Art et Histoire 藝術與歷史

Texte : Frank Vigneron*

 
 

Entre le 17e et le 18e siècle en Chine, splendeur sans décadence :
Les manuels de peinture (3)
十七、十八世紀之間的中國:興盛不衰——芥子園畫傳(三)


 
 

Shangguan Zhou 上官周 (1665-1750) était donc un artiste et poète des Qing, issu d’une famille pauvre, ce fut un peintre paysagiste qui se rendit surtout célèbre par ses peintures de personnages et ses portraits. Inspiré au début par l’œuvre de peintres des Ming tous deux connus pour leur amour des couleurs et dont la relation brouillaient la limite entre lettrés et professionnels, Tang Yin 唐寅 (actif c. 1410-1523) et Qiu Ying 仇英 (actif c. 1510-1551), il développa, sans recevoir d’instructions de la part d’un autre artiste, un style très particulier et immédiatement reconnaissable. Il se rendit dans la région de Guangzhou vers la fin de sa vie et exécuta plusieurs manuels de peinture illustrés. Ces livres ne furent en général pas appréciés par les peintres orthodoxes lettrés à cause du style un peu étrange, sans doute trop proche des expériences « excentriques » des peintres de Yangzhou, qu’ils pouvaient propager. Shangguan Zhou fut aussi le maître de Huang Shen et ces deux artistes attirèrent les foudres de Shen Zongqian qui lui aussi s’adonnait à la pratique de la peinture de personnages et du portrait. Il sera donc intéressant d’essayer de comprendre ce qu’un « orthodoxe » comme Shen Zongqian, qui s’appuyait fondamentalement sur l’héritage de Dong Qichang à travers les œuvres de Wang Yuanqi et Zhang Geng, pouvait ne pas apprécier dans la peinture de Shangguan Zhou.

L’ouvrage, qui s’intitule Diffusion des peintures du Hall du rire vespéral (Wanxiaotang Huachuan《晚笑堂畫傳》), est simplement constitué de dessins représentant des figures accompagnés de notices descriptives écrites par Shangguan Zhou. Comme son titre l’indique, c’est plutôt une sorte d’anthologie d’images qu’un véritable manuel de peinture destiné à l’enseignement de cet art. Dans la préface à cet ouvrage, l’auteur explique qu’il l’a publié dans le but d’offrir une aide visuelle aux amateurs de littérature qui s’interrogent parfois sur l’apparence des personnages de leurs livres préférés. Mais comme de nombreux peintres de personnages étaient requis de représenter ces figures historiques et imaginaires dans des peintures de commande, il est très probable que Shangguan Zhou ait conçu ce livre comme une ressource utilisable aussi par les peintres. Il fut publié en trois volumes, ce qui fait de cet ouvrage une publication bien moins ambitieuse que le Manuel de peinture du jardin du grain de moutarde mais bien sûr infiniment plus spécialisée. Il y a exactement cent vingt-neuf personnages donnés sans ordre particulier ; on y compte des figures célèbres de l’histoire et de la littérature, des guerriers et des lettrés chinois mais aussi un lettré coréen, des femmes vertueuses ainsi que des moines bouddhistes et taoïstes. Les deux exemples donnés représentent Su Dongpo, le grand poète des Song, et Zhuge Liang 諸葛亮 (181-234), le célèbre stratège de la période des Trois Royaumes et un des héros les plus appréciés de la littérature et de la culture populaire chinoise (l’éventail en plume de faisan avec lequel il est représenté ici par exemple, se trouve aussi dans un certain nombre de jeux vidéos très populaires en Chine et au Japon).


Qiu Ying 仇英 (début 16e siècle), Parlant de peinture au bord de la rivière aux pins 《松溪論畫圖》, rouleau à suspendre, encre et couleurs sur soie, 60 x 105 cm. Musée Provincial du Jilin.

Shangguan Zhou 上官周 (1665-1750),
Diffusion des peintures du hall du rire vespéral (Wanxiaotang Huachuan 《晚笑堂畫傳》), Zhuge Liang 諸葛 (181-234), page 16 du manuel, xylographie, dimensions de l’original inconnues.

