Poésie 詩詞

Texte: Bernard Pokojski
 

Jacques Réda, à pas légers
雅克.雷達 ─ 腳步輕快

 

« Nulle part du reste je ne m’attarde ; j’imagine tout de suite être ailleurs. Il y a le moment où j’arrive, celui où je pars. Entre les deux je perds vite la notion de mon existence ; je suis peut-être l’autre qui m’attend (...) Pour l’instant je bois ce riesling et je vais en réclamer un autre. Un autre verre et un autre instant. » ─ Jacques Réda (Les Ruines de Paris)

Jean-Michel Maulpoix nous fait ce portrait de Réda à qui il a consacré en 1986 déjà un Poètes d’aujourd’hui chez Seghers : « Jacques Réda est né à Lunéville, le 24 janvier 1929. Il a lu Mickey et Bibi Fricotin avant Racine et Rimbaud, il a étudié chez les jésuites, pratiqué le football, puis goûté le jazz, le vin rouge et les cigarettes. Ajoutons qu’il roule à solex... » Quelques pages avant, Maulpoix s’était cependant insurgé contre cette « figure bonhomme du jazzophile piéton de Paris, pittoresque poète du bitume et des talus, du solex et du tabac » qui tendait à éclipser les ambiguités de son œuvre. En effet, Réda occupe une place assez singulière, toujours selon Maulpoix, dans le paysage poétique contemporain car il se veut à l’écart d’une certaine « modernité » faite de « blancheur » et de dislocation du langage, lui préférant des poèmes bizarrement versifiés, des proses verveuses, des paysages, des promenades ou des portraits.

« En ce qui me concerne - mais moi je ne suis qu’un amateur - l’excitation (...) autour de la création poétique me bassine de plus en plus. Il me semble que la poésie se prouve d’elle-même ou qu’elle n’existe pas. » ou encore « On est poète toute sa vie, mais en négatif le plus souvent, dans l’attente et dans l’inquiétude. Il aurait fallu ne jamais commencer ». Pourtant Réda commencera à nous donner quelques plaquettes, jugées ensuite prématurées, entre 1952 et 1955, se contentant après cela à ne plus écrire que pour Jazz Magazine et les Cahiers du Sud où il dira avoir publié ses premiers « vrais » poèmes. Il attendra 1968 et ce sera enfin chez Gallimard Amen suivi deux ans plus tard par Récitatif et en 1975 La Tourne. Ces trois recueils constituent une sorte de méditation où le poète questionne son identité et cherche à cerner véritablement sa propre parole. Il part d’un « fondamental désastre » et apparaît là sa volonté d’une renaissance plus éclatante encore dans le premier et le cinquième poème d’Amen (titre cependant ô combien paradoxal) intitulés Mort d’un poète et
Naissance de Virgile R.» mais toujours il sait que nulle solution ne peut être espérée.

Une inquiétude existentielle sera à l’œuvre face à une impassibilité irréductible du monde, ce qui constituera pour lui sa « connaissance désaffectée ». Réda avouera alors que le poème est simulacre et la voix du poète « mensonge et sacrifice ». Amen sera fait de grandes strophes au rythme à la fois grave et ironique laissant pointer parfois un enjouement ainsi qu’une musique « solitaire et distraite ».
Michel Maulpoix verra dans La Tourne un virage et une métamorphose qui éliminera pour de bon « le risque toujours menaçant de se laisser aveugler par la nostalgie et de tourner le dos au monde. »

L’expérience du monde sera alors un acte de compréhension et une manière de s’y frotter pour voir s’il est aussi têtu qu’on le prétend.
« Ainsi je comprenais tour à tour la courbe en surplomb d’un boulevard, du buis dans une impasse, la gaieté d’un sentier ; ailleurs un sous-sol sans maison rempli de cartons et de ferraille, une façade sans immeuble, des moteurs au milieu d’un pré ; ensuite un gros pneu dans un saule, deux enfants devant une affiche aux lions désabusés et, de chaque côté d’une usine éventrant par désœuvrement ses carreaux au soleil puni, des maïs en papier jusqu’à de fulgurantes citernes. »

Et alors, Réda, qu’il le veuille ou non, entrera dans la légende sur son Solex modèle 3800 avec lequel il parcourra par monts et par vaux la France, à 33km/h. Il fera la découverte de nos départementales et vicinales, sacoches pleines de livres et de quelques bouteilles, nous ramenant à l’occasion Hors les murs, le Sens de la marche, Le Bitume est exquis ou encore Aller aux mirabelles. Alfred Jarry n’avait-il pas déjà écrit que le vélo était « ce prolongement métallique de notre corps ».

