les problèmes me paraissaient infiniment plus simples, je n'aurais pas hésité à écrire que le juge qui condamne à mort est seul le véritable assassin. Adorateurs de la haute trilogie du mal : Sade, Rimbaud, Lautréamont, nous n'écoutions alors que le rythme du cœur humain et nous furent chères les expériences susceptibles de le transformer en étrange musique qui s'accorderait aux tam-tams de la vie entière. Les cuivres étincelaient de tout l'éclat que donnent aux choses les yeux de l'âme. Le cœur, à force de désirer, devenait intelligent et faisait apparaître ce qui l'effrayait le plus.
                               (Nora Mitrani De l'objectivité des lois, 1952)


 

下子,我便感覺到她筆下流露的風格,這是她所特有的:高貴和莊嚴的完美結合,並燃燒着激情。」 安特烈.布勒東

「我更用力地閉上眼睛。我看着熱血在我眼瞼下來回踱步。我渴望你正如大海渴望月亮。」 朱利安.格拉克

• Hans Bellmer, Poupée

諾拉.米特拉尼不屬於超現實主義那些聲名赫之輩,自1921年至1961年間,她被冷落一處,最終被人遺忘。其作品遲至1988年才結集出版,一本薄薄的小書。她出生於保加利亞首都索菲亞一個西班牙猶太人和意大利人結合的家庭裡。這家人於1930年移居法國。小姑娘在巴黎的埃箂娜.布歇中學(Lycée Hélène-Boucher)求學。在德國法西斯佔領的黑暗日子裡,母親和大佈份親人被送往奧斯維辛集中營慘遭殺害。只是到了1952年,她才提及這悲劇:「在很長的一段時日裡,夜對我而言,已變成沒有神秘陽光的漆黑之夜,漫長的鬼影幢幢的陰森之夜。」這時她不得不偽造身份,報考索邦大學,攻讀哲學。這時期,她為矛盾的思想所折磨:她傾心於天主教,但很快便放棄轉向托洛茨基主義,但一邊仍寫着關於天主教哲學家馬勒伯朗士 (Malebranche) 和邁內.德比朗 (Maine de Biran) 的論文。稍後,她承認在她發現超現實主義之前,這些思想階段對她都是必要的。一切開始於未來的K出版社社長阿蘭.紀伯蘭特(K. Alain Gheerbrant) 家裡。1945年底她在紀氏家結識了漢斯.貝爾梅爾(Hans Bellmer),此君正為秘密再版的喬治.巴塔耶 (Georges Bataille)的《眼睛的故事》(Histoire de l'œil)準備作插圖。已屆不惑之年的貝爾梅爾和女大學生很快便墮入愛河。貝爾梅爾並於 1946年4月再卡爾卡松(Carcasonne)將其朋友若埃.布凱斯(Joe Bousquet)介紹給她認識。從這次的相遇產生了著名的變移字母位置產生新詞的文字遊戲 (anagramme),這是從奈瓦爾的半句詩句《紫心玫瑰》(Rose au cœur violet)演變出來的,諾拉.米特拉尼對此半句詩句情有獨鍾。最初,她本想給她寫的有關貝爾梅爾的書題名為《紫心玫瑰》。貝爾梅爾說:「我覺得這太絢麗、太甜美了。兩人一起變換字詞,創造新句…… 真像中了邪。這文字遊戲最適合男女兩人玩。這像是一場鬥智遊戲,可互相砥礪。」
由於紫心玫瑰可令人遐想,幻變成女性的外陰或者肛門,因此這甜美的書名便融入了貝爾梅爾的創作 及一些畫作中。從這十七個字母組成的半句詩句衍生出六十多個新句,這裡略舉一、二:

  Se vouer à toi ô cruel
  A toi, couleuvre rose
  O, vouloir être cause
  Couvre-toi, la rue ose
  Ouvre-toi, ô la sucrée
      
  Va où surréel côtoie
  O, l'oiseau crève-tour
  Vil os écœura toute
  Cœur violé osa tuer.

這些變移字母位置產生的詞句顯然極具色情意味,應該說它們大都出自諾拉.米特拉尼之手,原因是此時的貝爾梅爾法文遠未到家。在這些文字遊戲裡,她的形象富而於激情的風格已清晰可見,而她反常規的天主教神秘主義也顯露出來,把她引向某種托洛茨基式的救世主降臨說及喬治.巴塔耶所謂的色情境界。

