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Gong Xian 龔賢 (1618 -1689), Etude dans une forêt de pins
《松林書屋圖》, rouleau à suspendre, encre sur papier, 271.2 x 128.ccm. Musée de Lushun |
« L’esprit » (shen 神) et « l’harmonie » (yun 韻) étaient désormais des concepts séparés mais toujours de nécessaires attributs de l’image, et ceux-ci devaient être atteints pour peindre d’une façon correcte. La « pensée » (si 思) et la « scène » (jing 景) remplaçaient désormais les Canons concernant la composition et la ressemblance formelle, tandis que le « pinceau » (bi 筆) et « l’encre » (mo 墨) représentaient une interprétation plus technique du second Canon sur le travail du pinceau. « L’harmonie du souffle » était désormais associée aux éléments du paysage et au travail du pinceau. D’autres théoriciens essayèrent aussi de formuler d’autres « Essentiels » ou, leur contraire, des « maladies », comme Liu Daochun 劉道醇 (actif 16e siècle) ou, pendant la dynastie des Ming, Li Kaixian 李開先 (actif 16e siècle) avec ses « Six essentiels » (liu yao 六要) et « Quatre maladies » (si bing 四病) qui tous n’étaient que des catégories créées exclusivement pour l’emploi du pinceau. En ce sens, les « Quatre Essentiels » (si yao 四要) ont une portée bien plus importante. Gong Xian donne donc sa propre liste d’essentiels, ainsi « la méthode du pinceau » (bifa 筆法), « le souffle de l’encre » (moqi 墨氣), « la composition » (qiuhuo 丘壑, ce terme signifie littéralement les collines et les vallées et indique généralement le sentiment que l’artiste a d’un paysage) et « l’harmonie du souffle » (qiyun 氣韻) sont ainsi expliqués dans le texte intitulé Les Propos sur la peinture du « Bûcheron » (Chaizhang Huashuo 《柴丈畫說》) :
« Si l’on ne parle pas d’abord de la méthode du pinceau, puis du souffle de l’encre et enfin de la composition, on ne peut pas parler de l’harmonie du souffle ; ce n’est qu’après avoir contrôlé ces trois éléments que l’harmonie du souffle peut être produite. La méthode du pinceau doit être antique, le souffle de l’encre doit être dense, la composition doit être stable, l’harmonie du souffle doit être simple. Et j’ajouterai : la méthode du pinceau doit être saine, le souffle de l’encre doit être vif, la composition doit être étonnante, l’harmonie du souffle doit être élégante. L’harmonie du souffle est comme l’air des paroles qui se manifestent. Si la pointe qui apparaît dans les traits du pinceau provient de l’Antique, l’harmonie du souffle ne peut pas cependant être planifiée sur une longue période [elle doit être conçue sans hésitation] ; plus l’artiste est âgé et plus son encre sera dense, cela ne peut pas être atteint par l’habileté, en fait on ne peut y arriver que par naïveté, quelque chose à laquelle il faut travailler énormément. »
Même si les Six canons sont demeurés présents tout au long de l’histoire de la théorie picturale, leur sens a donc été adapté en permanence. Cependant, il n’est guère possible de comparer les « Quatre essentiels » de Gong Xian avec les Six canons de Xie He puisque ce dernier les avait conçus pour la pratique d’une peinture qui n’avait que peu à voir avec le paysage pratiqué comme genre principal après le 10e siècle. On constatera en revanche à quel point Gong Xian est redevable de ses idées à Jing Hao qui fut le premier à inclure dans des considérations sur le « souffle » et « l’harmonie » des concepts plus concrets comme la « scène ». De fait, comme on le verra en détail plus tard, si les peintres du 10e et du 11e siècles s’attachaient à des particularités bien précises de la pratique picturale, des particularités qu’on pourrait appeler matérielles et techniques, il est tout à fait dans le ton de la dynastie Ming, même de la fin de cette dynastie, de s’attacher dans la théorie à des particularités plus théoriques, plus philosophiques. Gong Xian est donc très typique de cette tendance idéaliste de la philosophie du milieu et de la fin des Ming. On verra de même plus tard à quel point ce concept de « gaucherie » ou de « maladresse » (zhuo 拙) a pris d’importance dans l’idéal lettré et à quel point il peut être utilisable dans une approche comparée de l’étude de la peinture.
