Ciné-débat 電影座談會

Texte: Violaine Caminade de Schuytter
 

Mariages et enterrements : pour qui sonnent les cloches ?


 

 « Même si tout cela doit finir mal, je suis enchanté de vous connaître. »

Les parapluies noirs de Cherbourg : le bonheur envolé
L’Atalante : le saut dans le vide ou le pari de l’amour fou

Le cinéma permet de restituer les temps forts d’une existence. Ces deux rites revêtent une dimension sociale qui éclaire aussi certains enjeux du cinéma. Depuis la révélation qu’a eue Méliès que la magie du  cinéma peut transformer un bus en corbillard, tout est possible…Mais n’est-ce pas un pouvoir diabolique que cet art cinématographique ? C’est ainsi que nombre de cinéastes qui se penchent sur le berceau des jeunes mariés prophétisent souvent sinon une fatalité à l’œuvre, du moins un désenchantement à venir. Est-ce dû à la seule volonté démystificatrice de montrer l’envers de la fête ? Dans L’Aimée (2007) d’Arnaud Desplechin, le costume de fête devient littéralement parure funèbre. Et si ces jeux d’annonce cachaient de plus subtils renversements visibles mais aussi invisibles (le mariage hors-champ de Guy et de Madeleine chez Demy) ? Dans Rois et reines (2004), Emmanuelle Devos se marie seule. Situation en apparence absurde mais n’épouse-t-on pas toujours une ombre, surtout au cinéma ?!

Mariage et enterrement ont des motifs en commun tel celui du cortège (et ses indisciplinés qui sortent du rang !) qui implique un déroulement spatial et temporel, matière cinématographique. Audiard à la fin du Prophète (2009) l’exploite ironiquement.

Tandis que dans Les Vacances de Monsieur Hulot (1953), le héros de Tati est par méprise comiquement pris pour un des membres de la famille en deuil, l’héroïne de La Sirène du Mississipi usurpe l’identité d’une morte en en épousant le fiancé (Belmondo). Mais « je » n’est-il pas toujours un autre, a fortiori quand on se projette dans un avenir indéterminé ? Sous couvert d’intrigue policière, Truffaut évoque aussi l’étrangeté de l’expérience cinématographique, qui consiste à prendre la place d’un double.  Juliette Binoche effleurant de son doigt dans Bleu (1993) de Kieslowski les cercueils de son mari et de sa petite fille sur la télévision dévoile l’ambivalence d’une participation par écran interposé. Truffaut, qui a décidé après la mort de Françoise Dorléac de ne plus assister à aucun enterrement, donne pourtant à ce motif une place de choix dans son œuvre.

Le cinéma façonne les mentalités en véhiculant des modèles sociaux, mais les remet également en cause : « En voilà deux qui croient au Père-Noël », ironise le Denner de Truffaut à propos   de deux mariés inconnus. La comédie du remariage à l’âge d’or du cinéma hollywoodien invitait tout un chacun à faire preuve d’un optimisme non pas béat mais régénérateur. Jacques Doillon revisite le genre. C’est la petite fille du couple séparé qui ré-unit ses parents lors d’une cérémonie improvisée à la fin de d’Un enfant de toi (2012). Ne pourrait-elle, ainsi que la petite sœur au dénouement de Philadelphia story (1940) de Cukor, s’exclamer : « I did it all » !
Pialat ne peut s’empêcher d’ajouter une touche de rouge à l’enterrement de La Gueule ouverte (1974), comme pour refuser l’uniformité oppressante du deuil. On a tous un pied dans la tombe, certains personnages de cinéma de façon plus visible que le commun des mortels. « A quand la noce ? », demande un ennemi aux amants de Casque d’or (1952), la question  sonnant  le glas du bonheur. A la fin de Passe ton bac d’abord (1978), Pialat filme la désillusion d’une jeunesse contemporaine : « A quoi tu rêves ? », demande la mère en préparant le mariage de sa fille. Et Sabine Haudepin de répondre : « A rien »…
Venez  apprécier ces  renversements vi(e)suels. Mot de  passe  : « Reste alerte et plein d’entrain » (murmuré lors des unérailles de Tout est pardonné) car comme dit le Prévert de Paroles : « Mais ne prenez pas le deuil/ C'est moi qui vous le dis / Ça noircit le blanc de l’œil ». Cependant, le jour J, c’est le Prévert des Enfants du paradis de Carné qu’on suivra bien sûr, de tout cœur avec l’insolente Garance déclarant au croque-mort aristocrate qui lui de mande sa main : « Et si elle me plaît à moi cette petite vie là ? »

 « A suivre » (ou, pour emprunter la formule des frères Podalydès à la fin de Adieu Berthe, l’enterrement de mémé : « Je reviens »…)