Poésie 詩詞

Texte : Bernard Pokojski

 
  Yves Bonnefoy, la vie errante
伊夫.博納福瓦:浪遊生涯
 
 

« Nous sommes la Terre », répondent-ils.
« La Terre que tu crées. Nous venons nous asseoir auprès de toi sous la tonnelle. Offre-nous du pain et du vin. Nous avons à parler longtemps, mon ami, avant que la nuit ne tombe. » (Y. B.)

J’écris, mais une fois de plus fourche ma plume. (Y. B.)

Cette fois-ci, allons cueillir quelques lignes à la porte d’un de nos grands octogénaires, patriarche plusieurs fois cité déjà pour le Nobel de littérature et présence active d’un temps qui nous semble si lointain à présent.

Yves Bonnefoy naquit en 1923, à Tours. « J’ai pris le train un millier de fois dans cette gare - soit tout enfant aux départs d’été vers l’autre pays (...) soit quand plus tard, et ce pays à jamais perdu, je rentre le soir du lycée. Ce furent ces années-là, un temps comme blanc et noir, avec une guerre alentour. »

Cependant, c’est au lycée qu’un professeur de philosophie lui fera découvrir la poésie surréaliste dans la Petite anthologie du surréalisme de Georges Hugnet : poèmes de Breton, Péret, Eluard, le Tzara dadaïste, accompagnés de collages de Max Ernst, Tanguy, du Mystère de la mélancolie d'une rue de Chirico ou de Boule suspendue de Giacometti. A la même époque lui apparaît Paul Valéry et Le Cimetière marin dont il aimera le ciel, la mer, la chaleur et « l’étincellement où se dissipent les rêves. » Dans sa ville natale, il entrera en classe de mathématiques spéciales puis en 1942, à Poitiers complétera un certificat de mathématiques générales qui seront le prétexte de son départ pour la capitale et sa Sorbonne l’année suivante. Il conservera pour celles-ci un réel intérêt mais la poésie allait être désormais sa préoccupation majeure. A Paris, il fréquentera la librairie d’Adrienne Monnier, rencontrera Christian Dotremont, Victor Brauner, Raoul Ubac, André Breton. Il fera dans le même temps la lecture de Bataille, Artaud, Michaux, Eluard, Jouve et en 1946, publiera dans l’éphémère revue surréaliste La Révolution la nuit le poème Le cour-espace, des aphorismes sous le titre de « La nouvelle objectivité » ainsi qu’une première version de l’Anti-Platon. Un premier ouvrage, poème en prose, intitulé Traité du pianiste verra le jour. En 1947, peu avant l’ouverture de l’Exposition internationale du surréalisme, Bonnefoy rompra avec André Breton et son groupe, ne partageant aucunement leur intérêt pour la magie et l’occultisme. Il reprendra alors en 1948 des études de philosophie et son diplôme d’études supérieures portera sur « Baudelaire et Kierkegaard ». Puis, en 1953, Bonnefoy nous donnera son premier grand recueil : Du mouvement et de l’immobilité de Douve, salué unanimement par la critique. Douve sera cette créature multiforme caractérisée par une pluralité de possibles, « fossé d’eau dormante, rivière souterraine, lande résineuse, village de braise » pour reprendre Jean Michel Maulpoix. En peu de mots, poème à l’œuvre, en quête de présence, se métamorphosant pour susciter la parole. Douve aussi territoire d’une épreuve initiatique : « conjonction de la pureté d’une eau et de la fluidité d’une parure, d’une immobilité solennelle et de secrets mouvements, inexplicablement la pire angoisse s’y calme. » Pour Bonnefoy l’image n’est toutefois pas exempte de leurres et cette expérience poétique veut un dialogue toujours recommencé entre l’image et la voix. La poésie devenant alors une forme de conscience où le langage traque les limites du possible. S’étant éloigné du surréalisme, il parlera d’une « conversion » dans l’écriture. Ce recueil affirmera aussi l’importance du temps : ses mètres quasi-réguliers proches de l'alexandrin avoisineront avec le poème en prose... Yves Bonnefoy entrera au CNRS et inscrira comme sujets de thèse « Le signe et la signification » et « La signification de forme chez Piero della Francesca ». Il rencontrera Jaccotet, Dupin, du Bouchet, Frénaud, Giacometti, publiera Peintures murales de la France et consacrera une préface aux Fleurs du Mal. En 1958, verra le jour son recueil Hier régnant désert.

      Tu es seul maintenant malgré ces étoiles,
      Le centre est près de toi et loin de toi,
      Tu as marché, tu peux marcher, plus rien ne change,
      Toujours la même nuit qui ne s'achève pas.