Si Shen Zongqian critique Shangguan Zhou dans les chapitres consacrés au paysage, l’œuvre de cet artiste est en grande partie composée de peintures de personnages. J’ai donc choisi Lushan regardant un lotus (Lushan guanlian 《盧山觀蓮》) pour cet exercice de critique picturale « à la manière de... », faite avec les yeux d’un peintre « orthodoxe »
comme Shen Zongqian. Puisque ce dernier s’est voué à ce genre en lui accordant une place très importante, j’ai préféré choisir une de ces toiles pour pouvoir y rechercher ce que Shen n’aimait pas. Quand on regarde les portraits de Shen Zongqian, qui respectent scrupuleusement l’apport du peintre portraitiste Zeng Jing de la dynastie Ming, il n’est pas difficile de deviner ce qui pouvait le choquer ici. Shen Zongqian allait jusqu’à conseiller aux peintres d’observer un corps nu pour savoir comment dessiner les vêtements en respectant l’anatomie humaine. Shangguan Zhou ne s’intéresse visiblement pas à cette observation. Les plis des robes ne sont ici qu’une excuse pour employer tout un réseau de traits qui rappellent bien les personnages de ses livres imprimés. Ondulant, s’épaississant et s’amincissant, ces traits sont une démonstration spectaculaire de variété et de maîtrise d’un peintre qui ne se préoccupe guère de savoir où se trouvent les épaules ou les hanches, ce qui reste un soin constant de Shen. Sans s’arrêter là, Shangguan Zhou ne respecte pas non plus les proportions : il accorde en effet une taille bien plus grande au personnage central. S’il devait se mettre debout, il serait probablement deux fois plus grand que le vieillard situé sur la gauche. Dans ses portraits de groupe ou ses peintures de personnages incluant plusieurs personnes, Shen Zongqian respectera toujours scrupuleusement la vraisemblance. Sans qu’on puisse vraiment deviner la forme du corps, il est toujours possible de sentir la ressemblance anatomique. De même, aucun de ses personnages ne sera immodérément plus grand que les autres.

Toutes les caractéristiques décrites ici se trouvent exactement reproduites dans ce manuel de peinture et la liberté des traits dans le rendu des vêtements sera certainement une qualité qui nous fera aujourd’hui apprécier Shangguan Zhou plus que Shen Zongqian 沈宗騫 (c. 1734-1817) ou Zeng Jing曾鯨 (1568-1650), le grand précurseur du portrait de la fin de la dynastie des Ming. Il ne faut donc pas oublier que ces deux tendances font partie de l’histoire de la peinture de personnages en Chine : un style plus réaliste et cherchant la ressemblance physique comme la ressemblance psychologique, mais aussi un style plus « expressionniste » et plus intéressé par la compréhension psychologique des personnages que par la recherche de ce que nous devons appeler le réalisme. Le terme « expressionniste »
est bien sûr ambigu ici et ne doit pas être rapproché du mouvement artistique qui régna en Allemagne pendant les années 1920 et 1930, mais il permet de montrer que le désir de l’artiste était plus du côté d’une expression personnelle que d’une recherche de données factuelles. En tous les cas, il ne faut pas s’abandonner à des généralisations en ce qui concerne l’art du portrait et de la peinture de personnages en Chine et les différentes tendances étaient représentées par des peintres qui savaient employer la polémique pour justifier leurs choix stylistiques, polémique qui avait justement lieu dans ces publications, qu’elles soient manuels ou traités de peinture.

Dans les siècles qui ont suivi l’apparition de ces manuels de peintures et de nombreux autres qui furent parfois encore plus longs et plus détaillés, il est certain que l’art pictural chinois s’est développé dans des directions qui n’auraient pas été envisageables sans la participation de gens qui n’avaient pas reçu la même sorte d’éducation artistique formelle que les peintres professionnels ou les peintres lettrés qui choisirent la peinture comme seule activité. Nombre de ces gens ne s’appuyèrent que sur de tels ouvrages pour s’initier à la pratique picturale, même si de plus amples développements dans leur formation ne pouvaient être possibles qu’avec l’aide d’autres peintres. On peut donc s’interroger sur le véritable impact des manuels de peinture sur l’histoire de ce mode d’expression dans la Chine des 18e et 19e siècles. Tel développement d’une certaine angularité dans le rendu des bambous ou des vêtements, souvent expliqués par le développement des « études de pierre et de métal » (Jinshixue 金石學) et la façon dont celles-ci ont métamorphosé la pratique de la calligraphie et subséquemment de la peinture, pourraient aussi avoir eu lieu à cause de l’espèce de raideur que l’on trouve dans les gravures de ces manuels. Mais ces problèmes stylistiques sont beaucoup trop complexes pour être abordés ici et il suffira de conclure cette présentation du Manuel de peinture du jardin du grain de moutarde et de ces deux autres ouvrages en réitérant leur importance dans l’histoire de la peinture moderne en Chine, une importance qui a sans doute été sous-estimée jusqu’à maintenant.

