Art et Histoire 藝術與歷史

Texte: Frank Vigneron
(Professor - Fine Arts Department - The Chinese University of Hong Kong)

 

Entre le 17e et le 18e siècle en Chine, splendeur sans décadence
héorie de la peinture individualiste – Les « Huit Excentriques de Yangzhou » (4)
十七、十八世紀之間的中國:興盛不衰——揚州八怪(四)

 
Bian Shoumin 邊壽民 (1684- 1752), Oie dans les roseaux, f leur s e t plantes《蘆雁花卉》, feuille d’album, encre et couleur sur papier, 28 x 41.1 cm. Musée Provincial du Sichuan.

On a souvent indiqué que Zheng Xie se contredisait en indiquant qu’il étudiait quand même soixante-dix pour cent de ce qu’il faut étudier tout en persévérant dans l’idée qu’il n’avait accepté aucune influence. Cette contradiction apparente est en fait une preuve de la même lucidité qui lui faisait dire que le bambou dans l’esprit et celui de la peinture était écessairement différents. Si Zheng Xie veut se référer à la nature comme seule influence importante, il admet tout  de même que la peinture est aussi une pratique qui doit s’appuyer sur des précédents. Encore une fois, ce respect pour le passé est présent même si le peintre ne veut y voir que la voie vers un langage pictural personnel. C’est aussi à Shitao qu’il se réfère dans l’inscription suivante, mais pour le comparer à Xu Wei, le peintre des Ming:
« Quand Shitao peignait des bambous, c’était une guerre sauvage, sans la moindre discipline ; et pourtant, la discipline se trouvait à l’intérieur. (Moi, Zheng) Xie ai peint cette grande peinture pour messieurs Zhang et Ying en m’inspirant de toutes mes forces (de cette peinture de Shitao). Le turbulent Xu (Wei) étalait (son encre) avec force de façon à ce que chacun de ses traits soit fait selon les règles, car il ne pouvait laisser aucun de ses traits s’aventurer au-delà. C’est incroyable comme le vénéré Shitao était incapable d’en faire autant ! Même avec beaucoup de pratique, il n’aurait pas pu s’en approcher d’un iota. L’homme de Lu (Confucius) dit un jour : “Seul Hui Liuxia est compétent, moi je ne le suis pas ; il faudra utiliser mon incompétence et étudier la compétence de Hui Liuxia.” Je dis la même chose du vénéré Shitao. »

C’est plus spécialement cette mention d’une « guerre sauvage » qui frappe, mais elle frappe certainement moins les familiers de l’œuvre de Zheng Xie et de la plupart des autres Excentriques pour qui la vitesse d’exécution était essentielle et frisait souvent la fureur. Encore une fois, il ne faut pas considérer cette expression comme uniquement attachée à une attitude « individualiste » vis-à-vis de la peinture, on se souviendra en effet que le parangon de la peinture lettrée, Dong Qichang utilisa l’expression « bataille sanglante » (xuezhan  血戰 ) pour décrire la   confrontation du peintre avec l’œuvre des artistes du passé. Zheng Xie préfère donc Shitao à Xu Wei car il pense que Xu Wei, malgré son esprit « turbulent », respectait encore les règles de la représentation, et il est vrai que les fleurs et plantes de ce peintre sont extraordinairement réalistes malgré les  moyens extrêmement simples qu’il  employa pour les dépeindre. Par comparaison, les peintures presque naïves de Shitao, faites de traits qui s’étalent presque sur chaque millimètre de la toile, semblent bien avoir été faites dans une sorte de lutte.

La dernière phrase un peu alambiquée de cette inscription s’appuie sur le fait que Confucius n’a jamais de son vivant réussi à se faire employer par un des monarques de cette période, malgré ses qualités évidentes. Hui Liuxia était un excellent juge qui fut renvoyé trois fois de ses fonctions et, à un de ses amis qui lui demandait pourquoi il ne les abandonnait pas simplement, il répondit que se faire renvoyer pour avoir rendu la justice en toute impartialité arriverait dans tous les autres royaumes et qu’il n’était donc pas nécessaire de quitter la terre de ses ancêtres (Analectes (Lunyu 論語 )  de Confucius, chapitre 18. Zheng Xie s’amuse à cultiver le paradoxe en ce qui concerne le talent de Shitao. L’idée présentée ici est que  le talent est en fait un obstacle à l’obtention de ce que la « vraie » peinture peut accomplir. Si Xu Wei était un excellent peintre, cela se voyait sans doute un peu trop pour Zheng Xie qui préfère, comme tous les autres Excentriques de Yangzhou, la « gaucherie » (zhuo 拙) d’un Shitao : le talent consiste à ne pas avoir de talent.

