Ciné-débat 電影座談會

Texte : Violaine Caminade de Schuytter

 
  Objets et rebondissements
 
 

Le Monsieur Hulot de Tati a souvent maille à partir avec les objets auxquels il se heurte et dont il tente de déjouer avec ténacité la résistance aveugle et mécanique. Cette lutte déclenche force rebondissements (au sens propre et figuré). A l’origine du cinéma l’objet est déjà un interlocuteur privilégié du prestidigitateur ou du comique muet (la danse des petits pains dans La Ruée vers l’or).


Georges Méliès : perdre la tête avec brio

Maurice Garrel, le magnifique : magie en famille

Les boucles d’oreilles de Madame de (1953) d’Ophüls : le retour !

La Collectionneuse (1967) de Rohmer, le refus d’être une femme-objet

Apparition et disparition convoquent l’objet au rendez-vous de la mise en scène. Dans Les Amants réguliers (2005) de Philippe Garrel, le numéro avec le couteau fait par Maurice Garrel exalte cette mémoire du cinéma et réconcilie deux tendances contraires, la veine documentaire des frères Lumières et la magie d’un Méliès. Les Garrel, pères et fils, font de ce tour de passe-passe un témoignage de vie, dans sa maladresse même. Maurice Garrel, perdant (comme tout un chacun) contre le temps qui passe sort pourtant grand vainqueur de cette démonstration ludique, art martial fantaisiste, magnifié par le regard admiratif.

Dans Les Chansons d’amour (2007) de Christophe Honoré, le jeune Garrel, Louis cette fois, détourne un coussin pour en faire un bébé qu’il berce. Car quand l’imagination prend le pouvoir, le réel peut se réenchanter. Le réalisateur revendique l’héritage des cinéastes de la Nouvelle Vague. Antoine Doinel n’avait pas besoin d’une vraie bague pour demander la main de son amoureuse, un ouvre-bouteille remplissant avec humour ce rôle dans Baisers volés (1968) de Truffaut. L’art du détournement peut aussi mener à la contrebande (le violoncelle du Dernier métro cache un secret à l’image du film tout entier).

Le propre de l’objet au cinéma n’est pas tant le statisme que le mouvement. Il passe parfois de mains en mains, et quand il ne tombe pas purement et simplement (le pot de chambre prétendu incassable du film de 1931 de Renoir, On purge bébé, ou un vase dans La Collectionneuse de Rohmer), il fait quand même souvent des dégâts (les trop fameuses boucles d’oreilles de Madame de), allant du gag au tragique.

La valeur de l’objet est-elle réelle ou supposée, marchande ou sentimentale ? De trivial à sacré, l’objet est soupesé avec attention par des intrigues qui en font parfois sinon toujours le clou du spectacle, du moins le ressort d’une péripétie bienvenue ou malvenue (un tableau vandalisé au grand dam de bourgeois offusqués dans Le Souffle au cœur, film de 1971 de Louis Malle). Un simple accessoire peut être propulsé au rang d’arbitre du destin, sous la férule, il est vrai, du metteur en scène.

Personnifié, l’objet l’est souvent de façon inversement proportionnelle à la réification des humains (tirade héroï-comique au savon de Chungking express de Wong Kar Wai). La maniaquerie de la femme au foyer Jeanne Dielman dans le film de Chantal Akerman de 1975 est d’une inquitétante étrangeté tant son rapport déshumanisant aux objets en dit long sur le caractère étriqué de son existence aliénée. En effet, la vie que l’on confère aux objets nous dévoile. Un Alain Cavalier n’a pas son pareil pour extorquer des secrets à ces témoins muets – et souvent prosaïques - de la noblesse humaine.

Certains objets particulièrement ont un pouvoir de métamorphose qui a séduit le cinéma. L’hommage de Johnnie To à Jacques Demy à la fin de Sparrow (2008) prouve s’il en était besoin que les parapluies, qui peuvent se déployer au gré des intempéries ou du caprice fantaisiste d’un réalisateur, n’ont pas fini de chanter sous la pluie ni de resurgir là où on ne les attendait pas. A la fin des Amours imaginaires (2010), Xavier Dolan se prête au jeu du rebondissement météorologique. Chez Jules Dassin, le parapluie devient une arme du crime surprenante. L’anti-héros de Place de l’Etoile (1965) de Rohmer en fait un usage à la fois belliqueux et faussement galant, révélant l’ambivalence d’une respectabilité de façade. Chez Claire Denis il est signe de bonté dans une parenthèse au coeur du film d’horreur qu’est Trouble every day (2001). C’est paradoxalement son inutilité narrative qui confère aussi à la scène son relief, lui donne sa densité humaine si précieuse. Mais l’assemblage de parapluies dans une usine de Chine filmé par Du Haibin dans Umbrella (documentaire de 2007 monté par Mary Stephen, ancienne collaboratrice hong-kongaise de Rohmer) nous ramène à la cruauté d’un réel, dont la comédie Potiche d’Ozon cherche au contraire à nous divertir.

Les rationalistes qui ne savent pas que les objets dialoguent avec les fantômes sont priés de passer leur chemin et les purs matérialistes de s’abstenir (« les choses nous parlent si nous savons entendre », chantait Barbara dans Drouot). Dans le sillage surréaliste, faisons allégeance aux Enfants terribles (de Melville et Cocteau) qui ne jurent que par les objets inutiles.

Animé par Violaine Caminade de Schuytter
Mardi 19 mars 2013 à 19h00
Médiathèque de l’Alliance française
52, Jordan Road, Kowloon, Entrée gratuite
En français