Note sur Tang Yin 唐寅 (actif c. 1470-1523)
Originaire de Suzhou. Bien qu’issu d’une famille humble, il eut la possibilité, grâce à sa brillante intelligence, d’entreprendre la carrière de gouverneur. Il fut cependant victime d’un scandale qui le contraignit à se retirer à Suzhou où il s’établit peintre professionnel. Elève de Zhou Chen 周臣 (actif c. 1500-1535), il devint en peu de temps plus célèbre que son maître. Il jouissait à Suzhou de l’amitié de Wen Zhengming 文徵明 (1470-1559), parangon de la culture lettrée, qui le tançait constamment pour sa vie dissolue. Quelques œuvres de Tang Yin sont très proches du goût et des conceptions des lettrés, tandis que d’autres rappellent le style plus professionnel de Zhou Chen. Tang Yin fut aussi un habile peintre de fleurs, de portraits, de jardins et de beautés. Les écrivains chinois expliquaient d’ailleurs ce talent par sa profonde connaissance des maisons de plaisir. Ce genre lui valut une grande popularité, au point que, associé à Qiu Ying, il ouvrit une sorte de boutique qui rassemblait de nombreux artistes professionnels qui exécutaient, dans un but purement commercial, des peintures de caractère décoratif.

Note sur Qiu Ying 仇英 (actif c. 1510-1551)
Peintre professionnel, il ne s’occupa ni de littérature ni de calligraphie. Lui aussi élève de Zhou Chen et ami de Tang Yin, il apprit son art grâce aux peintures des époques Tang et Song. Doté d’un goût inné de l’élégance et d’une excellente technique, il acquit une si grande popularité que ses dessins furent l’objet de très nombreuses copies. Les œuvres de Qiu Ying exercèrent une influence importante sur l’art populaire japonais de la période Edo (1600-1868). En ce qui concerne la peinture de paysage, Qiu Ying se servit de styles archaïsants pour la composition d’œuvres dans des coloris bleu-vert dérivés des peintures de la dynastie Tang à travers l’œuvre des peintres lettrés des Yuan. Entré en contact avec les peintres lettrés de l’entourage de Wen Zhengming, il se mit à faire quelques sujets plus littéraires, c’est-à-dire plus proche de ce que les lettrés considéraient comme leur idéal.

* Frank Vigneron (Professeur, Fine Arts Department, The Chinese University of Hong Kong)

 

Tang Yin 唐寅 (1470-1523), Courtisanes du
palais Mengshu
《孟蜀宮妓圖》, rouleau à
suspendre, encre et couleurs sur soie,
124,7 x 63,6 cm. Musée du Palais, Beijing.

上官周 (1665-1750) 是清代的畫家兼詩人,出身貧寒,他是一位山水畫家,但卻以人物肖像畫聞名於世。他初期深受唐寅和仇英 (兩者均活躍於1510-1551年間) 的影響,此二人以對色彩的偏愛而著稱,他們之間的關繫亦模糊了文人與專業畫家的界線。在無任何人指點下,他自創了一眼便可辯識的獨特的個人風格。他晚年移居廣州,並印行了數冊畫譜。但由於風格的怪異,也許太接近《揚州八怪》這類特立獨行畫家的風格,因此一般不為正統派畫家所賞識。上官周亦為黃慎的師父,兩者均為擅作人物肖像畫的沈宗騫所嚴斥。沈宗騫師承董其昌,並深受王原祁、張庚的影響。嘗試瞭解一下這樣一位正統派畫家何以對上官周的畫並不欣賞,不無裨益。

《晚笑堂畫傳》純粹由畫構成,每幅畫均附有上官周的解釋文字。顧名思義,這是一本畫選,而非繪畫入門之類的教科書。序言裡,作者開宗明義,說明出版畫傳旨在為文學愛好者提供作品裡的人物形象,他們常為自己心愛的文學作品裡的人物而浮想聯翩。由於當時許多人物畫家受人所托繪製這些歷史傳奇人物,有見於此,上官周便編纂了這本可資畫家參考的畫傳,也不無可能。畫傳分三卷出版,其雄心壯志,遠不能與《芥子園畫傳》這部皇皇巨製相比,但卻更為專業。畫傳不按次序,展示了129個人物的形象,內中有著名的歷史和文學人物,中國古代著名的戰將和文人,其中還有一個韓國文人,以及賢良淑德的貞女節婦,和尚道士等等。這裡列舉的兩幅是宋代大詩人蘇東坡及三國時期的著名軍師諸葛亮,他是中國文學和民間最受人景仰的英雄人物之一 (他羽扇綸巾的形象亦出現在中國和日本的一些電子遊戲中)。
沈宗騫在他畫論的山水篇裡批評了上官周,但後者的畫作主要是人物畫。這裡我選了《盧山觀蓮》這幅畫,試着以正統派畫家沈宗騫的眼光來審視它。鑑於沈宗騫對人物畫情有獨鍾並賦予其甚高地位,我着意選了這幅畫以便從中窺探出究竟哪些東西不為他所好。我們看了沈宗騫那嚴格遵守明代人物畫家曾鯨法則繪製的人物畫,便不難發覺究竟何物令他反感。在談及如何依據人體結構描畫人物衣著時,他甚至勸人直接去觀察人體。而上官周顯然對此不感興趣。他藉畫人物衣服之機,盡情地畫出了密集的線條,這讓人想起他畫傳裡的人物。波浪起伏、重疊散開,這些線條精采地展現了畫家精湛多變的純熟技巧,但對人物的肩膀、腰臀卻不屑一顧。相反,這些正是沈宗騫始終最為關注的。此外,上官周也不遵守人體比例:畫的中心人物顯然高大得多。如果他立起來,恐怕要比他左邊的老者高出兩倍。而在沈宗騫的肖像群體畫和表現幾個人物的人物畫裡,他總是小心翼翼地注意人物的精確逼真。我們固然看不到人物的形體,但卻能感受到人體結構的真確。他畫中的人物沒有一個會給人以鶴立雞群的感覺。

