« Dieu sauve la Reine » et « Levez-vous, levez-vous » Les coussins de Lee Chi Ho 李志豪的座墊「上帝救助女王」和「起來,起來」
Je commencerai avec quelques mots sur les développements de l’écologie culturelle et artistique de Hong Kong. Pendant de nombreuses années, les artistes de Hong Kong qui pouvaient se réclamer d’une attitude professionnelle envers l’art avaient été formés au département de formation continue de l’Université de Hong Kong (par exemple Gaylord Chan 陳餘生, né en1925, et Chu Hing-wah 朱興華, né en 1935), à peu près en même temps et dans les années qui suivirent, le département d’arts plastiques de l’Université Chinoise de Hong Kong a fourni la quasi totalité de ces professionels, ce qui resta vrai jusqu’aux dernières deux décennies du vingtième siècle. La situation a drastiquement changé maintenant que nombre de gens formés dans des écoles et départments de design se sont aussi intéressés à la production d’œuvres artistiques et plasticiennes. Depuis un an ou deux, la très jeune Academy of Visual Arts (AVA) de l’Université Baptiste a aussi fourni à Hong Kong de jeunes plasticiens aux œuvres extraordinairement développées. On pourra nommer Silas Fong Sum-yu方琛宇(né en 1985), qui obtint sa licence dans cette académie et poursuit ses études de maîtrise à l’université chinoise, mais j’en parlerai plus longuement dans un autre article de cette série.
Lors du « graduation show » de AVA en 2011, l’exposition pendant laquelle tous les étudiants qui viennent d’obtenir leur licence montrent leurs travaux, on pouvait voir une série qui montrait la réflexion d’un jeune plasticien, Lee Chi Ho 李志豪 (né en 1987), sur des questions essentielles posées par la société de Hong Kong. Il s’agissait de plusieurs coussins, ou des objets qui en avaient bien l’air, sur lesquels des dessins très contrastés avaient été apposés. Certains étaient des objets en fait fort compliqués qu’il fallait en quelque sorte déplier pour voir les dessins plus clairement : ceux-ci s’avéraient être des représentations de statues se trouvant à Hong Kong du roi George VI, de la reine Victoria, des lions de la HSBC et du principal gérant de cette même banque entre 1887 et 1902, Sir Thomas Jackson, 1st Baronet (1841-1915). Un autre coussin révélait enfin l’abominable statue du « Golden Bauhinia », destination béate de nombre de touristes du continent et qui laissent nos amis hongkongais à la fois amusés et horrifiés.
Tim Li 李民偉, Tous ensemble 《與衆不同》, Déroulant le possible VIII - Danse avec les Lions (April 2009) 《展開所能VIII - 與獅共舞》(2009年4月)
Selon le plasticien : « Ce travail a été inspiré par les sculptures du Hong Kong britannique. J’ai transformé ces sculptures publiques en objets privés (comme des choses domestiques) et les ai changées en “sculptures molles”. Je n’avais que 10 ans quand Hong Kong a été rendue à la Chine en 1997. La mollesse de ces travaux représente mes souvenirs indistincts de l’histoire coloniale de Hong Kong et l’identité ambiguë des gens de Hong Kong. En plus des sculptures du Hong Kong britannique, j’ai aussi choisi le “Golden Bauhinia” qui est la pièce commémorant le retour de Hong Kong à la Chine. C’est parce que certain pensent que ce retour est le début d’une nouvelle période coloniale. J’espère que ce travail peut montrer l’absence de contrôle des Hongkongais en ce qui concerne leurs idées de nation et de pays. » Et dans le catalogue de l’exposition : « A travers la juxtaposition d’éléments en opposition, comme le public et le privé, le traditionnel et l’innovatif, le sérieux et l’humoristique, mon travail souligne la théâtricalité qui existe entre ces éléments contradictoires. »
On se souviendra de la violence de l’artiste de Chine continentale Pan Xinglei 潘星磊 (né en 1969), qui avait écrasé le nez de la statue de la reine Victoria pour lui donner une apparence plus chinoise. Bien plus subtiles, car mettant en oeuvre une participation du public sans aucun désir de casser quoi que ce soit, on pourrait aussi rappeler les actions de l’artiste Tim Li 李民偉, ancien président de Para/Site, qui organisa autour des lions de HSBC une « danse du dragon » avec les lits pliables qui, autrefois, formaient la mesure de base pour calculer l’espace disponible des habitants des HLM de Hong Kong. Lee Chi Ho aurait pu lui aussi se laisser aller à une certaine violence quand on songe au matériel qu’il a choisi. Mais il préfère se vautrer dans des coussins plutôt que de se laisser aller à des confrontations telles que celles de Pan Xinglei. Là où l’artiste du continent ne pouvait que s’abandonner à une haine inspirée par une certaine idée du nationalisme, le jeune plasticien de Hong Kong est plus subtilement au courant du fait que ce colonialisme qui fonda Hong Kong (mais aussi la banque qui lui donna des ailes dans les années de son plus intense développement économique), colonialisme qui se devait de finir et qui eut de bien négatifs effets au travers des ans, fut aussi un des éléments du passé qui forgèrent l’identité culturelle de Hong Kong. Bien qu’inacceptables dans les circonstances actuelles, la domination de l’Angleterre et, oui, celle de la Chine populaire, permettent quand même à ceux qui vivent ici de se poser et de regarder, avec humour quelquefois et parfois avec colère, ce qui s’y déroule dans un certain confort.
Lee Chi Ho 李志豪(né en 1987), Sculpture domestique, encre sur tissu, 500 x500 cm, 2011.