Art et Histoire 藝術與歷史

Texte : Frank Vigneron*

 
 

Entre le 17e et le 18e siècle en Chine, splendeur sans décadence : Les manuels de peinture (2)
十七、十八世紀之間的中國:興盛不衰——芥子園畫傳(二)


 
 

Les textes du Manuel de peinture du jardin du grain de moutarde n’offrent pas de points de vue original et ils sont souvent repris de textes théoriques publiés précédemment. Les emprunts, souvent directs, sont faits de traités aussi anciens que celui de Xie He au 6e siècle ainsi que de textes confucéens, taoïstes et bouddhistes. Et pourtant, à sa lecture, on est souvent étonné de l’ampleur et de l’importance des conseils et observations qui y sont donnés et comment ils sont adaptés à l’illustration dans lesquelles ils se trouvent. Cette tradition du manuel de peinture commença donc sous de remarquables auspices mais le Manuel de peinture du jardin du grain de moutarde demeura malheureusement le seul de ces ouvrages à être à la fois ambitieux et conscient de ses limitations. D’autres manuels plus tardifs se limitèrent un peu trop souvent à être simplement des collections d’images présentées comme étant dignes de servir de modèle. Un de ces manuels de peinture pourtant eut la mission de répandre vers d’autres horizons les idéaux de la peinture de paysage.

Fei Hanyuan 費漢源 (actif entre 1734 et 1756) est donc l’auteur d’un ouvrage publié au Japon et intitulé Les Types de la peinture de paysage (Shanshui Huashi山水畫式》) qui comporte treize volumes et ressemble beaucoup au Manuel de peinture du jardin du grain de moutarde. La préface de l’ouvrage a été écrite par le petit fils de l’auteur, Fei Jinghu 費睛湖, elle est suivie de deux autres préfaces par des auteurs japonais, Mokuyō 木雍, auteur d’un texte sur les peintres chinois résidant au Japon, Célèbres Peintures de montagnes des lettrés chinois (Tangshi Minghua Tuhui唐土名山圖會》ou Tōshi Meisan Tokai en japonais), et publié en 1801, ainsi que Sawamoto Gai 澤元愷 et Mori Subaru 杜昂 qui étaient sans doute d’autres marchands résidant à Nagasaki. L’ouvrage fut compilé par un peintre japonais nommé Suzuki Fuyō 鈴木芙蓉 (1749-1816) et publié en 1789 sous le titre Les Types de la peinture de paysage de Fei Hanyuan (Fei Hanyuan Shanshui Huashi費漢源山水畫式》, ou Hi Kangen sansui gashiki en japonais). Pendant ses voyages, Fei Hanyuan résida au Japon en 1734, 1737, 1754 et 1756 ; plus tard, il fit, entre autres notables rencontres, celle de Takebe Ayatari 建部凌岱 (1719-1774), artiste excentrique qui devint un des plus prolixes peintres du début de la période moderne du Japon et un des représentants de l’art lettré en son pays, la prononciation du terme chinois pour « lettré » (wenren 文人) étant en japonais « bunjin ». Takebe Ayatari, à une époque où les Japonais n’avaient pas la permission de voyager, avait cependant décidé de se perfectionner dans les arts lettrés chinois et s’en fut donc à Nagasaki où les étrangers étaient cantonnés pour pouvoir rencontrer des artistes du continent. Ayatari, qui reçut l’enseignement de Fei Hanyuan pendant une période de dix-sept mois, fut un des rares peintres japonais à avoir étudié directement sous un peintre chinois, les autres très nombreux artistes japonais de cette période à avoir reconnu cette influence n’ayant joui que de la seule expérience des peintures et des ouvrages faits par ces peintres. Lawrence E. Marceau, dans son ouvrage sur Takebe Ayatari, note d’ailleurs les différences importantes qui existent entre les paysages de Takebe Ayatari et ceux de Fei Hanyuan. De plus nombreuses similarités sont notables entre les gravures du manuel et ces paysages du peintre japonais. Comme celui-ci semblait plus à l’aise dans la peinture d’oiseaux et de fleurs, dans un style qui rappelle souvent Zhu Da, il est possible que l’enseignement reçu par Ayatari ait été plus tourné vers ces sujets qui étaient d’ailleurs souvent pratiqués par d’autres importants peintres chinois résidant au Japon.