Mais Gong Xian exprima dans un autre texte son opinion de Xie He et des Six canons, opinion que Gong Xian, qui était pourtant extraordinairement cultivé, avait de la plupart des peintres qui l’avaient précédé. Ce texte exprime d’une façon encore plus simple ce que sont les Quatre essentiels :
« En peinture, il y a les Six canons qui ont été formulés par Xie He de la capitale du sud. En ce qui me concerne, je crois qu’il n’y a que Quatre essentiels et que les Six canons n’existent pas. [Ces Quatre essentiels sont], le premier « pinceau », le second « encre », le troisième « composition » et le quatrième « harmonie du souffle ». La méthode du pinceau doit être mûre, l’harmonie de l’encre doit être polie, la composition doit être stable, si tous les trois sont réussis alors l’harmonie du souffle s’y trouvera aussi. La méthode du pinceau doit être à la fois gracieuse et mûre, si elle n’est que mûre sans être gracieuse, [le résultat] sera raide. On dit que l’encre doit être polie, mais il est clair que cela ne veut pas dire humide. Quant à la composition, cela a toujours simplement voulu dire le positionnement [des éléments de la toile]. Ce positionnement doit être pondéré, mais il doit aussi bien sûr être à la fois étonnant et pondéré. Si [la composition] n’est pas étonnante, on ne pourrait attacher aucun prix à sa pondération. Si [la toile] est pondérée sans être étonnante, ou si elle est étonnante sans être pondérée, [c’est le signe que c’est l’œuvre d’un] peintre débutant. »
Cette attitude ne fut pas répétée pendant le 18e siècle, période pendant laquelle même les artistes qu’on pourrait nommer individualistes gardaient un véritable respect du passé. Si ce respect s’accompagnait pourtant très souvent de réinterprétations qui faisaient littéralement disparaître le sens originel de concepts tels que les Six canons, il demeure qu’aucun artiste du 18e siècle ne voulut simplement rejeter ces idées de la façon dont un peintre tel que Gong Xian pouvait le faire. Dans ce cadre, Gong Xian eut aussi sa propre façon d’interpréter la classification des peintres faite par Dong Qichang. Dans le texte suivant, il utilise une hiérarchie opérée bien longtemps avant lui pour parler des problèmes de la peinture lettrée en tant que genre. Zhang Huaiguan 張懷瓘 (actif première moitié du 8e siècle), dans son Jugements sur la peinture (Huaduan 《畫斷》), un ouvrage disparu mais cité dans le très important ouvrage de Zhang Yanyuan 張彥遠 (c. 815 – 875), Mémoire sur les grands peintres de toutes les dynasties (Lidai Minghua Ji 《歷代名畫記》), établit l’échelle de valeur suivante dans le but de juger et de classer les œuvres : « l’œuvre accomplie » (nengpin 能品), pour laquelle il suffit de s’exercer studieusement selon les règles, puis « l’œuvre merveilleuse » (miaopin 妙品), pour laquelle il faut étudier et copier les chefs-d’œuvre de l’antiquité et comme degré suprême « l’œuvre spirituelle » (shenpin 神品). Surpassant ces trois catégories, existe cet « hors limite » qui exalte l’entente innée entre l’homme et la nature, « l’œuvre extravagante » (yipin 逸品), catégorie rajoutée un peu plus tard par le théoricien Zhu Jingxuan 朱景玄 (9e siècle) dans son Mémoire sur les peintres célèbres de la dynastie Tang (Tangchao Minghualu《唐朝名畫錄》). Dans une inscription sur une peinture de son ami Cheng Zhengkui 程正揆 (1604-1670), Gong Xian nota donc :
« De nos jours, les peintres pensent que [l’art du] Jiangnan, [c’est-à-dire l’art des lettrés], est le meilleur et ils pensent aussi que, dans les quatorze divisions administratives de cette région, c’est au chef-lieu [que l’art y] est le meilleur. Dans cette ville [de Suzhou], on compte de nombreux artistes de renom sur des dizaines de générations, mais ceux qui peuvent vraiment “sucer le pinceau” [c’est-à-dire, le considérer comme une partie de soi], y en a-t-il eu des milliers ? Ainsi, dans ce flot de noms célèbres il y a deux écoles et trois types de qualités qui s’appellent “œuvre accomplie”, “œuvre spirituelle” et “œuvre extravagante”. L’œuvre spirituelle est au- dessus de l’œuvre accomplie, l’œuvre extravagante est au-dessus de l’œuvre spirituelle ; l’œuvre extravagante n’est pas possible à définir avec des mots. Si l’on considère les artistes faisant des œuvres accomplies et des œuvres spirituelles comme une école, que l’on nommerait” l’école correcte [ou orthodoxe]”, les artistes faisant des œuvres extravagantes constitueraient une “école supplémentaire”. Nous appellerions les artistes faisant des œuvres accomplies des “maîtres de la peinture”, ceux faisant des œuvres spirituelles des “ancêtres de la peinture” ; quant à ceux faisant des œuvres extravagantes, ils ne peuvent être que des cas isolés et étranges, impossibles à classifier, mais nous pourrions quand même les appeler des “gentilshommes lettrés de la peinture” ».
