Ciné-débat 電影座談會

Texte : Violaine Caminade de Schuytter

 
  Accords et désaccords du silence

 
 

On imagine sans mal l’envie qu’aura plus d’un de prendre ses jambes à son cou ;
halte là, pas si vite, ce serait oublier l’inventivité du cinéma ! Loin de nous l’envie d’idolâtrer le silence telle la professeure caricaturale du Pont des Arts d’Eugène Green.


Amours muets

Qui ne dit mot consent

Le silence est cependant une qualité rare que le cinéma sait valoriser entre mille et un bruits. Il permet de théâtraliser un son particulier. Simple faire-valoir ou horizon d’un cinéma en recherche d’évidence simple comme dans l’épisode L’heure bleue tiré des 4 aventures de Reinette et Mirabelle de Rohmer, dont les films prétendument bavards savent aussi se taire, quitte à ce que leurs protagonistes en soient désarmés ou en proie à la panique. Mais nous ne parlerons pas jusqu’à l’aube, moment du miracle en question, rassurez-vous ! Faute de vivre cet instant presque sacré en commun, nous écouterons, mais aussi regarderons les effets du silence, que le cri vient parfois rompre (vivent les héroïnes amoureuses des Enfants du paradis ou de La princesse de Clèves de Manoel de Oliveira).

Le silence est le meilleur outil du suspense car l’absence de bruit rend alors vibrante l’attente de la péripétie sonore. Mais tout silence n’est pas une tension en suspens (Hitchcock à suivre encore et encore).
Alors pourquoi faire silence, au risque d’ennuyer ? Le cinéma coupe parfois délibérément le son par expérimentation, par provocation (la minute de silence imposée dans Bande à part), impuissance ou/et force poétique (l’indicible et l’hyperbole lors des retrouvailles finales dans les Amants du Pont-Neuf et chez Arnaud Desplechin, chez qui les cris de douleur sont parfois littéralement étouffés, pour mieux les faire entendre par un subterfuge tenant de la pirouette comique).

Comment conjurer la souffrance ? Dans Au revoir les enfants, on découvre que la culpabilité de l’oeuvre se nourrit à la source d’un non-dit. Les larmes muettes de l’héroïne trahie de Domicile conjugal s’opposent au verbiage frappé d’impuissance. Comment éviter le « blabla » déploré par l’héroïne d’Inguélézi de Dupeyron au profit d’une justesse difficile à trouver ? Car il est des sujets sensibles (le monde qui va mal) que le cinéma peine à aborder : le panneau d’interdiction sur lequel elle bute à la fin dit aussi l’impossibilité d’accompagner l’immigré clandestin du film laissé à son sort incertain.

Chabrol met en garde contre le silence qui couperait du monde dans son court-métrage « La muette », publicité ironique pour les boules Quies. Personnages de sourds (Sur mes lèvres d’Audiard) et de muets ont souvent eu, il est vrai, les honneurs d’un art qui fait la part belle au visuel et ne cesse de règler ses comptes avec la parole courante, celle qui rime mal avec communication. Les grands films ne communiquent pas cependant, ils chuchotent tout au plus, et n’assènent pas de vérité. C’est pourquoi les censeurs n’ont peur que de leur propre tyrannie.

Le cinéma muet a ses admirateurs. Mais nostalgiques, unis dans la communion d’un art révolu, prenez garde de perdre votre jeunesse, semble songer Denis Lavant en quittant le vieux sourd donneur de leçon dans Boy meets girl. Le cinéma muet peut dérouter certains spectateurs modernes habitués à la surenchère de bruit. Contrairement à ces « extra-terrestres » exigeant le remboursement de leur ticket pour The Artist car ils imputaient l’absence de parole à une défaillance technique (anecdote véridique rapportée dans les Cahiers du cinéma d’avril 2013), gageons que cet art des origines au langage universel a encore plus d’un secret à nous révéler.

Le silence est-il donc un plus ou un moins ? Une conquête ou une impuissance ? Le Melville en fin de carrière avait abandonné selon ses détracteurs la force de résistance du silence au profit du seul vide. La traversée du désert de certains cinéastes (Malick, Carax etc.) est-elle pure perte ou signe-t-elle un regain de créativité ? Pourquoi faudrait-il pleurer la mort d’un Resnais qui laisse une si riche filmographie ? Quant à Kieslowski, est-ce pure coïncidence s’il meurt peu après avoir arrêté de tourner ? Deux exemples parmi d’autres qui prouvent la force vitale du cinéma.

Le silence, grand fauteur de trouble, pourvoyeur de malentendus peut sceller l’accord des êtres après la lutte des corps (la fin du Fils). Pour mieux envisager la fin comme une chute non fatale, nous ferons appel à Kaurismäki, grand cinéaste mutique non dépourvu d’humour, puisqu’Au loin s’en vont les nuages. Et après ? « On avait dit qu’on n’en parlerait plus », supplie un personnage en quête d’apaisement à la fin de Ma nuit chez Maud. Ouvrez grand vos yeux et sans vous faire de « Mauvais sang », laissez-vous emporter par l’émotion de la beauté avant le « chut » final. Témoignage de la vie comme de la mort, l’expérience est ce qui reste quand les films ont fait silence et nous laissent avec la force ou l’inquiétude qu’ils nous ont transmises.

Animé par Violaine Caminade de Schuytter
Le 29 mai 2014 à 19h00
Médiathèque de l’Alliance Française de
Hong Kong
52, Jordan Road, Kowloon
Entrée gratuite
Séance en français