Bien que la qualité des illustrations soit souvent inférieure à celle du Manuel de peinture du jardin du grain de moutarde, elles remplissent cependant tout aussi bien leur fonction éducative. Fei Hanyuan n’a pas de message particulièrement original à apporter à la pratique de la peinture, si ce n’est le fait qu’il ait essayé avec cet ouvrage de perpétuer la tradition lettrée, chose que nombre de lettrés du 18e siècle ne pensaient pas pouvoir faire avec des gravures. Il ne faut donc pas oublier que Fei Hanyuan était aussi un marchand et que cette publication avait pour évidente ambition d’être vendue en Chine comme au Japon. Encore une fois, c’est la limite entre lettrés et professionnels qui se pose ici en termes fort clairs : le milieu du 18e siècle est le contexte dans lequel cette limite disparaît, au moins dans les faits puisque le discours élitiste des lettrés continuait à être tenu avec beaucoup d’obstination.

Comme la majorité des livres sur la peinture de cette période, les emprunts aux traités de la dynastie Song y sont nombreux. Et c’est précisément une des idées les plus importantes venant de cette dynastie, les règles des « trois distances » (sanyuan 三遠) qui eurent tant d’influence sur la façon de représenter l’espace dans toute l’histoire de la peinture chinoise, que Fei Hanyuan va modifier :
« Les montagnes ont trois types de distance qui s’appellent “haute distance”, “distance plate” et “distance profonde”. La “haute distance” consiste en peindre avec des lavis et sans “rides de surface” les parties les plus hautes de la montagne principale. La “distance plate” consiste à faire ressortir avec des lavis tous les endroits qui comportent des vides, ceux où il y a des arbres et ceux où les eaux se séparent. La “distance profonde” consiste à faire ressortir avec des lavis les pics et les cimes qui se trouvent dans les concavités derrière la montagne [principale, ce qu’on accomplira avec] de nombreuses couches [de lavis] répétées plusieurs fois. Des trois distances, seule la « distance profonde » est difficile, car elle exige que l’on puisse faire voire avec précision et sans faillir les intervales [entre les montagnes] sans [laisser] savoir qu’il s’y trouve des milliers et des millions de li. Sans une réflexion extraordinaire, vous n’y parviendrez pas. »

Le peintre Guo Xi 郭熙 (c. 1020 – c. 1090) de la dynastie des Song, dans son Hauts accomplissements des forêts et des sources (Linquan Gaozhi《林泉高致》), donne la plus connue des définitions des « trois distances » :
« Les montagnes ont trois types de distance. Quand on regarde vers [les hauteurs du] pic à partir du pied de la montagne, cela s’appelle la “haute distance”. Quand on regarde la montagne de face [en laissant le regard aller] dans la distance, cela s’appelle la “distance profonde”. Quand on regarde depuis une montagne proche vers celles qui se trouvent au loin, cela s’appelle la “distance plate”. La “haute distance” paraît claire et brillante ; la “distance profonde” paraît progressivement plus sombre ; la “distance plate” combine les deux qualités. L’élan de la “haute distance" est abrupt et impressionant ; le concept de la “distance profonde” est une répétition de surfaces ; le concept de la “distance plate” est de s’étendre et de se mêler dans le brouillard et l’indistinct. »
Cette conception traditionnelle des distances dans le paysage est ainsi reconsidérée par Fei Hanyuan qui préfère, là où Guo Xi se contente de descriptions spatiales et de points de vue, se concentrer sur l’exclusif emploi de lavis. Il faut noter ainsi qu’il n’utilise pas de « rides de surface » pour ces paysages, ce qui peut paraître étrange puisque son manuel se concentre presque exclusivement sur cette méthode et que les lavis sont impossibles à reproduire en xylographie. Il existe ainsi, et cela assez souvent, une certaine distance entre le texte explicatif et les images et c’est précisément ce grave problème qui va forcer des théoriciens très tournés vers l’effort pédagogique à renoncer à l’illustration dans leurs traités.