* Frank Vigneron (Professor - Fine Arts Department - The Chinese University of Hong Kong)
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Wu Hong 吳宏 (actif 1670-1680), Paysages 《山水冊》, feuille d'album, encred et coleur sur soie, 17.5 x 20.3. Musée de Shanghai.
「神」和「韻」從此便不再分為兩種不同的概念,但始終是繪畫不可或缺的屬性。而唯有達至這兩個境界,方能正確作畫。「思」和「景」則從此代替了「經營位置」和「應物形象」。而「筆」和「墨」則對「六法」中的第二項「骨法用筆」作了更富技術性的解釋。而「氣韻生動」則從此和構成山水的因素及用筆功聯繫起來。其他一些畫論家亦嘗試提出有關繪畫的其他一些「準則」,或相反,一些繪畫的「弊病」,如劉道醇(活躍於十一世紀)便是其中之一。明代李開先(活躍於十六世紀)的「六要」和「四病」則都是有關用筆的分門別類的論述。在這個意義上,龔賢的「四要」意義更為重大。他提出了自己的一套繪畫準則,即「筆法」、「墨氣」、「丘壑」、和「氣韻」,這些在他的畫論《柴文畫說》裡都有詳細的論述:「先言筆法,再論墨氣,更講丘壑,氣韻不可說,三者得則氣韻生矣。筆法要古,墨氣要厚,丘壑要穩,氣韻要渾。又曰:筆法要健,墨氣要活,丘壑要奇,氣韻要雅。氣韻猶言風致也。筆中鋒自古,墨氣不可以歲月計,年愈老,墨愈厚,巧不可得而拙者得之,功深也。」
儘管「六法」在整個中國繪畫史上舉足輕重,但其內容亦不斷被變通完善。然而,很難將龔賢的「四要」和謝赫的「六法」作比較。因為「六法」中論述的繪畫與十世紀後成為繪畫主流的山水畫幾乎毫不相干。我們看到龔賢是如何得益於荊浩的美學思想的。荊浩是將如「景」這種比較具體的概念提升到「氣」和「韻」來審視的第一人。確實,我們稍後還清楚地看到第十、十一世紀的中國畫家更執着於繪畫的明確特性,即物質和技術的特性;而明代甚至直至明末,美學思想卻更着重於理論性和哲學性。龔賢是明朝中葉和明末這種文人哲學理想傾向的典型。同樣我們還看到後來「拙」這種概念在文人理想中何等重要,以致在品評鑒賞藝術作品時常被運用。
Gong Xian 龔賢 (1618 -1689), Chaumière sur les bords du lac 《湖笨草閣圖》, rouleau à suspendre, encre sur papier, 218 x 82.8 cm. Musée de Lushun
龔賢在另一篇畫論中表達了他對謝赫及其「六法」的看法,這是學養深厚的龔賢對他之前的大部份畫家的看法。這篇畫論更加簡明扼要地闡述了他所謂的「四要」:
「畫有六法,此南齊謝赫之言。自余論之,有四要而無六法耳。一曰筆,二曰墨,三曰丘壑,四曰氣韻。筆法宜老,墨氣宜潤,丘壑宜穩,三者得而氣韻在其中矣。筆法欲秀而老,若徒老而不秀,枯矣。墨言潤,明其非濕也。丘壑者,位置之总名。位置宜安,然必奇而安。不奇無貴于安。安而不奇;奇而不安,生手也。」
這種態度在十八世紀已不復存在。這一時期甚至自命為特立獨行的畫家亦對古人崇敬有加。在尊古的同時,常伴有對往昔各種觀念的重新闡釋,令其失去原意,如「六法」便是。但十八世紀的畫家卻沒有一個像龔賢一樣簡單乾脆地拋棄舊觀念。例如對董其昌的畫家分類標準,龔賢便有其個人的見解。在下面引述的他的一段文字裡,他運用了在他之前便早已存在的對文人畫的分類。張懷瓘(活躍於八世紀前半葉)在他已失傳但在張彥遠(815-875)極重要的著述《歷代名畫記》裡被提及的畫論《畫斷》中,確立了品鑒分類繪畫的以下標準:即「能品」,嚴格遵照規則便能完成的畫;「妙品」,須研習摹寫古蹟方能完成的畫;而最高境界的畫則稱「神品」。超越這三類的是天人合一的「逸品」,這是後來朱景玄(活躍於公元九世紀)在他的《唐朝名畫錄》裡提出的。龔賢在其友人程正揆的一幅畫上有這樣的題詞:
「今日畫家以江南為盛,江南十四郡以首郡為盛。郡中著名者且數十輩,但能吮筆者奚啻千人。然名流復有二派,有三品,曰能品,曰神品,曰逸品。神品在能品之上,而逸品又在神品之上,逸品殆不可言語形容矣。是以能品、神品為一派,曰正派,逸品為副派。能品稱畫師,神品為畫祖,逸品散怪,無位可居,反不得不謂之畫士。」
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