« Je comptais prendre deux modiques francs de mélange à 4% à la pompe de la rue de Sèvres, mais je trouve une fois de plus cette pompe et la suivante en détraquement. Et ainsi de pompe en pompe j’arrive dans les profondeurs du Quinzième, alors que le soir tombe et avec lui mon extravagance d’acheter, aussitôt relayée par une lubie autopunitive d'avarice qui sèche mon réservoir et me force à pédaler. » Réda explorera aussi tous les arrondissements de Paris, quotidiennement mû par un désir d’arpenter un dehors familier dont il revendiquera la banalité pour ainsi mieux la combattre. Son Paris est un espace sans cesse remodelé dont le centre nous échappe et une touffe d’herbe entre deux pavés disjoints peut lui apparaître comme des plus essentielles.

Jean-Pierre Richard écrira que lire Réda c’est éprouver jusqu’au bout le déglingage à la fois aigu et bon enfant des apparences. Le paysage par la rêverie peut changer de latitude et Paris se muer en une ville aquatique ou un certain quartier en une « Auvergne non seulement mythique mais soviétique et musulmane comme l’Azerbaïdjan ». La station Bir-Hakeim devient alors « Kowloon, Macao dans une dégringolade de marches sur le square aux essences vernies ». Réda a même écrit un curieux Méridien de Paris racontant sa recherche de toutes les pastilles qui commémorent le méridien traversant la capitale.

Il rejoint là la famille des Léon-Paul Fargue, Jean Follain ou Queneau qui ont en commun le souci d’arpenter les rues adjacentes hors des grands boulevards. Et pour Réda, le monde n’est jamais un livre déjà écrit, à déchiffrer mais un texte en train de s’écrire sous son regard. Il mérite alors pleinement le titre de rhapsode car chez lui l’ordinaire devenu épique s’élève aux dimensions du mythe. Ses itinéraires revêtent la plupart du temps une valeur initiatique et le simple fait d’acheter des cigarettes prend des airs d’expédition ou d’odyssée. La flânerie devient héroïque, aventureuse et le regard fauteur de troubles et de métamorphoses mène à l’inquiétude car le piéton s’est mis en quête
« d’on ne sait quoi d’introuvable ». Le marcheur se doit toujours d’« apprivoiser l’incongru » pour reprendre Maulpoix et son regard se dépouiller pour s’intensifier jusqu’au cauchemar afin de tomber par hasard sur « un morceau de temps perdu ».
« C’est un lieu doux comme une petite bonne sœur rieuse, couleur de pomme de terre, qui mélange les grains de la groseille avec ceux de son chapelet, les roucoulades des ramiers et les tintements de la cloche. »

Certains le disent farfelu, mais Réda est une sorte de géomètre quelquefois hagard qui nous a rapporté des descriptions vertigineuses. Il peut s’attrister de la déréliction d’une venelle de Ménilmontant marginalisée par le monde moderne, manifester sa sympathie pour une impasse en caressant ses réverbères et avoir l’envie soudaine de « taper sur l’épaule d’un vieux distributeur de billets ». Il y a chez lui une complicité avec les choses, comme chez Francis Ponge, qui ouvre dans le quotidien un « temps délivré » qui cesserait de fuir. Il rêve, quête une architecture secrète afin de donner un sens à ce qui somme toute nous échappe car le plein jour est encore plus mystérieux que la nuit pour reprendre Hölderlin.

« Je ne me sens jamais plus Français que lorsque je voyage, et c’est pourquoi de retour en France, je me sais un peu plus Allemand, Italien, Espagnol, Scandinave, Suisse, Portugais, provincial de Paris ou Parisien de banlieue. Bilingue à tout le moins, j’ai traduit en prose et en vers quelques-uns de ces souvenirs d’étape »
Europes, éd. Fata Morgana 2005.

