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Zheng Xie 鄭夑 (1693-1765), Une vallée rafraîchissante at une source aux chrysanthèmes 《甘谷菊泉圖》, rouleau à suspendre, encre surpapier, 189.6 x 49.5 cm. Musée deNanjing. |
Ainsi, la maîtrise de la peinture de bambou demande-t-elle une discipline techniquement bien plus exigeante, et qui doit aussi s’appuyer sur une connaissance profonde du passé. C’est dans ce contexte que Zheng Xie fit une différence entre le « bambou qui pousse dans la poitrine », que nous avons déjà mentionné, et le « bambou qui apparaît à l’œil » (yan zhong zhi zhu 眼中之竹). On notera que si ces deux expressions doivent être traduites avec une structure grammaticale différente en français, elles suivent exactement la même structure en chinois : il suffit de changer le mot « poitrine » par le mot « œil » :
« Une auberge au bord du fleuve dans le clair automne, l’aube se lève et je vois les bambous. La brume illuminée, les ombres de la journée et les vapeurs du brouillard flottent et bougent dans leurs fines branches et leurs épais feuillages. Dans ma poitrine, ce concept pictural est fort et vigoureux. Mais, en réalité, le bambou qui se trouve dans ma poitrine n’est pas du tout celui qui se présente à mes yeux. C’est pourquoi, après qu’on ait préparé l’encre et étalé une feuille de papier, le bambou qu’on y appose a subi des transformations car celui qui se trouve dans notre main n’est pas non plus celui qui se trouve dans notre poitrine. En conclusion, "l’idée précède le pinceau" est une règle fixe, la saveur ne se trouve pourtant qu’à l’extérieur des règles, dans ce déclenchement que les transformations (de la nature produisent). Ce n’est qu’en peinture qu’on peut dire de telles choses ! »
On voit déjà clairement que Zheng Xie se détache de la vision presque mystique prônée par Su Dongpo pendant la dynastie des Song au 12e siècle et perpétuée jusqu’au début de la dynastie Qing au 17e siècle par des peintres et des auteurs comme Shitao. Zheng Xie est infiniment plus clair dans son approche de ce que l’on pourrait appeler l’inspiration : s’il existe bien un bambou dans notre imagination, il n’est pas assez tangible pour être représenté directement. Entre ce qu’il y a dans l’esprit, ce que la main peut réaliser et le résultat final, il existe des différences qu’il serait naïf, selon Zheng Xie, d’ignorer. En fait, ces différences elles-mêmes sont produites par la nature et sont donc source d’émerveillement pour l’artiste. On voit déjà à quel point l’ancien concept « l’idée précède le pinceau » a changé. Auparavant source d’inspiration reposant sur la certitude que l’esprit maîtrise ce qu’il produit, il est déjà devenu en ce milieu du 18e siècle l’expression d’une certaine rigidité, une rigidité à laquelle il faut d’ailleurs échapper. Mais si Zheng Xie met en garde contre les règles trop rigides, il n’est cependant pas prêt à renoncer complètement à la connaissance du passé et à son emploi dans la pratique picturale.
« Quand Wen Tong peignait des bambous, il les faisait naître dans sa poitrine ; quand (je), Zheng Xie, peins des bambous, ce n’est pas dans ma poitrine qu’ils naissent. Sombres ou clairs, denses ou épars, courts ou longs, épais ou minces, au gré de ma main ils sortent de mon pinceau, se formant d’eux-mêmes en compositions, leur esprit et leur principe naturel parfaitement satisfaisants. Ces ignorants qui étudient si tard (dans l’histoire de la peinture), comment ont-ils le culot de se comparer aux sages d’antan ? Ainsi, que les bambous soient formés ou non [dans la poitrine], en réalité il n’existe qu’une seule véritable façon. »
Encore une fois, il faut constater qu’un peintre « individualiste » comme Zheng Xie, et il ne faut pas contester ce nom bien sûr, ne peut l’être que dans la mesure où il connaît et respecte les maîtres du passé qui, eux aussi, avaient dépassé leurs prédécesseurs dans leur recherche d’un idiome pictural personnel. Zheng Xie admet volontiers que Wen Tong, l’ami de Su Dongpo, ait pu réellement former le bambou dans son esprit et le peindre tel quel, en ce qui le concerne, il ne peut pas en faire autant, bien que cela ne l’empêche pas de réussir des bambous qui lui appartiennent en propre. D’où l’intéressante conclusion de cette inscription :
la façon qui permette de peindre de magnifiques bambous importe peu aussi longtemps que ceux-ci sont faits selon la nature. Les « sages d’antan »
y parvenaient certainement, mais il ne faut pas se comparer à eux ni suivre leurs règles ; ces règles leur convenaient, elles ne conviennent pas nécessairement aujourd’hui.