L'immeuble de la rue Descartes à Paris. Décoration murale de Pierre Alechinsky, poème d'Yves Bonnefoy

Cette œuvre s'ancre dans le négatif et dans l'angoisse pour interroger la parole poétique et ses capacités à échapper aux miroitements de l'imaginaire, tout en dévoilant une traversée du désert. Bonnefoy à cette époque faisait une lecture passionnée de la Phénoménologie de l’esprit de Hegel et le couple éternité-espace infini rejoindrait en quelque sorte une négativité s’enivrant du néant sans souhait de le dépasser (le « mauvais infini »). Le recueil s’ouvre sur « une conscience malheureuse », absente du monde et d’elle-même, enfermée dans sa solitude (« Et vois, tu es déjà séparé de toi-même »). Mais Bonnefoy n’en restera pas là, et dans la dernière partie du recueil (« A une terre d’aube »), le positif verra enfin sa victoire, établissant la possibilité d’un salut aux connotations sacrées. Il fera référence à la Grèce et à ses mythes, les Parques, lesSphinx, oiseau emblématique permettant la traversée du négatif et la défaite des ruines. Les légendes du cycle arthurien ajouteront à la quête poétique 
      Je ne sais pas si je suis vainqueur. Mais j'ai saisi
      D’un grand cœur l’arme enclose dans la pierre
      J’ai parlé dans la nuit de l’arme, j’ai risqué
      Le sens et au-delà du sens le mode froid
En 1965, ce sera Pierre écrite
      Il me semble, ce soir
      Que le ciel étoilé, s’élargissant,
      Se rapproche de nous ; et que la nuit,
      Derrière tant de feux, est moins obscure.
et cinq ans plus tard, Dans le leurre du seuil qui fermera le grand œuvre ouvert par Douve. Bonnefoy s’adresse à un interlocuteur qui n’est autre que lui-même, l’exhortant à l’action et petit à petit le « je » devient ce « nous » qui établit des ponts avec le lecteur. S’y déploie alors une véritable épopée de la conscience à la recherche du sens par la poésie et on y verra la réunion de l’homme avec « la lande du sens ». En 1972, avait paru L'Arrière pays, presque en même temps que Rome, 1630, étude sur l’art et les artistes. L’Arrière pays est une réflexion de l’auteur sur sa propre inquiétude et sa quête persistante d’un « vrai lieu ». Il y retrace l’histoire de ses rencontres, des grands choix qui ont orienté sa vie et des convictions qui ont guidé son activité poétique. Dans ce livre, s’y exposent aussi les grandes étapes qui ont fait sa pensée tant dans le présent de l’écriture que dans les sites qui lui sont associés. « J’ai souvent éprouvé un sentiment d’inquiétude, à des carrefours. Il me semble dans ces moments qu'en ce lieu ou presque : là, à deux pas sur la voie que je n’ai pas prise et dont déjà je m’éloigne, oui, c'est là que s’ouvrait un pays d’essence plus haute, où j’aurais pu aller vivre et que désormais j’ai perdu ».

Cet arrière-pays sera au centre de l’œuvre de Bonnefoy et il se profilera dans nombre de nos horizons, une île aperçue quelquefois très loin sur mer ou une rue suivie quotidiennement où surgira « une arrière-cour dans le charbon, une porte. » Cette ligne de partage entre deux réalités hantera l’enfant qui voyage dans des trains de nuit qui le mènent déjà d’un monde à l’autre pour faire surgir en lui des « questions de lieux ». Ce sera pour lui aussi la découverte de la langue latine et de Virgile en qui il verra le poète de la terre la plus « haute » qui plus tard sera l’arrière-pays. De là son amour de la terre italienne, « terre heureuse » qui mobilisera tant de forces chez lui. L’œuvre de Bonnefoy est immense à présent et irréductible à quelques lignes mais comme je le disais, l’enfant est devenu un patriarche et avec quelques autres encore fait vivre la poésie en nos temps.

Pour terminer, de Bonnefoy : « Le rêve, qui semble nous séparer, nous retourner vers le mur dans notre sommeil, c’est donc tout de même aussi, puisqu’il nous parle de l’être, une ouverture, sur nos proches, sur ce qui est. Et quelque chose qu’'il faut maintenir sous notre regard autant que le critiquer, ce que d’ailleurs nous permet l’écriture de poésie, laquelle est un demi-sommeil. »

(Yves Bonnefoy, le devoir de rêve et d’espoir, entretien donné à L’Orient littéraire du 4 août 2011)

L’inachevable
Quand il eut vingt ans il leva les yeux, regarda le ciel, regarda la terre à nouveau, — avec attention. C’était donc vrai ! Dieu n’avait fait qu’ébaucher le monde. Il n’y avait laissé que des ruines.

