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Edmond Jabès, photo©Bracha L. Ettinger |
« J’ai rêvé d’une œuvre qui n’entrerait dans aucune catégorie, qui n’appartiendrait à aucun genre, mais qui les contiendrait tous ; une œuvre que l’on aurait du mal à définir, mais qui se définirait précisément de cette absence de définition ; une œuvre qui ne répondrait à aucun nom mais qui les aurait endossés tous ; » Edmond Jabès
Cherche mon nom dans les anthologies.
Tu le trouveras et ne le trouveras pas.
Cherche mon nom dans les dictionnaires.
Tu le trouveras et ne le trouveras pas.
Cherche mon nom dans les encyclopédies.
Tu le trouveras et ne le trouveras pas.
Qu’ importe. Ai-je jamais eu un nom ?
Aussi, quand je mourrai, ne cherche pas
mon nom dans les cimetières
ni ailleurs.
Et cesse de tourmenter, aujourd’hui, celui
qui ne peut répondre à l’appel.
(Edmond Jabès)
Edmond Jabès ne répond plus à l’appel depuis le 2 janvier 1991, ayant laissé derrière lui des écrits qu’il m’est à vrai dire assez difficile à définir, mais n’était-ce pas son vœu ? Et ceux-ci désormais continueront à nous tourmenter très longtemps par leur infini questionnement et leur étrangeté irréductible. René Char n’avait-il pas déjà écrit qu’on était en présence d’une œuvre « dont on ne voit pas d’égal en notre temps. »
L’homme Jabès est né au Caire, en Egypte, le 16 avril 1912. « Mes arbres sont le flamboyant et le dattier, ma fleur, le jasmin. Mon fleuve fut le Nil bleu ; mes déserts le sable et le silex d’Afrique. Avais-je le droit de les considérer miens parce qu'ils étaient entrés en moi par la pupille et par le cœur et parce que ma bouche le proclamait ? » Ailleurs, il se souviendra aussi de sa ville « haute en couleur et toute imprégnée de sensualité, avec ses rues grouillantes où l’odeur de sueur rivalise avec celles des épices, du jasmin, de l’encens ; avec ses cafés surpeuplés, étouffants, que les mouches affectionnent, où consommateurs et joueurs de tric-trac se partagent les tables branlantes. » Et c’est là qu’il commencera, à partir de 1929, à publier ses premières plaquettes poétiques et qu’avec Georges Henein, il participera à la création des éditions La Part du sable. Albert Cossery et Andrée Chédid seront également de ses amis. En 1935, Jabès rencontrera Max Jacob, et Eluard qui facilitera la découverte de ses premières poésies en France. Il se liera d’amitié dans le même temps avec Henri Michaux, Philippe Soupault sans pour autant adhérer au mouvement surréaliste. Plus tard il connaîtra Leiris, Celan, Dupin, Bonnefoy, des Forêts, Levinas, Starobinski, tous les grands noms qui compteront dans la littérature française bouillonnante de l’époque. Puis Jabès sera invité à collaborer à partir de 1945 à plusieurs revues dont la prestigieuse N.R.F. mais cette date désormais atroce l’éveillera aux horreurs de la Seconde guerre mondiale et son destin allait s’accélérer lui aussi puisqu’aux lendemains de la crise du canal de Suez, il sera chassé d’Egypte en raison de ses origines juives et devra trouver refuge en France. Nous étions en 1956 et ce déracinement deviendra fondamental pour son œuvre qui allait prendre des accents de méditation infinie sur l’exil, la judéité et le grand silence de Dieu. Auparavant, il réussira encore à rassembler et à publier en 1959 sous le titre de Je bâtis ma demeure, ses poèmes de 1943 à 1957, loués par des esprits aussi différents que Supervielle, Bachelard ou Camus qui l’acueilleront avec la plus grande fraternité.