A Lyon je suis allé réciter des poèmes
Avec la contrebasse et la clarinette
Basse. Le ciel au retour traînait bas
Ses flancs gonflés sur la Saône, ses pans
A travers le Morvan jeté comme un manteau
De drap sombre devant les vignes, les colzas
En fanfare (je revoyais la porte ouverte
En avril au fond du garage). A Dijon
Je suis resté coincé plus d’une heure par un orage,
A regarder la pluie arracher du béton
Des touffes de muguet en verre, et la glycine,
Contre le mur du poste Esso fermé le jeudi, battre
Et battre. Une heure entière à me dire : C’est le printemps.

 

說,我不滯留任何地方;一瞬間,我卻想像身在別處。我來來去去,在這一來一去間,我很快便對存在的觀念感到茫然;也許我是等待自己的另一個人…… 而此刻,我正飲着雷斯林白葡萄酒,我還想再來一杯。再一杯,再一刻。」─雅克.雷達:《巴黎的廢墟》

早在1986年,讓-米歇爾.莫爾布瓦 (Jean-Michel Maulpoix) 在由Seghers出版社出版的他的《當代詩人》(Poètes d’aujourd’hui) 一書裡是這樣描寫雷達的:「雅克.雷達,1929年1月24日出生於 Lunéville,在閱讀拉辛和蘭波之前,他沉醉於 Mickey 和 Bibi Fricotin。他在耶穌會士的監護下求學、踢足球、欣賞爵士樂、喝紅酒和吸煙。他騎着機動腳踏車到處遊蕩……」在文章稍前部份,莫爾布瓦對這位詩人頗有微詞,說他是「巴黎街頭的一位爵士樂迷,一位街頭、機動腳踏車和煙草詩人」。據莫爾布瓦之見,在當代詩壇上,他確實佔據了一席奇特地位,因為他自動和當代詩歌的「留白」、支離破碎的語句所顯示的「現代性」保持距離,而更偏愛離奇古怪的詩體、生動活潑的散文,景物、散步和人物的題材。

「至於我,只是一名詩歌愛好者,所謂詩歌創作的激情令我厭惡。我覺得詩歌由自身證明其存在,又或者根本不存在。」也可以說「一個人終其一生都是詩人,但經常是失敗的,總是處於等待和焦慮狀態。最好是永遠不要去觸碰它。」然而1952年及1955年間,他卻發表了幾本詩集,被認為是早熟之作。後來,他僅滿足於為《爵士樂雜誌》(Jazz Magazine) 及《南方手冊》(Cahiers du Sud) 寫詩,他說在這兩本雜誌上,他發表了他最早的「真正」的詩歌。一直遲至1968年,他才在伽里瑪出版社出版了《阿門》(Amen) 這本詩集,兩年後,又發表了《宣敘調》(Récitatif),1975年發表了《下接部份》(La Tourne)。對自己身份的探尋和沉思構成這三本詩集的主調,並真正形成了他自己的語言風格。他從《徹底失敗》開始,在《阿門》的第一首和第五首詩裡表露了他更輝煌的重生意志,這兩首詩的標題分別為《詩人之死》(Mort d’un poète)和《維吉爾.雷的誕生》(Naissance de Virgile R.),然而他始終明白找不到任何解決辦法。

面對世界不可抗拒的冷漠,一種生存的焦慮形成了,構成他「扭曲的認知」。雷達坦承詩歌是假象,詩人的聲音是「謊言和祭品」。《阿門》裡的詩由大段詩節組成,節奏既莊嚴又調侃,是一種愉悅,又是一種「寂寞閒散」的音樂。

米歇爾.莫爾布瓦在《La Tourne》裡看到了一個轉折,一個變化,真正排除了「一直威脅着詩人的盲目的懷舊和離群出世的情懷。」人世的閱歷是一種認識行為,一種試驗方式,看看自己是否能如人所期望的那樣執着。