Ruines ce chêne, si beau pourtant. Ruines cette eau, qui vient se briser si doucement sur la rive. Ruines le soleil même. Ruines tous ces signes de la beauté comme le prouve bien les nuages, plus beaux encore.

Seule la lumière a eu vie pleine peut-être, se dit-il. Et c’est pour cela qu’elle semble simple, et incréée. — Depuis, il n’aime plus, dans l’œuvre des peintres, que les ébauches. Le trait qui se ferme sur soi lui semble trahir la cause de ce dieu qui a préféré l’angoisse de la recherche à la joie de l’œuvre accomplie.
(Yves Bonnefoy, La Vie errante, p69, Mercure de France, 1993)

 

 

「我們是地球」,他們回答道。
「你創造的地球。我們來到葡萄架下,坐在你身邊。請饗我們以美酒和麵包。在日暮之前,我的朋友,讓我們作竟
日談。」
「我寫作,卻再次弄叉了筆尖。」
                  ─ 伊夫.博納福瓦

回,讓我們為這位八旬老翁、數次提名諾貝爾文學獎的耆老寫上幾句,他曾在似乎離我們已經遙遠的年代生活過、奮鬥過。

伊夫.博納福瓦1923年生於圖爾。「我在這個火車站乘搭了數以千次計的火車,童年時,每逢夏天乘它去他鄉渡假…… 後來,我每晚由學校回家,這夢園已一去不復返。這是那些歲月,黑白分明的年代,四週硝煙瀰漫。」然而,在學校裡,一位哲學老師介紹他讀喬治.于涅(Georges Hugnet)的《超現實主義文選小輯》(Petite anthologie du surréalisme),於是,他發現了超現實主義詩歌:布勒東、佩雷、艾呂雅、達達派詩人查拉,還有馬克斯.恩斯特的黏貼畫、坦圭(Tanguy)、契里柯(Chirico)的《一條憂鬱街道的秘密》(Mystère de la mélancolie d'une rue)或賈柯梅蒂的《懸球》(Boule suspendue)。同一時期,他還讀了保爾.瓦萊里的《海濱墓園》(Le Cimetière marin)。他喜歡詩裡的天空、大海、灼熱及「夢想在其中幻滅的閃爍」。他在故鄉圖爾,入讀專業數學班,1942年,在普瓦捷(Poitiers)獲得普通數學証書,這促使他遠赴首都巴黎,並於翌年入讀巴黎大學。他對數學始終保有濃厚興趣,但詩歌從此將成為他的主要關注。在巴黎,他是阿德里安娜.莫尼耶(Adrienne Monnier)書店的常客,在這裡他結識了克里斯蒂安.多特蒙、維克多.布羅內(Victor Brauner)、拉烏爾.于巴克(Raoul Ubac)、安德烈.布勒東等人。同時,他閱讀了巴塔耶、阿爾托、米肖、艾呂雅、茹弗等人的作品,並於1946年,在轉瞬即逝的超現實主義雜誌《La Révolution la nuit》發表了詩歌《Le Coure-espace》,題為「新客觀性」的格言集以及《反柏拉圖》(L'Anti-Platon)的第一版。他的第一本著作散文詩《鋼琴家的契約》(Traité du pianiste)出版問世。1947年,在國際超現實主義展覽開幕前不久,他和布勒東及其一夥關係絕裂,對他們當時趨之若鶩的魔術和神秘學絲毫不感興趣。1948年,他重新攻讀哲學,畢業論文的題目為「波德萊爾和基爾凱郭爾」。1953年,他發表了第一部重要文集《論杜弗的運動和不動》(Du mouvement et de l'immobilité de Douve),得到批評界的一致好評。杜弗是這樣一個千面女性,她擁有眾多的可能性,引用米歇爾.莫爾波瓦(Michel Maulpoix)的話說,她是「死水溝渠、地下河流、樹脂荒原、炭火村鎮」。用極簡潔的語言,詩歌啟動了,千變萬化,激發出美詞麗句。杜弗亦是一個啟蒙試驗場,是「潔淨剔透的流水、流動的華彩、莊嚴的靜止、神秘的運動的結合,極度的不安不可思議地在其中得到紓緩,寧靜。」對博納福瓦而言,形象亦難免詭計,這種詩歌實踐令形象與聲音的對話週而復始。詩歌於是幻變成一種意識,在這意識裡,語言捕捉一切的可能性。脫離了超現實主義後,他在寫作中倡導一種「轉變」。這本文集亦肯定了節奏的重要性:他相當規則、跡近亞歷山大體的格律詩有散文詩的風格。伊夫.博納福瓦進入國家科學研究院,其研究論文題為《符號與意義》(Le Signe et la signification)及《彼埃羅.德拉.弗朗西斯卡作品中形式的意義》(La signification de forme chez Piero della Francesca)。他結識了雅科迪(Jaccotet)、迪潘(Dupin)、杜布歇(du Bouchet)、弗雷諾(Frénaud)、賈柯梅蒂,發表了《法蘭西壁畫》(Peintures murales de la France)並為《惡之華》寫了序言。1958年,他的另一本詩集《統治荒漠的昨天》(Hier régnant désert)出版問世。