« Wen Tong et Wu Zhen étaient d’excellents peintres de bambous, moi-même je n’ai jamais employé de manuels pour faire des bambous. Su Dongpo et Lu Dezhi 魯得之 (1585 -  ?) ont fait de la calligraphie mais pas de bambous, et c’est précisément eux que j’étudie le plus souvent. La calligraphie de Huang Gongwang est flottante et éparpillée mais aussi très fine, je l’étudie pour faire les feuilles minces de mes bambous; la calligraphie de Su Dongpo est brève et fière mais aussi très forte, je l’étudie pour faire les feuilles grasses de mes bambous : c’est ainsi que la manière que je capture dans ma peinture provient de la calligraphie. Quant à ma calligraphie, je la fais toujours en empruntant la façon de peindre de Shen Zhou, Xu Wei et Gao Qipei. Il faut connaître le principe unique qui sous-tend la calligraphie et la peinture. » Là aussi, on peut être étonné de voir à quel point quelqu’un qui a promu l’indépendance et une certaine forme d’ignorance était cultivé dans l’art de la peinture et de la calligraphie, mais on a déjà vu que cela n’est pas si surprenant. Zheng Xie se réfère ici à des peintres qui firent nombre de peintures de bambous dans un style qu’il  faut bien appeler individualiste, comme  par exemple Gao Qipei qui se fit une spécialité de ne peindre qu’avec ses doigts. Mais c’est bien sûr la traditionnelle relation entre peinture et calligraphie qu’il faut noter ici et à quel point les observations habituelles faites par les historiens de l’art sur la façon dont Zheng Xie utilisait la calligraphie pour faire ses bambous était aussi la position de l’artiste lui-même. L’idée de s’inspirer de la calligraphie pour faire des bambous et de la peinture de bambous pour faire de la calligraphie n’est pas exactement nouvelle, mais  il faut admettre que cette inversion des rôles est tout à fait visible dans la peinture de Zheng Xie, plus visible que chez d’autres peintres des Yuan et des Ming qui pourtant proclamaient la même chose dans leurs inscriptions et leurs traités. Ce qui était autrefois plus une profession de foi qu’une véritable application pratique, c’est-à- dire l’idée que la calligraphie et la peinture ont le même caractère, est bien ce que Zheng Xie a fait. Mais cette idée que le trait calligraphique puisse se trouver inchangé dans la peinture, et vice- versa, est un problème plus complexe qu’il faudra traiter plus tard.

C’est dans les observations de Zheng Xie qu’on peut lire le plus clair compte-rendu de ce qu’être un Individualiste représente. Jusqu’à ce moment dans l’histoire des écrits sur la peinture, il était encore difficile de reconnaître dans les textes des différences fondamentales entre l’orthodoxie de Wang Yuanqi et l’individualisme de Shitao et seules les peintures montraient à quel point ces esprits étaient différents. Avec l’avantage de leurs connaissances de l’histoire de la peinture, Zheng Xie et Jin Nong montrent un esprit résolument original qui s’illustre souvent par l’emploi de l’humour et de réactions qui ne sont pas sans ironie ni violence. C’est avec ces peintres, qui ne se sont donc jamais essayés à la rédaction d’un manuel que l’on peut clore cette première période de l’histoire de la peinture de la dynastie Mandchoue. La période suivante, toujours nommée « le milieu des Qing » (« mid-Qing period ») par les historiens de langue anglaise, et dominée par la figure impressionante de l’empereur Qianlong, a vu des changements suffisamment marqués dans la pratique picturale et théorique pour être vue comme un tournant vers une peinture différente et pourtant pas toujours appréciée comme étant particulièrement originale. Elle fut cependant le cadre de développements essentiels pour la compréhension des changements profonds qui menèrent finalement à la période moderne.
 