« - Sommes-nous sur le bon chemin ? demandai-je à notre guide, un Juif grec ». « Ici nul autre que toi ne pouvait pénétrer, car cette entrée n’était faite que pour toi ». Convoquer donc ici Kafka voudrait interroger le questionnement de Jabès et le questionnement sur Jabès car paradoxalement, Jacques Derrida avait déclaré « Jabès n’est pas juif », non seulement à cause de son athéisme mais dans son texte même. Lucette Finas de son côté avait découvert que les références au judaïsme lui semblaient surtout sentimentales et « comme une origine feinte ». Jean Starobinski participera lui-aussi au débat en ajoutant que si chez Jabès le judaïsme n’allait pas de soi, n’étant pas une réponse, mais un infini questionnement, il atteignait alors là à juste titre, l’existence juive même par cet assaut de questions. Chez Jabès, la condition juive et la condition d’écrivain seront sur le même plan « Face à l’impossibilité d’écrire qui paralyse tout écrivain et à l’impossibilité d’être juif, qui depuis deux mille ans, déchire le peuple de ce nom, l’écrivain choisit d’écrire et le juif de survivre. » Henri Raczymow verra chez Jabès une absence de tout centre qui conduira à la métaphore de l’exil et à un vaste commentaire du silence toujours à reprendre. L’écrivain reprenant son texte à l’infini. Ailleurs, dans l’Ecriture du désastre, Blanchot n’avait pas dit autre chose : « Garder le silence, c’est ce que à notre insu nous voulons tous, écrivant. » Tout lecteur de Jabès portera les stigmates d’une sorte de cataclysme sans quoi il restera en dehors de l’œuvre. « Derrière le livre, il y a l’arrière-livre ; derrière l’arrière-livre, il y a l’espace immense et, enfoui dans cet immense espace, il y a le livre que nous allons écrire (Elya) « Avec moi, tu décrypteras les caractères de l’invisible (...) suis mon conseil cependant. Avance avec prudence dans ta lecture, car tu risques à chaque moment de périr dans leurs flammes » (Le Livre des ressemblances). L’œuvre de Jabès se déploiera en aphorismes, commentaires de rabins réels ou imaginaires pour nous plonger dans un univers étrange où parlera une voix infinie de poésie, toujours en marche. Voix profonde et sereine comme venue de tous les déserts et de toutes les mémoires.
Son écriture sera lapidaire, nous offrant des bribes d’éternité comme arrachées à l’oubli dans des pages blanches qui nous tendront leurs miroirs. Le langage atteindra alors au vertige et Jabès en quête du « vocable derrière le vocable, » vivra son écriture, véritable gouffre dont la fraternité et l’hospitalité ne seront pas pour autant écartées. Jabès deviendra nouveau prophète interrogeant le silence indicible de la divinité, hors du temps, pour nous dire que cela a eu lieu, qu’il s’en souvient et qu’une présence est là. Ecrits nomades, venus du sable du désert, phrases comme les grains du sable, glissant et le monde s’émiette.
« Ecrire maintenant uniquement pour faire savoir qu’un jour j’ai cessé d’exister ; que tout au-dessus et autour de moi est devenu bleu, immense étendue vide pour l’envol de l’aigle dont les ailes puissantes, en battant, répètent à l'infini les gestes de l’adieu au monde. »
Avec ses paroles écartelées, Jabès a bâti sa demeure pour nous la transmettre, lui qui passa toute sa vie à s’approcher d’une transcendance qui s’est toujours dérobée... Il est cependant facile de remarquer que la lettre « L » apparaît dans tous ses livres, comme « EL », Dieu en hébreu, Celui dont l’image l’aura hanté toute sa vie mais pas l’existence.
De son vivant, Jabès était déjà devenu invisible, ne fréquentant que quelques amis, et il semble qu’autour de son œuvre et de sa personne règne un grand silence. Jabès serait-il dans ce même silence qu’il avait inlassablement interrogé ?
Sans doute, mais « Je te donne à lire le livre qui est dans le livre et le mot qui est dans le mot. »
Œuvres de Jabès
- Le Seuil Le Sable, poésie complètes (1943-1988) (Poésie / Gallimard)
- Chez Gallimard, Le Livre des questions (7 volumes), Le Livre des ressemblances (3 vol.), Le Livre des limites (4 vol.)