上述的一切特點均出現在這本畫傳裡,而描畫衣服皺褶的無拘無束卻成了優點,讓我們今天面對上官周、沈宗騫 (1734-1817) 及明末肖像畫先驅曾鯨 (1568-1650) 的人物畫,會更喜愛上官周。切勿忘記中國人物畫史裡的兩個傾向:其一是較為寫實的風格,尋求形似和神似;另一種則更具「表現主義」色彩,對於人物精神面貌的探索更甚於對所謂現實主義的追求。這裡所謂的「表現主義」意思較含糊,不能與上世紀二、三十年代在德國風行一時的藝術潮流相比,但卻展現出畫家表現個人印象的意願,比對事實因素的追求更強烈。總之,對於中國肖像畫和人物畫,不可泛泛而論。畫家們展現了不同的傾向,並於論說中為自己的風格辯解。這些辯解論述,在畫論抑或繪畫入門一類的書裡均可見到。


Shen Zongqian 沈宗騫 (c. 1734-1817), Le collationnement des classiques (Jiaoshu 《校書》), daté 1793, rouleau à suspendre, encre et couleurs sur papier, 181,5 x 92,5 cm. Collection privée.

在這類畫傳以及其他規模更大、內容更詳細的同類書籍出版以來的漫長歲月裡,有這樣的一群人,他們不像專業畫家或將繪畫視為唯一活動的文人畫家那樣接受正式的藝術教育。如果沒有這些人的參與,則中國繪畫發展進程中流派紛呈、百花齊放的景象勢難出現。他們中許多人全仰賴這些畫譜入門讀物而敲開繪畫之門,而在習畫中若能更上一層樓,亦全靠其他同儕的指點提攜。為此我們可以想象一下這類書籍對十八、十九世紀的中國繪畫該有多大的影響。在寫竹或描繪人物衣著中出現的棱角突兀 (人們常將此歸咎於金石學的研究及其研究方法。金石學的研究改變了書法實踐,因此也改變了繪畫表現),亦可在這本畫傳中生硬板滯的版畫中看出。這些風格問題頗為複雜,難於在此評述。在此,讓我結束對《芥子園畫傳》及其他兩本畫傳的介紹,並重申它們在中國繪畫史中的重要性,這個重要性至今仍被低估。

註釋:唐寅 (活躍於1510-1551年) 原籍蘇州,出身寒門,但由於他的聰明才幹,亦曾為官。後為一場官非所累,被迫辭官,歸隱蘇州故里,成了一名專業畫家。他曾-師從周臣 (1500-1535) 但很快聲名便蓋過師父。他與文人畫的翹楚文徵明 (1470-1559) 過從甚密,這位朋友對他放蕩不拘的生活多有指責。唐寅的一些作品極近文人畫的審美觀念,而另一些畫則頗有其師周臣的風格。他擅作花鳥、人物、亭園,尤其仕女畫。中國文人認為這緣於他熟諳青樓。仕女畫令他聲名大噪,致使他和仇英合作,開了一家畫館,聚集了一眾專業畫家製作以商業為目的的帶裝飾風味的畫。


Zeng Jing 曾鯨 (1564-1647), Petit portrait de Wang Shimin
《王時敏小像圖》, rouleau à suspendre, encre et couleurs
sur soie, 161,64 x 42,3 cm. Musée d’Art de Tianjin.

仇英 (1510-1551) 為一專業畫家,他專攻繪畫,對詩詞書法均無涉足,不屬文人之流。他亦是周臣的學生,唐寅的朋友。他以臨摹唐宋古畫提高技藝。他天生的高雅品味和精湛的畫技,令他飲譽畫壇,其作品成為人們競相摹仿的對象。他的繪畫亦對日本江戶時期 (1600-1868) 的民間繪畫影響至大。