1947年7月,在這場變換字詞的文字遊戲後又產生了另一場攝影遊戲,1957年終於結集成冊出版,這是貝爾梅爾在沙灘為她拍攝的極私隱的照片。「她擺出淫褻挑逗的姿勢,任由他拍攝。看着這些照片,並在過量的可卡因的刺激下,年輕女郎的臀部慢慢佔據整個畫面,漸漸和天空混為一體,最後幻變成一個露着莫明微笑的面孔,兩個巨大的眼睛即是朝着肛門的兩個半球體的屁股。」(身體無意識的小解剖學或形象解剖學)。從這「緊張的一周」裡,貝爾梅爾選用了一些照片為《眼睛的故事》一書作插圖,並在四十年代末,用它來向沙德侯爵致意。而諾拉.米特拉尼則這樣寫道:「一種短暫的、痛苦而不可名狀的緊張情緒在沙灘上將這一男一女分開。突然,沒人能說出原因,他們相距不遠,各自在沙地上挖一個洞。不一會,手指越挖越劇烈,動作變得似乎有所指向。地底下,沙變得流動清涼。接着在長長的陰暗的隧道裡,在沙子下面,他們的手觸碰在一起了。就在這一刻,兩手靜靜地緊握一起,這個男人和這個女人又重逢了。」1949年,貝爾梅爾又饗我們一張題作《脫》(Désabillage)的照片,展示了他從女伴的胴體走了出來。然而,從諾拉.米特拉尼的文字裡,透露出她並非一個謙卑的女僕,而更是貝爾梅爾的同謀,一個尋找色情極樂的自由女性。「表現色情,如果做不到令人暈眩落淚,便不值一顧。」她這樣說道。

諾拉.米特拉尼在貝爾梅爾身上找到了她最需要的東西:製造事端引起公憤的才幹和激情,這也是解讀她充滿鬼域氣氛作品的線索。然而這種愛情不能持久,1950年把他們倆拉近的若埃.布斯凱離世後,自此,貝爾梅爾也變得日漸嫉妒起來,這對情侶也就勞燕分飛了。然而,這位「乖戾大姐」,他這樣稱呼她,始終縈繞在他今後的作品裡,揮之不去。諾拉去世時,他給布勒東寫了一封震動人心的信。也就是這年,她發表了「《極隱秘的醜聞》(Scandale au si secret visage)為『魔鬼侯爵』沙德重新定位,把他列入至今世上仍無任何力量可將之扼殺的被詛咒的思想家的行列」。另一篇文章則抨擊那些「過份崇拜和企圖神化」這位侯爵又或者「淡化他、使他更易為人接受」的人。她還將注意轉向巴塔耶、克洛索維斯基(Klossowski)及吉爾貝.萊里(Gilbert Lély)等人的作品,將它們貶為只是一些「東施效顰之作」。她赴葡萄牙,在里斯本做了一系列的講座,並在那兒發現了佩索阿(Pessoa)並會見了詩人奧尼爾(O'Neill)。五十年代初,她被接納入國家科學研究中心的社會學研究中心,積極參與由喬治.居爾維什(Georges Gurvitch)主持的有關知識社會學和道德生活社會學的研究。她的專題是探討技術專家政治和技術官僚主義。讓.卡茲涅夫(Jean Cazeneuve)說她的取向來自對超現實主義「某些美學價值的偏愛」及她「面對冷漠無情的技術管理」的反應。

諾拉.米特拉尼非常欣賞阿爾弗雷德.雅里(Alfred Jarry)的這句話:「如果機器真能孕育出愛情,這是,它愛上了人類。」

諾拉.米特拉尼被說成是「一個遙不可及的美麗女人,但並不疏離,相當孤寂:是迷失在恐懼和漫不經心之間的貴婦。她衣著光鮮,穿着西式女服,有點太太風範。」這一切都不能阻止她再度墮入愛河,愛上了莫測高深的朱利安.格拉克。他在《獻給陌生女人的散文》(Prose pour l'étrangère)裡這樣讚美她:「當你不在我身邊,你的生命像無月光的大海的洶湧波濤在我週遭拍濺,像佈滿陷阱、危機處處的海洋圍繞着一葉身臨險境的孤舟。你把我拋入驚濤駭浪中,拋向陽光閃爍的浪尖,向華燈初上的城市的高樓大廈猛撲過去,你身上的幽香瀰漫着,如同宏偉大廈轉彎曲折處散發着氣息,如同兇險的大海散發的海藻和麝香的氣息。」

格拉克無疑是她最後一個情人…… 五十年代未,她病倒了,兩年之後,她得了癌症,客死他鄉瑞士。她的兄弟米歇爾.米特拉尼回憶道:「身處最痛苦的情況下,她仍保持非凡的幽默。」她長眠於巴黎巴蒙納斯公墓。我前文已提及,她的作品極為單薄。她是一個神秘的女人,但在貝爾梅爾為她拍攝的照片中,卻將自己的胴體無恥地展示以人。甚少人能說出她的名字。

應該為她寫上幾句,使她不至於完全被人遺忘。