- Editions Fata Morgana, Ça suit son cours, Dans la double dépendance du dit, Récit
(Il disait cette chose absurde que chaque lettre de notre nom était un temps de notre vie et que si la mort nous hantait, jour et nuit, c’est parce que la dernière, dessinée, comme les autres, de notre main, nous fascinait par sa visiblité singulière.
Il disait aussi qu’il voyait dans le fait que la dernière lettre de son prénom était imprononçable, une sorte de confirmation que cette lettre était non point morte, mais bien une lettre de la mort.
Et il ajoutait : Parfois la lettre de la mort sépare, entre elles, les lettres florissantes d’un nom.
Au temps de vie qui leur a été accordé, elle oppose, dans son silence, l’éternité du temps qui est le sien.)
« Sur la page de gauche de mon livre, tu liras l’histoire de ma vie ; sur celle de droite, celle de ma mort, avait dit, à son jeune disciple, un sage dont j’aurai été seul à rapporter les paroles. Puisse l’histoire de ma mort devenir l’histoire de ta vie. Ainsi tu recommenceras le livre. »
(Le Livre des ressemblances, II, Le Soupçon Le Désert) |
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「我夢想一部既無可歸類,又不屬任何體裁,卻涵蓋一切的作品;一部難以定義,正因為如此,定義卻非常明確的作品;一部既不屬任何人,又屬所有人的作品。」
─ 埃德蒙.查貝斯
請在文選裡尋找我的名字,
你會找到,你會找不到。
請在詞典裡尋找我的名字,
你會找到,你會找不到。
請在百科全書裡尋找我的名字,
你會找到,你會找不到。
這有甚麼關係。難道我曾有過名字嗎?
當我死去時,請勿在墓園裡或其他地方
尋找我的名字。
不要再折磨今天
已不能答應你呼喚的人。
(埃德蒙.查貝斯)
Le Livre des questions, illustré par Elisabeth Naomi |
1991年1月2日,埃德蒙.查貝斯不能再答應你的呼喚了,身後留下了非常難以定義的作品,這豈不是他的夙願?這些作品從此以其無盡的疑問和不可抗拒的怪異長時間地困惑着我們。勒內.沙爾 (René Char) 不是早就說過我們是面對一部「我們這個時代無與倫比的作品」。
男子漢查貝斯1912年4月16日出生於埃及開羅。「我的樹木是金鳳花和海棗樹,我的花是茉莉花,我的河流是藍色的尼羅河,我的沙漠是非洲的沙塵和燧石。它們從我的瞳孔、我的心扉滲入到我的體內,我宣稱它們是屬於我的,這樣,我有權利說它們是屬於我的嗎?」他還憶起他的城市,「色彩強烈、耽於歡樂的城市。街上人頭湧湧,熙來攘往,汗水的氣味和香料、茉莉花、乳香的氣味相頡頏。那門庭若市、令人窒息、蒼蠅嗡嗡地飛來飛去的咖啡館,顧客和玩雙六棋的人共享一張搖搖欲墜的破桌。」就在這兒,從1929年起,他發表了最初的幾本詩集,並和喬治.埃南 (Georges Henein) 一起創辦了La Part du sable出版社。