「就這樣,我漸次明白了向前方延伸出去的大道,死胡同裡的黃楊樹,歡樂的小徑,躺在草地中央被遺棄的馬達,另外,還有掛在柳樹上的輪胎,兩個站在印有失望的獅子的海報面前的孩子以及由於閒置,從兩側將地板展現在夕陽下的工廠,從紙製的玉米到閃閃發亮的蓄水池。」

不管他願不願意,有關他和機動腳踏車的故事傳將開來,他騎着3800型號的Solex,以每小時33公里的速度翻山越嶺暢遊法國。帶着塞滿書籍和幾個水樽的背囊,他探索發現我們的城市和村莊,也為我們奉獻了一本本詩集:《牆外》(Hors les murs)、《步行的意義》(Les Sens de la marche)、《美好的街道》(Le Bitume est exquis) 及《去採擷黃香李》(Aller aux mirabelles)。阿爾弗雷德.雅里 (Alfred Jarry) 不是這樣寫道嗎:自行車是「我們身體的金屬延伸」。

「我打算以區區兩法郎在塞夫勒街的加油站購買4%的混合汽油,但我再次發現這個加油站以及下一個加油站都運作不正常。就這樣從一個加油站到另一個加油站,我深入到了第十五區,這時夜色已降臨,隨着夜色我購油的狂熱立即為一種自我懲罰的慳吝念頭所取代,結果油缸枯竭,我只好騎單車繼續前行。」雷達也探索巴黎的各個地區,每天,他都為到外間走動的慾望所驅使,他承受平庸目的是為了更好地戰勝它。他的巴黎是一個不斷塑造的空間,我們不知道其中心何在,而在兩塊脫落的街石之間破土而出的一株小草,對他來說是最本質的東西。

讓-皮埃爾.理夏爾 (Jean-Pierre Richard) 這樣寫道:閱讀雷達意味着徹底感受他對事物外表既尖銳又溫馨的拆卸。夢境可改變緯度,巴黎可幻變成一座水城又或者「奧弗涅(Auvergne) 的某個地區,不僅神秘,而且可以像阿塞拜疆那樣既蘇維埃化又帶穆斯林色彩。」Bir-Hakeim 車站變成了「九龍或澳門,可沿着石階拾級而下到油漆一新的廣場。」雷達還寫了一部稱作《巴黎經線》(Méridien de Paris)的奇書,敘述他到處尋覓可紀念穿過首都經線的一切標記


他加入了列翁-保爾.法爾格 (Léon-Paul Fargue)、讓.弗蘭 (Jean Follain) 或格諾 (Queneau) 的行列,他們都樂於在各大道之外的毗鄰小街步行漫遊。對雷達而言,世界從來不是一本寫就的、待解讀的書,而是在他眼下正被寫着的一篇文章。他完全堪稱是一位吟遊詩人,因為在他的筆下,那演變成史詩的平庸上昇至神話境界。在多數時間裡,他足跡所到之處具啟示的價值,買香煙這樣一個簡單動作可具遠征或探險的氣勢。閒蕩可變成英勇和冒險,而那捕捉混亂和變化的眼神變得焦灼不安起來,因為步行者開始尋找「那無法找到的東西」。借用莫爾布瓦的話說,步行者總需馴服「不適宜的東西」,需緊閉雙眼,加深夢魘,以便跌入「一段消失的時光中」。

「這是一個溫柔得像一個滿臉笑容的小姑娘的地方,有着馬鈴薯的顏色,它將茶藨子的顆粒和念珠相糅合,將野鴿的咕咕聲和叮噹的鐘聲混為一體。」

一些人說雷達荒唐不經,但他是這樣一個有時惶恐不安的幾何學家,他為我們畫出了令人眩暈的圖形。他可為梅尼爾蒙當 (Ménilmontant) 的一條被現代社會邊緣化的小巷而傷心,也可撫摸着路燈對一條死胡同表示關愛,又或者興之所致,「在一個老售票員的肩上拍一拍」。誠如弗朗西斯.蓬熱,他和週遭的事物有一種默契,在日常生活裡開拓出一種停止流逝的「被解脫的時間」。他夢想,尋覓一種秘密的構築,以便賦予從我們身邊逃逸的一切一種意義,正如荷爾德林 (Hölderin) 所言,大白天比黑夜更其神秘。