De fait, Fei Hanyuan était originaire de Huzhou 湖州 dans la province du Zhejiang, ville dont était aussi originaires Shen Quan 沈銓 (1682-1760) et Yi Fujiu 伊浮九 (1698- après 1747), deux peintres qui eurent une extraordinaire influence au Japon. On a déjà vu Shen Quan plus haut comme peintre de fleurs et d’animaux qui, quoique peintre professionnel et fasciné par l’académie des Song du sud et son attention aux détails et aux couleurs, était aussi intéressé par les expériences plus subtiles du peintre orthodoxe Yun Shouping. Bien que son voyage au Japon n’ait sûrement pas duré plus de deux ans (1731-1733), son influence sur la peinture de fleurs et d’oiseaux de Nagasaki fut immense. Son influence fut perpétuée au Japon par des disciples chinois, tels que Gao Qian 高乾 (actif fin 18e – début 19e siècle), Gao Jun 高鈞 (actif fin 18e – début 19e siècle) et Zheng Pei 鄭培 (actif fin 18e – début 19e siècle), mais aussi par de nombreux autres peintres résidant à Nagasaki, comme Sō Shiseki 宋紫石 (1712-1786). Bien plus, c’est par ses peintures, et donc indirectement, qu’il transforma radicalement l’œuvre des peintres bien plus célèbres de Edo, comme Yosa Buson 与謝蕪村 (1716-1784), Tani Bunchō 谷文晁 (1763-1840), Maruyama Okyo 圓山應舉 (1733-1795), Watanabe Kazan 渡邊華山 (1793-1841). Quant à Yi Fujiu, marchand comme Fei Hanyuan, il apporta au Japon une autre vision de la peinture lettrée, encore plus austère que celle de Fei Hanyuan car elle reposait exclusivement sur l’observance de la tradition lettrée de Huang Gongwang, l’un des Quatre grands maîtres des Yuan. C’est un de ses disciples, le peintre Kan Tenju 韓天壽(1727-1795), qui rendit hommage à son maître chinois en publiant une série de gravures inspirées par les œuvres de Yi Fujiu et celles de son plus grand admirateur, le peintre Ike Taiga 池大雅 (1723-1776). C’est surtout grâce à cet album, publié en deux volumes en 1803 sous le titre Album de paysages de Yi Fujiu et Ike Taiga (I Fukyu Ike Taiga sansui gafu伊浮九池大雅山水畫附》), que l’œuvre de Yi Fujiu connut une grande renommée au Japon, car très peu d’artistes pouvaient avoir accès à ses peintures qui se trouvaient principalement à Nagasaki. Tous les albums d’images publiés par des artistes n’avaient donc pas nécessairement pour ambition d’être employés comme outil pédagogique même s’ils pouvaient aussi être utilisés dans ce but. C’est aussi le cas du livre publié par un des peintres dont l’influence sur la peinture de personnages fut très importante.

* Frank Vigneron (Professeur, Fine Arts Department, The Chinese University of Hong Kong)

 

Takebe Ayatari 建部 岱 (1719-1774), Paysage d’automne avec personnage pêchant, aucune indication de taille
ou de matériau donnée.

《芥子園畫傳》的論說無甚精辟獨到之處,多為拾前人畫論之牙慧。有時更直接從古代畫論中取之,如公元六世紀南齊謝赫的畫論以及儒、道、釋諸家之言。然而,在閱讀中,我們卻為它的廣博以及書中時時可見的箴言和洞察所驚訝,嘆服其圖文如此融洽,相得益彰。這類繪畫入門書籍出版的初衷是良好的,然而不幸唯獨《芥子園畫傳》獨具雄心並深明自己的局限。稍後出版的同類書籍卻常且囿於簡單地收集一些可供臨摹的圖畫。其中有一本則別有抱負,欲將山水畫的理想境界推廣至遠。

費漢源 (活躍於1734至1756年間) 是一部在日本出版的、題為《山水畫式》的書籍的作者,全書共十三卷,極似《芥子園畫傳》。由作者之孫費睛湖作序,另兩篇序言則為日本人所作。其一為木雍,他是1801年發表的關於旅居日本的中土畫家《唐士名山圖繪》一文的作者。另兩位是澤元愷和杜昂,他們可能是長崎的商人。後來這部著作更為一位名叫鈴木芙蓉 (1749-1816) 的日本畫家重新編纂,並於1789年以《費漢源的山水畫式》為書名出版問世。費漢源分別於1734、1737、1754及1756年旅居日本,他廣交畫壇名流,稍後結識了行為乖張的日本畫家建部凌岱 (1719-1774),他是日本現代繪畫早期的一位多產畫家,並是日本文人畫的代表人物。建部凌岱生活在日本人不許自由旅行的年代,然而他卻決心在中國文人畫方面獲得深造,於是便前赴外國畫家繁集的長崎,以便結識中原來的畫家。他拜費漢源為師,為時十七個月,是少數直接師事中國畫家的日本畫家之一。同一時期,其他眾多受中國繪畫影響的日本畫家只能透過觀摩中國繪畫和閱讀畫論以提高技藝。Lawrence E. Marceau 在他論述建部凌岱的著作中指出他的山水畫和費漢源的山水畫之間存在重大的區別,卻與《山水畫式》裡的木版山水畫有眾多相似之處。建部凌岱似乎更擅於作花鳥畫,風格令人想起朱耷,這也許是他在師事中國畫家時,更着重於花鳥畫的練習,這也是旅居東瀛的中土畫家經常創作的題材。


Kan Tenju 韓天壽 (1727-1795), paysage d’après Ike Taiga 池大雅 (1723-1776), dans Album de paysages de Yi Fujiu et Ike Taiga (I Fukyu Ike Taiga sansui gafu 《伊浮九池大雅山水畫附》), xylographie, 26,3 x 17,6 cm.
Spenser Museum of Art, Kansas City.