阿爾貝.科塞里 (Albert Cossery) 和安德烈.謝迪 (Andrée Chédid) 亦成了他的朋友。1935年,他遇見了馬克斯.雅各布 (Max Jacob) 和艾呂雅 (Eluard)。後者更為其處女詩作在巴黎為人所識而盡力。同一時期他還結識了亨利.米肖和菲利普.蘇波,但卻沒有加入超現實主義運動。稍後,他還認識了萊利斯 (Leiris)、塞朗 (Celan)、迪潘 (Dupin)、博納福瓦 (Bonnefoy)、德福雷 (des Forêts)、勒維納 (Levinas)、斯塔羅賓斯基 (Starobinski),所有在當時沸沸揚揚的法國文壇叱咤風雲的人物。後來,自1945年起,他應邀參加了幾本雜誌的編輯工作,其中有頗負盛名的《新法蘭西評論》(N. R. F.)。殘酷的二戰喚醒他看到戰爭的恐怖,他個人的命運亦急轉直下,在蘇彝士運河事件之後,他便因自己的猶太人血緣而被驅逐出埃及,流亡法國。已經是1956年,離鄉背井的情懷成了他作品的主調,他對流徙異鄉、對猶太人身份、對上帝的緘默作了無止境的沉思。這之前,他着手收集自己的舊文,並於1959年以《我建立我的住所》(Je bâtis ma demeure)為書名結集出版了他自1943年至1957年間的詩歌,頗得各路思想精英諸如蘇佩埃爾(Supervielle)、巴舍拉爾 (Bachelard) 及卡繆的青睞。
「我們沒走錯路吧?我問嚮導,一個希臘猶太人。」「這裡除你之外,沒有人可進來,因為這入口是專為你而設的。他回答道。」將卡夫卡召來目的是審視查貝斯的疑問及對他本人的質疑。因為吊詭的是雅克.德里達曾聲言「查貝斯不是猶太人」,這不僅因為他是無神論者,還因為他在作品中的言論。而呂塞特.菲納 (Lucette Finas) 則發現查貝斯有關猶太教的認識極帶感情色彩,「身份彷彿虛假」。讓.斯塔羅塞賓斯基亦加入討論,他說如果在查貝斯看來猶太教並非不言而喻,這不是答案,而是他無止境的疑問,他探本溯源,尋根究底,最終竟成了猶太人。對查貝斯而言,猶太人身份和作家身份屬同一範疇。「面對令所有作家癱瘓的無法寫作,面對兩千年來令稱作猶太人的人民心碎的無法成為猶太人的事實,作家選擇了寫作,猶太人選擇了繼續活着。」亨利.拉茨莫 (Henri Raczymow) 發現在查貝斯的作品裡沒有任何中心,而是對流亡生活的隱喻以及對寂靜喋喋不休的評說。在《災難的寫作》(L'Ecriture du désastre) 一書裡,布朗 (Blanchot) 也這樣說:「保持沉默,這便是我們大家不知不覺中所欲求的,寫作」。查貝斯的每個讀者身上都帶着某種災難的烙印,不然便無法進入他的作品。「書後有書,而在另一本書後面有廣袤的空間,在廣袤的空間裡隱藏着一本我們將要寫的書。」(《埃利亞》Elya)「和我一起,你將破解天書的字母…… 聽我的忠告,閱讀時請小心翼翼,因為你每時每刻都可能葬身在它們的烈焰中。」(《相似書》Le Livre des ressemblances) 查貝斯的著作充滿格言警句,真實或想像的猶太教教士的真知灼見,雋語箴言,把我們投入一個奇異的世界,這裡詩歌不停地為你吟哦,深沉、安詳彷彿來自沙漠、來自記憶的天籟。
他的文字簡練雋永,饗我們彷彿從潔白的書頁深處發掘出來的永恆的片言隻語。他的語言已達至令人暈眩的高度,而他卻還「逐字逐句」地孜矻以求,全身投入寫作這個無底深淵,然而博愛、仁慈卻不因此稍退。查貝斯已成為一個新的預言家,超越時間,探詢着神明不可言喻的緘默,告訴我們這曾經發生過,他記起,就在那兒。流浪的詩歌,來自沙漠,字字句句,宛如顆顆沙粒,流動着,世界分散成碎屑。
「現在寫作惟望告知世人有朝一日我將不復存在,
在我頭上在我週遭一切變成湛藍,
廣漠無垠的長空有雄鷹展翅博擊,
牠不住地拍打着翅膀作別這塵寰。」
查貝斯用斷裂的字句建立了自己的住所並把它傳給我們。他終其一生試圖超越,但卻功敗垂成…… 在他的所有著作中可輕而易舉的發現「L」這個字母,猶如「EL」,希伯萊文的上帝。上帝的形象而非存在纏繞着他一生。
查貝斯在世時,已蹤跡杳然,他只接觸幾個朋友。一個巨大的寂靜彷彿籠罩着他和他的作品。難道查貝斯果真跌入他不倦地探詢的這個寂靜之中?也許,但「我邀你去讀一讀書中之書,字中之字。」 |
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