       「儘管滿天星斗,而今你卻孑然一身,
      世界的中心接近你,遠離你,
      你曾經邁步,你可以邁步,一切都沒改變,
      總是一樣的夜,永無止境。」

這部詩集扎根於否定與焦慮,探索詩的語言,詢問它是否可擺脫那閃爍的想象,同時揭示了對荒漠的穿越。這時期他正熱情洋溢地閱讀黑格爾的《精神現象學》。永恆 ─ 空間這對無限的組合以某種方式和那陶醉於虛無又不想超越它的否定相匯合(「不祥的無限」(Le mauvais infini))。詩集以「不幸的意識」開篇,這不存在於世亦不存在於自身的意識,禁錮在孤獨中(「瞧,你已離開了自己」Et vois, tu es déjà séparé de toi-même)。但博納福瓦並不停留於此,在詩集的最後一部份(「在黎明的土地上」A une terre d'aube),肯定終於獲得勝利,確立了隱含着神聖意義的得救的可能。他將目光轉向希臘、它的神話,帕爾卡女神,斯芬克司,這象徵性的鳥兒使我們得以穿越否定,令破滅失敗。在詩歌的探索中還加插了亞瑟王的傳說。
      「我不知道自己是否是戰勝者
      但我勇敢地抓起密封於石中的武器,
      夜裡我談兵論劍,
      我冒險探索意義及這之外的冷漠方式。」
1965年,他發表了《岩書》(Pierre écrite)。
      「今夜,我覺得
      星空變得開闊,
      離我們更近了;而夜
      在繁星閃爍下,亦不那末漆黑。」
五年之後,《在門檻的圈套中》(Dans le leurre du seuil)結束了他由《杜弗》開始的系列作品創作。在《岩書》裡,博納福瓦和一個對話者交談,這個對話者其實是他本人。他勉勵他行動起來,漸漸地「我」變成了「我們」,並建立起和讀者溝通的橋樑。一個透過詩歌尋找意義的真正不凡的意識之旅在書中展開,我們看到人和「意義荒原」的匯合。1972年,《隱蔽之地》(L'Arrière pays)和另一部研究藝術和藝術家的著作《羅馬,1630年》(Rome, 1630)幾乎同時出版。《隱蔽之地》是作者對自己的不安和對「真實之地」(Vrai lieu)不懈追求的思考。在書中,他描述自己的遭遇、指導他人生方向的重大決擇以及促使他投身政治活動的信念。展示了在寫作和其他領域裡形成他思想的各個重大階段。「身處十字路口,我常感到不安。我覺得在這個時候,就在這個地方,或者在離我還沒走過便已離去的道路幾步路的地方,是的,就在那兒,出現一個本質更高的國度,我本可去到那邊生活,卻從此失去了它。」這個隱蔽之地就在他文學創作的中央,在我們週遭許多地方顯現,它是海上遠遠瞥見的一座小島,又或者是我們每天走過的一條街道,「炭堆中一個後院,一扇門」突然出現。這條兩個現實的分界線纏繞着夜晚乘着火車從一個世界到另一個世界旅行的小孩,以致在他心頭湧現「身居何處的困惑」。對他而言,這也是發現拉丁文及維吉爾,他在維吉爾身上看到一個最「高」境界土地上的詩人,這土地後來成了他的隱蔽之地。也因此,他愛上了意大利的土地,這在他身上激起如許多力量的「福地」。博納福瓦的著作於今博大宏偉,有些文字桀驁不馴。誠如我前面所言,他從小孩變成了可敬的長者,和其他詩人一起,令詩歌在我們的時代生生不息。

讓我們引用博納福瓦的一句話來結束本文:「夢似乎在我們沉睡時把我們分開,推向牆邊。但既然它在向我們講述存在,因此,也是面向我們的同類、面向這個世界的窗口。這是某種我們應維繫並探討的東西,它使我們得以寫詩,這個處於半睡眠狀態的詩。夫.博納福瓦:《夢和希望的職責》,2011年8月4日於《文學東方》(L'Orient littéraire)的一次對談。)

Œuvres de Bonnefoy, entre autres
Poésie/Gallimard : Poèmes (Du mouvement et de l’immobilité de Douve / Hier régnant désert / Pierre écrite / Dans le leurre du seuil)
Rue Traversière ; Les Planches courbes ; L’Arrière pays
Mercure de France La Vie errante
Sur Bonnefoy, Europe juin-juillet 2003