Zheng Xie, comme Shitao et Gong Xian avant lui, est donc fermement décidé à respecter l’individualisme des maîtres du passé en créant le sien propre. Pour ce faire, il créa cette idée de « peinture sans Ancien ni Moderne » (wugu wujin zhihua 無古無今之畫) à laquelle il se réfère plusieurs fois dans ce colophon qui mentionne l’inscription faite sur la peinture :
« La façon de peindre des orchidées est de faire trois branches et cinq feuilles ; la façon de peindre des pierres est de faire trois essaims et cinq groupements. Toutes les façons de se mettre au travail ne se résument pas à une seule méthode pour les orchidées et les bambous, une méthode qui soit satisfaisante pour toute une vie d’étude. Les Anciens qui étaient d’excellents peintres ont tous pris comme maître les transformations des choses (dans la nature). Tout ce qui est produit par la nature, c’est bien ce que moi je peins en ayant toujours besoin d’un morceau de souffle originel pour le former et l’accomplir. Même si cette peinture n’appartient qu’au genre du petit paysage, il faut bien qu’au pied de la montagne il y ait une caverne à l’entrée de laquelle on trouve des orchidées, et ces orchidées rassemblées parmi les pierres ne sont pas en pot. C’est seulement ainsi qu’on peut parler de souffle complet. J’ai ainsi très simplement écrit ces vingt-huit mots derrière (cette peinture) : "J’ose dire que je peins absolument sans maître, ce qui a aussi été vrai de mon apprentissage. Je peins jusqu’à ce qu’un déclenchement naturel se manifeste clairement, quelque chose sans Moderne ni Ancien qui ne peut être su que par le pouce-carré du cœur." »
La première phrase de cette inscription semble prendre comme cible les manuels de peinture comme le Manuel de Peinture du Jardin du Grain de Moutarde qui, effectivement, est plein de ce genre de conseils numériques. Pour contrecarrer ce qu’il ne peut voir que comme un raidissement mortel de ce qui fait une peinture originale, il se rabat sur l’emploi de concepts comme « déclenchement » (ji 機) et de « pouce-carré du cœur » (cunxin 寸心), concepts déjà anciens mais parfaitement adaptés à l’idée d’une peinture venant de la connaissance de la nature. Ce n’est pas la première fois que l’on rencontre ce « déclenchement », une idée qui ressemble beaucoup à l’état de changement brutal que « l’inspiration » provoque chez les artistes européens. Le mot chinois, qui est celui que l’on utilise aussi pour « machine » de nos jours, mais aussi pour « chance » ou « opportunité », a ce sens de quelque chose qui s’ouvre assez subitement, comme le pêne d’une serrure. Quoiqu’il apparaisse dans tous les textes sur la peinture, textes « d’Orthodoxes » et « d’Individualistes », il semble apparaître plus souvent chez des auteurs comme Zheng Xie qui insistent particulièrement sur l’influence de la nature dans leur création picturale. De même, le « pouce-carré du cœur », ou bien la « cavité du cœur » (xinkan 心坎), est le siège de l’esprit dans lequel quiconque peut entrer en contact avec les forces créatrices de la nature. Ainsi donc, c’est encore la nature qui revient dans la théorie picturale de Zheng Xie comme seul maître à suivre et, comme Shitao et Gong Xian avant lui, il insiste sur sa liberté et son indépendance envers les autres influences picturales. En bon « Individualiste », c’est en fait à Shitao qu’il se réfère assez souvent dans ses inscriptions :
