Ciné-débat 電影座談會

Texte : Violaine Caminade de Schuytter

 
  Le sort des livres
Sous-titre :comment je me suis disputé (ma vie livresque)

 
 

Puisque les bibliothèques risquent de devenir des lieux anachroniques, et qu’en librairie (sauf à Parenthèses !) il n’y a jamais ce qu’on veut, ainsi que le déplore l’écolière de Lola de Jacques Demy, tournons-nous donc vers le cinéma. Laissons aux érudits la question stricto sensu de l’adaptation littéraire pour privilégier celle de l’objet (exposé, offert, gribouillé, jeté par la fenêtre, brûlé mais aussi parfois lu !). Certains cinéastes rivalisant avec l’effrontée de Demy n’ont pas leur livre dans leur poche et ne se privent pas de maltraiter ces objets prestigieux. Passe encore que dans Edouard et Caroline de Jacques Becker les dictionnaires soient foulés aux pieds. Mais Godard va plus loin dans la provocation en ornant les fesses de la star du Mépris d’un livre ouvert en forme d’accent circonflexe. Et pourtant ce sont les mêmes cinéastes qui adulent ailleurs Balzac et ses pairs car la passion vivante s’accorde avec la liberté.


Bardot culottée

Lectures conjugales

Livre et tentation

S’engager en littérature (ou en cinéma, entendu comme un art), c’est un acte dangereux (le début du Silence de la mer de Melville), clandestin, qui transgresse l’ordre établi... Le rêveur de Lola apprend à ses dépens que lire et « travailler » sont deux activités souvent incompatibles. C’est à un renvoi plus radical en dehors de la société que condamne le goût des livres dans Fahrenheit 451 de Truffaut. Tout lecteur s’expose en effet à changer d’identité, à renoncer au conformisme. Les dissidents s’identifient chacun à un livre appris par cœur pour le sauvegarder. Mais si le film ne faisait que donner une leçon, il serait complètement raté. Or la découverte d’un livre de Dickens, filmée comme une initiation amoureuse, émeut par son lyrisme de la maladresse : qui ne connaît pas le début de David Copperfield a alors, j’en atteste, le sentiment de n’avoir encore rien lu.

C’est par ouvrages interposés que,dans le sillage du Becker cité, les cinéastes de la Nouvelle Vague et leurs successeurs nous content parfois les bonheurs et déboires du couple : la première rencontre idéalisée (le coup de foudre du Trintignant de Rohmer ironiquement muni d’un missel comme l’hypocrite Tartuffe de Murnau), les disputes comiques avec pour fond sonore l’orage qui gronde dans Une femme est une femme de Godard, la tentation de la chair (quand la mise en scène associe l’objet du désir et le livre convoité dans Va savoir de Rivette). Les personnages dénouent les fils d’une histoire plus ou moins convenue, à croire qu’« il n’y a pas d’amour éternel, même dans les livres », ainsi que le regrette La Belle personne de Christophe Honoré, à moins de faire preuve d’« idiotie » comme dans le Rayon vert, où la reconnaissance se fait sous le signe de Dostoïevski. Les personnages de Nous ne vieillirons pas ensemble de Pialat et de Comment je me suis disputé... (ma vie sexuelle) de Desplechin rompent. Les livres qui passent de main en main témoignent alors de ce qui reste entre ceux qui ont finalement en commun une expérience littéraire et donc humaine.

Car les deux ne s’excluent pas toujours, contrairement au film Caché de Michael Haneke où le protagoniste animateur d’une émission culturelle joue son rôle dans un décor de studio où la bibliothèque de faux livres est pure image, dénuée de monde intérieur. Mais les lectures, qui nous préparent à vivre (pas les livres d’évasion de Madame Bovary !), consolent-elles des deuils ? Dans Un conte de Noël, le vieux père, « homme-livre », partage un texte aimé, tandis que le mouvement de la caméra transporte en dehors de la maison et de ses douleurs intimes. Du cocon de la chambre close à l’ouverture au monde, livre et cinéma nous mettent sur la voie de « notre histoire » selon le titre d’un film de Blier qui n’hésite pas à y illustrer le cliché selon lequel derrière tout livre se cache un homme.

La séance, résolument non nécrologique, plaidera pour la vie des livres, ressort créatif de tant d’auteurs. Venez donc inaugurer cette petite bibliothèque de cinéma... aux risques et périls de l’aventure, d’une Cérémonie à l’autre, allant de Chabrol où le livre est pris pour cible... au parodique Palais Royal (vous avez bien lu !). L’éloge purement rhétorique et stéréotypé des livres dans cette réjouissante satire de Valérie Lemercier peut servir de faire-valoir à tous ces extraits d’auteurs les aimant, eux, d’un amour personnel et vital. Les livres ont parfois des lecteurs improbables ou se trouvent dans des lieux imprévisibles, tel le précieux manuscrit de Va savoir égaré parmi les manuels de cuisine. Seule condition requise donc : être un peu gourmand...

Quelle responsabilité que ce partage d’une culture par des cinéastes (Abdellatif Kechiche dans L’Esquive dont le début rappelle A nos amours), persuadés qu’on ne badine pas plus avec le cinéma qu’avec les livres. Comme la mutine lectrice de Michel Deville, ne pourraient-ils s’exclamer face à l’ampleur des besoins :
« j’ai pas fini... » ?

Animé par Violaine Caminade de Schuytter
Jeudi 5 décembre
Médiathèque, Alliance Française de HK
52, Jordan Road, Kowloon
En français