因此,畫竹對技巧的要求更形嚴格,並須對繪畫傳統有深厚的認識。有鑒於此,鄭夑便對「胸中之竹」和「眼中之竹」作了區分。我們發現若欲將兩者按法文句式譯出,則完全可照中文,只需將「胸」和「眼」兩字對調即可:
「江館清秋,晨起看竹,煙光、日影、露氣,皆浮動於疏枝密葉之間。胸中勃勃遂有畫意。其實胸中之竹,並不是眼中之竹也。因而磨墨展紙,落竹倏作變相,手中之竹又不是胸中之竹也。總之,意在筆先者,定則也;趣在法外者,化機也。獨畫云乎哉!」

我們看到,鄭夑已擺脫了十二世紀宋朝蘇東坡所鼓吹、並一直延續到十七世紀、為石濤等文人畫家所景從的玄妙觀點。鄭夑對可被稱為「靈感」的探討遠為清晰。他說我們心中想像的竹不夠具體,因此無法直接表達出來。胸中之竹、手中之竹以及最終成畫之竹之間,存在着差異,看不到這點,實為天真。這些差異出於自然,因此亦是畫家時有靈機妙緒的源泉。我們看到「意在筆先」的古訓已起了多大的變化。曩昔,對意巳在筆先深信不疑,視為靈感之泉,而到了十八世紀中葉,它已成為相當僵硬的教條,必須予以揚棄。鄭夑固然力避過僵化的教條,但並不意味完全放棄傳統巳繪畫中的運用。

「文與可畫竹,胸有成竹;鄭板橋畫竹,胸無成竹。濃淡疏密,短長肥瘦, 隨手寫去,自爾成局,其神理具足也。藐茲後學,何敢妄擬前賢。然有成竹無成竹,其實只是一個道理。」

我再說一遍,應該看到像鄭夑這樣「特立獨行」的畫家,對此稱謂當然不應質疑,只是在認識和尊崇古代大師的前提下才配此稱謂。而這些先輩大師亦在尋覓個人獨特風格中超越了前人。鄭夑非常認同蘇東坡的好友文同,能將藏於胸中之竹發之筆端。他雖然不能如是作,卻也畫了屬於自己的風格的修篁。故此,他有這樣有趣的論述:幽篁翠竹自然生成,畫竹的方法無關宏旨。「古之智者」恪守畫竹圭臬,但不必與之相比,也無需步其後塵,適合古人的法則,未必適合今人。
和前人石濤、龔賢一樣,鄭夑亦師法古代特立獨行的大師,並創造了自己的風格。他提出了「無古無今之畫」的思想。在一幅畫的題詞上他數次提到它:
「畫蘭之法,三枝五葉;畫石之法,叢三聚五。皆起手法,非為蘭竹一道僅僅如此,遂了其生平學問也。古之善畫者,大都以造物為師。天之所生, 即吾之所畫,總需一塊元氣團結而成。此幅雖屬小景,要是山腳下洞穴旁之蘭,不是盆中磊石湊栽之蘭,謂其氣整故爾。聊作二十八字系於後:『敢云我畫竟無師,亦有開蒙上學時。畫到天機流露處,無今無古寸心知。』」

題詞開頭刺似乎針對如《芥子園畫傳》這類技法圖譜的書,裡面確實列有諸多規則。為對抗阻礙風格獨特繪畫產生的僵硬教條,他提出了「機」、「寸心」這樣一些觀念,雖古已有之,但卻非常符合繪畫來自對自然認識的思想。「機」一詞並非第一次出現,這一理念極似歐洲畫家靈感降臨時產生的驟變。中文「機」字今天可指「機器」,也有「運氣」或「機會」的意思。它含有豁然開朗之義,好比一把鎖的鎖舌突然彈開。

無論「正統派」抑或「特立獨行」畫家的畫論裡,都有「機」一字。但似乎在鄭夑一類畫家的論畫文字裡出現得更為頻繁,他們均特別強調大自然對繪畫創作的影響。同樣,「寸心」或「心坎」是思想的中樞,任何人都可在其中和大自然的創造力相接觸。如此,在鄭夑的畫論裡,大自然始終是唯一可遵循的大師。正如石濤和龔賢,鄭夑面對其他有影響力的繪畫,強調持無拘無束、獨立自主的態度。他是真正「特立獨行」的畫家。他心儀石濤,對他常有引述:
「石濤和尚客吾揚州數十年,見其蘭幅,極多亦極妙。學一半,撇一半,未嘗全學;非不欲全,實不能全,亦不必全也。詩曰:十分學七要拋三,各有靈苗各自探。」

Cai Jia 蔡嘉 (actif 18e siècle), En lisant dans la nuit l’automne 《秋夜讀書圖》, rouleau à suspendre, encre et couleur sur papier, 63.7 x 37 cm. Musée du Palais, Beijing.