« Le moine Shitao est resté dans ma ville de Yangzhou pendant dix ans. J’ai vu ses peintures d’orchidées qui sont à la fois surabondantes et merveilleuses à profusion. J’en ai étudié la moitié et ignoré la moitié sans vouloir les observer toutes. Ce n’est pas que je ne veuille pas les voir toutes, mais bien que je ne peux pas les voir toutes et, d’ailleurs, il n’est pas vraiment nécessaire de les voir toutes. Il y a un poème qui dit : sur les cent pour cent (d’un sujet d’étude), il faut en étudier soixante-dix et en rejeter trente, chaque sujet contient des pousses pleines de vie qu’il faut rechercher de soi-même. »
* Frank Vigneron (Professor - Fine Arts Department - The Chinese University of Hong Kong)
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Luo Pin 羅聘 (1733-1799), Portrait de Ding Jing 《丁敬像》, rouleau à suspendre, encre et couleur sur papier, 108.1 x 60.7cm. Musée Provincial du Zhejiang. |
因此,畫竹對技巧的要求更形嚴格,並須對繪畫傳統有深厚的認識。有鑒於此,鄭夑便對「胸中之竹」和「眼中之竹」作了區分。我們發現若欲將兩者按法文句式譯出,則完全可照中文,只需將「胸」和「眼」兩字對調即可: 「江館清秋,晨起看竹,煙光、日影、露氣,皆浮動於疏枝密葉之間。胸中勃勃遂有畫意。其實胸中之竹,並不是眼中之竹也。因而磨墨展紙,落竹倏作變相,手中之竹又不是胸中之竹也。總之,意在筆先者,定則也;趣在法外者,化機也。獨畫云乎哉!」
我們看到,鄭夑已擺脫了十二世紀宋朝蘇東坡所鼓吹、並一直延續到十七世紀、為石濤等文人畫家所景從的玄妙觀點。鄭夑對可被稱為「靈感」的探討遠為清晰。他說我們心中想像的竹不夠具體,因此無法直接表達出來。胸中之竹、手中之竹以及最終成畫之竹之間,存在着差異,看不到這點,實為天真。這些差異出於自然,因此亦是畫家時有靈機妙緒的源泉。我們看到「意在筆先」的古訓已起了多大的變化。曩昔,對意巳在筆先深信不疑,視為靈感之泉,而到了十八世紀中葉,它已成為相當僵硬的教條,必須予以揚棄。鄭夑固然力避過僵化的教條,但並不意味完全放棄傳統巳繪畫中的運用。
Gao Fenghan 高鳳翰 (1683-1748), Fleurs et plantes 《花卉圖》, feuille
d’album, encre sur papier, 28 x 44.4 cm. Musée de la Ville de Chongqing.
「文與可畫竹,胸有成竹;鄭板橋畫竹,胸無成竹。濃淡疏密,短長肥瘦,隨手寫去,自爾成局,其神理具足也。藐茲後學,何敢妄擬前賢。然有成竹無成竹,其實只是一個道理。」
我再說一遍,應該看到像鄭夑這樣「特立獨行」的畫家,對此稱謂當然不應質疑,只是在認識和尊崇古代大師的前提下才配此稱謂。而這些先輩大師亦在尋覓個人獨特風格中超越了前人。鄭夑非常認同蘇東坡的好友文同,能將藏於胸中之竹發之筆端。他雖然不能如是作,卻也畫了屬於自己的風格的修篁。故此,他有這樣有趣的論述:幽篁翠竹自然生成,畫竹的方法無關宏旨。「古之智者」恪守畫竹圭臬,但不必與之相比,也無需步其後塵,適合古人的法則,未必適合今人。
和前人石濤、龔賢一樣,鄭夑亦師法古代特立獨行的大師,並創造了自己的風格。他提出了「無古無今之畫」的思想。在一幅畫的題詞上他數次提到它: 「畫蘭之法,三枝五葉;畫石之法,叢三聚五。皆起手法,非為蘭竹一道僅僅如此,遂了其生平學問也。古之善畫者,大都以造物為師。天之所生,即吾之所畫,總需一塊元氣團結而成。此幅雖屬小景,要是山腳下洞穴旁之蘭,不是盆中磊石湊栽之蘭,謂其氣整故爾。聊作二十八字系於後:『敢云我畫竟無師,亦有開蒙上學時。畫到天機流露處,無今無古寸心知。』」
Min Zhen 閔貞 (1730- ?), Huit enfants regardant des lanternes 《八子觀燈圖》, rouleau à suspendre, encre et couleur sur papier, 121 x 70.5 cm. Musée de la Ville de Yangzhou. |
題詞開頭刺似乎針對如《芥子園畫傳》這類技法圖譜的書,裡面確實列有諸多規則。為對抗阻礙風格獨特繪畫產生的僵硬教條,他提出了「機」、「寸心」這樣一些觀念,雖古已有之,但卻非常符合繪畫來自對自然認識的思想。「機」一詞並非第一次出現,這一理念極似歐洲畫家靈感降臨時產生的驟變。中文「機」字今天可指「機器」,也有「運氣」或「機會」的意思。它含有豁然開朗之義,好比一把鎖的鎖舌突然彈開。在無論「正統派」抑或「特立獨行」畫家的畫論裡,都有「機」一字。但似乎在鄭夑一類畫家的論畫文字裡出現得更為頻繁,他們均特別強調大自然對繪畫創作的影響。同樣,「寸心」或「心坎」是思想的中樞,任何人都可在其中和大自然的創造力相接觸。如此,在鄭夑的畫論裡,大自然始終是唯一可遵循的大師。正如石濤和龔賢,鄭夑面對其他有影響力的繪畫,強調持無拘無束、獨立自主的態度。他是真正「特立獨行」的畫家。他心儀石濤,對他常有引述:
「石濤和尚客吾揚州數十年,見其蘭幅,極多亦極妙。學一半,撇一半,未嘗全學;非不欲全,實不能全,亦不必全也。詩曰:十分學七要拋三,各有靈苗各自探。」
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