雖然這部書裡的插圖質量稍遜《芥子園畫傳》,但同樣已盡到其啟蒙教育之功。費漢源於繪畫實踐並沒有甚麼特殊的高見,他只是試圖借此發揚並延續文人畫傳統。而以木刻版畫達至此目的,十八世紀眾多畫家均認為不可為。此外,別忘了,費漢源還是一名商人,他胸懷宏圖大志,欲令這部著作在中日兩國同時發售。我再次強調一下,文人畫和專業畫的界限在此已非常明晰:十八世紀中葉這界限業已消失,至少在實踐上,只是文人的一些精辟論說仍為人所固執堅持。

像這一時期大多數的論述繪畫的著作一樣,該書引用宋代繪畫觀點之處比比皆是,其中有一個有關空間的重要觀念,即「三遠」原則,它對整個中國繪畫表現空間有深遠的影響,費漢源對它作了一些修正:
「山有三遠:曰高遠,曰平遠,曰深遠。高遠者,即本山絕頂處,染出不皴者是也。平遠者,與空闊處,木末處,隔水處染出皆是。深遠者,與山後凹處染出峰巒,重疊數層者是也。三遠惟深遠為難,要使人望之莫窮其際,不知其為幾千萬重,非有奇思者不能作。」
宋代畫家郭熙 (1020-1090) 在其畫論《林泉高致集》中對「三遠」下了著名的定義:「山有三遠:自山下而仰山顛謂之高遠,自山前而窺山後謂之深遠,自近山而望遠山謂之平遠。高遠之色清明,深遠之色重晦,平遠之色有明有晦。高遠之勢突兀,深遠之意重疊,平遠之意沖融而縹縹緲緲。」

這個山水畫中有關空間距離的傳統觀念,被費漢源所重新審視,郭熙更着重空間的表達和觀景點,而費漢源則只專注水墨的運用。應該指出的是他書裡的山水畫不見「皴」的痕跡,這令人感到詫異,因為在他的書裡卻對「皴」的技法情有獨鍾。皆因水墨的意趣是不可能由木版畫再現的。在文字說明和插圖之間往往會出現這種差距,正因這點,一些致力於繪畫教育的畫論家在其論述中不得不放棄了插圖。

費漢源出生於浙江湖州,與沈銓 (1682-1760) 和伊浮九(1698-1747) 均為同鄉。沈、伊二人對日本的畫界影響至大。沈銓是一位花鳥畫家,雖然身為職業畫家並醉心於南宋宮廷繪畫,對細節和色彩頗為重視,但亦對正統派畫家惲壽平的秀潤雅致的風格感興趣。雖然他旅居日本不足兩年 (1731-1733),但他對長崎的花鳥畫影響卻非常深遠。這影響為其中國的弟子們如高乾、高鈞、鄭培 (均活躍於十八世紀末至十九世紀初) 以及許多旅居長崎的畫家如宋紫石 (1712-1786) 等人所延續。此外,他還以其繪畫,間接地徹底改變了江戶著名畫家們的繪畫,如与謝蕪村 (1716-1784)、谷文晁 (1763-1840)、圓山應舉 (1733-1795) 及渡邊華山 (1793-1841) 等。至於伊浮九,和費漢源一樣亦為一名商人。他帶給日本的是文人畫的另一觀念,比費漢源的更為嚴厲,因為它恪守元季四大家之一的黃公望的文人畫傳統。他的眾多子弟之一的韓天壽 (1727-1795) 為向其中國師傅致意,出版了一系列受伊浮九及其崇拜者池大雅 (1723-1776) 作品啟示而創作的版畫。尤其1803年,一本題為《伊浮九池大雅山水畫附》畫冊 (兩卷) 的出版,令伊浮九的畫作在日本聲名大噪,皆因甚少畫家能目寓主要出現在長崎的伊浮九的原畫。畫家出版畫冊並非都志在教育,雖然它可為教育所用。一位對人物畫極具影響的畫家亦出版了一本畫冊。